Caine se réveilla seul dans sa chambre. On frappait avec insistance à la porte. La lumière du soleil du matin pénétrait par l’interstice de l’épaisse draperie de velours, le frappant dans les yeux alors qu’il remuait.
Gerdie, si c’est toi, il vaudrait mieux que ce soit pour une bonne raison », grommela-t-il.
« Je suis désolé de vous déranger, monsieur. Le baron insiste pour que vous soyez présent au petit déjeuner. Il
insiste, monsieur ! » plaida un domestique anonyme de l’autre côté de la porte. Caine regarda d’un air penaud l’espace vide qui avait été laissé sur le matelas et enchevêtrement de draps à ses pieds. Il secoua la tête.
« Ech. Dites-lui que j’arrive », soupira Caine.
* * *
« Comment osez-vous, monsieur ! Comment osez-vous ! », s’écria le baron en frappant la table pour mieux insister. Sa moustache raide s’agitait sur son visage, son expression livide. Un serviteur à ses côtés se pencha pour verser du jus, mais le baron lui fit signe de s’éloigner.
« Je vous assure que ce n’était pas mon idée, baron », répondit Caine en prenant la tasse de café fumant qu’on lui tendait et en se frottant une tempe. Il n’était pas sûr de vouloir entendre la réponse. Il évitait de regarder la baronne, même si, de son côté, elle semblait se contenter de cueillir délicatement des fruits dans un bol de fruits devant elle. Elle était radieuse dans une robe de velours d’un vert profond.
« Vous voulez me faire croire que vous n’êtes pas responsable ici ?! »
Caine haussa un sourcil et observa son café.
« Je ne suis pas sûr de comprendre… »
« Ces incessantes escortes, monsieur ! Je ne suis pas prisonnier et mes actes ne sont pas suspects ! Vos hommes suivent chacun de mes pas au-delà des portes. Ils refusent de me laisser tranquille. Ils prétendent toujours agir sur vos ordres. Je vous le dis maintenant, monsieur, ça va s’arrêter ! »
Caine posa son café, sur le point de présenter sa défense lorsqu’il réalisa ce que le baron avait dit. De sa place à table, la baronne plaça une serviette sur ses genoux et lui sourit gentiment.
Prenant une inspiration il recommença. « Baron, nous sommes seulement là pour vous protéger. Jusqu’à ce que… »
Cela. Va.
S’arrêter », répéta le baron.
« N’y a-t-il rien d’autre que je puisse offrir ici ? Demanda timidement la baronne, une fraise s’attardant sur sa lèvre pendant qu’elle parlait. Caine cligna des yeux puis jeta un coup d’oeil sur le regard noir de son mari. Il s’aperçut qu’il était sur le point de rire. Alarmé, il l’étouffa avec une quinte de toux improvisée.
« Je… kaff… je n’ai pas d’appétit pour le moment, madame. Peut-être… kaff… plus tard. Caine se frappa la poitrine, les yeux larmoyants.
« Notre cuisine vous est toujours ouverte, capitaine. S’il vous plaît, profitez-en comme vous le souhaitez. Elle sourit en avalant sa fraise.
Le baron fronça les sourcils, impatient. « Par pitié, Sarah ! C’est un adulte et il peut profiter de votre garde-manger quand il le souhaite ! Maintenant, capitaine. Votre parole. Je l’aurai ! »
« Concernant ? » gloussa Caine, essayant de se concentrer à nouveau.
« Les
escortes, monsieur ! » grogna le baron.
« Je n’ai pas… oh… c’est vrai. Il n’y aura plus d’escortes. Vous avez ma parole ».
Le repas fut interrompu par l’irruption de Gerdie dans la salle à manger. Faisant un signe de tête au baron et à la baronne, l’adjudant de Caine arriva à bout de souffle à ses côtés.
« Monsieur, les rangers sont revenus d’une patrouille nocturne. Ils ont trouvé un camp de mercenaires ». murmura-t-il à l’oreille de Caine, observant le visage rougi du baron avec un sourire bienveillant. Caine acquiesça, jetant sa serviette sur son assiette.
« Je vais prendre congé maintenant, baron. Il semble que nous ayons un… développement ».
Il repoussa sa chaise et se leva. Alors que lui et son adjudant se dirigeait vers la porte, Gerdie jeta un coup d’oeil par-dessus son épaule en direction du noble en colère. « Monsieur, vous ai-je bien
entendu ? Nous devons mettre fin à la surveillance de Malsham ? »
Caine sourit cruellement en secouant la tête. « Non, mais nous manquerons pas de lui faire croier que nous l’avons fait ».
* * *
Sur le surdimensionné établi en bois de la remise, les sergents de Caine étaient rassemblés en demi-cercle, les bras croisés et le visage sévère. Le sergent Reevan, toujours en tenue de camouflage, s’approcha du banc, après quoi une grande carte fut déployée. Traînant un doigt du domaine du baron vers le marais de Brillig, il tapota une référence de grille.
« Les mercenaires sont là, monsieur. Ils sont enfouis aussi profondément qu’une tique, c’est certain. Nous sommes passés par là auparavant et nous avons manqué, c’est vrai. Ils se font aussi discrets qu’un groupe de cette taille puisse l’être.
« À quoi avons-nous affaire ? » Caine se grattait le menton et regardait la carte. Il vit que le camp n’était qu’à quelques heures de marche à l’est du domaine, au mieux, et assez proche du Fleuve Noir pour se redéployer rapidement s’ils le souhaitent.
« Je ne suis pas sûr de l’affiliation, mais il s’agit bien de mercenaire. Un bon nombre d’entre eux. Disons, une compagnie en sous-effectif. Je compte deux, peut-être Mules prêtes à partir, et quelques autres sur le banc. Fusiliers, piquiers, les suspects habituels, et bien approvisionnés, c’est certain. Je n’ai pas vu leur chef ». Un faible murmure parcouru parmi les sergents tandis qu’ils examinaient le rapport de Reevan. Aucun d’entre eux n’avait manqué de remarquer qu’ils étaient en infériorité numérique.
« Vos ordres, monsieur ? » demanda Gerdie en levant les yeux de la carte, l’expression sobre.
« Je pense que nous devrions leur rendre visite ce soir ».
Les officiers le fixaient depuis l’autre côté de la table.
« Répétez, monsieur ? » demanda Gerdie.
« Juste moi et les rangers. Le reste d’entre vous reste en retrait, pour l’instant. Je ne veux pas de combat. Je veux juste voir ce qu’ils pourraient donner en négociant ».
« N’est-ce pas risqué, monsieur ? »
Caine haussa les épaules. « Doucement, Gerdie. Tu vas découvrir que j’ai toujours un atout dans ma manche ».
* * *
Dans l’ombre de l’écurie, quelque chose bougea. Quelque chose d’énorme. Elle soufflait de la vapeur et chuchotait avec un grincement de fer. Caine vit les braises de ses yeux le fixer alors qu’il entrait et sourit. Le mékanicien le plus âgé, Ewan, s’agitait sur son banc, fatigué, mais travaillant avec acharnement sur le châssis d’un avant-bas métallique. Aidé par deux de ses gobbers, il mettait en place un collecteur sur le membre. Au bruit des pas de Caine, le mékanicien se retourna. Faisant glisser ses lunettes sur le sommet de son crâne chauve, il révéla de lourdes poches sous ses yeux.
« C’est prêt, Ewan ? » demanda Caine, un pouce en direction de la carcasse dans l’ombre.
Le mékanicien essuya la suie de sa joue et passa le bras à ses gobbers. Ceux-ci commencèrent à alimenter en munitions le canon monté sur la coque dans l’ombre. Ewan le regarda puis le retourna vers Caine avec un signe de tête.
« Oui, monsieur. C’est un objet rare, celui-là ».
Le mékanicien appela l’ombre aux yeux rouges, et elle répondit avec un sifflement de vapeur. Dans la lumière de la lampe baissée, il fit son premier pas. Puis un autre. La bosse dans son dos métallique grossissait la tête et les épaules par-dessus Caine, même si ses yeux rouges étaient à sa hauteur. Il siffla de la vapeur par ses évents et s’arrêta avec précaution. Il tenait une hache avec son bras nouvellement attaché, tandis que l’autre était un canon long d’un modèle que Caine n’avait jamais vu. La silhouette élancée de cette bête lui étaient d’ailleurs totalement inconnus. Conformément à la nature secrète de la mission de Caine, elle avait été peinte d’un noir terne et l’insigne traditionnel de Cygnar était absent de ses épaulettes. Le menton pointu de son visage donnait l’apparence d’un oiseau de proie, si seulement il avait été doté d’ailes métalliques assorties.
À la base de l’unique cheminée située à l’arrière, une sorte de dispositif arcanique avait été monté. En apparence, il était similaire aux arcs nodaux dont certains warjacks étaient équipés, ceux-ci étant des mékaniques dérivées pour augmenter la sorcellerie du warcaster qui le
contrôlait. Cet appareil n’était pas tout à fait le même. Caine le regarda perplexe.
« Ils l’appellent le parapluie », déclara Ewan.
Caine pencha la tête, jetant un coup d’oeil au mékano.
« Enclenchez-le, et vous verrez que cette imposante chose disparaîtra presque. Approchez-vous suffisamment, et le parapluie vous protégera également. C’est une protection pratique contre les regards indiscrets, c’et ce qu’on m’a dit. Ce sera le premier essai sur le terrain », gloussa le mékanicien, à la grande consternation de Caine. « Comme on vous l’a peut-être dit, cette arme s’appelle une Longue-arme. Il peut percer un trou dans une plaque de fer de dix centimètres d’épaisseur à une distance équivalent à celle de deux locomotives mises bout à bout ».
Caine siffla en signe d’appréciation.
Souriant, Exan jeta son chiffon. « J’ai pensé que vous aimeriez ça. Alors, vous êtes prêt ? »
Caine hocha la tête et inspira. L’empreinte d’un warjack permettait d’établir un lien mental entre le warcaster et la machine. C’était aussi une épreuve. Imprégner un ‘jack, c’était voir à travers ses yeux et ressentir ses pensées. Aussi simples que de telles pensées puissent être, étant donné qu’elles n’étaient qu’un fac-similé basique et ensorcelée d’une conscience, certains warjacks présentaient une personnalité plus forte que d’autres. Cela pouvait être accablant. Caine en était venu à voir cela comme monter un cheval inconnu ; on ne savait jamais à quoi s’attendre, et se faire repousser n’était exclu.
Ewan s’approcha de la bête métallique et la mit à genoux avec al poignée d’accès près de son cou. Les yeux brillants ne s’éloignèrent pas de Caine alors qu’Ewan tirait, mais la machine ne résista pas non plus. Alors qu’il ouvrait l’épaulière, le mékanicien passa la main pour déverrouiller un verrou intérieur. Dans de la chambre blindée qu’il avait ouverte, Caine s’aperçut un orbe d’acier trempé. Connu sous le nom de cortex, il s’agissait de l’esprit de la bête. À l’intérieur, il l’attendait. Caine tendit son esprit et posa la main…
Sombre. Froid. Néant. Caine se retrouva à flotter dans le vide. Il tourna sur lui-même par sa seule volonté, jetant des coups d’oeil d’un côté à l’autre.
Là
Un point lumineux singulier. Il donna un coup de pied pour se stabiliser, s’efforçant de garder la lumière en vue. Lentement, il s’avança. Alors qu’il s’approchait de la lumière, il perçut les ténèbres se concentrer autour de lui. Une convergence de volonté pure dans le non-espace commença à se former, telle de la fumée, découpée par la croissante lumière devant lui. La forme commença à prendre l’aspect d’un homme. Il vit qu’elle allait jusqu’à imiter son vêtement, jusqu’à ce qu’elle devienne le miroir de sa propre ombre.
Il força l’ombre à lui céder la lumière. Elle ne le fit pas. Il sentit de la défiance, ou peut-être de la curiosité ? L’ombre le mettait-elle à l’épreuve ? L’ombre était si audacieuse, même qu’elle refusa. La forme éthérée de Caine s’enfonça et lutta pour avancer. Une fois de plus, l’ombre résista, le gardant à l’écart de la lumière. La volonté était son seul muscle ici, et avec tout ce qu’il avait, il s’élança. Il bondit en avant, se préparant à l’impact. Au lieu de cela, l’ombre disparut. Il s’écrasa contre la lumière, surpris.
La lumière était en fait une fenêtre flottant dans le néant de cet endroit. Il la contempla et vit Ewan. Là, debout devant la fenêtre sur un lit de paille, le vieil homme l’observait, les mains sur les hanches, alors que lui-même était hors de vue. L’homme lui paraissait étranger, une caricature étrange, de travers et déformée. Avec effort, il fit pivoter la vue de la fenêtre jusqu’à ce qu’il puisse voir son propre corps. Sous la fenêtre, son bras dépassait la ligne de mire. Il vit son propre visage déformé par l’effort. Il essaya de se concentrer dessus… jusqu’à ce que…
Caine cligna les yeux. Il regarda le mékano, les yeux écarquillés.
« Celui-ci est plein de malice », dit-il, essoufflé, et il retira sa main de la chambre du cortex. Fixant ses lunettes sur joues noires de suie, Ewan tapota la bête en métal et ferma la trappe.
« D’accord. Il a un nom, alors ? »
Caine acquiesça.
« Ace ».
* * *
Alors que le soleil parcourait un ciel sans nuage, une brise fraîche soufflait du lac. Caine laissa sa veste ouverte à la fraîcheur, tandis que la sueur ruisselait sur son front. Reevan et son équipe avançaient telles des ombres rapides comme le vent sur le terrain accidenté. Ace trottinait derrière lui d’une démarche proche de celle d’un primate, taillant parfois les broussailles avec sa large hache. La cheminée du warjack crachait de temps à autre une fumée noire et fuligineuse, seul signe que le bête s’efforçait de suivre le rythme. Caine s’émerveillait de voir quelque chose d’aussi grand se déplacer d’une manière si étrangement silencieuse.
Devant lui, d’un geste de la main Reevan fit signe de s’arrêter et se retourna pour observer la progression de Caine. Il l’avait fait à plusieurs reprises, et s’il ne s’était ni plaint ni réprimandé Caine, il avait à chaque fois accueilli Caine avec un sourire narquois qui en disait long. Il était temps d’équilibrer les choses. Exploitant son pouvoir inné, l’espace se plia autour de lui à mi-parcours, et il apparut cette fois
devant le sergent qui l’attendait. Achevant sa foulée, il jeta un coup d’oeil à Reevan. Le sergent ranger, cependant, lui rendit son sourire narquois en fronçant les sourcils et lui fit signe de revenir.
« Nous sommes ici, monsieur », prononça Reevan à voix basse, tandis que Caine reculait. Il désigna une clairière dans les arbres à leur droite. Caine se tourna vers son nouveau warjack et lui ordonna de rester en retrait. Ace obéit, se faufilant dans un bosquet d’arbres. Une fois à l’intérieur, il disparut complètement.
« Vous et vos hommes, restez sur place. Je veux parler seul à leur chef. S’ils sont effrayés, je ne devrais pas avoir de difficulté à m’en sortir, mais n’hésitez pas à me couvrir.
Cela vaut aussi pour toi, pensa-t-il à Ace. Le bête de métal acquiesça en chambrant silencieusement un projectile dans la culasse de Longue-arme.
Caine regarda par-dessus l’épaule de Reevan, voyant le camp de mercenaires pour la première fois. Les mercenaires étaient bien disciplinés et déterminés à rester cacher. L’absence de feux de camp et de bruyantes discussions entre les hommes, comme c’est le cas dans une armée bien campée. Ces hommes se déplaçaient en silence, munis de lanternes sourdes. La lumière était perçue qu’occasionnellement, lorsque les rabats des tentes s’ouvraient momentanément, au gré des allées et venues de leurs occupants.
Dans cette cachette, Caine s’avança, l’arme dans son étui. Avec une respiration, il s’arrêta et ferma les yeux. Il écouta. Il pouvait entendre les pas des soldats allant et venant ou qui parlaient dans leurs tentes. Ouvrant à nouveau les yeux, il regarda la lumière pâle de la lumière de la lune sur une rangée de tentes. Avançant prudemment afin d’éviter les brindilles, il suivit la rangée. Là, au bout de la rangée, une tente plus grande parmi les autres. Sûrement les quartiers du commandant.
En se rapprochant, il entendit une conversation animée à l’intérieur. Un homme et une femme se disputaient. Il fit une pause, écoutant.
« ...aujourd’hui encore, il ne vient pas. Nous devrions envisager... » Le voix de la femme semblait fatiguée.
« Quoi ? Vous voulez que nous partions, Lily ? » répondit l’homme, sa voix épaisse, avec un accent caspien.
« Cela fait maintenant une semaine que nous ne percevons plus de salaire, père. Les hommes sont de plus en plus agités d’heure en heure. S’il ne vient pas à nous, pourquoi ne pas aller à lui ? »
« Tu sais bien que cela va à l’encontre des termes du contrat… »
« Père », supplia la voix de la femme. C’est un contrat qu’il a déjà rompu. Laissez-le renégocier à… attendez… c’est… ? »
« Discutons-en plus tard. J’ai envoyé chercher Luthor. Il s’approche, c’est le plus plausible ».
Caine entendit des pas à proximité. Il remarqua des ombres se déplacer au clair de lune, une patrouille en approche. Tant pis pour ça, pensa-t-il. Il sortit de l’ombre en entendant le dernier des soldats passer.
« salut ! » cria-t-il
Les hommes se retournèrent, cherchant leurs fusils. Caine leur fit signe de s’arrêter.
« Doucement. Je veux juste parler au responsable ».
* * *
« Que voulez-vous exactement, capitaine ? » demanda le jeune commandant. Ils se trouvaient dans la clairière juste à l’extérieur de sa grande tente, ses grands rabats ayant été repliés pour projeter de longues ombres. Elle se tenait devant lui, vêtue d’une armure unique, et sirotait un café fumant dans une tasse en fer-blanc. Son armure était recouverte d’une vaste armature se terminant par d’étranges griffes aux pieds. À la façon dont elle était sortie de la tente, en boitant, Caine se demandait si les armatures ne servaient pas à compenser des membres manquants. Quoi qu’il en soit, il approuva ce qu’il
voyait d’elle. De longs cheveux blonds, noués en tresses, et des yeux bleus perçants qui le regardaient tel un faucon. Même la cicatrice qui courait du menton au cuir chevelu avait un certain attrait. Il se demanda à quoi pouvait ressembler un sourire sur ce visage. Il n’y voyait qu’une exaspération lasse.
« Une chose simple, vraiment. Je veux que vous me disiez ce que vous faites ici, Commandant Von Baum, n’est-ce pas. », dit Caine d’un ton léger, un sourire ironique sur le visage.
La femme soupira. Un homme fatigué, mais formidable sortit de la tente, lui aussi un café à la main. Il était habillé de la même façon, bien que son armure ne soit pas aussi étrange. Il compensait cela par une énorme épée longue attachée à sa ceinture. Il caressait une moustache grise et touffue et plissa les yeux à la vue de Caine. La jeune femme le regarda en haussant les épaules.
« Tu as entendu, père ? » demanda-t-elle. L’homme grogna et regarda Caine.
« Je suis Hector », il tendit une main ferme que Caine serra aussitôt. « Nous sommes sous contrat, capitaine. Désolé de vous avoir fait perdre du temps, mais nous faisons rien d’illégal ici », dit le vieux soldat.
« Peut-être pas » répondit Caine. « Mais il est clair que vous faites tout ce qui est en votre pouvoir pour demeurer cachés. Je trouve cela un poil suspect ».
« La suspicion n’est pas illégale, monsieur. Notre client a stipulé la discrétion, rien de plus », protesta Lily. De derrière la tente, Caine perçut le bruit du métal grinçant et le souffle de la vapeur s’échappant.
« Je pourrais peut-être en parler à votre client, alors. Pourriez-vous m’indiquer le chemin ? » demanda Caine, toujours souriant. Lily roula des yeux mais son père ne fit que glousser, posant une main sur son épaule.
« Vous savez que nous n’avons pas besoin de vous le dire, mon gars ». dit-il en secouant la tête d’un air amusé. Caine étudia la peau usée du visage de l’homme. Ce couple n’allait rien lui donner, pensa-t-il en soupirant. Peut-être qu’un changement de tactique s’imposait.
« Comme vous voulez ».
Le cliquetis de membres lourds articulés se rapprochait. Caine remarqua deux paires d’yeux rougeoyants s’approcher de la lumière. Caine perçut Ace dans l’ombre. Le warjack était tendu et commençait à viser les machines s’avançant. Son empressement à ouvrir le feu marqua l’esprit de Caine, mais Caine résista à l’envie avec un Non catégorique.
« Mettons les choses au clair », grogna Caine. Finassez autant que vous le souhaitez, mais maintenant nous savons où vous êtes. Nous garderons un œil sur vous. Si vous sortez des clous, notre prochaine discussion sera moins… amicale ».
Alors que Caine terminait, les imposantes ombres de deux warjacks Mules pénétraient dans la lumière en boitant. Chacune brandissait une masse à pointe plus longue que la taille de Caine, tandis que leur autre bras était équipé de canon court. Ils flanquèrent leur jeune maîtresse et crachait de la vapeur tels des taureaux en colère. Il pouvait sentir qu’ils étaient impatients de charger. Cela avait dû être un grand effort pour elle de les tenir à distance.
« Argiv ! Hedo ! Du calme ! » dit-elle avec verve, son regard d’acier fixé sur Caine. « Il n’est pas sage de me menacer, capitaine. Ils… sont… très protecteurs ». Le mercenaire aîné, Hector, toussa mais resta silencieux.
Caine sourit. Depuis le bosquet, il jeta scruta l’esprit d’Ace. Le warjack avait déjà aligné la tête du plus proche des deux mules.
Lily plissa les yeux, luttant toujours pour retenir ses warjacks quand Hector posa une main sur son épaule. « Il n’est pas seul, ma chérie », dit-il en plissant les yeux plissant des yeux en direction de l’obscurité ».
« Souvenez-vous ce que j’ai dit », dit Caine. D’un signe de la main, il lui tourna le dos et s’éloigna dans l’ombre.
* * *
« J’admire votre courage, monsieur, c’est certain. J’aurais aimé voir son visage lorsque vous lui avez tourné le dos, comme vous l’avez fait ». Reevan secoua la tête, un sourire ironique aux lèvres. Le sergent des rangers n’était plus qu’une ombre dans le clair de lune. Caine hocha la tête, un demi-sourire en réponse, et contraint Ace à ses côtés.
« C’est là que nos chemins se séparent, sergent ».
« Monsieur ? »
« Ramenez-vos hommes. J’ai une course à faire. Nous verrons ce que feront nos nouveaux amis demain ».
Reevan hocha la tête, serrant sa cape contre l’air frais de la nuit. « Bonne chasse, monsieur ».
Caine et Ace se mirent à courir.
À travers les champs de tourbières et le long de la route en direction du nord, ils approchèrent de la frontière. Comme la veille, Caine en savait assez pour contourner les portes de la frontière à travers les bois. Cette fois-ci, il n’évita qu’une seule patrouille. Il se demanda si Ace n’avait pas fait preuve de surcompensation. Enfin, il approcha de la même colline dominant Merywyn que la veille au soir. Ralentissant leur rythme, il reprit son souffle. En scrutant le couvert des broussailles, son visage devint sévère et vexé.
« Putain de merde ».
Il y en avait… des
centaines. Il recula dans les broussailles. Ace le regarda avec la tête penchée, soupirant doucement de vapeur. Caine fit les cent pas, puis regarda la vaste clairière formant une ceinture autour de la moitié ouest de Merywyn. À la lumière des torches le corps du génie militaire de Llael oeuvrait à l’extrémité la plus proche de la ceinture, à seulement une douzaine de verges. Ils installaient des poteaux de clôture en bois et déroulaient des bobines de fil. Plus près des murs de la ville, ce qui ressemblait à deux compagnies de combat complètes composées de soldats réguliers de Llael, ainsi que de nombreux laborjacks lourds, transportaient du matériel. Au milieu des soldats, une série de grandes tentes brunes prenaient forme, des poteaux soulevant la lourde toile à l’intérieur.
« Ils installent un putain de camp de campagne ! Jura Caine. « Rebald avait raison ». Levant les yeux vers Ace, il considéra le parapluie sur son épaule avec un air renfrogné. « J’aurais mieux fait d’essayer hier soir. Maintenant, je suis censé faire confiance à cette chose contre eux ? » Le warjack leva sa large hache et repoussa les broussailles. Il pointa un endroit à quelques centaines de verges plus loin, proche des rives du Fleuve Noir. Le périmètre des ingénieurs ne s’étendait pas aussi loin, et la lumière des lampes à gaz était irrégulière. Caine hocha la tête face à se geste, grattant son menton. « Ech. Je pense que c’est le mieux que l’on puisse faire, hein ? »
Ace haussa les épaules. Caine regarda devant lui, vers la base des murs de la ville, où un tas de déchets provenant du camp de l’armée s’amoncelait. Des caisses vides, des barils et de grandes bâches avaient été rassemblés et abandonnés. À côté, un grand ponceau dépassait du mur, suffisamment grand pour abriter Ace. De temps en temps, un laborjack lourdement chargé boitait vers le tas depuis la zone de rassemblement principale et y ajoutait, mais il était autrement ignoré. Caine regarda son warjack avec scepticisme.
« Alors, on le fait ou pas ? »
Ace s’élança en avant sans hésitation, quittant le bord de leur couverture. Ce faisant, Caine regarda le parapluie commencer à se déplacer. Une série d’évent le long de la protection de l’appareil brillait d’un blanc froid, et une brume semblable à une distorsion thermique commença à se propager dans l’air autour du warjack. Peu à peu, Caine le regarda s’amplifier, jusqu’à ce qu’Ace ne soit plus qu’une étrange anomalie dans l’espace devant lui. Ni visible ni invisible, il était même inconfortable d’essayer le regarder. De l’intérieur de la bulle, il pouvait sentir on warjack le pousser à avancer, impatient. Avec un gémissement, il s’exécuta et pénétra dans la bulle chatoyante bulle de distorsion. Ce faisant, Caine vit le monde autour de lui prendre un étrange aspect. De ce côté du parapluie, le monde était devenu en quelque sorte assourdi et même un peu flou.
Lentement, en se déplaçant ensemble, ils commencèrent à s’avancer dans la clairière.
* * *
Caine aperçut le tas d’ordures devant lui, à une douzaine de verges seulement. Sa peau se mit à frissonner et il commença à haleter. Bien qu’ils aient réussi à se faufiler jusqu’ici, des dizaines d’hommes se déplaçaient autour de lui. Ils avaient tracé un chemin précaire à travers les trouées de lumière, s’arrêtant plusieurs fois lorsque des soldats passaient autour d’eux. Il grimaçait à chaque fois, mais le parapluie tenait. Encore quelques verges de gagnés.
Jusqu’à.
Un homme solitaire apparut, marchant derrière un ouvrier chargé d’ordures. Alors que la lourde bête de métal déchargeait ses déchets, Caine vit l’homme chercher quelque chose dans sa veste de service. Le laborjack se retourna avec une série de mouvements mécaniques, et fit un pas en arrière par où il était venu. L’aide-soignant ne le fit pas. Il sortit une flasque en argent et, d’un air penaud, l’homme prit une longue gorgée.
Caine attendit que l’aide-soignant parte, mais il ne le fit pas, son regard errant jusqu’à ce qu’il se fixe directement sur l’espace déformé par le parapluie d’Ace. En tutant une nouvelle fois sur sa flasque, son visage se transforma en un masque d’ahurissement.
Caine intériorisa un juron. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Tirer l’homme dans le parapluie et lui trancher la gorge ? Quel autre choix avait-il. Caine fit avancer Ace, prêt à frapper. De son côté, l’homme du corps fit un pas en avant, bouche bée. Caine sortit son couteau de service et se prépara.
L’homme regarda soudain avec horreur sa flasque et la jeta par terre. Il se retourna et courut vers son équipe en gémissant. Caine suivit Ace, passant devant la flasque se vidant lentement.
Enfin, le tas d’ordures leur appartenait. En regardant le ponceau, il fit entrer son warjack à l’intérieur. Ace repoussa facilement les barreaux rouillés et, en un instant, sa masse fut cachée à la vue de tous.
« Attends ici jusqu’à ce que je revienne. Cela ne devrait pas prendre longtemps ». Caine commença à grimper.
* * *
Caine se faufila du tuyau d’évacuation jusqu’à une pierre de taille et, de là s’étira pour attraper la fente d’une meurtrière. À l’abri de la lumière des torches en contrebas, il n’était cependant pas encore hors de danger. Un étage plus haut, des sentinelles patrouillaient le long des remparts. Il pouvait entendre leur bavardage et sentir la fumée de leurs pipes. Il se concentra, regardant vers la prochaine meurtrière. Elle était trop éloignée pour être atteinte, du moins en grimpant. Pliant l’espace autour de lui, il imagina ses mains s’y agrippant. L’instant d’après, c’était chose faite, et il s’arc-bouta dans nouvelle position et chercha la prochaine prise. Un trou adjacent était à portée de main et il se glissa lentement à travers, puis attrapa un autre tuyau d’évacuation. En s’élevant quelques pas plus haut, il aperçut le toit d’un parapet juste au-dessus des têtes des sentinelles. Des verges au-dessus, peut-être mais suffisamment près pour lui. Il reprit son souffle un instant et rassembla sa concentration avant de risquer un nouvel bond en avant.
Là.
En un instant, il se retrouva sur le rebord du parapet. Il s’arrêta pour reprendre son souffle, observant les sentinelles en contrebas telle une araignée sur sa toile. Sûr qu’ils ne l’avaient pas vu passer, il rampa jusqu’au sommet du parapet. La vue sur la ville depuis cette hauteur était spectaculaire. Il regarda par-dessus les toits en contrebas, se rappelant les instructions de Rebald. Il y avait un pub du côté du sud, non loin d’ici. Il repéra un chemin et commença à s’avancer en se faufilant.
« Tu vois ça ! » cria une sentinelle, quelque part en dessous de lui. Caine se retourna, s’agrippant à une girouette. Il regarda la sentinelle, s’attendant à ce que leurs regards se croisent. Au lieu de cela, c’est vers les bois, au sud, que l’homme pointait du doigt. D’autres sentinelles se rassemblèrent à son appel. Caine suivit leur regard dans l’obscurité des étendues sauvages. Il vit les collines, les forêts et même les marais de Cygnar au sud. Il ne remarqua cependant pas pourquoi il y avait tant d’agitation.
Il s’apprêtait à retourner vers la ville lorsqu’un éclair pyrotechnique illumina les cieux nocturnes dans le sud lointain. Puis un autre, et encore un autre. Même à cette distance, les coups de canon ne trompaient pas. C’était une bataille. En plissant les yeux pour voir d’où ils provenaient, un sentiment de malaise le frappa au creux de l’estomac.
« Conneries. Je dois y retourner », murmura-t-il.
Avec un gémissement, il lâcha la girouette et descendit en trombe. Les sentinelles n’entendirent qu’un léger
souffle à son passage. Lorsqu’il apparut sur un tuyau d’évacuation au-dessus du tas d’ordures, il se laissa tomber, visant quelques emballages en toile jetés. Il grogna à l’impact et se releva en crachant. Ace sortit la tête de l’intérieur de la canalisation, curieux. Caine était déjà sur ses pieds et remuant se. Il pouvait sentir ses pensées sonder les siennes pendant qu’il courait.
Parapluie ? Demanda-t-il.
On n’a pas le temps ! Cours ! Pensa-t-il en retour, passant devant des hommes du corps de l’armée ahuris.
L’un deux cria : « Hé ! Vous ne pouvez pas… », cria l’un d’eux. L’instant d’après, l’homme fut presque piétiné alors qu’Ace passait devant lui, la terre tremblant sous ses pas lourds. Autour de lui, l’alarme avait été donnée. Les llaelais réguliers accoururent, les armes à la main. Trop tard. L’étrange couple formé par Caine et Ace s’était élancé, et téléporté au-delà de la ceinture avant qu’un coup de feu puisse être tiré ou que quiconque puisse comprendre ce qui s’était passé.
* * *
Caine sautait par-dessus les broussailles et les flaques d’eau, courant plus vite qu’il n’avait jamais été incité à l’académie. La sueur coulait sur son visage, et ici et là, il se téléportait là où le marais l’aurait coincé. Il disparaissait au milieu de sa course, apparaissant quelques mères plus loin sur un tronc d’arbres incliné. Il gravit la rampe ainsi créée, de plus en plus haut. À la fin, à six mètres de haut, il sauta au-dessus d’un large étang en contrebas. Il frappa le sol mou de ses pieds et continua à courir sans s’arrêter. Ace avait été créé pour ça. Il suivait facilement le rythme, à travers les flaques d’eau ou les broussailles
Ils y étaient presque.
Il pouvait entendre l’étrange tir de mortier de l’ennemi et les apercevoir juste au-dessus des arbres. Il devait continuer à avancer. Il était peut-être déjà trop tard, mais il devait essayer.
Lorsque Caine pénétra enfin dans la clairière, il trouva les visages impassibles d’une demi-douzaine de servants d’armes s’occupant de mortiers et de canons de campagne. Il venait de s’écraser sur l’arrière d’une ligne de mercenaires, et sa surprise se reflétait sur les visages des hommes endurcis devant lui. Durant un moment, ils restèrent sans voix, leurs yeux levés vers la silhouette sombre dans son sillage. Un par un, ils commencèrent à chercher leurs armes de poing, tout en criant.
Caine regarda Ace avec un sourire sauvage. Il s’élança en avant, ses Pistolets-Tempêtes dégainés et crachant du feu. Sur son passage, à gauche et à droite, des hommes tombèrent, leurs armes pas employées.
Ace avançait, tirant au fur et à mesure. La Longue-arme, amplifiée, pulvérisa un mercenaire tentant de s’abriter derrière son mortier. L’homme s’écroula sans un bruit, son sang s’écoulant sur le sol humide.
Un seul avait résisté à leur charge. Celui-ci visa et tira sur Caine, une seconde trop tard. Caine avait déjà disparu en fumée, pour réapparaître derrière l’homme abasourdi. Caine l’exécuta par-derrière d’un unique coup à la base du crâne.
« À ton avis, de quoi s’agit-il ? » Ace ne répondit rien, observant son maître en silence.
« Nous sommes deux, alors ». Caine secoua la tête et rechargea ses Pistolets-Tempêtes, tout en obligeant Ace à saborder les armes abandonnées. L’agile warjack obéit, de trois coups de hache fluides. Ce faisant, Caine vit la compagnie arriver.
Pourquoi avez-vous cessé de tirer ? Nous étons sur le point de prendre d’assaut leur position ! » Le hurlement de la femme résonna dans les bois. C’était sa voix. Des yeux rouges apparurent à la lisière des arbres et l’odeur de la fumée se répandit dans l’air. Les arbres craquaient et se brisaient, et Caine obligea Ace à se mettre à l’abri. Telle une ombre, son ‘jack disparut.
« Qu’avez-vous fait ? Qu’avez-vous fait ? S’écria une voix de femme de l’autre côté du fourré. Lily von Baum regardait le carnage avec stupeur, brandissant un lance-grenade à l’allure cruelle. Ses grands yeux se rétrécirent lorsqu’elle l’aperçut. Les griffes de son armure de plates s’abaissèrent, s’enfonçant dans la terre. Elle s’arc-bouta et pointa son lance-grenades dans sa direction. Caine gémit.
Boum boum boum !Les obus sifflèrent dans le ciel et éclatèrent de façon spectaculaire au-dessus de sa tête. Par réflexe, Caine se téléporta, évitant de justesse le barrage. Ses griffes se repliant, elle se dirigea vers lui en boitant, baignée dans un halo de lumière. Son lanceur s’ouvrit et elle glissa d’autres obus, avant de refermer l’arme.
« Quel gaspillage de sang ! Nous étions venus parler au baron, et nous avons trouvé vos hommes en embuscade », cria-t-elle en scrutant les bois autour d’elle.
« Je n’ai aucune idée de ce dont vous parler ! » cria Caine depuis son couvert.
« Menteur ! »
Caine se précipita à travers le bosquet, d’un arbre à l’autre. Ce faisant, il aligna Lili avec ses deux Pistolets-Tempêtes et tira deux fois. Visée létale chacun Il concentra sa magie pour qu’ils comptent. L’éclair initial de ses Pistolets-Tempêtes brilla d’un halo runique, et leurs tirs crachèrent pour la frapper en plein visage.
Elle ne broncha pas.
La lumière la nimbant disparut, mais dévia les tirs. Ses yeux brillèrent comme s’ils avaient été chargés par l’attaque et elle fit un geste en direction de l’arbre de Caine avec son arme. Telle une locomotive, son imposant warjack Mule, Argiv, se mit à s’avancer à toute vitesse. Caine bondit de son arbre et courut tête baissée à sa rencontre. Les deux se précipitèrent l’un vers l’autre. À la dernière seconde, Caine bondit, employant la tête de la bête comme un tremplin. S’élançant dans les airs, il décrivit un large arc de cercle. Ses armes braquées, elles crachèrent une fois de plus sur lily.
Depuis les fourrés, Ace répondit à la charge manquée d’Argiv. Un unique tir de sa Longue-arme, et la tête de la puissante Mule et la coque derrière elle explosèrent en éclats de métal tranchants. La bête trébucha, mais ne tomba pas. De son côté, Lily réagit à la perte de son cortex de sa bête par un cri strident.
« Si vous êtes innocent, déposez vos armes ! Nous pouvons en finir maintenant ! » prononça Caine depuis le couvert d’un nouvel arbre.
Boum boum boum !Les trois coups sifflèrent. Cette fois-ci, Caine fut en retard d’un battement de coeur. Les obus détonnèrent dans une explosion spectaculaire aérienne, et il chancela sous la force du choc et la surpression. Le champ d’énergie de son armure s’estompa et il recula en titubant, tirant à l’aveugle. Accroupi près d’une souche, il essaya de se débarrasser des feux d’artifice éclatant encore dans sous ses yeux. Elle remarqua son ouverture. Griffes rétractées, elle s’avança tout en rechargeant avec des gestes expérimentés. Elle se déplaçait vers lui, sans crainte. Elle ne fut bientôt qu’à quelques verges.
« Je pense que nous avons largement dépassé ce stade, capitaine ». Sa voix tremblait de rage. « Ma famille n’a jamais eu de raison de faire confiance à votre drapeau, et vous me l’avez rappelé aujourd’hui. Plus important encore, j’ai perdu des actifs et du temps ! Je ne pars pas tant ce que radin de baron ne nous aura pas payé ce qu’il doit, ajusté pour ce fiasco ! Êtes-vous satisfait de savoir qu’il est notre client ? À quel prix avez-vous votre réponse ? »
Argiv, sans tête, trébucha avant de s’enfoncer dans le marais. Sa boute à feu éteint, il ne remua plus. Hedo, cependant, était loin d’avoir fini. La deuxième Mule s’élança à la suite d’Ace solitaire. Ace tira à nouveau alors qu’Hedo approchait, réduisant la masse de la Mule en éclats une seconde avant qu’elle ne s’abatte sur sa tête. Pourtant, Hedo ne le laissa pas décourager. Il laissa tomber l’arme brisée et se jeta sur Ace dans une mêlée déséquilibrée. Avec mépris, Hedo tendit une grande poigne de fer et saisit Ace par sa Longue-arme. Ace frappa le plus gros warjack avec sa hache, mais Hedo ignora les coups et commença à tracter le plus léger hors des fourrés. La Longue-arme fut bientôt plié en deux dans la vaine lutte. D’un grand coup de reins, Hedo jeta petite machine dans la clairière. Ace atterrit mal, roulant éperdument. Le puissant Hedo suivait à grands pas après son ennemi tombé, son propre canon réduisant en miettes la Longue-arme. Il piétina Ace sans ralentir son rythme. L’attention de la Mule se tourna vers Caine.
Grimaçant devant la perte des munitions d’Ace, Caine se releva en titubant. Sa tête évacuant le tir de barrage de Lily, et elle fixait sa bête alors qu’elle venait de le flanquer.
Elle se concentrait sur la Mule, pensa-t-il. S’éloignant de sa souche, il se dirigea vers du bois mort et pointa une série de tirs dans sa direction. Son bouclier sembla moins redoutable cette fois-ci et faibli sous l’attaque, mais ne flancha pas.
« Par Morrow, c’est une dure à cuire ! » grogna Caine, toujours en mouvement, et se dirigeant vers son prochain couvert. La Mule Hedo ne l’avait pas perdu.
Hedo se précipita vers lui et gagna rapidement du terrain. À la dernière seconde, Caine se retourna sur place, pour affronter la bête et rassembla tout sa concentration en une seule frappe. Un coup de tonnerre d’une force incandescente jaillit de lui et frappa la bête chargeant. Hedo fut repoussé directement, son élan complètement brisé. Renversé, Hedo glissa sur le sol, tandis qu’une brume bleue se dissipait de son armure.
Caine sut que l’attaque lui coûterait cher. Il l’avait quittée des yeux, l’espace d’un instant seulement, mais ce fut suffisant. Il savait qu’elle était encore proche. Il se retourna maladroitement pour lui faire face, levant un Pistolet-Tempête dans sa direction, mais il s’aperçut qu’elle s’était rapprochée à portée de main. Il ne vit même pas la crosse de l’arme de la jeune femme alors arrivait dans un large mouvement de balancier.
Elle toucha sa mâchoire, l’envoyant au sol tel un sac de briques.
Le monde de Caine devint flou alors que son champ d’énergie se délitait. Haletant, il leva les yeux vers une silhouette floue se découpant dans le clair de lune. De sa main libre, elle dégaina son pistolet et le pointa sur son visage.
Essuyant le sang coulant de sa lèvre, il leva les yeux, hébété, et parvint à esquisser un faible sourire. Ce faisant, il joignit Ace à travers la clairière. Pourrait-il l’atteindre à temps ? Bien que ses propres yeux lui fassent défaut, le monde demeurait clair pour Ace. Il observa Lily se tenant au-dessus de son corps. Son grand warjack se trouvait sur le chemin, en train de se relever. D’un coup de reins, Ace meurtri se releva et se mit en mouvement. Elle ne sembla remarquer qu’il avait fait deux pas vers elle, tant elle était concentrée sur lui.
« C’est de votre faute. Je veux que vous la sachiez », dit-elle, la respiration difficile.
« On ne peut pas gagner à tous les coups, chérie », répondit-il en toussant.
Pour Ace, il donna tout. Tout ce qui restait en lui alla dans la bête blessée, et il s’effondra dans la boue. Son warjack avait transformé sa foulée en course, et sa hache était maintenant redressée bien haut. Avec une étonnante grâce, le warjack léger bondit et passa par-dessus Hedo en train de se rétablir. Hedo le frappa, trop tard. Haut dans les airs, le warjack sauté et s’abattit sur Lily sa large hache décrivant un arc de cercle avec une force brutale. Avec un bruit sec, son champ d’énergie explosa et elle tomba en arrière en poussant un cri.
Accablé par l’effort, Caine perdit connaissance.
* * *
Un moment ou peut-être une heure s’écoula, Caine ne put le dire. Pourtant, des mains puissantes le relevaient, et il se dit que tout cela n’avait servi à rien. Il avait perdu, et les mercenaires allaient sûrement l’achever.
Un visage embrouillé se penchait vers lui et le gifla.
« Ça va, monsieur ? » Caine réalisé qu’il était entouré de Gerdie et d’un groupe de pionniers fatigués par la bataille.
« Avons-nous… gagné ? » toussa-t-il en se redressant.
Gerdie prit un air grave, mais hocha la tête. « Eh bien, ils ont été repoussés, monsieur. Je pensais que nous étions condamnés. Nous étions coincés par leur artillerie. Ils semblaient prêts à nous écraser, mais ensuite… les canons se sont tus. Ils ne pouvaient pas avancer sans eux. Je remarque que nous devons vous remercier pour cela ».
« Combien de morts, Gerdie ? »
« Nous avons pris notre part, monsieur », dit Gerdie en reprenant son souffle. « Le Sergent Holly passe d’escouade en escouade pour un décompte final ».
Caine se recoucha, avec un mal de ventre avec de si mauvaises nouvelles. Il renifla l’air. Il y avait
énormément de fumée, et il se rendit compte qu’il y avait une lueur rougeâtre à travers les arbres.
« Quelque chose brûle ? » demanda-t-il d’une voix rauque en se frottant une tempe.
« C’est l’autre chose, monsieur ».
Caine se redressa immédiatement.À travers la ligne d’arbres de la clairière, un incendie faisait rage dans les cieux nocturnes. C’était le manoir des Malsham. Juste derrière les portes en fer, on pouvait voir une silhouette déambulant de manière erratique. Il criait à tous les personnes qui voulaient l’écouter. Sa silhouette devant les flammes était reconnaissable entre toutes. C’était le baron en personne, et même d’ici, on pouvait l’entendre.
« Où est-il ? » hurla-t-il. « Où est votre imbécile de capitaine ? »