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Roman - Sang et Fer

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elric:
« Par le fond, six brasses ». Le chien de mer perché sur le vibord récupère sa ligne de sonde et la lance à nouveau pour un autre sondage. Les nerfs chantaient comme des cordes de harpes sur la dunette du Talion, tous les yeux s’efforçant de percer la pénombre, chaque oreille attentive à l’appel des sondeurs et des guetteurs. Les austères squelettes des navires échoués ternissaient un horizon pourtant immaculé. Au sud, les brisants rugissaient sur le récif extérieur, une ligne blanche dans le crépuscule. Le ciel était peint de mille nuances de pourpre, mais personne ne levait les yeux pour admirer le merveilleux tableau. Par-dessus le flanc du navire, ils regardaient tous les eaux peu profondes – et les zones encore moins profondes à peine un jet de pierre des deux côtés.

« Très lentement et enroulez l’hunier », ordonna Shae.

« Très lentement, oui ». Hawk actionna le levier de signalisation pour transmettre l’ordre à la salle des machines. La cloche sonna tandis que Corcorian répondait d’en bas, et le levier de réponse se déplaça vers très lentement sur la roue à aubes de bâbord. Les aubes tribord restèrent immobile.

« Enroulez les huniers ! » Hurla Grogspar, et les gabiers frappèrent et tirèrent sur la toile.

Le Talion ralentit.

« À la marque, cinq brasses », annonça la sondeuse.

Chargé comme il était, il tirait trois brasses, pensa Shae. Il inspira et expira lentement. Le Talion avait un tirant d’eau plus faible que la plupart des navires de sa classe, mais même ainsi, naviguer dans des hauts-fonds non répertoriés rendrait n’importe quel marins nerveux. À cette allure, s’échouer ne serait pas catastrophique, mais le corail était une barrière impitoyable. Les carcasses des autres navires éventrés par les récifs tranchants comme des lames de rasoir gisaient tout autour.
Jusqu’ici, tout va bien.

« Récif à fleur d’eau à trente verges de la proue tribord ! » annonça la vigie à l’avant du navire.

« Barre à bâbord de deux degrés », ordonna Shae.

Le Talion barra à bâbord et avançait à peine à un nœud. Le Cimetière avait mérité son surnom en semant la mort et la destruction à toute une génération de navires marchands. Plus d’une vingtaine de navires échoués dressaient leurs mâts dénudés vers le ciel magnifique, un bosquet d’arbres morts en hiver sur fond cramoisi.

Leur objectif se profilait à l’horizon – un cygnaréen de premier rang s’était échoué sur un récif il y a longtemps, probablement par gros temps. Shae avait repéré cette «épave  à travers une longue-vue lors de leur passage vers le sud et avait remarqué la taille du navire. Même si la mer faisait son œuvre, la rouille et la pourriture le réduisant lentement, ce qui s’élevait restait du navire s’élevait encore à trois fois la hauteur du pont du Talion, et ses quatre mâts s’élevaient moitié plus haut que les leurs. Il espérait maintenant que l’épave en décomposition les dissimulerait.

« Profondeur, quatre et demi ! » annonça la sondeuse.

« Ferle tout sauf la misaine et l’artimon, Grogspar. Hawk stoppe complètement le moteur. Nous allons laisser la brise nous porter, puis nous stopperons et nous mettrons à couple ».

« Oui, monsieur ». Hawk transmis les ordres et toutes les voiles du Talion sauf deux, disparurent.

« C’est vraiment dommage qu’il soit détruit. Rockbottom regardait le navire de premier rang délabré. « Tu ne penses pas qu’ils ont laissé quelque chose derrière eux, n’est-ce pas ? »

« Il y a peut-être une ou deux babioles, Joln, mais nous ne pouvons pas embarquer encore plus de trésors sans sombrer nous-mêmes ».
« Non, mais si sa cale est pleine d’or . . . »

« Il serait sous trois brasses d’eau et recouvert d’un mètre cinquante de corail », répliqua Shae. « Il faudrait une semaine pour effectuer une récupération adéquate. Barre à gauche, deux degrés ».

« Oui, monsieur ».

« Il est probable qu’il n’y ait rien d’autre dans sa cale que de la pourriture et des fantômes ». Walls fit de vieux geste de marins pour éloigner le mauvais sort. « Pas de chance, je monte à bord d’une épave ».

« Préparez les grappins bâbord ! » Ordonna Shae. « Ferle tout, Grogspar ! Recule d’un tiers sur la roue bâbord, Hawk ».

Le Talion s’arrêta dans une position parfaite et Shae remercia sa chance surnaturelle que la marée soit étale. Les courants de marée s’engouffraient dans les étroits canaux du Cimetière, rendant la navigation encore plus difficile. À présent, ils s’installèrent à côté du grand navire mourant sans trop de difficulté. Les lignes de grappin s’élancèrent et s’entrechoquèrent sur le fer rouillé.

« Aussi serré qu’une punaise dans une maison de passe à Cinq-Doigts », prononça Walls avec un sourire béants. Stubs leva les yeux vers l’imposant gréement de l’épave comme pour évaluer son aptitude à l’escalader. « C’est vraiment génial, capitaine. Les bougres ne nous repérons jamais ici.

« Nous verrons bien » . Shae leva les yeux. Les mâts de l’épave étaient inclinés d’environ vingt degrés, alors que les leurs étaient droits. « La barre à bâbord, Walls. Déplacez la cargaison et faites passez des lignes de carénages depuis tribord jusqu’au côté bâbord de l’épave. Nous devons correspondre au gîte ».

« Oui, monsieur ».

« Grogspar ! Donnons à notre gréement un aspect endommagé Déchire de la vieille toile et suspend-la aux vergues, et on doit paraître en panne sous tous les angles ».

« J’ai passé chaque minute de ma vie à faire en sorte qu’il soit en bon état, et maintenant, je suis censé lui donné l’air d’une épave ». Grogspar agita le tuyau de sa pipe , cracha et s’en alla faire ce qu’on lui demandait. Le trollkin pouvait bien râler, mais Shae savait qu’il pouvait compter sur lui lorsque les choses devenaient sérieuses.

« Hawk . . . » Il s’arrêta et cligna des yeux devant le regard qu’elle lui lançait. Sa précédente crise l’avait-elle bouleversée à ce point ? Mais non, il n’y avait pas de venin dans ses yeux. Son expression lui parut mi-approbation à contrecoeur, mi-inquiétude. « Qu’est-ce qui ne va pas ? »

« Rien du tout, capitaine ». Elle haussa les épaule et l’inquiétude disparut de ses yeux. « J’espère juste que les mercariens vont gober le tour ».

« Veillons à ce qu’ils le fassent. Poste quelqu’un avec des yeux perçants tout en haut. Grog et repas froid pour le quart de repos, et envoies coucher tous ce qui ne travaillent sur les réparations. Pas de bruit, pas de lumière visible et pas de fumée ».

« Oui, monsieur ». Elle partit transmettre les ordres, efficace et calme comme toujours.

Cinq minutes plus tard, alors que Shae arpentait la dunette, scrutant l’horizon sud qui s’assombrissait à la recherche de leurs poursuivants, l’ingénieur en chef Corcorian montait les marches et lui faisait face, un regard meurtrier sur son visage taché de graisse et de suie.

« Capitaine ! Hawk vient de me dire qu’il n’y aurait ni fumée ni bruit ce soir ».

« Oui, ce sont mes ordres ».

« Eh bien, pardonnez-moi de vous le demander, monsieur, mais comment suis-je censé réparer ce carter de roue défectueux si je ne peux pas faire fonctionner une forge ou le mettre en forme ? »

« Dans environ deux heures, ces deux chasseurs de pirates seront à quelques miles, Quinn. S’ils voient de la fumée ou t’entendent frapper, toute cette ruse ne servira à rien. Ils jetteront l’ancre sur le récif et nous réduiront en miettes ».

« Je comprends, monsieur, mais . . . bon sang ! Je ne peux pas forger du fer froid à main nues ! »

« Officier de pont ! » cria le guetteur. « Des flèches en vue au sud ».

Shae pencha la tête en direction du guetteur. « Je vous donne jusqu’à ce que les deux coques soient visibles, Quinn, mais réduis la fumée au minimum ». Il évalua les distances et haussa les épaules. « Peut-être deux heures, puis tout sera silencieux. Tu m’as compris ? »

« Je vous ai compris, capitaine ». Quinn serra ses poings le long de son corps. « Je ferai ce que je peux, mais je ne peux pas promettre que cette roue tournera vraiment d’ici demain ».

« Utilise Bottes et les Boucaniers pour le gros du travail, mais garde leurs feux aussi bas que possible. Cela devrait te donner un peu de force brute ».

« Oui . . . » Quinn haussa un sourcil optimiste. « Oui, ça pourrait faire l’affaire. Je ferai de mon mieux, monsieur ».

« C’est tout ce que je peux demander ».

Shae congédia Quinn d’un signe de tête et scruta à nouveau l’horizon à l’aide de sa longue-vue. Dans la lumière déclinante, il pouvait tout juste distinguer les mouchetures blanches des huniers des deux navires. Il les regarda longtemps s’approcher, écoutant le grondement du ressac et le martèlement du plus profonde du navire alors que Quinn travaillait frénétiquement sur la roue à aubes. Les étoiles s’animèrent une à une au-dessus d’eux, jusqu’à ce que finalement, dans l’obscurité totale, Shae entende l’appel du guetteur.

« Pont en approche ! Des lumières arrivent par le sud. Coque haute ! »

Shae grimpa jusqu’au sommet de l’artimon et repéra rapidement les feux des deux navires. Ils viraient de bord sous son regard, comme des requins à la recherche d’une proie. Ils ne se dirigeaient pas vers la passe à l’est comme il l’avait espéré.

« Merde ! »

Généralement, les navires arrivant trop tard pour traverser le Cimetière en plein jour s’ancraient à l’embouchure du passage ou mouillaient au haute mer pour attendre l’aube. Shae avait espéré que les mercariens penseraient qu’il avait traversé le passage et qu’il avait jeté l’ancre lorsque la lumière avait fini par disparaître. En fait, il aurait pu faire exactement cela s’il avait eu une avance légèrement plus grande. Les chasseurs de pirates savaient qu’il avait été ralenti par sa roue à aubes endommagée ou pensaient qu’il se cachaient quelque part dans l’espoir de revenir sur sa route une fois qu’ils seraient passés. Shae ne doutait guère qu’ils passeraient la nuit et l’attendraient au matin.

Le capitaine du Talion replia sa longue-vue, descendit sur le pont et ordonna à l’équipage de quart de faire passer le mot pour que tout soit calme. Il avait du pain sur la planche s’il voulait survivre le lendemain.

Il pénétra dans sa cabine et grimaça à nouveau devant les dégâts. La grande cabine du Talion, avec son gracieux arc de fenêtres de la galerie arrière, ses belles boiseries et ses cuivres étincelants dans tous les coins et recoins, avait été son foyer pendant des années. Deux boulets de canons de vingt-quatre livres avaient envahi ce foyer comme deux vandales. L’un deux avait cisaillé un pied de sa table à manger et réduits l’une de ses chaises ornées à l’état de copeaux avant de continuer en défoncer la cloison avant. L’autre avait détruit l’un de ses plus précieux chronomètres, un coffre contenant ses plus belles pièces d’orfèvrerie et six bouteilles de vin llaelais se trouvant dans le casier à côté de sa bibliothèque. Ses chiens de mer avaient fait le ménage, clouant des planches sur les trous et balayant les échardes et les bris de verre, mais le mal était fait.

D’une manière ou d’une autre, après toutes les épreuves de la journée, la destructions de ces quelques viens personnels lui avait fait l’effet d’une gifle. Il jeta sa veste et s’assit à la table à cartes. Quelqu’un avait préparé un dîner froid et une bouteille de vin, mais l’idée de manger lui retournait l’estomac. Au lieu de cela, il ouvrit le journal le journal de bord du navire et se força à consigner en détail les événements de la journée. En parcourant les rapports de Walls, Doc et Hawk, il nota chaque mort et chaque blessé. Chaque nom qu’il écrivait, chaque mort, c’était comme un coup de couteau supplémentaire. Lorsqu’il eut terminé, il ferma le livre et arracha le bouchon de la bouteille de vin. Il reconnut l’étiquette de la bouteille, elle provenait d’un vignoble situé au nord-ouest de Mercir, non loin des domaines de sa famille – ou de ce qui avait été les domaines de sa famille.

La ligue avait ruiné les finances de la famille, et les accusations calomnieuses selon lesquelles son père avait engendré un traître et un criminel avait été trop fortes pour l’homme. Le jour où il avait apprit la mort de son père, Shae était toujours en fuite, acceptant n’importe quel travail de mercenaires se présentant à lui, se battant juste pour nourrir son équipage. Les lettres délirantes de sa mère alors qu’elle sombrait dans la folie avaient presque détruit sa détermination, mais pas tout à fait. Il avait rassemblé assez d’argent pour acheter le Talion et enfin offrir une meilleure existence à l’équipage, du moins au quotidien.

Il se demanda si la Ligue cesserait un jour de le pourchasser. Il leur avait fait payer cher la destruction de sa famille, les calomnies et la ruine de tous ceux qui avaient été associés à la mutinerie de l’Exeter. Le journal de bord sous sa main ressemblait à une vendetta personnelle.

Il serra et ouvrit sa main gauche, et baissa les yeux vers l’endroit où il avait senti le dernier battement de coeur de Sartori à travers le manche de la dague.

« Il n’y a pas de retour en arrière possible », dit-il à voix haute. Ces paroles firent renaître le dernier regard du chien de mer, sa détermination face à la mort. « Il n’y a rien d’autre à faire que de riposter . . . » Un élan de sa vieille détermination, son désir de vengeance transpercèrent la brume de son humeur. Il se versa un verre de vin et but, savourant la saveur enivrante et la bouffé de chaleur qui picota ses doigts et ses orteils ».

Mais comment ?

Il se versa un autre verre de vin et analysa la carte du Cimetière, une copie des originaux de Rutter qu’il avait complétés pendant leur voyage vers le sud. S’il pouvait emprunter un passage ou une passes que ses poursuivants ne pourraient pas emprunter, il pourrait les attirer sur un récif. Le Talion avait un tirant d’eau inférieur à celui du Rasoir d’une demi-brasse. S’il parvenait à immobiliser l’un des chasseurs pirates  à marée descendante, il pourrait se mettre hors de portée et le tailler en pièce avec le Commodore. Malheureusement, le second navire ne resterait pas inactif pendant qu’il décimerait l’autre, et les attirer tous les deux sur un  récif semblait impossible.

Gorafalo était un lâche qu’il pouvait battre dans un combat loyal, mais il se ferait battre comme il l’avait été aujourd’hui. Avec le Talion si endommagé, il doutait de pouvoir affronter le Tempête et s’en sortit vivant. Et il y avait cette maudite tireuse embusquée, la Faiseuse de Fantôme, à considérer. Était-elle sur le Rasoir ou sur le Tempête, Il savait qu’il pouvait tenir à l’assassine en tête-à-tête, mais diriger un engagement contre un navire, gérer ses warjacks et protéger son navire et son équipage nécessiterait toute son attention et son énergie arcanique. Cela ne laissait pas grand-chose pour sa défense personnelle. S’il ne pouvait pas renforcer son champ d’énergie ou lancer des sorts de dissimulation, il doutait qu’il puisse résister aux tirs punitifs de son fusil lourd.

Pas d’issue . . . Il sentit ses pensées repartir vers la culpabilité.

Pour se distraire, il sortit une feuille de parchemin blanc fin et commença à dessiner de mémoire la disposition des ponts du Rasoir. Chaque détail des mois passés à bord lui revint en mémoire, et il ajouta de plus en plus d’éléments à son dessin avec une méticuleuse précision. La dunette, le pont intermédiaire, le pont-batterie, les cabines arrières, les cales à marchandises, les coffres à voiles et, au fond de ses sections arrière, en sécurité sous la ligne de flottaison, sous la boulangerie - la cuisine, la poudrière.

Il marmonna pour lui-même : « il va falloir l’assouplir pour- »

Un coup discret frappé à sa pote le sortit de sa rêverie.

« Qu’est-ce qu’il y a ? » Le ton de Shae fut juste assez dur pour exprimer qu’il n’était pas content d’être interrompu.

Le porte s’ouvrit. Hawk entra sans un mot et ferma doucement la porte derrière elle. Elle déboucla sa ceinture d’épée, les rangées de pièces d’or qu’elle y avait cousues tintèrent tandis qu’elle accrochait ses coutelas à la patère à côté de la porte.

Cela ne pouvait signifier qu’une seule chose, mais Shae se trouvait d’humeur trop sombre même pour cela.

« Je ne t’empêcherai pas de réfléchir. Je voulais juste m’assurer que tu avais les idées claires ». Hawk lui lança à nouveau ce regard, mi-inquiet, mi-approbateur. « Tu avais raison de le cacher dans le Cimetière. C’est parfait ».

« Merci ». Il souleva la bouteille de vin et l’inclina vers elle. « Je te serre un verre ? »

« Non merci ». Elle fit un signe de tête aux papiers devant lui. « Comme se déroule le plan ? »

« Je n’y suis pas encore, mais j’y travaille ».

« Bien ». Elle fit le tour de l’immense cabine, observant les meubles cassés et le casier à vin abîmé. « J’aime ce que tu as fait de cet endroit ». Elle déboutonna le revers d’un gant haut et commença a tirer sur les doigts. « Il dit : ‘Embrasse mon cul rouge et rose !’ sur le ton qui convient ». Elle réussit à faire glisser le gant sur l’une des chaises de la salle à manger, puis commença à s’occuper de l’autre.

« Vraiment, Hawk, je ne suis pas d’humeur ». Il se leva de la table à carte, se versa un autre verre de vin et désigna ses dessins. « Je dois trouver un moyen de nous en sortir sans nous faire tuer ».

Elle libéra le gant droit et le plaça à côté de son jumeau. « Je vois ce que tu fais, Phinneus, et tu dois arrêter ». Les boucles en laiton retenant l’une de ses cuissardes s’ouvrirent sous ses doigts et elle s’assit.

« Arrêter d’essayer de trouver un moyen de nous en sortir ? »

« Non ». La cuissarde résista à ses efforts mais finit par céder. Alors qu’elle tombait au sol avec un bruit sourd, elle lui lança un regard égal. « Arrête de t’en vouloir à propos de ce qui s’est passé aujourd’hui, viens ici et aide-moi avec cette foutue autre cuissarde ».

« Me faire du mal ? » répéta-t-il incrédule. Comment pouvait-il cesser de s’en vouloir pour des choses dont il était responsable ? Son humeur s’enflamma. Il vida son verre et le posa soigneusement. « Tu veux que j’arrête de me soucier des hommes et des femmes qui sont sous mes ordres ? Que j’arrête de m’inquiéter que chacune de mes décisions puisse coûter des vies ? » Il s’approcha d’elle et se tint les mains sur les hanches. « Comment puis-je faire cela tout en restant un commandant efficace, Hawk ? »

Son second-capitaine souleva sa jambe galbée, posa la semelle de sa botte contre la poitrine de Shae et dit : « Tire ».

Il l’observa un instant, puis soupira et saisit fermement la botte.

« Je ne dis pas que tu devrais arrêter de t’en soucier, Phinneus. C’est ce qui fait de toi un bon capitaine. C’est ce qui a gagné ma confiance et conquis tout l’équipage ». Elle grimaça alors qu’il tirait, et la botte resta fermement en place. Un sourcil sombre s’arqua vers lui. « As-tu besoin de ton armure de warcaster pour faire ça correctement ? »

« Est ce que je . . . » Il rit et resserra sa prise.

« Ce que tu dois faire, Phinneus, c’est d’arrêter de penser que tout cela est en quelque sorte de ta faute ».

Il s’arrêta à mi-course. « Mais c’est ma faute. Si je n’avais pas cette prime sur ma tête- »

« Depuis l’Exeter, chacun d’entre nous ici a sa tête mise à prix. La tienne est juste plus . . . impressionnante. Et qui a mis cette prime sur ta tête ? Toi ? »

« Bien sûr que non ! Ce trou du cul d’Etan Starke qui l’a fait. Tu le sais ».

« Oui, je le sais, mais tu semble l’avoir oublié. Rappelle-toi de la charte du Talion. Nous jurons de nous venger de la Ligue Mercarienne, qui a injustement noirci nos noms et consacré sa trésorerie à notre ruine ». Elle passa les orteils de son pied non chaussé sous sa ceinture et lui adressa un carnassier.

« Je m’en souviens » . Il avait personnellement écrit ces mots.

Elle remua les orteils sous sa ceinture. « Alors, parle-moi de ton plan pour échapper à ces deux mercariens, et tire ! »

La colère de Shae se dissipa. Elle avait raison, bien sûr Il s’en voulait de la mort de son équipage et de la ruine de sa famille, mais aucune de ces horreurs n’était arrivée à cause de ses actions. Il s’était mutiné contre un capitaine qui avait tenté de l’assassiner sans preuve ni provocation. Qu’état-il censé faire, demander pardon pour un crime qu’il n’avait pas commis ? Il avait déjà fait face à ces sentiments, ou pensait l’avoir fait. D’une manière ou d’une autre, il les laisserait s’accumuler à nouveau. Il regarda Hawk dans les yeux et pensa, Bon dieu, je déteste quand elle a raison.

« Je te parlerai de mon plan demain matin ». Il lui sourit, saisit fermement sa botte et posa un pied sur le bord de sa chaise.

Alors que Shae commençait à tirer, Hawk sortit son autre pied de sous sa ceinture, le posa sur sa poitrine et le poussa violemment. La botte se détacha d’un seul coup, et avec un pied sur la chaise, il tomba à la renverse sur le pont. Il atterri durement et la regarda fixement.

Elle lui lança un regard menaçant. « C’est du chantage, Phinneus ! »

Shae réalisa immédiatement son erreur. Hawk passait rarement toute la nuit dans sa cabine, préférant s’éclipser aux petites heures du matin. Plus d’une fois il lui avait demandé de rester, mais elle avait toujours refusé, prétextant qu’elle ne voulait que des rumeurs courent sur le navire. Visiblement, elle pensait qu’il essayait de faire pression sur elle pour qu’elle reste, mais ce n’était pas du tout son intention.

« Non ». Il considéra la botte qu’il tenait dans sa main et la jeta de côté. « Ce n’est pas du chantage. Comme je l’ai dit, je n’ai pas encore élaboré de plan magistral. Une fois que je l’aurai - demain matin - je te le dirai, ainsi qu’au reste des officiers ».

« Oh ». Ses lèvres retrouvèrent leur ancien sourire. S’avançant, Hawk posa ses pieds de chaque côté de ses hanches. « Eh bien, alors peut-être que je peux stimuler ton imagination ». Ses doigts ouvrirent habilement chacun des fermoirs en forme de crâne doré retenant son corsage ajusté, et elle s’en débarrassa en haussa les épaules pour l’enlever.

Shae admira les délicieuses courbes de son torse nu à la lumière de la lampe et décidé qu’il était d’humeur après tout. « Oui, peut-être que tu y parviendras ».

Hawk lui adressa un sourire que peu d’autres avaient jamais vu et s’agenouilla. Shae découvrit que tous les soucis avaient disparu de son esprit troublé, son imagination – et bien plus encore – complètement stimulée.

* * *
Le coup violent porté sur la porte de sa cabine sortit Phinneus d’un profond sommeil. La lampe était éteinte et la lueur de l’aube commençait à peine à envahir la cabine à travers les fenêtres drapées de la galerie arrière. Il avait l’impression d’avoir dormi pendant un mois. Il s’étira, et sa deuxième surprise de la matinée s’agita contre lui. Hawk était allongée contre lui, leurs jambes entrelacées, sa tête sur son épaule, et sa main sur sa poitrine. Elle leva les yeux sur lui et lui sourit.

Elle était restée, pensa-t-il en lui rendant son sourire.

« Bonjour », murmura-t-elle, démêlant ses jambes des siennes et s’étirant sous le drap fin.

« Bonjour à toi ».

Un autre coup retentit, plus urgent cette fois.

« Capitaine ? » C’était la voix de Walls.

« Un instant ! » Shae glissa du lit, attrapa son pantalon et regarda autour de lui.

Le baudrier d’épée d’Hawk était toujours accroché à côté de la porte et ses vêtements étaient éparpillés sur les chaises. Il haussa un sourcil interrogateur. Il n’avait pas vraiment de moyen de cacher sa présence, mais elle s’efforçait de rester discrète lors de ses visites. Aucun des deux ne se faisait d’illusion sur le fait que leur relation était un secret de polichinelle pour l’équipage du Talion, mais que ce soit par respect pour eux ou par peur flagrante d’Hawk, pas une seule rumeur ou de blague obscène à propos du capitaine et du second-capitaine n’avait jamais été entendue à bord du bateau. Du moins, pas à la connaissance de Shae.

« Réponds ». Elle se glissa hors du lit et enroula le drap autour d’elle. « Walls est déjà au courant, et il se taira ».

« Sans aucun doute ». C’était ça ou Hawk allait lui en faire voir de toutes les couleurs. Il enfila son pantalon et entrouvrit la porte. « Oui, Walls?

« Nous avons besoin de vous sur le pont, capitaine ». L’unique œil valide du maître de quart passa par-dessus l’épale de Shae jusqu’au fourreau pendant seulement à trente centimètre de là, et il déglutit. Son omniprésent compagnon, Stubs, regarda Shae, les yeux écarquillés, un « Hoot-hoot » timide s’échappant de ses lèvres pincées. « Nous avons des problèmes ».

« J’arrive tout de suite ». Il commença à fermer la porte, puis se retourna et fixa son quartier maître d’un regard sévère. « Oh, et Walls . . . »

« Oui, monsieur ? » Walls croisa le regard de son capitaine sans broncher, mais le quartier maître était connu pour foncer dans un barrage de mitraille.

« Mieux vaut réveiller l’équipage tôt. Petit-déjeuner froid et abandonnez la routine matinale habituelle ». Il entendit le raclement d’une chaise derrière lui et jeta un coup d’oeil par-dessus son épaule pour remarquer qu’Hawk avait déjà enfilé ses jambières et était en train de tirer sur son corsage, dos à eux. Il se retourna vers Walls et garda un visage soigneusement neutre. « Nous n’aurons pas le temps de nettoyer les ponts ».

« À vos ordres ». Walls salua et s’éloigna. Stubs, quand à lui, poussa un hululement sonore et un cri déchirant avant que la porte ne se ferme.

Shae alla récupéré ses bottes, sa chemise et sa veste. Hawk avait fini avec les fermoirs de son corsage et s’assit sur une chaise, travaillant sur ses bottes hautes.

« Dommage ». Elle attacha une boucle et attrapa l’autre botte. « Quoi ? » Elle enfila une chemise et enfonça sa botte droite. L’autre s’était retrouvé d’une manière ou d’une autre sur la table à manger. Il se pencha devant elle et l’attrapa.

« Qu’on n’ait peu le temps de nettoyer les pots ce matin ». Elle se leva, enfonça son pied dans sa botte et lui fit e sourire carnassier.

« Je suis sûr que les ponts auront besoin d’être nettoyé après que nous nous soyons occupés du Rasoir et du Tempête ». Il la regarda un moment et sentit dans ses tripes un émoi au-delà de la simple attirance physique. L’étouffante culpabilité qui avait embrouillé ses pensées la nuit précédente avait disparue, et il avait dormi profondément, l’esprit apaisé. Elle avait raison. Il s’en voulait d’avoir vécu des événements qui avaient redéfini sa vie, des événements qu’il n’aurait pas pu éviter. Ce matin, il voyait clairement que chaque élément de leur dilemme. Il n’avait pas encore de plan précis, mais toutes les pièces étaient là, prêtes pour le premier mouvement. « Et merci, Hawk. Tu avais raison ».

« Bien sûr que j’avais raison ». Elle l’attrapa par le col de sa chemise et le poussa en avant, déposant un solide baiser sur sa bouche. « Maintenant, mettez-vous au travail, capitaine. Je vous verrai sur la dunette ».

« Sur la dunette ».

Elle jeta ses gants et ses épées sur son épaule et quitta la cabine avec un sourire.

Shae chassa son autre botte, enfila une veste, attacha Requin autour de sa taille et se dirigea vers le pont arrière, pensant qu’il était probablement le pirate le plus chanceux sur l’océan.

Les officiers du Talion étaient tous là. Corcorian arborait le seul sourire du groupe, ce qui était à la fois de bon et de mauvais augure.

« Quelles nouvelles, Quinn ? »

« La roue bâbord fonctionnera, monsieur ». Il essuya la crasse qui couvrait son visage De profondes rides de fatigues creusaient son front. Il était probablement resté debout toute la nuit pour effectuer les réparations. « Elle va grincer un peu, mais elle fonctionnera. Ce matin, nous travaillons sur le blindage, mais sans la forge pour chauffer les rivets, ce sera au mieux un travail bâclé ».

« Bon travail ». Il se tourna vers les autres officiers. « Alors, pourquoi ces visages de déterrés ? »

« Ils se sont séparés, monsieur ». Walls lui tendit une longue-vue. « Le Tempête va vers l’est et le Rasoir vers l’ouest. Ils avancent lentement, près des hauts-fonds. Ils doivent être à al recherche d’un passage à travers le récif extérieur ».

« Bien ! » Ignorant leurs regards incrédules, il prit un verre et monta les marches jusqu’à la dunette pour avoir une meilleure vue.

« Bien ? » Rockbottom le suivait, la jambe de bois du nain faisant son toc-toc sourd distinctif sur le bois. « Qu’y a-t-il de bon à ce que deux chasseurs de pirates manœuvrent pour nous attaquer de part et d’autre comme les mâchoires d’un foutu piège à ours ? »

« Ce qui est bien, c’est que c’est exactement ce que j’espérais qu’ils feraient ». Shae scruta l’horizon qui s’éclairait et sourit sinistrement. Le Tempête, légèrement plus grand, se dirigeait vers le vent sous voiles d’étai et à la vapeur, tandis que le Rasoir naviguait vers l’ouest, ses voiles réparées gonflées à bloc, bien qu’il lui en manquait encore un tiers. Il referma le longue-vue, la rendit à Walls et se dirigea vers la dunette. « Gardez un œil sur eux. Je veux être informé immédiatement si l’un ou l’autre vire vers le nord. Ils savent que nous sommes cachés quelque part ici », - il fit un large arc de cercle avec son bras, désignant les restes délabrés des dizaines d’épaves qui parsemaient le Cimetière - « mais ils ne savant pas exactement où. Ils vont s’éparpiller et viendront vers nous dans les deux directions, avec l’espoir de nous débusquer et de nous piéger entre eux ».

« Je ne vois toujours pas en quoi c’est une bonne chose ! » dit Rockbottom en lui emboîtant le pas.

« Diviser pour mieux régner, mon petit ami ». Haw lança au nain un regard calculateur.

« Exactement ! » dit Shae en lui adressant un sourire.

Evlyn Corcorian attendait Shae sur le pont arrière, un lourd sac de toile à ses côtés et ses outils prêts. Shae s’approcha et ôta sa veste, se tenant à la rambarde avant, à la vue de tous sur le pont. Evlyn lui adressa un sourire et commença à attacher ses jambières sans un mot.

« Alors, votre plan magistral . . . » Hawk s’appuya sur la rambarde et le regarda avec un air amusé.

« N’a jamais consisté à leur échapper ». Shae lança à ses officiers un regard dur et impitoyable. « J’ai l’intention d’exécuter les proclamations de la charte du Talion, de me venger de la Ligue Mercarienne, qui a injustement noirci nos noms et consacré son trésor à notre perte ! Ils ont imprudemment divisé leurs forces, et nous allons en profiter. Je connais le Rasoir comme ma poche. C’est le moins fort des deux. Nous allons détruire ce navire, puis faire demi-tour et s’en prendre au Tempête également ».

« Il était temps ! » Walls sortit dégaina deux de ses pistolets et actionna ses verrou pour vérifier leur leur charge. Stubs se balançait sur son épaule, souriant. « Dommage que votre second-capitaine insiste pour apporter des couteaux lors d’une fusillade ».

« Tu n’est pas lassé de te répéter ? » Hawk dégaina un de ses coutelas si vite que Shae vit à peine la lame briller avant que la pointe ne se retrouve juste sous le nez du quartier maître. Stubs regarda la lame et émit un « Eep ! » d’alarme, et se mordit la queue. « La meilleure chose à propos d’une épée, Walls, est que tu n’as jamais besoin de recharger ».

Ils rirent touts les deux de leur habituelle plaisanterie d’avant-combat et rangèrent leurs armes. Leur enthousiasme pour le sommaire plan de Shae n’était cependant pas partagé par tout le monde.

Joln Rockbottom se redressa pour lancer un regard noir au capitaine. « Qu’est ce qui te fait penser que nous pouvons si facilement détruire le Rasoir ? Si nous nous faisons massacrer comme auparavant, nous ne serons pas à la hauteur du Tempête ».

« Deux raisons : premièrement, comme je l’ai dit, je connais ce navire. Je sais exactement ou le frapper. Si nous plaçons un tir incendiaire du Commodore juste au bon endroit, nous toucherons sa poudrière ».

« Fils de . . . »

« Tout comme l’Exeter ». Grogspar sourit derrière sa pipe.

« Oui, comme l’Exeter, mais le Rasoir est un navire beaucoup plus petit et un chasseur de pirates, pas un cargo. Il est surarmé, et quand son magasin explosera, ça ne le brisera pas seulement, - il explosera en deux. Avec le Rasoir plus là, le commandant du Tempête réfléchira à deux fois avant de nous engager. S’il le fait, nous aurons un combat difficile, mais ils n’ont pas de warcaster ! »

Evlyn place l’élément principal de son armure dans son dos. Une fois les sangles fixées, il alluma la chaudière. La turbine arcanique se mit à tourner, envoyant une vague d’énergie magique dans chaque jointure de l’armure, augmentant ainsi sa force.

Rockbottom plissa les yeux. « Tu es sûr qu’ils n’ont pas de warcaster ? »

« Je suis sûr ». Il accepta son canon à main d’Evlyn, vérifia le chargement et le rangea dans sa ceinture. « Même la Ligue Mercarienne ne peut se permettre d’avoir un warcaster parfaitement formé sur chaque navire mercenaire ».

« Mais tu as servi sur le Rasoir », lui rappela le nain.

« Pour ma toute première mission, oui ». Shae eut un sourire dangereux. « S’ils m’opposent un novice, je lui apprendrai ce qu’est l’art du warcaster ».

« Et la Faiseuse de Fantômes ? As-tu pensé à un moyen de l’éliminer ? » Joln croisa les bras sur sa poitrine, la mine renfrognée.

« Franchement, non, mais nous avons une chance sur deux qu’elle soir à bord du Rasoir. Si ce n’est pas le cas, je devrai m’occuper d’elle séparément ».

Rockbottom le regarda. « Elle a déjà tué au moins un warcaster, Phinneus. Tu devrais peut-être la prendre plus au sérieux ».

« J’ai un navire entier, sept warjacks, deux cent quarante-deux chiens de mer, quarante-et-un canons et un singe dont je dois m’occuper, Joln ». Stubs poussa un cri comme pour affirmer son inclusion dans les préoccupations du capitaine. « La Faiseuse de Fantômes n’aura qu’à faire la queue ».

« J’ai une question, monsieur ». Une Oreille Scoriani s’avança.

« Oui ? » Shae fit un signe de tête à son maître canonnier. « C’est le moment ».

« Comment peut-on mettre un incendiaire dans le poudrière du Rasoir ? Même le Commodore ne transpercera pas autant de bois et de métal d’un seul coup, et la poudrière doit se trouver sous la ligne de flottaison, tout comme la nôtre ».

« Nous devons d’abord l’assouplir avec une bordée. Ensuite, nous abaisserons la bouche du Commodore pour tirer à un ange descendant depuis notre gaillard avant le plus élevé. C’est la que Quinn va vous aider ». Il fit un signe de tête confiant à l’ingénieur. « Tu penses pouvoir faire quelque chose pour mettre le Commodore en position ? »

« Si cela ne vous dérange pas de percer un trous dans notre propre pavois, monsieur ». Quinn fit un signe de tête vers l’avant. « Nous pouvons l’étayer, mais il lui faut une ligne de feu dégagée ».

« Fais-le. Et je vais demander à Bottes d’aider aussi. Il peut positionner le Commodore rapidement. Oh et Une Oreille, je te veux toi et tous tes capitaines d’armes en réunion, dans ma cabine. J’ai des croquis de la disposition du pont du Rasoir et je veux vous montrer exactement où le frapper ».

« Oui, monsieur ! »

« Autre chose ? » demanda le capitaine en regardant autour de lui.

Il faudra quelques minutes pour redresser le gréement du Talion avant que nous puissions faire plus que tourner en rond ». Grogspar s’inquiéta du tuyau de sa pipe, soufflant des nuages nocifs de fumée bleue.

« Attendez qu’ils soient à bonne distance. Je ne veux pas qu’il nous repèrent avant que ce soit fait ».

« Oui, monsieur ».

« D’autres questions ? » Son regard parcourut la dunette mais ne rencontra que le silence et une ferme détermination. « Bien. Je sais que nous n’avons que du porc salé froid, du fromage dur et des biscuit de mer, mais prenez un copieux petit-déjeuner avant de vous occuper tous de vos tâches. Après avoir rencontré les capitaines d’armes, je vais rendre visite à Doc et voir comment vont nos patients fiévreux.

* * *

elric:
« Je vais bien, monsieur ! » Milo Tolbert, l’assistant du maître d’armes d’Hawk tenta de se redresser de son hamac. Il parvient à peine à passer une jambe par-dessus. « Ne m’obligez pas à boire davantage de cet infâme breuvage que Doc a concocté. Je préfère être malade ! »

« Il y a du rhum dedans, tu sais », répondit Shae.

« Oui, monsieur, mais ça a le goût de ce truc que les alchimistes utilisent pour conserver leurs cadavres ! »

Shae déglutit à cette idée. L’affirmation de Milo aurait pu être plus amusante s’il n’était pas probable que l’homme ait réellement goûté une telle concoction. Il connaissait un cas où un amiral mort en mer avait été conservé dans un tonneau de brandy, mais lorsque le vaisseau amiral était arrivé au port, il ne restait plus qu’un gallon d’alcool au fond. Des rumeurs plaisantes circulaient dans la flotte selon lesquelles l’amiral décédé avait un problème d’alcool, mais tout le monde savait ce qui s’était passé.

« Eh bien, puisque tu es en assez bonne santé pour te plaindre de tes médicaments, tu es prêt à brandir un fusil ? »

« Oh, oui, monsieur. Je ne voudrais pas prendre une lame, mais je peux tirer assez droit ».

« Bien ! Alors va sur le pont et fait ton rapport à Hawk. Mais arrêtes-toi à la cuisine en chemin et prends une dernière ». Il lança un regard noir à l’homme. « C’est un ordre ».

« Oui, monsieur ». Tolbert sortit de son hamac, vacilla sur ses jambes affaiblies et se dirigea en titubant vers la cuisine.

Shae passa au chien de mer malade suivant. Il évalua soigneusement chacun d’eux, n’ordonnant qu’à ceux qui étaient raisonnablement lucides à sortir de leur hamac. Jusqu’à présent, il avait renforcé les rangs de combattants du navire d’une vingtaine d’hommes, même s’ils ne valaient guère plus que le crachat qu’il fallait pour cirer une chaussure. Franchement, mourir au combat n’était pas pire que de rester en bas s’ils ne parvenaient pas à vaincre les chasseurs de pirates. S’ils étaient capturés, tout l’équipage serait pendu aux verges – blessés, malades et bien portants.

« Capitaine ! » Walls s’avançait à travers les hamacs, Sutbs bondissant sur son épaule. Le singe aimait la bataille plus que les bananes et semblait toujours savoir quand un combat était imminent.

« Qu’y a-t-il, Walls ? »

« Ils ont tous les deux pris la directions du nord, monsieur. Ils ont trouvé des passages à travers le récif ». Stubs poussa un cri d’affirmation et prit un moment pour jeter un coup d’œil sous le cache-œil de son maître. À la grande horreur de Shae, la dégoûtante petite créature sortit une cacahuète du vide. Walls ne sembla pas le remarquer alors que Stubs replaçait le cache-œil et grignotait.

Shae déglutit difficilement. « Quelles routes suivent-ils maintenant ? »

« Ils reviennent l’un vers l’autre, et vers nous. Le Tempête navigue vers l’ouest sous des huniers arisés, et le Rasoir se dirige vers l’est uniquement à la vapeur. Ils avancent lentement et tirent sur chaque épave qu’ils croisent ».

« Ils essaient de nous débusquer ». Shae sourit « Très bien. Prends le relais ici, Walls. Tous ceux qui savent manier un fusil en prennent un. Aligne-les sur la rambarde et donne-leur un seau pour s’asseoir s’ils ne peuvent pas tenir debout. Nous allons avoir besoin de tous les armes ».

« Oui, monsieur ! »

« Je suis sur la dunette ».

Shae grimpa l’échelle depuis le coqueron avant jusqu’au spacieux coffre à voile, puis ouvrit la porte donnant sur le pont intermédiaire. Un coup d’oeil dans la mâture confirma que Grogspar avait demandé à ses gabiers de redresser le gréement. Sur le pont, Hawk faisait distribuer des armes. Chaque chien de mer portait une paire de pistolet et aux moins deux lames. Ils le saluaient et criaient « Monsieur ! » à son passage. Ses warjacks étaient alignés au milieu du navire, et il sentait le cortex de chacun d’entre eux bourdonner d’impatience, attendant ses ordres. Les bras armé de Crochet avait été réparé pendant la nuit, et il se rappela de féliciter Corcorian pour son travail. Toute cette activité intense lui donnait envie de ronger du fer et de cracher des clous.

« Hawk ! » Il bondit vers la dunette. « Rapport ! »

« Le Rasoir et le Tempête ont tous deux franchi le récif extérieur. Le Tempête a employé le passe principale, mais le Rasoir à dû trouver un passage que nous n’avons pas sur nos cartes. Ils se frayent un chemin parmi les courants de marée vers nous, mais ils progressent lentement ». Elle tendit une longue-vue et désigna l’est juste au moment où le lointain boum des canons leur parvenait.

Rockbottom s’approcha du maître d’armes, son énorme tromblon, Bouche à Feu, coincé dans le creux de son bras. « Ils fracassent les épaves. Ils doivent sa voir que nous n’avons pas pu franchir la passe durant la nuit. Comme nous ne sommes pas sortis aux premières lueurs de l’aube, ils pensent que nous sommes toujours là ».

« Exactement comme je l’espérais. Comme deux chiens de chasse ». Il leva sa longue-vue et examina ses adversaires l’un après l’autre. Ils étaient tous les deux à au moins quatre miles de distance, mais il pouvait distinguer les imposantes formes des warjacks sur leur ponts. Il ne pouvait discerner ni le type ni le nombre de warjacks, mais à moins qu’il ne se soit trompé et qu’ils aient un warcaster pour contrôler les ‘jacks, il était confiant, il était presque certain de pouvoir battre un contrôleur expert. « À moins qu’ils n’aient de meilleurs cartes du Cimetière que nous, le Rasoir navigue dans des eaux inconnues, et le Tempête le fera bientôt. Ils seront prudents jusqu’à ce qu’ils nous voient bouger, puis ils stopperont leurs courses et se mettront à la cape ».

« Avec un peu de chance, ils s’échoueront tous les deux », intervint Hawk.

« Sur ce coup-là on touche du bois ». Il referma la longue-vue et frappa la rambarde avec ses articulations armurées pour se donner de la chance « Donnons-leur quelque chose à poursuivre et espérons qu’ils seront négligents ».

« Oui, monsieur ! » Son sourire enthousiaste était tout ce qu’il pouvait espérer.

« Foutus jeunes ». Joln les suivit d’un pas lourds alors qu’ils se dirigeaient vers la rambarde avant. « La cupidité de Ghrd, vous vous croyez tous immortels ou quelque chose comme ça ? »

Shae l’ignora, sachant que le nain se plaindrait de mettre sa peau douce en danger, puis se battrait comme un bouledogue acculé lorsque la pagaille commencerait. II pensait souvent que Rockbotom détestait le prix de la bataille en or plus que le prix en sang, surtout lorsqu’il n’y avait de douce récompense une fois l’effusion de sang terminée. Aujourd’hui, ils auraient la chance de survivre avec leur peau intacte, sans parler de réaliser des bénéfices.

« Monsieur Grogspar, larguez les amarres de carénages et d’amarrage. Hissez uniquement les ris et les focs. Je veux rester discret. Hawk, quand nous serons libres, avance d’un tiers et réduisez la fumée au minimum. Nous ne voulons pas commencer cette fête tant que tous les invités ne savant pas que nous sommes là. Oeil de Lynx et prévoyez les hauts-fonds. Je veux deux sondeurs sur les calepieds ! S’échouer maintenant serait notre perte ».

Le Talion se redressa lorsque les amarres furent relâchées et se libéra peut après. La grand-voile et les vergues avant furent entoilées, seulement les plus basses. Une vigie négligente à bord des chasseurs de pirates pourraient les confondre avec une autre épave s’ils gardaient leurs mâts nus. Hawk avança le levier d’ordre jusqu’à avant lente et les roues à aubes commencèrent à tourner. La roue tribord grinça plus que d’habitude, comme Corcorian l’avant prévenu, mais Shae pouvait s’en accommoder.

Le Talion prit progressivement de la vitesse. Les récifs passaient parfois si près des deux flancs que Shae aurait pu pisser sur la terre ferme depuis le bastingage du pont arrière si la marée avait été basse. En ce moment, la marée était haute, ce qui était à la fois une bénédiction et une malédiction. Une eau plus profonde leur offrait encore un mètre vingt sous la quille, mais s’ils échouaient maintenant et que la marée se retirait, ils seraient bel et bien coincés. Une proie facile pour les deux navires de la Ligue.

« Doucement maintenant . . . bien et doux ». Shae avait confié les commandes à Hawk, préférant garder les yeux fixés sur leurs ennemis. Il faisait autant confiance à ses compétences qu’aux siennes pour guider le Talion à travers les dangereux hauts-fonds. Jaugeant les deux navires ennemis, il envisagea de lancer un sort pour masquer la position du Talion, puis y renonça. Avec toutes les épaves qui parsemaient le paysage marin, les vigies mercariennes qui scrutaient l’horizon pouvaient repérer une déformation ou une particularité plus facilement que le simple contour d’un navire. Il espérait que ses propres vigies surveillaient davantage les hauts-fonds que leurs adversaires. Avec la lumière du jour, l’eau plus profonde peu profonde devenait plus facile à lire. Une bleu plus foncé signifiait une eau plus profonde, tandis qu’un bleu plus clair ou bleu sarcelle dénotait des bas-fonds avec un fond sablonneux. L’eau noire pouvait tromper un œil non averti, mais les vigies savent qu’elle indique des herbiers peu profonds et avertissaient Hawk de se tenir à l’écart. Le marron était la couleur la plus dangereuse de toutes, car elle signifiait un corail submergé, suffisamment solide et tranchant pour déchirer une planche de quinze centimètres comme du papier de soie.

La vitesse de croisière était d’environ cinq nœud, la marée descendante commençant doucement à se faire sentir. Le courant croissant était à la fois une bénédiction et une malédiction, car il les faisait avancer plus vite, mais rendait le pilotage plus difficile. De plus, la marée l’aiderait maintenant contre le Rasoir, mais plus tard, elle aiderait le Tempête contre lui.

Dans la guerre maritime, tout était une arme à double tranchant. Un bon commandant devait peser les aspects positifs et négatifs de chaque élément : vent, eau, artillerie et manœuvre. C’est là que le génie de Phinneus Shae se révélait. Plus encore que sa capacité à manier la magie et à guider les warjacks au combat, sa maîtrise des tactiques navales s’était révélées inestimable.

Il n’avait rien appris de tout cela à l’Académie Stratégique, où l’on enseignait uniquement les tactiques terrestres. Les tactiques de l’art du warcaster étaient totalement différentes de celles de la manœuvre d’un navire au combat. Les choses auraient pu être différentes s’il avait été éduqué dans une académie navale, mais lorsqu’il l’avait quittée, il n’avait plus envie de faire partie d’une armée – qu’elle soit terrestre ou maritime. Même les warcasters maritimes – très peu nombreux – apprenaient à s’appuyer sur des capitaines expérimentés pour gérer leurs navires. Shae avait été contrait de faire les deux, et seules des années de sanglantes batailles navales avaient mis ses talents en avant. Il se sentait souvent à bout de forces lorsque les choses devenaient risquées, même s’il avait appris à compter sur Hawk lorsqu’il se concentrait sur l’art du warcaster.

La cloche du transmetteur d’ordres sonna, attirant l’attention de Shae ; Shae utilisait les deux roues à aubes autant que le gouvernail pour guider le navire, effectuant parfois une marche arrière prudente d’un côté ou de l’autre pour changer de cap plus rapidement. Les appels constants des sondeurs et les cris des vigies sur l’avant guidaient leur progression à travers le labyrinthe acéré.

Le tonnerre retentit à l’est, attirant l’attention de tous. Le Tempête avait tiré une pleine bordée. Jusqu’à présent, chaque chasseur de pirates n’avait tiré qu’un ou deux canons à la fois sur les plus grosses épaves, essayant de faire sortir le Talion de sa cachette. Le rugissement de vingt-quatre canons à la fois, couplé au fait que le Tempête n’avait aucune cible à portée, indiqua à Shae qu’il se passait quelque chose.

« C’était un signal ! »

Deux éructions de fumée noire provenant des cheminées du Tempête et la réponse du Rasoir confirmèrent ses soupçons. « Ils nous ont repérés ! Hawk ! Toutes voiles dehors et à fond ! »

« Oui, oui, monsieur ! » Elle poussa le levier de signalisation à fond vers l’avant et hurla à Grogspar de mettre toutes les voiles.

Les voiles se gonflèrent et la fumée s’échappa des cheminées. Le Talion bondit en avant. Une navigation qui était dangereuse devint mortelle. S’ils heurtaient un récif à cette vitesse ils arracheraient le fond du navire.

Hawk prit la barre. Les vigies et les sondeurs lançaient leurs avertissements à une cadance constante. Le Talion passa devant l’épave d’un vieux galion. Ses mâts étaient tombés depuis longtemps et sa coque s’était enfoncée dans le récif, une sombre illustration de leur sort si un seul membre de l’équipage commettait une erreur.

« Récif ! Bâbord avant, soixante mètres ! » cria la vigie avant.

Hawk tira la barre à tribord.

« Tribord en arrière d’un tiers! » ordonna-t-elle, et son timonier actionna le levier de signal. La roue à aubes tribord s’immobilisa et engagea la marche arrière avec un craquement, puis démarra lentement. Shae se dirigea vers le bastingage bâbord et regarda la saillie corallien déchiqueté passer à portée de main.

Le Commodore rugit et Shae plissa les eau pour voir le tir éclabousser la mer juste devant la proue du mercarien, aspergeant son pont avant d’embruns. Le Rasoir arrivait juste à portée des armes à feu.

« C’est mon signal, Hawk ».

« Oui, monsieur ! » Elle le regarda un instant, mais revint rapidement à la tâche pressante d’empêcher leur coque de se briser et d’être réduite en cendres.

« Rappelez-vous, pas plus près qu’un tir de pistolet sur son flanc si tu y parviens. Nous ne voulons pas être trop près quand il passera ».

« Je ferai de mon mieux, monsieur ».

« Toujours ». Shae lui adressa un sourire et s’avança, criant des encouragements aux équipes de fusiliers au passage. « Frappez-les forts ! Rappelez-vous, juste avant les chaînes d’artimon. Donnez-moi un joli profil serré. Ramollissez-le, et nous le défoncerons avec le Commodore ! »

Les acclamations, salutations et les blagues paillardes sur le fait de « le défoncer » le suivit. Shae se retrouva à sourire alors qu’il montait les marches menant au gaillard avant. Comme auparavant, ses quatre Mariniers l’attendaient, mais cette fois, Bottes se tenait également prêt à aider à manoeuvrer le lourd Commodore le moment venu. Quinn se tenait également prêt, travaillant toujours sur la rampe improvisée qu’il avait installée pour orienter l’énorme canon vers la poudrière du Rasoir.

« Joli travail sur Corchet, Quinn ! » dit Shae en donnant une tape dans le dos de l’ingénieur.

« Quoi ? » Quinn plissa les yeux vers le warjack et haussa les épaules. « Je ne l’ai pas touché. Ça doit-être Evlyn ». Il reprit son travail sans ajouter un mot.

Elle était en train de devenir une sacrée ingénieure, pensa Shae. Il passa la main sur la réparation sur son épaulière. Evlyn l’avait si bien lissée qu’il pouvait à peine sentir où la balle avait frappé. Bien sûr, cela lui rappelait la Faiseuse de Fantômes. Alors qu’ils se rapprochaient de Rasoir, il risquait fort d’être à nouveau dans la ligne de mire de la tireuse embusquée.

« Prêt ! » beugla Une Oreille.

Tout le monde se boucha les oreilles, et l’artilleur abaissa le boutefeu garni d’une mèche lente de la lumière de l’énorme canon. L’arme tonna et recula sur ses palans. Avec le recul, le squelette longtemps dénudé de l’homonyme du canon fut projeté vers l’avant, sa tête osseuse se balançant avec un sourire permanent.

Shae regarda le tir s’écraser sur le Rasoir. Du bois, du fer et de la chair déchiquetés éclaboussèrent le pont avant. Une acclamation retentit dans les rangs des artilleurs. Shae avait ordonné à Une Oreille de ratisser le pont du mercarien afin de mettre hors d’état de nuire le plus grand nombre possible avant qu’ils n’échangent des bordées. Chaque canon à bord du Rasoir qui ne pourrait pas tirer sauverait des vies à bord du Talion, ce qui pourrait faire la différence entre la victoire et la défaite plus tard s’ils devaient combattre le Tempête.

Encore un tir, pensa Shae, en se concentrant sur le lien qui l’unissait à ses quatre Mariniers.

Le Commodore rugit à nouveau et, avant que la fumée ne se dissipe, les pièces de chasses du Rasoir répondirent. Deux tirs frappèrent la proue blindée du Talion mais aucun n’eut la force de pénétrer.

Feu à volonté, ordonna Shae à ses Mariniers, en précisant leur objectif, et leurs canons rugirent à l’unisson. Alors que les équipes se dépêchaient de recharger, il entendit un appel urgent venant de la vigie avant.

« Récifs ! Droits devant, à deux verges ! Dégagez deux degrés à bâbord ou à tribord ! »
Shae évalua les angles en un instant. Le Rasoir se trouvait au nord des eau peu profondes. S’ils mettaient le récif entre eux, cela empêcherait le chasseur de pirates de l’approcher, et le récif pourrait fournir une certaine protection. Shae avait déjà vu des navires exploser, et l’onde de choc sous-marine pouvait faire autant de dégâts aux navires proches que les débris volants. Avant qu’il n’ait pu crier un ordre à Hawk, elle était déjà en train de tourner la roue à bâbord.

« Tu lis dans mes pensées, Hawk ».

Shae centra ses pensées et concentra toute son énergie arcanique. Des runes jaillirent et se répandirent dans tout le navire, faisant miroiter des images fantômes qui, l’espérant, gâcheraient la visée des artilleurs ennemis. Il chancela sous l’effet de l’effort, mais tint bon

Shae maintint sa concentration alors que les canons rugissaient et que deux centre livres de fer supplémentaires volaient entre les navires. Un boulet passa au ras du pont intermédiaire, et un morceau de gréement se détacha derrière lui avec un bruit semblable à celui coup de feu. Le Rasoir se tourna vers eux, essayant de garder sa proue blindée face au Talion jusqu’à ce qu’il se rapproche suffisamment pour que sa bordée soit pleinement efficace.

« Allez Gorafalo, Viens vers moi ! » Avec le soleil levant dans les yeux et un récif qui les sépare, Gorafalo risquait de foncer dans une barrière de corail.

Un autre tir de barrage des pièces de chasses secoua l’air. Lorsque la fumée se dissipa, Shae vit que le chasseur de pirates se détournait et son flanc apparaissait. Gorafalo avait soit repéré le récif, soit décidé de tirer avant qu’ils ne soient assez proches pour que Shae puisse le repérer sur la plage arrière et lui envoie un boulet de canon dans la poitrine.

Tu vas avoir une surprise, salaud. Shae sourit d’anticipation. « Prêt pour la bordée tribord ! »

Quinn envoya Bottes en avant pour aider à déplacer l’énorme Commodore en position de tir. Le ‘jack lourd souleva le canon de poids royal et le plaça sur la rampe improvisée, ses massifs pieds s’écrasant sur le pont en chêne renforcé au fur et à mesure que l’énorme poids pesait. L’équipe du canon se tenait prêt, le boulet de quarante-deux livres prêt, la mèche lente positionnée près de lumière. La poudre avait déjà été chargée, mais ils ne pouvaient pas enflammer la charge et l’enfoncer dans la gueule du canon avant d’être prêts à tirer. Si le boulet explosait trop tôt, ils ne rateraient pas juste leur tire. Shae avait déjà été témoin d’une explosion incendiaire à l’intérieur du tube d’un canon. Des éclats d’obus avaient tué toute l’équipe du canon.

Shae jeta un coup d’oeil vers la dunette et hurla : « Tiens le cap jusqu’à e qu’ils tirent, Hawk ! »

« Oui, monsieur ! » Elle tint fermement le gouvernail, se rapprochant le plus possible du récif, présentant la proue blindée du Talion à l’ennemi. Cela réduirait les dégâts, mais ils devraient prendre une pleine bordée dans les dents. Le gaillard avant subirait le plus gros de cet assaut.

« Tenez bon, les gars ! » ordonna Shae alors que les sabords du Rasoir apparaissaient.

Un long roulement de tonnerre annonça le flanc du Rasoir, chaque canon tirant au fur et à mesure qu’ils s’approchait. Environ la moitié des tirs manquèrent complètement leur cible, ce qui en disait long sur son sort de dissimulation. Shae sentit l’impact de chaque boulet de vingt-quatre livres s’abattant sur son navire. L’un d’eux frappa un hauban du mât de misaine au niveau du bastingage, traversant les caps-de-mouton dans une pluie d’échardes. Un autre traversa les pavois pour décapiter un fusilier. L’homme tomba, son arme encore dans les mains, le sang jaillissant de son cou tranché. Avec un trio de bruits horribles provenant de l’avant, le pont frémit sous les bottes de Shae.

La fumée se dissipa et un second tireur se pencha par-dessus le bastingage pour inspecter les dégâts. Il se retourna, le visage pourpre de fureur. « La Dame a été touchée ! Son épée a été arrachée ! »

Shae savait que son équipage prendrait cela encore plus à coeur que la mort de l’un des leurs. La Dame du Châtiment était leur fierté et leur joie. Ils se battaient souvent pour l’honneur de polir ses traits brunis.

« Nous leur ferons payer pour ça ! » hurla Shae. « Amène-nous à bâbord, Hawk ! Bordée avec tous ce que nous avons ! »

Shae laissa tomber son sort de dissimulation et prit fermement le contrôle de ses Mariniers. « En avant, maintenant, pensa-t-il, fixant son regard à travers les yeux des warjacks sur l’endroit qu’ils devaient frapper, juste devant les chaînes d’artimon du Rasoir. Les quatre mariniers tirèrent à l’unisson, et trois des quatre tirs firent mouche. Le quatrième s’éleva très haut, heurtant la rambarde et brisant les escaliers qui menaient au pont arrière du chasseur de pirates. Shae vit des silhouettes s’agiter et imagina Gorafalo en train de plonger pour se mettre à l’abri.

Attends, espèce de lâche, pensa Shae alors que le premier des grands canons du Talion commencèrent à s’exprimer.

Il observa chaque frappe, comptait chaque réverbération d’explosion. Plusieurs tirs passèrent à côté. Deux frappèrent l’eau juste en dessous de la cible et rebondirent pour s’écraser sur la coque. Mais une douzaines de balles s’écrasèrent à l’endroit même où il avait tracé un grand « X » sur son croquis. Lorsque la fumée du dernier coup de feu se dissipa, un trou béant était ouvert dans le flanc du Rasoir.

« Maintenant, Une Oreille ! »

« Oui, monsieur ! » Le maître artilleur enflamma la mèche lente de l’obus incendiaire, et son second se précipita vers la bouche du canon pour y déposer le lourd boulet à l’intérieur. Un autre suivit avec la charge avec de la bourre, et deux autres l’enfoncèrent avec le long refouloir.

« Quinze centimètres ! » indiqua Une Oreille, et Quinn passa l’ordre à Bottes.

Le ‘jack saisit l’énorme canon et déplaça la bouche précisément vers la gauche.

« Prêt pour la houle ! » La mèche lente planait au-dessus de la lumière tandis que le Talion se laissait emporter par la houle et se stabilisait.

Le Commodore tonna, l’éclair de la poudre et le hurlement du fer déferlant. Le canon s’abattit sur ses palans et une partie de la rampe improvisée pour lui donner la bonne inclinaison se brisa. Shae garda les yeux fixés sur la brèche dans la coque du Rasoir. Le tir s’était frayé un chemin à travers les poutres brisées.

« Tir parfait, Une Oreille ! »

Rien ne se produisit.

« Trois . . . », dit Une Oreille avec un sourire diabolique, « deux . . ., un . . . » Le feu jaillit du trou dans le flanc du Rasoir.

« Tout le monde à terre ! » hurla Shae, se plaçant devant Quinn pour protéger l’intérieur et suralimenta son champ de puissance.

Le Rasoir explosa dans un éclair de quatre mille cartouche de poudre. Tout son pont s’envola dans les airs, perdu dans la fumée et des flammes incandescentes. Ses mâts furent brisés en éclats et sa coque se désintégra dans une grêle mortelle de débris d’obus. Les poutres du navire frappèrent le Talion telle des lances, percutant ses flancs avec l’impact d’une douzaine de boulets de canon chacune. Le bois déchiqueté perfora ses voiles, et des morceaux de marins mercariens démembrés plurent dans une horrible grêle.

Une gerbe d’eau jaillit du récif séparant les deux navires. L’explosion aurait fait trembler la coque du Talion sans cette barrière amortissant. Shae chancela sous l’impact de petits débris frappant son champ énergétique, puis resta bouche bée lorsque le torse d’un warjack Marinier démembré s’écrasa dans la mer à quelques verges seulement.

« Châtiment ! » Shae bondit sur la rambarde et leva Requin.

Les acclamations et les cris de triomphe provenant du pont furent interrompus par l’horrible gémissement de métal torturé provenant de l’arrière.

Shae se pencha à la recherche de la source du bruit et regarda avec stupeur la roue à aubes tribord. Deux des épaisses membrures du Rasoir avaient frappé le logement de la roue comme des lances, brisant le blindage improvisé pour déformer la machinerie à l’intérieur. L’arrête soudain avait probablement arraché quelques dents des engrenages intérieurs ou tordu l’arbre de transmission.

« Quinn ! »

« Capitaine ? » L’ingénieur le rejoignit au niveau de la rambarde et resta bouche bée devant les dégâts. « Bon sang ! Je venais de réparer cette foutue roue ! »

« Dis-moi que tu peux la remettre en marche ». Shae regarda en l’air et grimaça devant les voiles déchirées et le gréement mutilé. « Si tu n’y arrive pas, nous sommes en quelque sorte des cibles faciles ».

Corcorian fit un signe de tête en direction de l’imposante pyramide de voiles située à environ trois mils, l’écume s’élevant de sa proue dans une crête banche alors qu’elle fonçait sur eux. « Pas avant que le Tempête n’arrive, capitaine. Désolé ».

« Merde ! » Shae porta sa longue-vue à ses yeux pour voir le navire s’approchant. Il naviguait vite, mais pas à pleine vitesse, ce qui aurait été mortel dans dans les passes et les récifs dangereux du Cimetière. Pourtant, il était plus rapide que le Talion. Même si Grogspar parvenait à réparer leurs voiles déchirées, ils ne pourraient pas distancer le chasseur de pirates sans la poussée supplémentaire des roues à aubes. Tous les avantages du vent et de la marée dont il avait bénéficié en se dirigeant vers le Rasoir appartenaient désormais au Tempête. Le désespoir lui serra le coeur.

Shae aperçut alors le pont du navire ennemi et leva son verre. Quatre warjacks étaient alignés au milieu du navire, et une masse de fusiliers-marins se tenait prête à intervenir. Son esprit s’orienta vers une stratégie désespérée.

« Capitaine ? » Hawm montait les marches du gaillard avant, le visage grave. Derrière elle venait Walls, Grogspar et Rockbottom.

« Nous allons réparer le gréement en deux temps trois mouvement, capitaine ! » dit Grogspar.

« Si nous parvenons à atteindre le passage emprunté par le Rasoir pour traverser le récif, nous pouvons gagner la haute mer ». Rockbottom semblait plein d’espoir, mais Shae se contenta de secouer la tête. Le tempête allait labourer leur poupe avant qu’ils se soient éloignés.

« Non ». Shae referma sa longue-vue et rengaina Requin, évaluant ses officiers d’un œil attentif. « Non, d’après l’apparence de leur pont, ils ont l’intention de nous accoster et de monter à bord, et je ne vois aucun moyen de les en empêcher ».

« Quoi ? » Rockbottom le regarda bouche bée.

Grogspar grogna et rongea sa pipe. Ses énormes mains agrippèrent son fusil-harpon avec une férocité à fleur de peau. « Je mourrai avant de laisser ces salauds me prendre un autre navire, capitaine ». Le trollkin avait particulièrement mal vécu la perte de l’Exeter.

Hawk se contenta de froncer les sourcils. Puis le coin de sa bouche d’un air ironique. « Et tu comptes les laisser faire, n’est-ce pas ? »

« Exactement ». Shae sourit malicieusement. « Mais pour que ça marche, nous devons ressembler à des proies faciles, sinon ils nous massacreront avant de monter à bord. Grogspar, effectue les réparation sur le gréement et inonde les fonds de cale. Hawk, barre comme si elle était endommagée, mais éloigne-nous d’eux. Nous devons garder le pont intermédiaire hors de leur vue jusqu’à ce que nous soyons prêts. Walls, j’ai besoin que tu ramènes tous les débris que tu peux récupérer sur le pont intermédiaire, et quelques incendies ici et là ne feraient pas de mal. Fais également remonter tout le bétail de la cale. Envoie Doc ici et dis-lui d’apporter son plus grand couperet. Nous avons peut-être trente minute devant nous, alors faites vite ! »

« Au nom d’Urcaen, qu’est-ce que tu comptes faire, Shae ? » Rockbottom lui lança un regard noir, ses yeux se rétrécissant jusqu’à devenir des fentes.

« Je prévois d’accueillir nos invités à bord, bien sûr ». Le capitaine tapota affectueusement la bouche chaude du Commodore. « Et j’ai l’intention de leur réserver un très chaleureux accueil ».

elric:
PARTIE TROIS

Dettes de Sang et de Fer
« Sort le rhum, Walls ! »

Shae jeta un coup d’oeil par-dessus son épaule au Tempête approchant. Tout en veillant à rester en retrait. Ils avaient positionné le Talion avec sa poupe surélevée vers l’ennemi pour garder le pont principal hors de vue, et il avait rassemblé tout son équipage. Si les vigies ennemies repéraient l’équipage massé, leur plan serait ruiné. Présenter la poupe vulnérable du Talion lui donnait l’impression de déambuler dans les rues de Cinq-Doigts avec son pantalon autour des chevilles, mais il n’y avait rien à faire. Il entendit le tintement du verre sur le métal. Walls et ses compagnons étaient en train de distribuer des litres de rhum à tout l’équipage. Il leva la bouteille qu’il avait mise de côté pour lui et les fit taire.

« Nous allons nous battre, mesdames et messieurs ! » Ils le regardèrent tous, leurs visages graves mais ferme. Il balaya du regard le pont jonché de débris, les escaliers menant à la plage avant – le résultat par inadvertance de Bottes oeuvrant à repositionner le Commodore et les corps imbibés de sang, et hocha la tête avec satisfaction. Doc avait fait un sacré boulot avec son couperet. Du sang et des morceaux de viande méconnaissables jonchaient le pont. Crochet et Filou gisaient dans des positions tordues, à moitié recouverts de ferrailles,. Le Commodore était bien à l’abri, et Bottes avec lui. Les autres warjacks étaient également dissimulés. Tout était prêt.

« Il nous faut jouer serré, sinon ça ne marchera pas ! Le Tempête peut se tenir à distance et nous frapper avant de nous aborder, mais nous patienter et l’accepter. Nous devons tenir bon ».

Ils grognèrent. L’équipage n’avait pas l’habitude de se laisser faire.

« Rester discrets, comme je vous l’ai dit. Ils sont près à nous aborde, et nous devons les laisser faire ». Il sourit comme un loup. « Ils veulent nous pendre, mais nous avons quelques surprises pour eux ! »

Cela provoqua de faible acclamations, mais Shae leva la main pour devancer leur enthousiasme.

« Nous sommes deux contre un, nous devons faire en sorte que cette ruse fonctionne. S’ils déjouent notre notre supercherie, ils se tiendront à distance et nous hacherons menu. Il jeta un nouveau coup d’oeil par-dessus son épaule et remarqua que le chasseur de pirates avait ralenti.

Le Talion dérivait avec le courant, ses voiles déchirées le tirant sous le vent avec juste assez de force pour donner la direction avec la barre. Hawk avait mis en place un système simple avec corde et poulie pour gérer la barre depuis sa cachette. Le Tempête faisait tourner ses roues en marche arrière et ferlait ses voiles pour contrôler sa route. Le navire tournait lentement, les bouches béantes de ses canons se dévoilant à la vue de tous. Une boule d’inquiétude s’installa pesamment dans l’estomac de Shae. Une bordée totale sous cet angle les dévasterait, déchirant le mince tableau arrière du navire, réduisant son moteur à vapeur mâchefer et ferait en éclats de bandes de fer sur toute sa longueur. Il serra les dents et se tourna vers son équipage, gardant la voix basse.

« Il se trouve à portée de nos armes de poupe, de notre bordée, essayant de nous ébranler, mais nous pouvons pas les laisser faire. Nous devons les attirer. L’équipage gronda en réponse, les visages marqués comme de la pierre, froids et durs. Ils lui confiaient leur vise et il leur faisait confiance. Un coeur faible, un cri au mauvais moment, et ils seraient passé par le fond.

« Alors, buvez avec moi et tenez bon ». Il leva sa bouteille. « Attendez le signal, puis payons notre dette envers la Ligue Mercarienne avec du sang et du fer ! »

Ils inclinèrent leurs verres à l’unisson, honorant leurs serments de « Sang et de fer » dans un murmure. Le rhum brûla dans la gorge de Shae et lui mit le feu aux tripes.

« Maintenant, tous le monde à son poste, et rappelez-vous : tenez bon jusqu’à ce que je vous donne l’ordre ».

Ils se précipitèrent vers leurs positions. Shae pris la sienne et s’accroupit à l’abri des pavois de la dunette. Hawk était accroupi là, un sourire sanguinaire aux lèvres, les mains sur deux cordes serpentant à travers l’enchevêtrement de gréements éparpillés sur la dunette jusqu’à la barre à roue.

« Vous pensez que nous peux le faire ? » demanda-t-elle, les sourcils froncés.

« Je sais que nous pouvons ». Il lui fit un sourire. « Je vaux plus pour eux vivant que mort, et le Talion est une sacrée prise. Ne sous-estime jamais la cupidité de la Ligue Mercarienne ».

« S’ils vous voulaient vivant, ils n’auraient pas envoyé la Faiseuse de Fantômes à vos trousses, Phinneus ».

« Eh bien . . . » Shae n’y avait pas pensé, mais il ne pouvait pas commencer à s’inquiéter pour sa propre peau maintenant, pas s’il voulait réussir son coup. « Ils vont devoir y travailler avant d’accrocher ma tête sur leur mur ».

« Bien ». Elle se rapprocha de lui et baissa la voix jusqu’à chuchoter. « Parce que je n’y renoncerai pas ».

Ses yeux s’écarquillèrent à son commentaire, mais une grêle de provenant du Tempête tout proche le ramena à la réalité.

« Talion ! Mouillez et préparez-vous à être abordé ! »

Shae jeta un coup d’oeil à leur ennemi à travers un écubier. Le Tempête se rapprochait de minute en minute, toujours à flanc, les canons sortant de leurs sabords dans une silencieuse et menaçante démonstration. Une grande femme se tenait sur le pont arrière du chasseur de pirates, l’armure scintillant sur ses épaules alors qu’elle brandissait un clairon. Shae jeta un coup d’oeil à son armure, craignant qu’il ne s’agisse d’une warcaster, mais de cet angle, il ne pouvait pas le dire. Il ne pouvait voir si de la fumée s’élevait de l’amure, mais elle pouvait avoir sa chaudière en marche et la turbine arcanique au ralenti jusqu’au combat. Il ne ressentit rien qui puisse indiquer la présence d’un warcaster à proximité, mais cela aussi pouvait être dissimulé.

«  Mouillez ou nous vous coulerons ! Nous ne voulons que le criminel Phinneus Shae ! Le reste d’entre vous sera autorisé à prendre votre navire et à partir ».

« Comme si nous allions y croire », grommela Grogspar depuis sa position sur le pont principal.

Shae lança un sourire au maître d’équipage et jeta un coup d’oeil au capitaine adverse par le sabord. Finalement, elle se tourna pour parler à ses officiers, et il la vit de profil. Son armure n’était pas mékanique, ce n’était pas une warcaster. Il respira plus facilement.

Il scruta le pont du Tempête, notant la position de leurs forces. Deux warjacks Mariniers se tenaient rapprochés au milieu du navire, les équipages des canons derrière eux soulevant des sacs de grenailles et de poudre. Derrière eux, deux Boucaniers se tenaient prêts. Il leva les yeux vers les nids de pies bondés du Tempête. Des fusiliers étaient alignés le long des cordages, mais il ne pouvait apercevoir la chevelure blanche caractéristique de la Faiseuse de Fantômes.
Peut-être était-elle à bord du Rasoir après tout.

Le silence régnait entre les deux navires. Shae pouvait clairement remarquer la frustration monter sur le visage de l’autre capitaine. Son prochain ordre pourrait envoyer six cents livres de fer dans son navire.

« Capitaine ! » appela quelqu’un depuis le grand mât du Tempête.

Shae retint son souffle. Si la vigie avait repéré quelque chose d’anormal, ils étaient morts.

« Il y a du sang qui s’écoule de ses dalots, et son flanc tribord est détruit ! Personne à la barre. Le pont arrière est en désordre ! »

Shae entendit des voix basses provenant de la dunette ennemie, mais ne parvint pas à les distinguer. Est-ce qu’ils y croyaient ? Il se mordit la lèvre et marmonna une courte prière à Morrow, pensait qu’il était peu probable que le dieu de son père écoute un pirate hors-la-loi, mais prêt à accepter toute l’aide qu’il pourrait obtenir. C’est alors que le son d’une roue à aubes battant la mer parvint à ses oreilles, et il le trouva plus beau que la voix de Morrow lui-même.

Un coup d’oeil par l’écubier confirma que Tempête manœuvrait pour s’approcher. Il fit un signe de tête à Hawk. « Ils ont mordu à l’hameçon ».

Elle acquiesça et reprit sa veille. Un coup d’oeil sur le pont intermédiaire confirma que tout était en place, son équipage étalé au hasard, éclaboussé de sang, ses deux Mariniers gisant en tas de ferraille silencieux. Des feux couvraient ici et là. Du bois brisé, des cordes emmêlées et de l’équipement cassé étaient éparpillés un peu partout. De la fumée s’échappait de l’écoutille principale, preuve des dégâts subis sous le pont.

Parfait, pensa-t-il, luttant pour rester immobile.

Le Tempête manœuvra avec précaution avec ses roues à aubes jusqu’à ce son flanc bâbord soit parallèle au flanc tribord du Talion. Le deux navires remontaient la marée, verge contre verge, les canons du chasseurs de pirates étant prêts à les ratisser sur un simple ordre.

« Grappins ! » hurla le capitaine de la Ligue, et de lourds crochets s’abattirent sur le pont du Talion.

« Ho, hisse ! »

Les cordages se tendirent, rapprochant inexorablement les deux navires. Les rambardes se rencontrèrent dans un solide craquement, et Shae se crispa. L’ordre suivant du capitaine le prit au dépourvu.

« Monsieur Kiroff, dégagez la voie s’il vous plaît ».

« Oui, capitaine ! »

Shae s’efforça de demeurer immobile, craignant le pire.

« Feu ! »

Les deux Mariniers ennemis tirèrent à bout portant avec leurs canons sur le pont du Talion. Un tir de mitraille balaya la rambarde et le pont dans un tourbillon de fer et d’éclats. Lorsque la fumée se dissipa, encore plus de sang et de débris jonchaient le sol.

Combien ? Pensa Shae, sa main serrant la poignée de Requin sir fort que ses jointures craquèrent. Combien du Talion venaient de mourir ?

Une main se posa sur son bras et le serra fort. Il croisa le regard d’Hawk et lut son silencieux murmure : « Tiens bon ! »

Il acquiesça, le coeur gonflé de fierté pour son équipage. Malgré le sang et la mort qui anéantissaient leurs rangs, ils restaient silencieux.

« Équipage d’Abordage ! »

Les fusiliers marins affluèrent sur le pont du Talion sur le pont du Talion sur l’ordre du capitaine, tandis que les équipes de tir se dépêchaient de recharger les canons des Mariniers. Puis, elle lança un nouvel appel. « Monsieur Kiroff, faites avancer vos warjacks ! ».

Les contrôleurs hurlèrent leurs ordres, et de lourds pieds mékaniques crissèrent à travers les restes des pavois du Talion alors que les deux Mariniers montaient à bord. Shae risqua un coup d’oeil à travers le bastingage du pont arrière et sourit. Un homme en armure aux cheveux rouge flamme avançait lentement à l’arrière, dirigeant deux autres contrôleurs depuis la sécurité du pont du Tempête.

Ce doit être Kiroff, pensa-t-il.

Le commandant des contrôleurs mercariens aboya davantage d’ordres à ses équipes.

Un encore un pas . . . allez.

Les Mariniers et leurs équipes avancèrent.

Phinneus Shae se leva d’un bond, un cri de vengeance féroce s’échappant de sa gorge. « Commodore ! »

Son cri attira tous le regards sur le pont. Les deux warjacks ennemi firent jouer leurs canons, mais le warcaster n’était pas la véritable menace à laquelle ils étaient confrontés. Dans un fracas d’éclats de bois, la porte menant à la soute à voile située sous le pont avant du Talion fut éjectée de ses gonds. De l’intérieur sombre surgit l’énorme masse de Bottes, son massif pied venant de céder la place aux canon de poids royal à ses côtés.

Les mercariens se tournèrent et regardèrent avec horreur la bouche du Commodore durant un instant avant qu’Une Oreille n’abaisse sa mèche lente vers la lumière.

Les flammes, la fumée et la grenaille traversèrent les fusiliers marins mercariens serrés les uns contre les autres, déchiquetèrent le Marinier le plus proche et projetèrent une pluie mortelle d’éclats d’obus sur les autres.

« Crochet ! Filou ! Maintenant ! »

Les deux tas de ferraille sur le pont du Talion se soulevèrent tandis que les Mariniers de Shae se levaient et faisaient appel à leurs canons. Plus de flammes et de fers déchirèrent les mercariens, arrachant un bras du Marinier ennemi survivant avant qu’il ne puisse lever son canon. Les chiens de mer de Shae se relevèrent, faisant feu avec leurs pistolets et fusils dans une volée mortelle. Shae dégaina son canon à main et tira sur Kiroff, mais son tir ricocha sur l’épaule d’un boucanier et le manqua.

Le champ d’énergie de Shae s’illumina de runes blanc-bleu lorsque plusieurs tirs s’y heurtèrent, mais aucun ne pénétra le halo protecteur. Il se tourna vers la dunette ennemie et lança un sort. Le capitaine mercarien était juste hors de portée du souffle dévastateur du vent arcanique, mais la force du sort fit exploser la rambarde du pont arrière en éclats, ce qui fit tomber le capitaine de la Ligue Mercarien. Un violent impact frappa son champ et quelque chose traça une ligne enflammée sur sa joue. Il jura, souleva Requin et sauta par-dessus la lisse pour se lancer dans la mêlée.

« Evlyn ! Tire ! »

Les câbles de al grue aérienne se tendirent tandis que l’ingénieure enclenchait les mécanismes à vapeur. De la fumée s’échappa de la trappe ouverte, mais ce n’était pas un incendie. Les épaules de Tireur d’Élite et de Nancy, les deux autres Mariniers de Shae, se dressèrent sur le pont tandis que la grue s’efforçait de soulever leur cargaison de la cale.

Il ordonna à Buck et Tique de se placer sur ses flancs et envoya Crochet et Filou à gauche et à droite.

Les données visuelles de six warjacks se bousculaient dans sa tête, mais c’était l’élément de Shae. Il fusionna les différents point de vue en une seule mosaïque avec une maîtrise de longue date. Ses deux Boucaniers se frayèrent un chemin à travers le mince bordage du château arrière, leurs longues gaffes dressées alors qu’ils lançaient leurs lourds filets sur les fusils marins ennemis. Crochet et Filou s’écartèrent, ouvrant un champ visuel au deux autres Mariniers.

Hawk atterrit dans une tornade d’acier, tandis que Walls mugissait de l’avant, tirant pistolet après pistolet, Stubs hurlant depuis son épaule. Bottes se battait pour sortir le Commodore de sa cachette.

Alors que les tireurs d’élite ennemis ouvraient le feu depuis le haut, Shae rassembla sa volonté pour renforcer son champ d’énergie, qui encaissa plusieurs autres coups. Il s’enflammait à chaque impact alors qu’il avançait à grand pas, balayant Requin dans de sanglants arcs. Les équipes de canonniers des Mariniers étaient en train de recharger Crochet et Filou, et un coup de pouce mental des autres lui indiqua que la lourde palette sur laquelle ils se tenaient avait dégagé l’hiloire de l’écoutille principale.

Il se concentra à travers leurs yeux, pointa leurs canons dans l’espace entre Crochet et Filou et leur ordonna de tirer.

Les deux canons rugirent à l’unisson, arrosant le pont bondé du Tempête de grenailles.

Au-dessus, Evlyn Corcorian réagit en une fraction de seconde. Alors que le recul des deux lourds canons faisait basculer la palette suspendue vers l’arrière, elle enclencha le mécanisme et fit pivoter le bras de la grue dans la direction opposée, vers le Tempête. Les deux warjacks lourds pivotèrent vers l’avant avec encore plus de force, et à l’apogée de leur arc de cercle, Evlyn desserra simplement le frein des câbles.

Les engrenages hurlèrent de protestation lorsque le câble fut relâché et que l’énorme palette dégringola. Dix tonnes de warjacks s’écrasèrent sur le pont du chasseur de pirates, aplatissant un certain nombre de fusiliers marins mercariens et plongeant presque à travers les poutres renforcées dans la cale.

Poussés par Shae, les Mariniers avancèrent à grands pas, balayant leurs mortelles ancres en arcs de cercle et tranchant la chair comme des faux les blés.

Shae se retrouva face à la bouche du canon du fusilier marin survivant. Il envoya une énergie arcanique se déverser dans son champ de puissance, même s’il doutait qu’elle puisse repousser une explosion à bout portant provenant d’un vingt-quatre livres.

« Brûle, bâtard ! » Une flamme jaillit de sa gauche, et Shae aperçut Joln Rockbottom qui titubait sous le recul de son tromblon fumant, Bouche à Feu. Le jet de flamme atteignit l’un des marins fusiliers ennemis. Shae remarqua avec un brutalement que l’homme en feu soulevant un lourd sac, sans doutue remplie rempli de poudre et de plomb.

« Couché ! »

Les charges explosèrent, et le souffle fit dévier le canon du Marinier juste assez loin pour envoyer le boulet par-dessus la tête de Shae. Ses oreilles résonnèrent sous le coup assourdissant. Le warjack ennemi était toujours debout, même s’il vacillait sur ses massifs pieds. Shae commença à se jeter en avant, mais une énorme main bleue le tira en arrière.

« Laissez-moi m’en occuper, capitaine ». Grogspar appliqua le fourneau incandescent de sa pipe sur le bâton de dynamite attaché au harpon de son arme et le tira dans le visage du warjack. La pointe en fer se logea dans l’espace entre la tête pivotante du warjack et son corps blindé. La mèche flamba.

Le warjack lâche son canon et tendit la main pour attraper le harpon, mais trop tard. La charge explosa et des éclats d’obus s’écrasèrent sur le champ de Shae. Lorsque la fumée fut dissipée, il ne restait plus qu’un trou béant dans le torse du ‘jack, à l’endroit où se trouvait sa tête. La machine mutilée tâtonnait à l’aveuglette.

Shae bondit en avant et plongea Requin profondément dans la plaie pour percer le cortex du warjack. Le Marinier remua ses membres restant et s’affala tel un tas de ferrailles déformés.

Le voie était libre.

« En avant ! » Shae inséra une cartouche dans la chambre de son canon à main et s’élança. « Les gars, avec moi ! »

Alors que les chiens de mer rugissaient d’une rage féroce, Shae concentra son énergie arcanique et l’envoya à son équipage dans un nimbe de runes. Ils chargèrent sur les cadavres de leurs ennemis, lames étincelantes, pistolets tirants, dévalant le pont dans un mur de chaos. Shae et ses deux Boucaniers chargeaient au premier plan, Hawk et Walls le rejoignant sur ses flancs. Ils sautèrent par-dessus la brèche et se rapprochèrent de Tir d’Élite et Nancy avant que l’ennemi ne puisse se regrouper. Les deux Mariniers s’étaient frayé un large chemin jusqu’au pont du Tempête, mais les fusiliers marins avaient judicieusement reculé et les tirs de précisions venant du haut causaient de sérieux dégâts. Les têtes et les épaules des ‘jacks étaient marquées par les impacts des tirs de fusils.

Shae injecta de l’énergie dans son champ d’énergie et ordonna à ses ‘jacks de se battre dos à dos, afin de maintenir intact le coin de leur assaut.

« Flanquez-les ! » cria le capitaine mercenaire à travers le vacarme.

Elle s’était relevée et dirigeait ses forces depuis la sécurité de sa dunette. Ses chiens de mer ne parvenaient pas à l’abattre. Les mercariens avaient divisés leurs forces à l’avant et à l’arrière et pressaient maintenant les pirates qui avançaient par les flancs. Shae positionna Buck et Tique, pour intercepter la manœuvre et faisait voler leurs filets pour dissuader la contre-attaque. Il tira avec son canon à main sur le capitaine mercenaire, mais le projectile se heurta à son armure, la faisant reculer, mais pas tomber.

S’appuyant à nouveau sur la vision de six paires d’yeux, Shae embrassa toute la bataille d’un seul coup d’oeil.

À sa droite, Hawk affrontait trois fusiliers marins mercenaires, incapables de percer le mur d’acier qui lui faisait face. Shae prit un moment, et des runes arcaniques s’illuminèrent autour d’elle, lui insufflant la rage d’une tempête en mer. Hawk se transforma en un tourbillon d’acier, se tournoyant et tranchant à la vitesse de l’éclair. Deux de ses trois adversaires tombèrent avant même de comprendre ce qui s’était passé.

À la gauche de Shae, Walls vida deux pistolets dans le visage d’un homme et en saisit deux autres. Mais alors qu’il dégainait la deuxième paire de pistolets de leurs étuis, un fusilier marin s’élança vers l’avant avec une pique. Stubs sauta de l’épaule du maître de quart au visage du fusilier marin attaquant, lui mordit le nez et lui creva les yeux. Cette distraction suffit à Walls pour appuyer la bouche d’un pistolet sur le ventre de son attaquant et pressa sur la gâchette, le transperçant de part en part. Stubs poussa un cri de joie et bondit sur l’épaule de Walls, le globe oculaire serré dans une main tel un trophée.

« Commodore ! »

Au hurlement de Scoriani, tous les membres du Talion sur le pont du Tempête se baissèrent et se bouchèrent les oreilles. À l’arrière, Bottes soulevait l’énorme bouche du canon pour lui donner la bonne élévation et viser le pont arrière ennemi.

Le canon tonna et le lourd Flibustier chancela sous le recul. Shae le regarda, choqué. Ils avaient tiré avec le canon sans le retenir, comptant sur le ‘jack lourd pour l’empêcher de reculer et de tuer toute l’équipe de tir. Secouant la tête, Shae déplaça sa vue en mosaïque vers la dunette ennemie. Il ne restait du capitaine et de ses officiers qu’une fine brume rouge de sang et une armure déchiquetée.

Alors même que le warcaster élevait la voix dans un cri de triomphe, un impact lui frappa l’épaule à quelques centimètres de son cou. Il chancela, la douleur lui parcourant le dos, et pendant un instant, sa concentration sur la myriade d’éléments de la bataille s’évanouit de son esprit. Il parvint à maintenir son sort sur Hawk. Un tir avait pénétré son champ d’énergie comme un couteau dans du beurre, et avait encore assez de force pour percer son armure et tracer une ligne dans son dos. Il sentit quelque chose de chaud couler sous son armure et sut qu’il saignait, mais il n’avait pas le temps de savoir à quel point.

Réalisant que cela venait d’en haut, il jeta un coup d’oeil vers le ciel. Une touffe de cheveux blancs dans le nid de pie attira son attention, puis l’éclat du cuivre et du verre et la bouche d’un fusil pointé sur sa tête.

La Faiseuse de Fantômes.

Shae n’eut que le temps de renforcer son champ avec toute l’énergie arcanique dont il disposait. Malheureusement, elle était dispersée. Aider quatre warjacks et maintenir son sort sur Hawk l’avait fortement épuisé. Le tir se heurta à son champ d’énergie, et celle-ci jailli en un arc crépitant pour le choc. Il trébucha en arrière et grinça des dents de rage.

« J’en ai juste assez de toi ! »

Shae reporta son attention sur Crochet et Filou, levant son leurs canons. Voyant à travers leurs yeux, alors même qu’il faisait décrire à Requin un arc de cercle pour dévier le coutelas tranchant d’un fusilier marin. Shae concentra toute la puissance arcanique qu’il put pour renforcer leur visée. Son champ d’énergie serait affaibli, certes, mais si cela fonctionnerait, il n’aurait plus à s’inquiéter de la Faiseuse de Fantômes.

Les deux canons tirèrent sur le nid de pie. Le tir du canon arracha la moitié de la plate-forme, projetant une explosion de viande et d’éclats de bois pleuvoir sur le pont.

Shae se concentra sur la bataille autour de lui pendant que les équipes de canonniers rechargeaient les Mariniers, observant la situation à travers leurs yeux. À son grand désarroi, cette chevelure blanche distinctive réapparut lorsque la Faiseuse de Fantômes émergea de derrière le mât gainé de fer, portant son fusil mékanique.

« Fils de pute ! » Shae se battit pour recharger son canon à main, tout en parant les lames et en dirigeant ses warjacks. S’il parvenait à renforcer suffisamment son champ d’énergie pour repousser une nouvelle salve, il savait que ses Mariniers pourraient abattre l’assassin. C’est alors qu’il se rendit compte de son erreur.

Il réalisa son erreur.

On ne peut pas tirer sur ce qu’on ne voit pas !

Il redirigea l’énergie de son champ d’énergie et des runes s’illuminèrent autour de lui. Un épais brouillard se forma , obscurcissant la vue de l’assassin.

« Trouve-moi là-dedans, espèce de- »

Comme si la Faiseuse de Fantômes avait entendu son défi, une balle traversa son champ d’énergie et frappa son armure. L’impact le projeta à terre, engourdissant son bras gauche et envoya son canon à main claquer sur le pont entre des doigts sans sensation. Les ténèbres envahirent sa vision et le sort s’évanouit de son esprit. Shae tenta de se relever, s’efforçant de concentrer son énergie arcanique dans son champ d’énergie. À travers le brouillard qui se dissipait, une lame s’abattit devant lui.

« Phinneus ! » Hawk s’était précipitée, ses deux lames s’entrechoquant.

Le sang pleuvait dans son sillage, et les mercariens reculèrent. Shae tente de se relever en se servant de Requin comme d’une béquille. Le sang dégoulinait de sa main gauche morte, suintant à l’intérieur de son armure depuis son épaule. Une douleur fulgurante lui éclaircit l’esprit lorsqu’il bougea l’épaule. Il ferma les yeux et regarda à travers la vision plus claire de ses warjacks.

La Faiseuse de Fantômes se tenait sur le bord du nid de pie détruit, son long fusil pointé sur lui, un sourire sinistre sur ses lèvres et la lueur de l’énergie arcanique flamboyant flamboyant le long de la plaque runique de son arme. Une profonde cicatrice s’étendait du coin de son œil prothétique jusqu’à son oreille, trace ancienne d’une lame ou d’une balle.

Étonnamment, elle recula pour éviter de chuter sur le pont du navire. Elle tint même son fusil jusque dans l’eau. Shae ne la vit pas frapper l’eau, mais une chute de vingt-quatre mètres ne devait pas être agréable.

Avec un peu de chance, elle se noierait ! Pensa-t-il.

Une main de la taille d’une assiette se referma sur l’épaule blessée du capitaine pirate, arrachant un juron de douleur.

« Pas de farniente, capitaine ! Il y a toujours un combat en cours, vous savez ! » Grogspar pointa son harpon sur l’un des warjacks ennemis survivants, un Booucanier malmené, et tira. La flèche se logea dans le flanc du ‘jack et la dynamite explosa. Les jambes et le torse du ‘jack tombèrent en tas séparés, les bras s’agitant toujours dangereusement, mais sans grand effet.

Avec l’explosion, la bataille retomba dans un moment de silence incongru. Les mercenaires s’étaient désengagés, se reformant en rangs serrés, lames en avant, armes à feu en arrière. L’unique Boucanier ennemi encore en action reculait, son filet et sa gaffe maintenus en position défensive. Même les tireurs embusqués ayant survécus dans les autres nids de pie de tiraient pas.

« Lâchez vos armes, et nous ne ferons de mal à personne ! » beugla Shae, retrouvant un peu de son sang-froid. Il avait toujours très mal, mais il pouvait penser correctement. Le sang qui coulait de sa main gauche avait ralenti, et il pouvait à nouveau sentir ses doigts.

« Nous ne le ferons pas ? » Grogspar mâchonna le tuyau de sa pipe et fit un nœud à la ficelle qui fixait le bâton de dynamite à son harpon.

« Il semble que nous devrions le faire », approuva Walls en rechargeant deux de ses pistolets. « Ils nous ont attaqués, vous savez ».

« Non ! Nous ne ferons de mal à personne, mais ils doivent déposer les armes ! » Il baissa la voix et ajouta : « On va faire un lot en les rançonnant à la Ligue ».

« Ça me semble bien », intervint Rockbottom, calant Bouche à Feu sur sa hanche. « Les rançons rapportent beaucoup d’argent, tu sais ».

« On ne peut pas leur faire confiance ! » s’écria une voix dans la foule. Une homme se précipitait vers l’avant, un bras pendant, mou et en sang. Shae reconnut Kiroff, le commandant des contrôleurs ennemis, à sa chevelure d’un rouge flamboyant. « Il ne sont rien d’autre qu’une bande de meurtriers et de pirates ».

« Il vous tient, capitaine ». Hawk examina ses coutelas ensanglantés et sourit comme une louve. « S’ils veulent se battre . . . »

« Ne soit pas idiot, mec ! » Shae était en colère. « Je vous propose d’épargner vos vies ! Nous vous avons battu ! »

« Nous ne sommes pas battus, Capitaine Shae, et je vais vous montrer pourquoi ! » Kiroff aboya un ordre. « Éventreur ! Avance ! »

Dans un soudain jet de fumée noire provenant de la cale principale ouverte du chasseur de pirate, une lourde hache s’éleva pour s’accrocher à la structure surélevée de la cale. La forme massive d’un warjack lourd, un Rover, s’élança sur le pont, plus grand et plus large que même les Mariniers de Shae. La chose brandissait une hache de guerre d’une main et un lourd bouclier canon de l’autre. Elle s’avança sur le pont, ses yeux, ses yeux orange rougeoyants se concentrant sur les formes abîmées de Tireur d’Élite et de Nancy, comme si elle décidait laquelle détruire en premier.

« Abats-les ! » cria Kiroff, son visage aussi rouge que ses cheveux. Le arjack lourd chargea, balançant sa hache sur Nancy, tandis que son bouclier canon rugissait en direction de Tireur d’Élite. Shae se concentra sur les deux Mariniers, faisant confiance à Buck et Tique pour continuer à défendre leurs flancs contre le soudain assaut des fusiliers marins mercariens. Malheureusement, il n’avait pas possible de recharger les deux canons des Mariniers de tête pendant la mêlée. Les pièces lourdes offraient cependant une certaine défense.

La hache du Rover fit jaillir une pluie d’étincelles provenant du canon relevé de Nancy. Le Marinier balaya son ancre dans un arc plat, mais le warjack ennemi para. Le tir du bouclier canon avait fait reculer Tireur d’Élite d’un pas, mais le Marinier était resté debout. Une plaque de blindage mutilée pendant sur son épaule en une masse tordue, même si l’articulation semblait encore fonctionner.

Malheureusement, la charge du Rover avait ouvert un passage entre les deux Mariniers. Le warjack ennemi écarta Nancy d’un coup d’épaule et se dirigea vers Shae faisant à nouveau appel à son bouclier canon.

Shae lança un vent arcanique. Le sort aurait mis à terre une cible plus petite, mais il ne parvint qu’à stopper l’avancée du ‘jack. Le capitaine du Talion se retrouva une fois de plus face à un canon.

Un éclair mental d’urgence fut le seul avertissement à Shae avant que Buck ne se jette dans la ligne de mire du warjack ennemis. Le bouclier canon tonna et le fracas du fer déchiré par l’explosion résonna dans les oreilles de Shae. Buck fut projeté en arrière telle une poupée de chiffon, et sa lourde gaffe frappa Shae au niveau des jambes. L’impact le fit tomber, même s’il causé beaucoup moins de dégâts qu’un coup de canon ne l’aurait fait. Buck lui avait sauvé la vie, mais à un prix énorme.

À cet instant, le lien qui unissait Shae au Boucanier s’estompa. L’amas de métal tordu frémit et la tête de Buck pivota pour lui faire face. La lumière dans ses yeux s’atténua, puis s’éteignit. Le cortex du warjack vacilla et mourut dans son esprit comme les derniers battements d’un coeur humain.

Shae poussa un juron, mais n’avait guère de temps pour le remords. Ses forces étaient pleinement engagées sur les flancs, et ni Filou ni Crochet n’avaient de ligne de tir sur le warjack ennemi. Le cliquetis du mécanisme de rechargement du bouclier canon se répercuta sur le pont.

Dans un éclair de désespoir, Shae saisit le seul plan qui lui vint à l’esprit.

Il reporta son attention sur Tireur d’Élite et Nancy, qui réagirent comme s’ils étaient des extension du propre corps du warcaster. Leurs canons s’écrasèrent sur le pont, et ils lancèrent leurs lourdes ancre, non pas sur le Rover, mais sur son chemin l’un vers l’autre. Avec la précision habile d’un warcaster vétéran, il manipula les deux ‘jacks simultanément, attrapant les lourds projectiles tout en gardant la main sur les massives chaînes qui traînaient derrière les ancres.

Shae inonda les Mariniers de puissance arcanique. Comme un seul homme, ils chargèrent sur le pont du Tempête.

Les chaînes claquèrent contre le bouclier canon du Rover juste au moment où l’arme faisait feu. L’explosion coupa le souffle de Shae, et l’assourdi momentanément, mais le boulet le survolé pour s’écraser sur le pont derrière lui.

Tireur d’Élite et Nancy traversèrent le pavois le plus éloigné du navire, entraînant l’infortuné Rover avec eux. Les trois warjacks plongèrent dans la mer. Les eaux profondes ne nuiraient pas aux Mariniers, mais le Rover n’étaient pas prévu pour résister à l’immersion. Alors qu’il plongeait sous la surface, de la vapeur jaillit de boite à feu éteinte.

« Commodore ! » Beugla Scoriani une fois de plus de l’arrière, et les membres du Talion s’esquivèrent de la ligne de feu dans une coordination longuement pratiquée.

Le canon de poids royal projeta une gerbe de fer sur l’unique boucanier ennemi restant, le mettant en pièce. L’épave déchiquetée traversa les mercariens massés, laissant une large tache rouge sur le pont. Shae aperçut pour la dernière fois le visage rougeaud de Kiroff l’instant avant qu’il ne disparaisse dans une grêle de sang et de fer.

Phinneus se releva d’un bond, les oreilles bourdonnant toujours si fort qu’il entendait à peine ses propres ordres. « Posez les armes, ou par Morrow, on vous tue ! »

Observant la bouche fumante du Commodore et les lames ensanglantées de l’équipage vengeurs, les fusiliers marins en eurent finalement assez. Les armes claquèrent sur le pont, et le capitaines et les siens levèrent les leurs dans un hurlement de triomphe.

* * *

elric:
« Touché et en sang, mais pas à moitié noyé ». Hawk évalua son capitaine d’un œil scrutateur. « On va devoir vous recoudre, capitaine ».

« Je vais devoir travailler là-dessus ». Shae fléchit sa main gauche qui picotait. Le second tir avait dû toucher un nerf de son épaule. L’hémorragie semblait s’être arrêtée, mais il n’était pas encore sur le point d’enlever son armure pour vérifier. Même si les mercariens avaient jeté leurs armes, Shae soupçonnait qu’une ou deux d’entre eux pouvaient cacher des pistolets de poche, et quelqu’un pourrait penser que tuer un warcaster valait la peine la peine de mourir. Ensuite, il y avait la Faiseuse de Veuve. Personne n’avait vu son corps dans l’eau, mais il pouvait voir à travers les yeux de Tireur d’Élite et de Nancy que plus d’un requin rôdait dans les parages. Peut-être que l’assassine tombé au combat avait été déchiquetée.
« Sécurise toutes leurs armes, Hawk. Grogspar, assigne des équipes de travail pour commencer à nettoyer ce gâchis. Oh, et lancez une empennelle. Je ne veux pas que nous dérivions trop loin ». Tireur d’Élite et Nancy étaient sur le point de remonter à bord, employant leurs grandes ancre comme des grappins improvisés, mais le warjack Rover éteint gisait toujours sur le fond marin. Shae n’allait pas perdre une pièce aussi précieuse.

« Oui, monsieur ! »

« Monsieur Walls ! » Shae scruta la foule à la recherche de maître de quart et le trouva agenouillé devant un chienne de mer mourante. La femme avait été éventrée, mais elle sourit lorsque le vieux pirate dégoûté lui mit une flasque en argent dans la bouche. Shae attendit patiemment pendant que Walls portait la même flasque à sa propre bouche, fermait les yeux de la femme et se levait pour saluer son capitaine.

« Oui, monsieur ! » Walls rangea la flasque et parut un peu embarrassé. Stubs était assis sur son épaule, tordant sa queue avec découragement. « Désolé monsieur. Donny était l’un de l’Exeter, vous savez. Avec nous depuis le début ».

« Je sais, Walls ». Le maître de quart s’était attaché à ceux qui étaient avec eux lors de la mutinerie initiale. Walls en souffrait à chaque fois que l’un d’eux rencontrait une fin prématurée. « J’ai besoin que tu t’occupes des prisonniers. Une fois qu’ils seront sécurisés, fais un inventaire de la cale du Tempête. Cela nous a coûté cher, et je veux savoir si nous nous en sommes assez sortis pour au moins payer les réparations.

« Oui, monsieur ». Walls beugla des ordres à ses compagnons, redevenant un maître de quart bourru.

Doc Killingsworth se frayait un chemin à travers la foule, à la recherche de chiens de mer blessés, un barreau de chaise au coin de la bouche. Le grand homme se pencha vers un mercarien mutilé, secoua la tête et mit fin aux souffrances de l’homme d’un unique coup de son grand couperet. Sahe n’avait pas vu Doc pendant la bataille, mais un certain nombre de couteaux à sa ceinture étaient tachés de rouge.

« Doc ! »

Killingworths leva les yeux et tira une bouffée de son cigare. Son expression demeura inchangée, insensible au sang et à la douleur l’entourant. « Oui, monsieur ? » Il attacha le lourd couperet à sa ceinture, puis vit le sang sur l’armure de son capitaine. « Vous avez une balle dans le corps ? » Il attrapa une paire de pince rouillées.

« Non ! Non, juste une écorchure ». Shae fléchit sa main picotant. Peut-être qu’il avait encore une balle dans l’épaule, mais il attendait de le découvrir plus tard. Il pourrait peut-être demander à Hawk de l’extraire une fois qu’il serait bien éméché. « Je veux savoir combien nous en avons perdu. Il est trop tôt pour être sûr, mais . . . »

« Seulement deux morts dans le combat avec le Rasoir, et six lors de l’abordage, en comptant Donny ». Doc haussa ses massives épaules et secoua la tête. « Une sacrée chance. Beaucoup de chance. Beaucoup de blessés, mais seulement quelques uns qui auront besoin de la scie ». Il avait presque l’air déçu ».

« Si peu . . . » Shae resta bouche bée. Il venait d’éliminer deux chasseurs de pirates et de prendre moins de dix membres de son propre équipage. Il faillit rire.

« Phinneus ! » Rockbottom se redressait avec un sourire si large que ses molaires en or brillaient au soleil. « Quel prise ! Ha ! Il vaut de l’argent et nous l’avons récupéré sans aucun dommage réel ! Félicitations, mon garçon ! »

« Merci, Joln ». Shae accepta la poignée de main du nain et fit un signe de tête à Doc. « Continue, Doc. Si quelqu’un risque d’y passer, fais le savoir. Ils ont tous bien travaillé aujourd’hui, et ils ont besoin de le savoir ».

« Oui, monsieur. Ils le savent ». Doc le surpris en ôtant le cigare de sa bouche et en affichant un large sourire. « Même ceux qui sont morts le savent ».

« Alors, Phinneus, mon garçon ! » Rockbottom lui saisit le bras et l’entraîna vers le château de poupe. « Faisons un tour dans la cabine du capitaine avant que ces gens ne pillent jusqu’à la dernière couronne, et discutons de la meilleure façon de vendre ce merveilleux navire. Je pense que nous pourrions trouver un acheteur à Baie-des-Horlogers, mais nous obtiendrions un meilleur prix si nous l’emmenions au nord ».

« Oh, laisse-les piller un peu ». Shae résista à l’élan du nain. Les chiens de mer avaient rarement la chance de s’emparer d’un navire de ce calibre, et nombre d’entre eux gagneraient leur part grâce à un tel butin. « Nous gagnerons suffisamment avec les rançons et les provisions. D’ailleurs, je n’ai pas encore décidé si je voulais le vendre ».

« Tu quoi ? » Rockbottom resta bouche bée, comme si le capitaine lui avait demandé sa bonne jambe. « Mais Phinneus ! Il vaut un paquet d’argent ! Un demi-million de couronnes au bas mot ! »

« Sans aucun doute ». Il leva les yeux vers le gréement racé et les lignes épurées du Tempête. Il bien taillé, avec plus d’armes que le Talion. Certes, il n’était pas aussi rapide, mais ce n’était pas un escargot.

« Tout est sécurisé, Capitaine ! » Hawk s’approchait à grand pas, nettoyant le reste de sang séché sur l’une de ses lames.

Shae la regarda de la tête au pieds, étonné qu’elle n’ait reçu qu’une égratignure pendant tout le combat.

« Qu’est-ce que j’entends à propos de la vente de ce beau vaisseau ? »

« Oh, Seigneur Rockbottom pense que nous devrions  le faire, mais je ne suis pas . . . »

« Le vendre ? » Walls s’avançaient avec deux bouteilles de vins sous un bras et un tonneau de brandy llaelais sous l’autre. « Vous devez être idiot ! »

Sous le regard de Shae, Walls ses parts volées et sourit. « Oh, je suis venu vous dire, monsieur, que la cale regorge de provisions de premier ordre, et que le garde-manger du capitaine ferait honte à celui d’un amiral ! Tenez ! » Il retira le bouchon de l’une des bouteilles avec ses dents et la tendis. « Il y de l’alcool de qualité là-dessous ! »

Shae regarda la bouteille avec intérêt. «  Vignobles Pont-de-Pierres 462 ! En effet, du bon vin ! » In inclina la bouteille vers l’arrière et laissa le bon millésime laver le goût de la fumée et du sang de sa bouche, puis la tendit à Rockbottom.

Un 462 ? » Les yeux du nain s’écarquillèrent. « Cela se vendrait cent couronnes ! » Il but une gorgée et ses yeux s’écarquillèrent davantage. « Vous dîtes qu’il y en a encore, Monsieur Walls ? »

« Assez pour faire flotter un esquif. J’ai dit aux gars de ne pas y toucher. Mais qu’est-ce que c’est cette histoire de vente ? »

« Oh, le Seigneur Rockbottom pensait que nous devrions le faire, mais je ne sais pas ». Shae arracha la bouteille de la main de Rocbottom et la tendit à Hawk. « J’aime bien l’idée d’une flotte ».

« Vous avez l’intention de porter des épaulettes d’amiral ? » Hawk haussa un sourcil et inclina la bouteille. « Bon sang ! C’est bon ».

Stubs tendit la bouteille en poussant un cri, mais Hawk l’écarta de la portée du primate et la rendit à Rockbottom.

«  Et je continue de penser que tu es fou de ne pas vendre ce navire. Nous pouvons être riches ! »

« Riche ? » Avec un sourire narquois, Walls ouvrit la seconde bouteille de vin et la tendit délibérément à Stubs. Le singe but goulûment, puis hurla et rebondit sur l’épaule du maître de quart. « Nous serons encore plus riche si nous avons deux navires à piller ».

« C’est exactement ce que je pense ». Shae fléchit son épaule douloureuse et jeta un coup d’oeil sur le pont. « Avec la récupération de ce Rover et des autres warjacks naufragés, nous avons encore une cale pleine de marchandises ». Shae accepta la bouteille de Rockbottom et but une gorgée. « Mais je ne sais pas ce qu’il en est des épaulettes d’amiral. Ce fanfaron de Montador a des épaulettes et ça le fait ressembler à une prostituée ».

« Dis-lui ça en face », dit Hawk en riant.

« Capitaine ! » Quinn Corcorian monta sur le pont du Tempête avec Evlyn et Une Oreille Scoriani à la suite. « Vous faites déjà la fête ? »

« Un peu, oui ». Shae tendit la bouteille à l’ingénieure et fit un signe de tête aux autres. « Très beau travail avec le Commodore, Une Oreille. Evlyn, ton timing avec la grue était parfait. Vous avez tous les deux gagné de gros bonus sur ce coup-là ».

« On dirait que tu as créé un peu de désordre à nettoyer, cependant ». Quinn passa la bouteille au cannonier.

Stubs s’empara de la bouteille la plus pleine des mains de Walls et sauta sur l’épaule d’Evlyn.
« Merci Stubs ! » Elle prit la bouteille et but.

« Oh, un beau chaudron de rouspétance ! » Grogspar s’approcha, les regardant avec insistance. « Vous faîtes une petite fête, et vous n’invitez pas le trollkin ! »

« Nous étions justement en train de discuter de notre butin, Grogspar ». Shae prit le tonneau d’eau-de-vie de Walls  et le tendit au bosco. « Et nous gardions ça pour toi, alors n’hésite pas et donne-nous ton avis. Est-ce qu’on le vend ou on le garde ? »

« Vendre ce beau vaisseau ? Ne soyez pas stupide ! » Grogspar ôta le bouchon du tonneau et l’inclina dans sa bouche sans prendre la peine de retirer sa pipe. Il prit deux énormes gorgées sans en renverser une goutte ni s’enflammer, ce qui ne semblait pas une mince affaire. « Ah ! C’est de la bonne gnôle ! »

« Alors, c’est décidé ! Nous gardons le Tempête ! » La déclaration de Shae suscita une nouvelle acclamation de la part de ses officiers – mais pas, remarqua-t-il, de la part su Seigneur Rockbottom. « Oh, sourit, Joln. Nous sommes assez riche ! »

« Tout l’or de la mer ne me rendrait pas assez riche ! » Le nain accepta la bouteille de vin d’Un Oeil et pencha jusqu’à ce quelle soit vide. « Mais je suppose que nous nous en sortirons ».

« Bien ! Maintenant, nous avons du travail. Je veux être sorti du Cimetière à la tombée de la nuit ». Il prit le tonneau d’eau-de-vie de Grogspar et le rendit à Walls. « Grogspar, toi et tes compagnons vous occupez du gréement des deux navires ».

« Nous nous en occupons, monsieur ! » Le trollkin s’en alla.

« Quinn, plonge tes bottes dans l’eau et récupère ce Rover ».

« Oui, capitaine ! »

« Evlyn, veille sur nos ‘jacks. Buck est mort, mais les autres peuvent être réparés. Travaille d’abord sur les systèmes critiques. Peut-être pourrions-nous récupérer un cortex d’une des machines mercariennes pour Buck, même si nous devons d’abord l’effacer.

« Tout de suite, monsieur, mais l’effacement du cortex devra attendre une installation terrestre. Nous n’avons l’équipement nécessaire à bord ». Elle tendit la bouteille de vin et Stubs à Walls.

« C’est vrai. Alors, récupérez ce que vous pouvez. Une Oreille, sécurise les canons de ce navire. S’il est aussi chargé en poudre que l’était le Rasoir, transférez-en dans le magasin du Talion ».

« Très bien, capitaine ».

« Maintenant, vous deux ». Shae se tourna vers son second-capitaine et son maître de quart et les regarda d’un air grave. « Le Tempête va avoir besoin d’un commandant pour le voyage retour vers Bottomton. Je pensais te l’offrir, Hawk, mais je vais te laisser le choix. Si tu ne préfère pas le prendre, je le donnerai à Walls ».

Hawk avait l’air pensif. Elle jeta un coup d’oeil par-dessus son épaule vers la haute dunette du Tempête, et Shae la vit s’imaginer aux commandes de son propre navire, peut-être de façon permanente. Puis elle regarda le Talion, meurtri et abîmé, mais familier, et leur foyer depuis si longtemps.

« Donne-le à Walls ».

« Tu es sûre ? » demanda-t-il, à la fois surpris et satisfait de sa décision ? « Ce serait juste pour le voyage retour à Bottomton. Tu pourras changer d’avis plus tard, et nous pourrons engager quelqu’un d’autre ».

« Non, monsieur, je crois que je préférerais que vous le donniez à Walls ». Elle fit un signe de tête au maître de quart. « Il peut très bien s’en occuper, et j’aime ma cabine sur le Talion ».

« Très bien ». Il la  regarda dans les yeux un instant, et y vit une lueur qui lui donna cette sensation de chaleur dans les tripes qu’il avait déjà ressentie auparavant. Walls était resté judicieusement silencieux et inexpressif tout au long de l’échange. « Commandant Walls, Il est à vous. Prenez Higgens comme maître de quart et maître d’équipage, Tolbert comme second-capitaine et maître d’armes, Grath comme bosco, Wain comme artilleur et Evlyn comme ingénieur. Nous partagerons les chiens de mer pour s’occuper des voiles, mais tu n’en auras pas assez pour s’occuper de tous ses gros canons.

« Merci, monsieur ». Walls inclina son chapeau et s’autorisa un sourire. « Nous n’aurons pas besoin de l’emmener au combat. À moins que ne soyons déroutés par des pirates ou autres ».

« Nous serons à proximité en cas de problème ». Shae lui donna une tape sur l’épaule, et la douleur traversa la sienne sous l’impact. Il réussit à ne pas grimacer. « Bien joué, tous les deux ! »

Ils le remercièrent et le saluèrent.

« Bien ! Maintenant, Hawk, je dois te parler d’un problème à bord du Talion ». Elle le suivit à travers la passerelle improvisée juqu’au Talion, où des chiens de mer étaient occupés à jeter des ordures et des débris par-dessus bord et éponger le sang sur les ponts. « Je suis heureux que tu aies décidé de rester à bord », dit-il en la conduisant à l’arrière, dans la grande cabine. « Refuser un tel commandement . . . »

« Peut-être un jour ». Elle ne prononça rien d’autre et le suivit jusqu’à la porte.

« J’aimerais te demander une faveur ». Il ouvrit les fermoirs de son amure de warcaster et détacha l’épaulière gauche. Des caillots de sang tombèrent au sol lorsqu’il dégagea la plaque. « Je crois que j’ai besoin de toi pour extraire une balle de mon épaule ».

« Phinneus ! » Elle prit un chiffon sur la table et essuya le sang pour examiner la blessure. « Tu devrais laisser Doc regarder ça ».

« Non ! Non. Je préfère que ce soit qui le fasse ». Il regarda le trou dans son épaule et grimaça. « Tes couteaux son plus propres ».

« Je ne peux pas prétendre le contraire ! » Elle sortit un petit stylet de sa botte. « Tu veux quelque chose à ordre ? Cela va faire mal ».

« Tu crois que je veux que tout l’équipage m’entende crier de douleur ? Bon sang, je veux quelque chose à mordre, et quelques verres de cognac en prime ! »

Elle rit et se dirigea vers son coffre à alcool. « Tu sais ce qui va faire le plus mal ? »

« Quoi ? » Il la regarda d’un air méfiant tandis qu’elle lui apportait une bouteille et un verre.

« Tu vas devoir remercier Maître Holt de t’avoir sauver la vie ». Elle lui versa un verre et le lui tendit.

« Oh Morrow, sauvez-moi de ça ! » Il avala le cognac et s’arma de courage.

elric:
ÉPILOGUE

La Faiseuse de Fantômes
Des ongles ensanglantés grattèrent le fer recouvert de bernacles alors que la Faiseuse de Fantômes s’extirpait de la mer. Elle rangea la baïonnette dans le fourreau de sa botte et sortit son précieux fusil d’une flaque de marée peu profonde.

« Pauvre bébé ». Elle débarrassa délicatement un peu d’algues sur la lunette arcanomékanique an essuya l’eau de mer sur la lentille. Il était probable que la vision soit abîmée. Son œil mékanique l’était certainement ; sa vision prothétique était devenue noire à l’instant où elle touchait l’eau. Le chute du nid de pie avait brisé l’objectif et l’eau salée avait envahi son condensateur mécanique.

« Repose-toi ici, Bébé »  Elle posa le lourd fusil sur le côté et vérifia ses blessures. Son épaule ne saignait plus du toit. Ce n’était qu’une égratignure. Le trou béant dans sa jambe, par contre, laissait encore couler un filet de sang cramoisi jusqu’à sa botte. L’hémorragie s’était quelque peu ralentie depuis qu’elle avait noué un morceau de sa chemise autour du trou Le faire tout en essayant de ne pas se noyer et d’empêcher Bébé de sombrer dans les profondeurs avait été un véritable défi. L’éviscération d’un des requins curieux qui s’approchaient d’elle avait donné aux autres quelques chose à mâcher pendant qu’elle nageait jusqu’à l’épave la plus proche.

« Maudit soit ce pistolier jusqu’à l’antre du dragon et retour ! » Il avait gâché son tir, celui qui, elle en était sûre, aurait rempli le contrat. Peu importe que les mercariens aient déjà perdu le combat contre les pirates de Shae. Même s’il n’y avait personne pour confirmer la mort, un contrat restait un contrat.

La Faiseuse de Fantômes s’assit à l’ombre d’une épave ressortant, le reste d’un navire marchand ou d’un navire de guerre perdu depuis longtemps et envoyé pour explorer ce coin maudit de Caen. Elle enleva sa chemise détrempée. Elle la rinça dans une mare d’eau de pluie, puis la coupa méthodiquement en bandes et les suspendit pour les faire sécher. Elle aurait besoin de tissu propre pour s’occuper de Bébé. Elle jeta un nouveau coup d’oeil sous la bandage de sa jambe et hocha la tête. La balle avait traversé la chair et l’eau de mer avait nettoyé la blessure. Elle resserra le bandage de fortune, puis ouvrit la petite pochette scellée à sa ceinture. Le Faiseuse de Fantômes ouvrit sa trousse et passa à l’essentiel.

« Viens ici, pauvre Bébé . . . Maman va s’occuper de toi ».

Avec bien plus de tendresse qu’elle n’en ferait preuve à une créature vivante, la Faiseuse de Fantômes employa les outils spécialisés de sa trousse et brisa le fusil mékanique. La plaque runique en premier, puis le condensateur mécanique, qu’elle ouvrit, rinça avec de l’eau douce provenant d’un autre bassin d’eau de puis plus haut dans l’épave,et l’huila. Elle enleva ensuite la lunette de visée arcanomékanique. Étonnamment, elle n’était pas pleine d’eau de mer et pourrait fonctionner une fois qu’elle l’aurait nettoyée, huilée et remontée. En une heure, il gisait en pièces détachées, huilé et séchant au soleil. Puis elle examina la culasse tordue du fusil. Le tir du pistolero l’avait touché de plein fouet, entaillant la plaque frontale mais pas au bloc lui-même, merci Thamar. Elle retira la plaque frontale et la martela minutieusement sur un morceau de ferraille. Ensuite, elle s’assura que toutes les pièces mobiles du levier et du mécanisme coulissait bien. Le levier opposait une légère résistance et elle soupçonnait que le bloc détente était faussé, mais elle n’avait pas les outils nécessaires pour le réparer. Il tira à sec avec l’arme une fois, juste pour s’assurer que l’actionneur de la goupille n’était pas bloqué, puis elle démonta chaque pièce du mécanisme, nettoyant et huilant chaque ressort, goupille, bloc, levier et plaquant avant de les étendre au soleil sur un chiffon propre.

« Repose-toi maintenant, Bébé ». Elle tapota le bois chaud et poli de la crosse de l’arme et fit tourner un minuscule loquet dans la plaque de couche. « Tu as un petit cadeau pour maman ? »

Elle sortit une fine flasque en argent et dévissa le bouchon. Le parfum de uiske single-malt lui parvint au nez. Elle en versa une mesure dans la plaie de sa jambe, une autre dans l’écorchure de son épaule. Cela piquait, mais cela n’avait pas d’importance. Qu’est-ce que la vie sans douleur ? Elle prit une petite gorgée de cette enivrante liqueur, un goût du foyer où elle ne retournerait jamais, et boucha la flasque.

« Maintenant, au travail ».

Elle remonta la lunette arcanomékanique avec une minutieuse précision. Le moindre grain de sable ou le moindre défaut d’alignement des lentilles la rendrait inutilisable. Chaque petit anneau de laiton, chaque bague filetée et chaque lentille ultrafine furent remit en place. Elle bascula le condensateur mécanique sur le côté et tamponna le minuscule résidu d’huile avant de replacer la plaque de protection, de l’installer sur la lunette et de le remonter. La lunette bourdonna, une faible lueur émanant de son objectif.

La Faiseuse de Fantômes se leva et se fraya un chemin vers un terrain plus élevé, ce qui signifiait escalader l’épave délabrée du navire. Une fois qu’elle fut bien perchée et qu’elle eut une bonne vue d’ensemble, elle porta la lunette arcanomékanique à ses yeux et chercha son adversaire.

Les deux navires avaient levé leurs ancre et naviguait de conserve, le Talion en tête et le Tempête suivant de près derrière, remontant le chenal de marée jusqu’au passage principal traversant le Cimetière. Maintenant, loin au nord, le soleil couchant illuminait leurs voiles comme des drapeaux blancs. Elle fit la mise au point de sa lunette sur le vaisseau qui emportait sa cible. Le retrouver ne serait pas trop difficile, une fois qu’un marchand mercarien l’aurait récupéré. Il y avait du charbon quelque part dans cette épave, et avec la poudre de quelques-unes de ses balles, elle pourrait facilement allumer un feu de signalisation. Elle avait de l’eau fraiche, et une bourrasque passagère lui en apporterait bientôt davantage Pour ce qui est de la nourriture, elle avait la mer. Les crustacés crus n’avaient peut-être as bon goût, mais ils l’empêcheraient de mourir de faim.

« Oui, Phinneus Shae ». Elle regarda les voiles s’amenuiser à l’horizon. « Tu t’en vas. Retourne à ton port d’attache et oublie-moi. Mais je ne t’oublierai pas, et Bébé ne t’oubliera pas, ni toi, ni ton méchant ami pistolier. Elle finira par avoir gain de cause, et moi aussi ». Elle abaissa la lunette arcanomékanique et laissa un mince sourire d’anticipation effleurer ses lèvres. « Un contrat est un contrat, Phinneus Shae, et Bébé aura son dû ».

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