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Messages - elric

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Année bissextile, jour des grenouilles

Le mot du jour est « Fraw ». Découvrez ci-dessous tout ce qui concerne le plus célèbre Croak-Taureau dans Fire Tongue Warriors Insider ! Et attendez la seconde partie de cet article le mardi 29 février 2028 !

Guerriers à la Langue en Feu

Peu de personnes dans les Royaumes d’Acier savent que les Croaks ayant élu domicile dans les marais orientaux ne sont qu’une des nombreuses races de leur espèce. Au sein des Îles de l’Échines Brisée, à l’est, on trouve des dizaines d’espèces différentes. Parmi les plus robustes physiquement figure les Croaks-Taureau, un sous-groupe de croaks connus pour leurs prouesses physiques.

Les Croaks-Taureau ne sont pas communs dans l’Immoren occidental en raison de leurs prouesses au combat. Tandis que d’autres croaks ont été pris comme esclaves par l’Empire Skorne et amenés en occident, les Croaks-Taureau ont réussi à repousser les esclavagistes à maintes reprises. Plutôt que de sacrifier leurs vies, les skornes ont silencieusement accepté de laisser tranquilles les îles habitées par les Croaks-Taureau, préférant prendre leurs captifs auprès d’autres tribus plus facile à capturer.

Aux yeux des occidentaux, le mode de guerre des Croaks-Taureau semble n’être dictée que par la sauvagerie tribales, mais c’est loin d’être vrai. Ils abordent le combat à travers un ensemble hautement ritualisé de lois tribales et de tabous culturels. Ils cherchent rarement à éradiquer un ennemi, mais plutôt à obtenir la réparation d’un tort ou à organiser un coup d’état contre un ennemi/ Cette période est néanmoins marquée par des combats sanglants et brutaux, et ceux qui affrontent les Croaks-Taureau ne sont pas prêts d’oublier cette expérience.



Les plus grands guerriers parmi les Croaks-Taureau sont les Guerriers à la Langue en Feu, dont on dit qu’ils descendent du héros Frawb, qui fut le premier croak à apprivoiser le feu.

Les trollkin des Kriels du Sud rencontrèrent les Langues en Feu peu de temps après s’être installés en Alchiere. Le sous-continent est un terrain de chasse traditionnel des Langues en Feu depuis des siècles. Les groupes de chasseurs quittent leurs îles en pirogue pour prélever l’abondant gibier et la générosité naturelle que les jungles d’Alchiere ont à offrir. La rencontre de ces deux cultures fut inattendue, et au départ, il y eut des tensions entre elles. Les Langues en Feu ont eu des rencontres limitées avec des cultures autres que les skorne, qu’ils ont chassés de leurs îles, et soupçonnent les trollkin d’avoir la même tendance, mais les soins de la part des dirigeants des Kriels du Sud ont permis à un respect mutuel de s’épanouir.

Cracheurs de Feu

Les îles habitées par les tribus Croaks-Taureau  sont riches en gisements de schiste bitumineux. Les Langues en Feu distillent un puissant naphte à partir du schiste, qu’ils emploient à la fois dans leurs rituels et dans leurs guerres. Les cracheurs de feu sont des membres désignés d’une tribu exécutant d’élaborées danses du feu les jours d’importance religieuse, mais ils sont également la base d’un groupe de guerre de la Langue en Feu. Portant sur leur dos des réservoirs en bois sculpté, les cracheurs de feu utilisent leur longue langue préhensible pour récupérer des boules de naphtes qu’ils lancent à travers les torches qu’ils transportent, enflammant les projectiles sur leur chemin vers une cible.



Chamans de la Langue en Feu

Menant les cracheurs de feu dans des danses rituelles, les chamans de la Langue en Feu maîtrisent la puissante magie des croaks. Chaque chaman porte un masque Te représentant Frawb, l’ancêtre des Croaks-Taureau, considéré comme le premier des croaks jamais créé. Chaque masque représente une étape différente de la vie de Frawb, depuis sa création jusqu’à son apprivoisement du feu, sa création du canoë et ses voyages dans les Îles de l’Échine Brisée pour fonder chacune des tribus Croak-Taureau originales.

Chaque masque Te est une relique sacrée, transmise de génération en génération. Les Croaks-Taureau pensent qu’une partie de l’esprit de chaque porteur est conservée dans le masque du chaman, ce qui en fait une gestalt des centaines d’âmes qui l’ont portent lors de rituels et de combats. Les chamans parlent aux esprits de leurs Te et leur requièrent pour obtenir la sagesse, tout comme la tribu se tourner vers le chaman.

Gardiens du Feu

Au coeur de chaque village de Langue en Feu se trouvant un grand gardien du feu, un totem en pierre que la tribu conserve enflammé jour et nuit. Les chamans accomplissent cérémonieusement le réservoir du gardien du feu dans le cadre de leurs fonctions sacrées, car les flammes que le gardien protège sont censées avoir été allumées par le héros Frawb lorsqu’il a visité leur île pour la première fois.



La flamme sacrée est au coeur de la vie de la Langue en Feu. Chaque torche et feu de cuisine du village sont tirés de cette flamme, tout comme les flammes des guerriers de la tribu. Il relie à la fois symboliquement et littéralement les membres de la tribu. Chaque fois que les Langues en Feu établisse un nouveau village ou visitent une nouvelle terre, l’un des chamans de la tribu est censé construire un gardien du feu. La flamme est transportée sur l’eau dans des canoës sacrés dont l’équipage est composé des membres les plus prestigieux de la tribu.

La significations rituelle d’un gardien du feu lui confère une sorte d’énergie arcanique résonnante, ce qui n’est pas sans rappeler les pierres de kriel des trollkin. Les gardiens du feu ayant été employé au cours de rituel pendant des générations commandent leurs propres puissanes énergies, pouvant gêner les ennemis des Langues en Feu au combat. Les groupes de guerre amènent parfois un gardien du feu sur le champ de bataille, car le soutien arcanique qu’il offre dépasse de loin la difficulté d’en transporter un – tout en maintenant sa flamme allumée, qui plus est.



La construction d’un gardien du feu à la forteresse de Tolok a été supervisée par Mawga’Bawza, cimentant l’alliance entre les trollkin méridionaux et leurs nouveaux alliés.

L’Art de la Guerre (Danse)

La guerre menées par les Croaks-Taureau sont empreintes de rituels. La nuit précédant le départ d’une groupe de guerriers dans leurs canoës, il se tourne vers la cadeau de Frawb, la flamme. Les guerriers dansent autour des gardiens du feu de la tribu. En commençant par les chamanes, chaque membre du groupe de guerre enflamme son arme à partir de la flamme commune. Les membres de l’équipe de guerre de la Langue en Feu doivent garder leurs armes allumées pendant ce rituel jusqu’à la fin de la bataille. Permettre à un guerrier d’éteindre son feu est une souillure sur un guerrier, et cela est souvent fait parmi les tribus rivales des Langue en Feu pour faire honte à leurs guerriers.



L’extinction de la flamme n’est acceptable que pour indiquer la cessation des hostilités. Le chef de guerre Bagadibawm éteignit ses flammes aux pieds du Chef Madrak Cuirdefer en 614 AR pour mettre fin à la brève hostilité entre leurs peuples.

Source

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Caine se réveilla seul dans sa chambre. On frappait avec insistance à la porte. La lumière du soleil du matin pénétrait par l’interstice de l’épaisse draperie de velours, le frappant dans les yeux alors qu’il remuait.

Gerdie, si c’est toi, il vaudrait mieux que ce soit pour une bonne raison », grommela-t-il.

« Je suis désolé de vous déranger, monsieur. Le baron insiste pour que vous soyez présent au petit déjeuner. Il insiste, monsieur ! » plaida un domestique anonyme de l’autre côté de la porte. Caine regarda d’un air penaud l’espace vide qui avait été laissé sur le matelas et enchevêtrement de draps à ses pieds. Il secoua la tête.

« Ech. Dites-lui que j’arrive », soupira Caine.

* * *

« Comment osez-vous, monsieur ! Comment osez-vous ! », s’écria le baron en frappant la table pour mieux insister. Sa moustache raide s’agitait sur son visage, son expression livide. Un serviteur à ses côtés se pencha pour verser du jus, mais le baron lui fit signe de s’éloigner.

« Je vous assure que ce n’était pas mon idée, baron », répondit Caine en prenant la tasse de café fumant qu’on lui tendait et en se frottant une tempe. Il n’était pas sûr de vouloir entendre la réponse. Il évitait de regarder la baronne, même si, de son côté, elle semblait se contenter de cueillir délicatement des fruits dans un bol de fruits devant elle. Elle était radieuse dans une robe de velours d’un vert profond.

« Vous voulez me faire croire que vous n’êtes pas responsable ici ?! »

Caine haussa un sourcil et observa son café.

« Je ne suis pas sûr de comprendre… »

« Ces incessantes escortes, monsieur ! Je ne suis pas prisonnier et mes actes ne sont pas suspects ! Vos hommes suivent chacun de mes pas au-delà des portes. Ils refusent de me laisser tranquille. Ils prétendent toujours agir sur vos ordres. Je vous le dis maintenant, monsieur, ça va s’arrêter ! »

Caine posa son café, sur le point de présenter sa défense lorsqu’il réalisa ce que le baron avait dit. De sa place à table, la baronne plaça une serviette sur ses genoux et lui sourit gentiment.

Prenant une inspiration il recommença. « Baron, nous sommes seulement là pour vous protéger. Jusqu’à ce que… »

Cela. Va. S’arrêter », répéta le baron.

« N’y a-t-il rien d’autre que je puisse offrir ici ? Demanda timidement la baronne, une fraise s’attardant sur sa lèvre pendant qu’elle parlait. Caine cligna des yeux puis jeta un coup d’oeil sur le regard noir de son mari. Il s’aperçut qu’il était sur le point de rire. Alarmé, il l’étouffa avec une quinte de toux improvisée.

« Je… kaff… je n’ai pas d’appétit pour le moment, madame. Peut-être… kaff… plus tard. Caine se frappa la poitrine, les yeux larmoyants.

« Notre cuisine vous est toujours ouverte, capitaine. S’il vous plaît, profitez-en comme vous le souhaitez. Elle sourit en avalant sa fraise.

Le baron fronça les sourcils, impatient. « Par pitié, Sarah ! C’est un adulte et il peut profiter de votre garde-manger quand il le souhaite ! Maintenant, capitaine. Votre parole. Je l’aurai ! »

« Concernant ? » gloussa Caine, essayant de se concentrer à nouveau.

« Les escortes, monsieur ! » grogna le baron.

« Je n’ai pas… oh… c’est vrai. Il n’y aura plus d’escortes. Vous avez ma parole ».

Le repas fut interrompu par l’irruption de Gerdie dans la salle à manger. Faisant un signe de tête au baron et à la baronne, l’adjudant de Caine arriva à bout de souffle à ses côtés.

« Monsieur, les rangers sont revenus d’une patrouille nocturne. Ils ont trouvé un camp de mercenaires ». murmura-t-il à l’oreille de Caine, observant le visage rougi du baron avec un sourire bienveillant. Caine acquiesça, jetant sa serviette sur son assiette.

« Je vais prendre congé maintenant, baron. Il semble que nous ayons un… développement ».

Il repoussa sa chaise et se leva. Alors que lui et son adjudant se dirigeait vers la porte, Gerdie jeta un coup d’oeil par-dessus son épaule en direction du noble en colère. « Monsieur, vous ai-je bien
entendu ? Nous devons mettre fin à la surveillance de Malsham ? »

Caine sourit cruellement en secouant la tête. « Non, mais nous manquerons pas de lui faire croier que nous l’avons fait ».

* * *

Sur le surdimensionné établi en bois de la remise, les sergents de Caine étaient rassemblés en demi-cercle, les bras croisés et le visage sévère. Le sergent Reevan, toujours en tenue de camouflage, s’approcha du banc, après quoi une grande carte fut déployée. Traînant un doigt du domaine du baron vers le marais de Brillig, il tapota une référence de grille.

« Les mercenaires sont là, monsieur. Ils sont enfouis aussi profondément qu’une tique, c’est certain. Nous sommes passés par là auparavant et nous avons manqué, c’est vrai. Ils se font aussi discrets qu’un groupe de cette taille puisse l’être.

« À quoi avons-nous affaire ? » Caine se grattait le menton et regardait la carte. Il vit que le camp n’était qu’à quelques heures de marche à l’est du domaine, au mieux, et assez proche du Fleuve Noir pour se redéployer rapidement s’ils le souhaitent.

« Je ne suis pas sûr de l’affiliation, mais il s’agit bien de mercenaire. Un bon nombre d’entre eux. Disons, une compagnie en sous-effectif. Je compte deux, peut-être Mules prêtes à partir, et quelques autres sur le banc. Fusiliers, piquiers, les suspects habituels, et bien approvisionnés, c’est certain. Je n’ai pas vu leur chef ». Un faible murmure parcouru parmi les sergents tandis qu’ils examinaient le rapport de Reevan. Aucun d’entre eux n’avait manqué de remarquer qu’ils étaient en infériorité numérique.

« Vos ordres, monsieur ? » demanda Gerdie en levant les yeux de la carte, l’expression sobre.

« Je pense que nous devrions leur rendre visite ce soir ».

Les officiers le fixaient depuis l’autre côté de la table.

« Répétez, monsieur ? » demanda Gerdie.

« Juste moi et les rangers. Le reste d’entre vous reste en retrait, pour l’instant. Je ne veux pas de combat. Je veux juste voir ce qu’ils pourraient donner en négociant ».

« N’est-ce pas risqué, monsieur ? »

Caine haussa les épaules. « Doucement, Gerdie. Tu vas découvrir que j’ai toujours un atout dans ma manche ».

* * *

Dans l’ombre de l’écurie, quelque chose bougea. Quelque chose d’énorme. Elle soufflait de la vapeur et chuchotait avec un grincement de fer. Caine vit les braises de ses yeux le fixer alors qu’il entrait et sourit. Le mékanicien le plus âgé, Ewan, s’agitait sur son banc, fatigué, mais travaillant avec acharnement sur le châssis d’un avant-bas métallique. Aidé par deux de ses gobbers, il mettait en place un collecteur sur le membre. Au bruit des pas de Caine, le mékanicien se retourna. Faisant glisser ses lunettes sur le sommet de son crâne chauve, il révéla de lourdes poches sous ses yeux.

« C’est prêt, Ewan ? » demanda Caine, un pouce en direction de la carcasse dans l’ombre.

Le mékanicien essuya la suie de sa joue et passa le bras à ses gobbers. Ceux-ci commencèrent à alimenter en munitions le canon monté sur la coque dans l’ombre. Ewan le regarda puis le retourna vers Caine avec un signe de tête.

« Oui, monsieur. C’est un objet rare, celui-là ».

Le mékanicien appela l’ombre aux yeux rouges, et elle répondit avec un sifflement de vapeur. Dans la lumière de la lampe baissée, il fit son premier pas. Puis un autre. La bosse dans son dos métallique grossissait la tête et les épaules par-dessus Caine, même si ses yeux rouges étaient à sa hauteur. Il siffla de la vapeur par ses évents et s’arrêta avec précaution. Il tenait une hache avec son bras nouvellement attaché, tandis que l’autre était un canon long d’un modèle que Caine n’avait jamais vu. La silhouette élancée de cette bête lui étaient d’ailleurs totalement inconnus. Conformément à la nature secrète de la mission de Caine, elle avait été peinte d’un noir terne et l’insigne traditionnel de Cygnar était absent de ses épaulettes. Le menton pointu de son visage donnait l’apparence d’un oiseau de proie, si seulement il avait été doté d’ailes métalliques assorties.

À la base de l’unique cheminée située à l’arrière, une sorte de dispositif arcanique avait été monté. En apparence, il était similaire aux arcs nodaux dont certains warjacks étaient équipés, ceux-ci étant des mékaniques dérivées pour augmenter la sorcellerie du warcaster qui le
contrôlait. Cet appareil n’était pas tout à fait le même. Caine le regarda perplexe.

« Ils l’appellent le parapluie », déclara Ewan.

Caine pencha la tête, jetant un coup d’oeil au mékano.

« Enclenchez-le, et vous verrez que cette imposante chose disparaîtra presque. Approchez-vous suffisamment, et le parapluie vous protégera également. C’est une protection pratique contre les regards indiscrets, c’et ce qu’on m’a dit. Ce sera le premier essai sur le terrain », gloussa le mékanicien, à la grande consternation de Caine. « Comme on vous l’a peut-être dit, cette arme s’appelle une Longue-arme. Il peut percer un trou dans une plaque de fer de dix centimètres d’épaisseur à une distance équivalent à celle de deux locomotives mises bout à bout ».
Caine siffla en signe d’appréciation.

Souriant, Exan jeta son chiffon. « J’ai pensé que vous aimeriez ça. Alors, vous êtes prêt ? »

Caine hocha la tête et inspira. L’empreinte d’un warjack permettait d’établir un lien mental entre le warcaster et la machine. C’était aussi une épreuve. Imprégner un ‘jack, c’était voir à travers ses yeux et ressentir ses pensées. Aussi simples que de telles pensées puissent être, étant donné qu’elles n’étaient qu’un fac-similé basique et ensorcelée d’une conscience, certains warjacks présentaient une personnalité plus forte que d’autres. Cela pouvait être accablant. Caine en était venu à voir cela comme monter un cheval inconnu ; on ne savait jamais à quoi s’attendre, et se faire repousser n’était exclu.

Ewan s’approcha de la bête métallique et la mit à genoux avec al poignée d’accès près de son cou. Les yeux brillants ne s’éloignèrent pas de Caine alors qu’Ewan tirait, mais la machine ne résista pas non plus. Alors qu’il ouvrait l’épaulière, le mékanicien passa la main pour déverrouiller un verrou intérieur. Dans de la chambre blindée qu’il avait ouverte, Caine s’aperçut un orbe d’acier trempé. Connu sous le nom de cortex, il s’agissait de l’esprit de la bête. À l’intérieur, il l’attendait. Caine tendit son esprit et posa la main…

Sombre. Froid. Néant. Caine se retrouva à flotter dans le vide. Il tourna sur lui-même par sa seule volonté, jetant des coups d’oeil d’un côté à l’autre.



Un point lumineux singulier. Il donna un coup de pied pour se stabiliser, s’efforçant de garder la lumière en vue. Lentement, il s’avança. Alors qu’il s’approchait de la lumière, il perçut les ténèbres se concentrer autour de lui. Une convergence de volonté pure dans le non-espace commença à se former, telle de la fumée, découpée par la croissante lumière devant lui. La forme commença à prendre l’aspect d’un homme. Il vit qu’elle allait jusqu’à imiter son vêtement, jusqu’à ce qu’elle devienne le miroir de sa propre ombre.

Il força l’ombre à lui céder la lumière. Elle ne le fit pas. Il sentit de la défiance, ou peut-être de la curiosité ? L’ombre le mettait-elle à l’épreuve ? L’ombre était si audacieuse, même qu’elle refusa. La forme éthérée de Caine s’enfonça et lutta pour avancer. Une fois de plus, l’ombre résista, le gardant à l’écart de la lumière. La volonté était son seul muscle ici, et avec tout ce qu’il avait, il s’élança. Il bondit en avant, se préparant à l’impact. Au lieu de cela, l’ombre disparut. Il s’écrasa contre la lumière, surpris.

La lumière était en fait une fenêtre flottant dans le néant de cet endroit. Il la contempla et vit Ewan. Là, debout devant la fenêtre sur un lit de paille, le vieil homme l’observait, les mains sur les hanches, alors que lui-même était hors de vue. L’homme lui paraissait étranger, une caricature étrange, de travers et déformée. Avec effort, il fit pivoter la vue de la fenêtre jusqu’à ce qu’il puisse voir son propre corps. Sous la fenêtre, son bras dépassait la ligne de mire. Il vit son propre visage déformé par l’effort. Il essaya de se concentrer dessus… jusqu’à ce que…

Caine cligna les yeux. Il regarda le mékano, les yeux écarquillés.

« Celui-ci est plein de malice », dit-il, essoufflé, et il retira sa main de la chambre du cortex. Fixant ses lunettes sur joues noires de suie, Ewan tapota la bête en métal et ferma la trappe.

« D’accord. Il a un nom, alors ? »

Caine acquiesça.

« Ace ».

* * *

Alors que le soleil parcourait un ciel sans nuage, une brise fraîche soufflait du lac. Caine laissa sa veste ouverte à la fraîcheur, tandis que la sueur ruisselait sur son front. Reevan et son équipe avançaient telles des ombres rapides comme le vent sur le terrain accidenté. Ace trottinait derrière lui d’une démarche proche de celle d’un primate, taillant parfois les broussailles avec sa large hache. La cheminée du warjack crachait de temps à autre une fumée noire et fuligineuse, seul signe que le bête s’efforçait de suivre le rythme. Caine s’émerveillait de voir quelque chose d’aussi grand se déplacer d’une manière si étrangement silencieuse.

Devant lui, d’un geste de la main Reevan fit signe de s’arrêter et se retourna pour observer la progression de Caine. Il l’avait fait à plusieurs reprises, et s’il ne s’était ni plaint ni réprimandé Caine, il avait à chaque fois accueilli Caine avec un sourire narquois qui en disait long. Il était temps d’équilibrer les choses. Exploitant son pouvoir inné, l’espace se plia autour de lui à mi-parcours, et il apparut cette fois devant le sergent qui l’attendait. Achevant sa foulée, il jeta un coup d’oeil à Reevan. Le sergent ranger, cependant, lui rendit son sourire narquois en fronçant les sourcils et lui fit signe de revenir.

« Nous sommes ici, monsieur », prononça Reevan à voix basse, tandis que Caine reculait. Il désigna une clairière dans les arbres à leur droite. Caine se tourna vers son nouveau warjack et lui ordonna de rester en retrait. Ace obéit, se faufilant dans un bosquet d’arbres. Une fois à l’intérieur, il disparut complètement.

« Vous et vos hommes, restez sur place. Je veux parler seul à leur chef. S’ils sont effrayés, je ne devrais pas avoir de difficulté à m’en sortir, mais n’hésitez pas à me couvrir. Cela vaut aussi pour toi, pensa-t-il à Ace. Le bête de métal acquiesça en chambrant silencieusement un projectile dans la culasse de Longue-arme.

Caine regarda par-dessus l’épaule de Reevan, voyant le camp de mercenaires pour la première fois. Les mercenaires étaient bien disciplinés et déterminés à rester cacher. L’absence de feux de camp et de bruyantes discussions entre les hommes, comme c’est le cas dans une armée bien campée. Ces hommes se déplaçaient en silence, munis de lanternes sourdes. La lumière était perçue qu’occasionnellement, lorsque les rabats des tentes s’ouvraient momentanément, au gré des allées et venues de leurs occupants.

Dans cette cachette, Caine s’avança, l’arme dans son étui. Avec une respiration, il s’arrêta et ferma les yeux. Il écouta. Il pouvait entendre les pas des soldats allant et venant ou qui parlaient dans leurs tentes. Ouvrant à nouveau les yeux, il regarda la lumière pâle de la lumière de la lune sur une rangée de tentes. Avançant prudemment afin d’éviter les brindilles, il suivit la rangée. Là, au bout de la rangée, une tente plus grande parmi les autres. Sûrement les quartiers du commandant.

En se rapprochant, il entendit une conversation animée à l’intérieur. Un homme et une femme se disputaient. Il fit une pause, écoutant.

« ...aujourd’hui encore, il ne vient pas. Nous devrions envisager... » Le voix de la femme semblait fatiguée.

« Quoi ? Vous voulez que nous partions, Lily ? » répondit l’homme, sa voix épaisse, avec un accent caspien.

« Cela fait maintenant une semaine que nous ne percevons plus de salaire, père. Les hommes sont de plus en plus agités d’heure en heure. S’il ne vient pas à nous, pourquoi ne pas aller à lui ? »

« Tu sais bien que cela va à l’encontre des termes du contrat… »

« Père », supplia la voix de la femme. C’est un contrat qu’il a déjà rompu. Laissez-le renégocier à… attendez… c’est… ? »

« Discutons-en plus tard. J’ai envoyé chercher Luthor. Il s’approche, c’est le plus plausible ».
Caine entendit des pas à proximité. Il remarqua des ombres se déplacer au clair de lune, une patrouille en approche. Tant pis pour ça, pensa-t-il. Il sortit de l’ombre en entendant le dernier des soldats passer.

« salut ! » cria-t-il

Les hommes se retournèrent, cherchant leurs fusils. Caine leur fit signe de s’arrêter.

« Doucement. Je veux juste parler au responsable ».

* * *

5
PARTIE DEUX

Quatre jours Plutôt
596 AR, Printemps ; Fort Nordgarde


« Alors, qu’est-ce que ce sera cette fois-ci ? » Caine souriait devant une assiette fumante de mouton et de pomme de terre. « Dois-je tenir un registre des trains ? Peut-être noter le temps qu’il fait ? »

De l’autre côté de la table du wagon-restaurant privé, Rebald ne s’amusait pas. Derrière les rideaux de velours tirés, le monde défilait dans un cliquetis.

« Je ne pense pas », répondit froidement le commandant en chef, tranchant son mouton avec une fourchette et un couteau. « Il y a un complot visant à renverser le Roi Leto, capitaine. Je m’attends à ce que vous y mettiez un terme ».

Caine toussa, son dîner s’était coincé dans sa gorge. Rebald embrocha un autre morceau de mouton et le porta délicatement à sa bouche, ses yeux brillants tandis qu’il regardait Caine reprendre son souffle. « Un changement est toujours une chose dangereuse. Pour certains, cela apporte la prospérité, pour d’autres, la ruine. Ceux qui ont bien réussi sous Vinter craignent désormais pour leur avenir sous Leto. Malheureusement, cela les a conduits à prendre des décisions, dirons-nous, insensées ». Rebald perça le mouton et commença à la découper avec force, tranchant une bande de graisse. « Ces décisions nous ont obligés à agir ».

« De qui parlons-nous exactement ? » demanda Caine en essuyant ses larmes.

« Les nobles, bien sûr », répondit Rebald en posant sa fourchette. Il désigna d’un geste la carte déployée entre eux. « Ils rassemblent des forces ici, ici et ici. En tout cas, c’est ce que nous savons ». Rebald se tamponna la bouche avec une serviette.

Prenant une gorgée de vin, le chef des services secrets observa Caine avec curiosité. « Nous ne savons pas ce qu’ils comptent faire de ces non-partisans, mais pour le moment, ils semblent se contenter de semer la peur. Vraisemblablement, cela leur permet d’obtenir le soutien des citoyens. La seule chose certaine, c’est qu’ils veulent se débarrasser de Leto ».

Caine haussa les épaules. « Je pense que je pourrais comprendre cela, les circonstances étant ce qu’elles sont. Il a abrogé des accords commerciaux de longue date, nommé de nouveaux délégués commerciaux. Il a renversé la hiérarchie ».

Rebald hocha la tête, faisant tournoyer le vin dans son verre. « Oui, ne serait-ce que pour éliminer les pommes pourries. Le problème ici n’est pas le mécontentement que son ascension a provoqué. Avec suffisamment de temps, Leto aurait peut-être commencé à gagner leur confiance, l’un après l’autre. Ainsi, il aurait réduit l’influence des dissidents restants. Le problème est qu’il n’aura pas ce temps. Les nobles ont réussi, d’une manière d’une autre, à générer un important capital pour son éviction. Trop, trop tôt. Comme vous le voyez sur la carte, ils en ont déjà assez pour créer une menace crédible pour la sécurité de Leto ». Rebald observa la réaction de Caine, sans sourciller.

« C’est vrai. Ils se font donc aider », marmonna Caine en se frottant le menton. « J’ai l’impression que c’est là que j’interviens dans votre grand plan ».

« En effet, capitaine ». Rebald parcourut la carte du regard, son doit se posant sur Merywyn, la capitale du Llael. « Nous avons un informateur. Kreel. Il a identifié le mystérieux bienfaiteur de notre noble. Un certain Thaddeus Montague, trésorier royal du Roi Rynnard de Llael. Vous remarquerez que le domaine du Baron Malsham se trouve juste au sud de la frontière de Llael, et de Merywyn elle-même. Cela impliquerait certainement le baron dans le complot, même s’il faut pour le moment sauver les apparences. Une fois que vous serez déployés sur son domaine, vous garderez un œil sur ses affaires sous couverte de protection. Pendant ce temps, je veux que vous infiltriez Merywyn et que vous rencontriez cet informateur ».

« Je ne comprends pas. Vous voulez que je garde un baron et que je sorte en douce ensuite pour discuter avec ce Kreel ? »

« Vous allez là-bas pour tuer, Caine », corrigea Rebald. « Pendant que votre détachement fera preuve de bonne foi envers nos nobles, vous infiltrerez Merywyn pour couper la tête du serpent. Par l’intermédiaire de Kreel, vous parviendrez à ce trésorier. Interrogez-le. Apprenez ses motivations si possible, mais tuez-le de toute façon ».

« Pourquoi moi, Rebald ? Vous n’avez pas suffisamment d’assassins à votre disposition pour de telles choses ? » Caine se gratta le menton, jetant un coup d’oeil distrait à la carte.

« D’après Kreel, Montague est bien gardé. Et pourtant, ce n’est que la moitié du problème ». Rebald sirota son vin. « Il y a… des complications que je pense que vous êtes bien placé pour gérer. Comprenez que nous vivons une période délicate entre notre nation et le Llael. Bien qu’ils soient toujours officiellement nos alliés, il n’y a qu’une seule chose que le Roi Rynnard craint plus que la racine de réglisse, et c’est le Roi Leto ».

« Je ne comprends pas », Caine secoua la tête. Reblad leva les yeux de sa carte, irrité.

« Le régime de la nation la plus puissante de l’Immoren occidental est renversé à sa porte, et vous ne voyez pas en que cela pourrait inquiéter Rynnard ? » demanda doucement Rebald, mais Caine secoua simplement la tête.

« Je comprends cette partie. Qu’est-ce que vous voulez dire à propos de cette foutue réglisse ? »

Rebald haussa les épaules. « Il est de notoriété publique que Rynnard tombe gravement malade à la moindre saveur ». Rebald tapota la carte pour se recentrer. « Maintenant, comme j’y arrivais, il est impératif que vous ne soyez pas arrêté ou identifié. Un agent cygnaréen découvert en train d’assassiner un courtisan royal ne serait rien de moins qu’un désastre. Sur ce point, je crois que j’ai le meilleur homme pour ce travail ». Rebald, toujours absorbé par la carte, traça une ligne à travers la frontière de Llael. « Vous voyez, alors que les relations diplomatiques semblent se poursuivre normalement, Rynnard n’a cessé d’augmenter les patrouilles frontalières. Il est même allé jusqu’à mobiliser des forces dans le sud ces derniers mois. Juste au nord de la frontière, il a fortifié sa demeure, la capitale de Merywyn. La ville était déjà suffisamment défendable auparavant, le Fleuve Noir servant de fossé à l’est et les murs de la ville créant un épais périmètre de tous les côtés. Récemment, il a doublé la garnison là-bas, et les portiers vérifient méthodiquement les papiers de tous ceux qui s’approchent.

Caine haussa les épaules, indifférent, « Je pourrais me débarrasser de mon armure et me faire passer pour un roturier assez facilement.

« Vous pourriez. Ce serait une affaire triviale de vous forger les papiers nécessaires. N’oubliez pas, cependant, que vous n’avez aucune idée de ce qui vous attend. Les renseignements indiquent que votre cible est bien protégée. Si Kreel a raison sur ce point, entrer sans armure ni armes vous priverait d’un considérable avantage tactique. Est-ce vraiment ce que vous voulez ? »

Caine fronça les sourcils. « Ech. Je suppose que non ».

« Ne pourriez-vous pas simplement vous infiltrer dans la ville depuis les murs extérieurs ? »

Caine secoua la tête. « Je ne maîtrise pas les déplacements vers des endroits que je ne peux pas voir. Je ne sais pas où je finirais si je tentais de telle cascade. Au milieu d’un mur, j’imagine ».

Rebald acquiesça, faisant tournoyer distraitement le vin dans son verre.

« Alors, quelle que soit la façon dont vous vous y prendrez, gagner la ville représentera un défi. Je vous laisse le soin d’élaborer votre propre stratégie, mais si vous souhaitez l’utiliser, j’ai réquisitionné un prototype de warjack qui pourrait s’avérer utile pour une telle occasion ».

Rebald leva son verre, finissant le reste de son vin. De l’autre côté de la table, il étudia Caine.

« Il y a une dernière chose à faire ». Inspirant probablement, il sortit un petit sac de feutre de sa poche. Il le tint un moment, puis le jeta par-dessus la table pour atterrir devant Caine.

« C’est quoi ? » Caine se rassit, regardant le sac comme si une souris les avait rejoints à table.

« Une intuition. Si l’histoire du trésorier ne colle pas, considérez-la comme votre prochaine mission. Sinon, rangez-le au fond de l’une de vos poches et oubliez-le ».

Sans un avertissement, ils purent percevoir le grincement de leur train. Le sifflet à vapeur retentit, annonçant une gare à venir. Hochant la tête, Rebald se leva. « Notre arrêt, capitaine ».

* * *

Trois jours plus tard, Caine s’ennuyait et s’agaçait à parts égales. Quittant sa chaise sur le pont supérieur du navire, il sortit. Alors que les berges du fleuve défilaient lentement, il fouilla dans les poches de son long manteau de cuir à la recherche cigarillo.

Le bateau à vapeur, Katie, avançait péniblement depuis des heures et ils n’étaient pas plus près de leur destination, pour autant qu’il puisse en juger. Ils étaient partis de Nordgarde en cette claire matinée de printemps mais plus ils parcouraient le Fleuve Anguille, plus la journée devenait morne. Le Fleuve Eel était un affluent sinueux du Lac d’Eaux-Aveugles, dans l’extrême nord du Cygnar, et s’enfonçait progressivement dans le bourbier de marécages et de bois couverts de mousse, mieux connu sous le nom de Marais Bloodsmeath. Ici et là, des quais et des débarcadères s’étendaient jusqu’à eux depuis le rivage, avec des maisons sur pilotis nichées juste au-delà de la lisière des arbres, mais plus ils avançaient, plus les colonies devenaient clairsemées. Caine gratta une allumette et tira une longue bouffée sur son cigarillo. Quel genre de personnes pouvait bien vivre dans un endroit I ? Il secoua la tête.

En fin d’après-midi, ils devraient atteindre la rive du lac, au Ponton de Perry. C’est là que son premier commandement débuterait pour de bon. Dans les ponts inférieurs, près de soixante combattants, des munitions, des warjacks et d’autres éléments logistiques avaient été chargés. C’était à lui de les commander et d’en assumer la responsabilité. Alors qu’il faisait rouler la riche fumée de feuille de Hooaga sur sa langue, il trouva l’idée ridicule. Depuis quand gagnait-il sa vie dans la rue ? Les années écoulées s’estompaient dans son esprit telle la fumée de son cigare lorsqu’il expirait, incorporelles et vagues.

« Ah, vous voila, monsieur ».

Une voix familière l’interrompit alors que la porte de la cabine s’ouvrait. Caine fit signe à son adjudant sans prendre la peine de se retourner. L’homme s’approcha en s’étirant et en baillant de fatigue. Tandis que les deux hommes regardaient la paresseuse Anguille, le lieutenant fusilier, un jeune homme au visage encore plus jeune, saisit la rambarde en fer, prenant une profonde inspiration.

« Par Morrow, ça pue ! » s’exclama-t-il.

« Essaye de grandir à côté d’une usine de papier, Gerdie », répondit Caine avec un sourire narquois. Le ponctuel compagnon de voyage de Caine grimaça à cette idée avant de reprendre la parole.

« Le capitaine dit que nous devrions arriver dans les prochaines heures. Tout est sous contrôle pour le moment, alors j’ai pensé que je pourrais vous dire un mot », poursuivit Gerdie.

Caine acquiesça et tira une nouvelle fois sur son cigarillo.

« Eh bien, monsieur, c’est juste que depuis vous avez débarqué à Nordgarde avec ce monsieur, disons, « anonyme » et que vous avez réquisitionné ce détachement ainsi que moi-même, eh bien, vous n’avez pas prononcé grand-chose d’autre que « patrouille frontalière ». Donc, si vous ne me trouvez pas insubordonné, monsieur… »

Caine roula des yeux à la formalité, mais Gerdie poursuivit. « Pourquoi diable nous emmenez-vous dans ce marais puant ».

Pourquoi en effet ? Caine sourit, mesurant sa réponse par rapport à la conversation qu’il avait eue avec le Général en Chef des Éclaireurs quelques jours auparavant.

« Des mercenaires, Gerdie. Ils campent près du Ponton de Perry. Ils sèment la panique dans la région ».

Gerdie arpenta le pont, un froncement de sourcils se dessinant sur son visage. « Pourquoi ? Qu’avons-nous à craindre d’eux, à moins qu’ils ne travaillent pour le Khador ? »

« Nous ne savons pas. Nous ne savons même pas où ils se trouvent. Le fait qu’ils soient là et qu’ils grandissent de jour en jour suffit à inquiéter les nobles. Ils ont mis Leto au défi d’agir. Alors nous voila ». Caine regarda son adjudant déconcerté plissé des yeux et s’appuya contre la rambarde. Son cigare réduit à l’état de mégot, il tira une dernière fois dessus avant de le jeter par-dessus bord.

Gerdie acquiesça. « D’accord. Nos ordres indiquent que nous devons loger chez le Barn Malsham, neveu du Duc de Nord-forêt. Quel est le plan ? Établir un périmètre de défense au domaine ? Patrouiller les hameaux voisins ? Envoyer nos éclaireurs en reconnaissance à longue distance pour voir s’ils peuvent trouver cette ‘menace » ? »

« Ech, c’est à peu près ça, Gerdie Si nous avons de la chance, nous pourrons peut-être aussi découvrir pour qui ils travaillent », répondit Caine en se penchant par-dessus la rambarde. Gerdie haussa un sourcil. « Avec respect, monsieur ? Il nous faudra peut-être un certain temps pour les trouver dans ce bazar ». Gerdie désigna le vaste marécage les entourant.

« C’est vrai. Mais j’ai entendu dire que le Sergent Reevan est un vrai vieux briscard. S’ils sont là, je suis sûr qu’il les trouvera ». Le duo longea la rambarde du bateau, s’approchant de la proue.

« Et le reste des hommes ? Vous attendez-vous vraiment à un combat ici ? » Gerdie regarda par-dessus la proue, l’inquiétude se lisant sur son visage. Devant lui, l’Anguille s’ouvrait enfin largement sur Eaux-Aveugles. Les nuages devant eux donnaient à l’eau libre un aspect gris et froid, et un vent soufflait sur le lac. Caine regarda devant lui et hocha la tête. « Je ne l’exclurais pas ».

Les deux hommes regardèrent le Ponton de Perry apparaître enfin à travers. Ce n’était qu’un petit groupe de bâtiments et de quais, vu de loin, mais il s’agrandissait de seconde en seconde. Même s’il essayait de le minimiser, les enjeux de ce premier commandement commençaient à lui peser. Gerdie le regardait, impassible.

* * *

Alors que les dernières troupes de Caine franchissaient la rampe d’embarquement, Katie siffla. Caine regarda les grandes cheminées du bateau à vapeur souffler avec impatience pendant que la roue de carrier du quai soulevait les caisses des ponts inférieurs. Des caisses en bois émergèrent les unes après les autres, posées délicatement sur le quai. Caine fut émerveillé lorsque la grue produisit trois monstruosités de fer depuis la cale de I. Les yeux de ses machines anthropomorphes étaient fermés, leurs foyers éteints. Des Chargeurs, légers et rapides, il en avait reçu deux, ainsi que le meurtrier au canon lourd, connu sous le nom de Défenseur. Chacun d’entre eux furent soigneusement placé sur de lourdes charrettes tirées par des chevaux de trait pour le voyage à venir. Presque après coup, une caisse singulière émergea au bout du crochet de la grue, remarquable par sa taille et son absence de pochoirs d’identification. Caine se souvint de la mention de Rebald concernant un prototype avec une curiosité croissante.

Gerdie s’occupait de mettre en formation le long des quais bondés, tandis que les ouvriers travaillaient autour d’eux. La voix juvénile de l’officier subalterne était parfaitement capable d’aboyer des ordres d’exercice malgré le vacarme et les hommes s’alignèrent par escouades. La roue de carrier s’éloigna enfin de Katie et sa roue à aube commença à brasser l’eau. Elle poussa un unique irritable sifflement en guise d’adieu. Alors que Caine s’approchait de Gerdie, le jeune adjudant se tourna et salua. Étouffant sa réticence à l’égard des formalités, Caine rendit le salut devant les hommes rassemblés.

« Tout l’équipement et le personnel sont présents et comptés, monsieur. Sur vos ordres, nous sommes prêts à partir ». Caine regarda longuement les rangs d’hommes au garde-à-vous devant lui et inspira profondément. Il vit les fusiliers avec leurs fusils de précisions à l’épaule, puis des pionniers emmitouflés dans de longs manteaux de cuir, et à côtés d’eux, un mélange d’éclaireurs à l’allure dépenaillée. Un habitant s’approcha d’eux, menant deux chevaux gris tachetés par les rênes. Caine prit la bride qui lui était offerte et se mit en selle.

« Allons-y, alors ».

* * *

La nuit tombait lorsque Caine et son cortège atteignirent les portes en fer noir du domaine familial Malsham. L’obscurité couvrait les cieux et une brume humide les avait accompagnés tout au long du chemin.

Le chemin les avait menés à travers une terre traîtresse. Aux abords du Ponton de Perry, la civilisation avait disparu dans un enchevêtrement de bois recouverts de mousse et de marais sans fin. Tout autour d’eux, le terrain était animé par des chants d’oiseaux inconnus et le coassement des grenouilles. Ils finirent par traverser les grandes tourbières de Cear Brynn. Ici, les accotements de l’étroite route étaient bordés de piles de tourbe, dont certaines étaient hautes comme deux hommes. Les tourbières elles-mêmes étaient vivantes, les ouvriers extrayaient la tourbe du sol humide avec une bêche et une pelle. Bizarrement, ils s’étaient arrêtés de travailler pour regarder la longue procession de Caine. Ils lui semblaient bien maussades, mais il ne pouvait guère les blâmer. L’humidité de cet endroit lui faisait dans le dos, et les portes s’ouvrant devant eux n’auraient pas être plus accueillantes. Éperonnant son cheval, il traversa au galop l’ancienne entrée en fer noir.

Le domaine était ancien et bâti sur le meilleur terrain qu’ils aient vu depuis des lieues. Finies les maisons longues en bois sur pilotis du Ponton de Perry, avait disparu au profit d’une construction traditionnelle en pierre et en mortier. Le manoir était élégant même, précédé d’une longue cour paysagée avec des allées en pierre concassées et des arbustes. De même, les quartiers des domestiques, les écuries et d’autres structures du domaine étaient opulents par rapport aux établissements antérieurs de la région. Gerdie poussa son cheval pour rattraper Caine, hochant la tête en direction du manoir. « Eh bien, c’est une belle maison, si les ouaouarons vous beuglent pour dormir la nuit ».

Caine sourit et hocha la tête. En regardant devant lui, il aperçut l’entrée principale du manoir, avec une file de serviteurs rassemblés pour les recevoir. « Installez les hommes pour la nuit. Je vais rencontrer notre hôte ».

Gerdie hocha la tête et emmena son cheval.

Caine se retourna pour voir les lentes charrettes avancer devant les soldats. Gerdie fut rapidement au milieu des choses, se coordonnant avec les serviteurs pour diriger les formations les unes après les autres vers leurs logements. Caine balança une jambe et descendit de cheval, un jeune serviteur en blanc s’avança pour prendre les rênes. Caine tapota le museau de sa jument avant de la laisser emmener.

« Monsieur ? »

Un murmure provint de derrière lui. Caine se retourna. Le Sergent Reevan, un ranger grisonnant et plutôt bâti, enveloppé dans une cape brune grise, le regardait avec circonspection, ressemblant à s’y méprendre à un animal en cage.

« Si cela vous dérange pas, capitaine, es gars et moi aimerions explorer le territoire plus tôt, si vous me suivez ».

« De retour au matin ? Renifla Caine.

« Très certainement. Nous vous ferons un bon rapport des choses, pour disons, un cercle de trois verges ? »

« J’aimerais avoir un œil sur la frontière. On dit que le Llael est verrouillé. Jetez y un coup d’oeil ».

« Très certainement, monsieur ».

À l’entrée du manoir, une dame s’avança, sa longue robe cramoisie arborant un motif floral brodé, encadré par un col et des poignets en reticella. Au sommet de sa tête, de longues tresses auburn étaient coiffées de rubans et son visage était poudré de blanc, comme c’était la mode parmi l’élite de Corvis dans le sud. Elle était une femme aussi belle que Caine pouvait l’imaginer. Alors qu’elle descendait les marches pour le saluer, Caine entendit le sergent rire à côté de lui.

« Même si cela peut vous contrarier, j’ai préparé mon premier rapport de reconnaissance, monsieur ». Celle-là est prise ».

Caine toussa, lançant un regard noir à l’homme. Le sergent recula avec un sourire ironique. Caine s’inclina à l’approche de la Baronne Sarah Fane Malsham, puis lui baisa la main qu’elle lui tendit.

« C’est un grand honneur pour moi de vous accueillir chez moi, Capitaine Caine. Je m’excuse que mon mari, le baron, soit indisposé pour le moment, mais nous serions très heureux si vous pouviez prendre votre repas avec nous ? »

* * *

Caine mangeait sa nourriture, essayant de lui donner un sens. C’était tiède, amer et… non identifiable. Qu’est-ce que c’était ? À l’autre bout de la table longue de six mètres de long, le Baron Ivor Malsham. Il était assis, flanqués de serviteurs, et observait la lutte de Caine avec un mépris à peine voilé. Au milieu de la table, à sa droite, la baronne l’encourageait à goûter le plat blanc et filandreux. Après quelques bouchées, il déglutit difficilement et tendit la main vers la corbeille de pain, dont il saisit plusieurs morceaux.

« Le ris de veau à la sauce à la cardamome et au vin est un mets délicat que peu de cuisiniers en dehors de Llael savent préparer correctement. Cela ne vous convient-il pas ? » renifla le baron en plissant les yeux. Caine regarda la table de long en large, mal à l’aise. Déjà qu’on lui avait demandé d’enlever son armure au profit d’une tenue de soirée. Pis encore, les serviteurs du baron avaient jugé bon de lui fournir des vêtements qui n’étaient pas à sa taille.

Il connaissait le regard qui lui était adressé depuis la table. Il l’avait enduré à plusieurs reprises auparavant, notamment de la part de son propre père. Il serra la mâchoire un instant, essayant de se calmer. La pensée d’un mouvement rapide, d’un pistolet dégainé et d’une balle dans le visage du baron apporta un peu de paix. En conséquence, il se trouva en mesure de produire un sourire sincère.

« Je suis sûr que c’est bon, baron », dit Caine en prenant du pain. Il en déchira un morceau pour le mâcher lentement. Le baron fronçait toujours les sourcils, les yeux rivés sur Caine.

« En vérité, j’ai moi-même trouvé cela désagréable au début », déclara la baronne avec un sourire chaleureux.

Le baron lui lança un regard noir avant de fixer son attention sur sa propre assiette. Caine remarqua que la moustache et la légère barbe de l’homme ne cadraient absolument pas avec son visage en forme de rongeur. Longues et torsadées par la cire, elles s’animaient au fur et à mesure qu’il mâchait. Elles se tortillaient comme si elles avaient l’intention d’échapper à son visage narquois.

Le regard de Caine se porta sur la baronne alors qu’il cherchait du pain. À sa grande surprise, il découvrit qu’elle le regardait déjà avec des yeux d’un vert liquide. Après que le moment se soit prolongé une seconde de trop, ils se retournèrent tous les deux vers leur nourriture avec embarras.

Le baron étudia son assiette comme s’il s’agissait d’un présage. Mâchant pensivement, il leva les yeux vers Caine et déglutit.

« Je suis curieux de savoir ce que vous faites ici capitaine. Votre arrivée ne va pas sans quelques désagréments pour nous ».

Caine but une gorgée de vin. « Je trouve cela étrange, baron. N’est-ce pas vous qui avez demandé au roi d’agir ? N’a-t-il pas répondu à vos demandes ? »

Le baron se moqua. « Demander la sécurité de ses frontières et de ses terres est une chose. Qu’une armée s’abatte sur sa maison en est une autre ».

« S’il te plaît, Yvor. Tu vas offenser notre invité »,intervint la baronne.

Tais-toi et laisse les hommes parler ! » siffla le baron. La baronne baissa les yeux sur son assiette et ne répondit pas.

« Soyez rassuré, baron. Le Roi Leto fait de votre sécurité une priorité. Si loin de la frontière, Nordgarde est à plus d’une journée de cheval. Nous ferions mieux de nous positionner ici, si nous voulons trouver ces maraudeurs dont vous parlez ».

« Suggérez-vous que mes affirmations sont mensongères ? »

Caine cligna des yeux. « Je n’ai rien dit de tel. Pourquoi le demandez-vous ? »

Le baron fronça les sourcils. Avec un sang-froid retrouvé, il s’éclaircit la gorge. « Nous vous accueillerons bien entendu jusqu’à la fin de vos travaux. Cependant, je suis plutôt enclin à ce que cela se fasse rapidement. Les apparences d’un noble sous occupation sont… des plus inconvenantes. Je ne m’attendais pas à ce qu’un roturier tel que vous me comprenne ».

La baronne blêmit, mais se retint de s’exprimer.

« Baron, aussi tentant que cela puisse paraître pour nous deux, je n’irai nulle par tant que le travail ne sera pas fini ».

* * *

Le lendemain, le détachement de Caine fut mis au travail. Les pionniers creusèrent et fortifièrent un périmètre autour du domaine, pis établir des points d’observation le long du nord et du sud de la piste de Serinye. Les rangers effectuèrent des reconnaissances avancées depuis le marais Orgoth jusqu’à Cear Brynn, et presque jusqu’au Ponton de Perry.

Caine mit au point d’honneur à ce que le baron soit accompagné dans ses allées et venues. Lors de deux excursions distinctes, le baron se rendit inutilement au Ponton de Perry. Ses affaires rapidement conclues les deux fois, Gerdie transmit à Caine que le noble semblait prêt à fuir l’escorte. Sur le domaine, le baron se tint à l’écart, évitant Caine et ses hommes autant que possible.

Caine rencontra Reevan après la première nuit, et confirma que le poste à la frontière septentrionale était bien surveillé, mais le ranger vétéran recommanda quelques points par lesquels ont pouvait se faufiler. À quelques reprises, Caine et la baronne se croisèrent alors qu’elle passait du temps du temps à visiter le domaine sur son cheval.

Malgré toute l’activité au sein du domaine, il n’y avait eu aucun signe de mercenaires à l’extérieur. Les soupçons de Gerdie se confirmaient.

La deuxième nuit, Caine prépara un cheval afin d’explorer en personne le chemin vers Merywyn. Au crépuscule, il emprunta la route Turpin vers le nord pendant une lieue. Alors qu’il arrivait en vue de la frontière, il s’écarta du sentier comme Reevan lui avait conseillé. Il trouva les conseils du sergent opportuns. S’arrêtant à l’ombre d’épaisses broussailles, il vit un contingent de soldats llaelais passer en trombe, et d’autres encore s’avancer sur la piste. Devant une telle résistance, il décida qu’il valait mieux de laisser son cheval en arrière et l’attacha dans une clairière isolée. Il traversa le bois pendant une demi-heure avant de rejoindre la route. D’après ses calculs, il avait parcouru une lieue en Llael. À l’approche de sa capitale, il se retrouva à deux reprises dans les broussailles, alors que d’autres soldats parcouraient la route. Caine ne put s’empêcher de penser que le Llael se préparait à quelque chose de grand et semblait effrayé, comme Rebald l’avait dit. Enfin, à portée de lunette de la capitale, il s’arrêta pour observer.

Merywyn projetait des lumières colorées dans le ciel nocturne et ses grands murs se dressaient fièrement au-dessus de la périphérie de forêts anciennes. Derrière la sécurité de ces hauts murs, il pouvait voir des dizaines de hautes flèches s’étirer dans les cieux nocturnes. Les flèches étaient emblématiques de la ville et impressionnantes par leur savoir-faire.

Malgré sa beauté, plus il en voyait, plus il fronçait les sourcils. La ville était inaccessible par l’est, bordée par le Fleuve Noir, et le côté ouest n’avait pas plus meilleure allure. La partie terrestre de la ville était entourée par une clairière d’au moins cent verges de large et, plus inquiétant encore, éclairée par des lampes à gaz. Il pouvait distinguer des patrouilles de gardes le long des remparts de la ville. Les portes de la ville étaient doublement épaisses, et bien qu’il y ait un peu de circulation, il était clair que les gardes surveillaient tous ceux qui entraient ou sortaient, vérifiaient les papiers et tenaient les registres.

« C’est sacrément étanche », cracha-t-il. Il fronça les sourcils, incapables de repérer un point d’approche qui ne soit pas visible par des gardes. Remettant sa lunette dans sa poche, il retourna à son cheval, repassant bientôt en Cygnar.

De retour au domaine, Caine attacha son cheval dans l’écure. Il se dirigea rapidement vers l’allée pour retrouver son chef mékano, Ewan. Le vieil homme était encore à l’oeuvre à une heure avancée de la nuit. Cette partie de l’écurie avait été transformée en atelier de mékanique, avec bancs d’outils et caisses de fournitures. Les trois warjacks de Caine se tenaient en ligne, des chaînes suspendues aux chevrons pour les maintenir en équilibre pendant que leurs fournaises étaient éteintes. De nombreux assistants gobbers bavards rampaient sur les redoutables machines de guerres, effectuant des ajustements avec un assortiment d’outils. Les créatures à la peau verte et à hauteur de taille s’arrêtèrent dans leur tâche et regardèrent Caine entrer.

« Tout vous satisfait, monsieur ? » Ewan fit un geste vers les warjacks. Les gobbers, tout aussi ahuris qu’Ewan, continuaient de fixer Caine. L’effet était paradoxalement comique et troublant à la fois.

« Oh, ne leur prêtez pas attention. Ils ont une courte capacité d’attention. N’est-ce pas, les garçons ? » Ewan gloussa lorsque les créatures répondirent dans un patois indigné avant de retourner à leur travail.

« Je pense qu’il est temps », dit Caine.

« Oh ? »

Caine pointa du doigt la caisse non marquée mise de côté avec le reste des fournitures, puis se tourna vers le mékanicien, les bras croisés.

« Construisez-le ».

Ewan hocha la tête impassiblement, s’essuyant les mains sur un chiffon. Les gobbers, eux, furent ravis. Leurs visages se fendirent d’un rictus et le ton de leur étrange langue monta jusqu’à devenir strident. Ils bondirent sur le sol de l’écurie et se ruèrent sur la caisse, brandissant des barres à mines dans leurs mains vertes et griffues.

Caine sortit, attrapant un cigarillo dans l’une des poches de son pardessus. Avec un soupir, il s’aperçut qu’il ne lui en restait plus que deux. Il en tira un, le passa lentement sous son nez. Il alluma une flamme sous un poteau de lanterne et aspira profondément. Il leva les yeux vers la lune, se détendant un instant dans l’air frais de la nuit.

« C’est un très beau cheval que je vous ai vu monter. Comment s’appelle-t-il ? » La voix de la femme sortit de l’ombre. Caine se retourna, surpris par la silhouette à la lisière des ombres.

« Ils… euh, s’appelle Nessa », répondit Caine en mâchonnant son cigare face à cette compagnie inattendue. Ses yeux s’écarquillèrent lorsque la baronne s’avança dans la lumière. Elle était une vision parfaite, délaissant sa robe de jour pour un simple corsage vert et une jupe blanche. Son maquillage poudré avait disparu, révélant une peau lisse. Ses cheveux auburn tombaient sur ses épaules. Il aperçut une large marque sous les cheveux et grimaça. Embarrassée par sa découverte, elle tressaillit et se détourna.

« On dit que si l’on se marie pour de l’argent, on en gagnera jusqu’au dernier cent », prononça-t-elle faiblement en regardant la lande. Avec une profonde inspiration, elle se retourna enfin. « Il n’y a pas de victime ici, capitaine. Je savais dans quoi je m’embarquais. Vous en avez un autre ? Demanda-t-elle en montrant le cigarillo.

Caine vit l’étendue de l’ecchymose, du cou à la clavicule. Son visage se durcit et il jeta son cigarillo par terre.

« Ce fils de pute… » cracha-t-il, ses pas le menant déjà vers le manoir. Il fit trois pas avant qu’elle ne s’agrippe à son bras.

« Non. Il ne faut pas ! S’il te plaît ! »

Il y avait de la terreur dans ses yeux. Il l’imagina ainsi devant le baron, et a rage s’empara de lui. Il libéra son bras. Elle trébucha contre lui et tomba à genoux.

« S’il te plaît ! » pleura-t-elle.

Caine s’arrêta et se retourna. Il la vit à terre et secoua la tête. S’approchant d’elle, il passa un bras autour d’elle et la soutint. Les larmes coulèrent sur ses joues et elle le regarda avec gratitude. En lui, son sang bouillait, mais remarquant ses lèvres si proches et ses beaux yeux se noyant dans les siens, il fut pris d’une autre impulsion. Il se pencha vers elle et l’embrassa fougueusement sur la bouche.

Elle ne résista pas.

* * *

6
595 AR, Automne ; Frontière Khadoréenne près de Fellig

Caine courait. Vêtu d’une armure ajustée, fin et neuve sous un long manteau, ses jambes gonflées et ses poumons haletant.

Il était désormais un warcaster, du moins c’est ce que proclamaient les galons sur son épaulière. Lieutenant à part entière de l’armée du roi, il commandait désormais au peloton de soldats. Armé de la magie la plus puissante que l’académie puisse enseigner, il avait affiné sa visée stable jusqu’à obtenir une visée létale qu’il pouvait transmettre aux autres, si cela lui était utile. Il pouvait propulser ses balles vers l’avant pour toucher des cibles hors de sa portée ou même vers toute autre qu’il pouvait choisir. Comme Magnus, il avait appris à tordre les ombres autour de lui telle une cape pour empêcher les balles de le trouver. Mais surtout, la magie qu’il avait toujours connue était devenue plus puissante que jamais. Il pouvait lancer des éclairs plus loin et plus nombreux que jamais auparavant, et sa poussée de force s’était transformée en un dévastateur coup de tonnerre de puissance brute.

Cependant, le Lieutenant Allister Caine, le grand et puissant warcaster, courait pour sauver sa vie.

L’obus de bombarde frappa la terre humide à deux pas de Caine, projetant de la terre et le faisant voler avec une onde de choc de force. Il eut du mal à se relever, ses oreilles bourdonnaient. Abasourdi, il chancela et cracha de la terre. Alors que son audition revenait, il réalisa que l’impact n’avait été qu’un de correction. Le sifflement d’autre obus pleuvant au-dessus de lui le ramena à la raison tel des sels. D’un coup d’oeil, il repéra les tranchées du flanc gauche comme son meilleur choix d’abris. À l’intérieur, il put voir les pionniers du troisième peloton échanger des coups de feu à travers le no man’s land.

Ils étaient trop loin.

Cherchant désespérément un abri plus proche, il repéra un creux dans le sol. Il se concentra aussi fort que possible. Incertain de pouvoir s’enfuir à temps, il leva instinctivement un bras pour protéger son visage des obus approchants.

Le monde devint noir autour de lui. Il disparut.

À l’endroit où il s’était tapi une seconde auparavant, l’enfer se déchaîna. Les tirs de plus d’une douzaine de bombardes firent trembler la terre, et se propageant sur le flanc gauche. Les pionniers occupant la ligne hurlèrent bientôt dans le chaos des éclats d’obus et de la surpression.

De son abri, Caine se débarrassa de la terre le recouvrant et leva les yeux vers la crête. À mesure que la fumée se dissipait, elle révélait une vision surréaliste. Le blanc gauche avait dévasté, réduit à une terre labourée. Là où s’était niché un peloton complet, il n’y avait plus que des débris d’armure et les cris des mourants s’estompant. Il en eut le souffle coupé. Depuis son déploiement avec sa première armée, il avait connu son lot d’escarmouches avec les khadoréens. Jamais il ne les avait vus arriver avec telle puissance de feu.

Caine se releva et courut une fois de plus vers le flanc. Il sauta dans un cratère, cherchant à gauche et à droite le moindre signe de vie.

Il était seul.

Un sifflement retentit de l’autre côté du no man’s land. Trois longs coups. Il avait appris bien à les reconnaître. La Garde des Glaces chargeait après trois longs coups de sifflets. En jetant un coup d’oeil dans les fourrés du champ de bataille, il vit leurs ombres avancer. La force de la compagnie. Caine blanchit et regarda vers le centre de la ligne.

Là, les tirs groupés des Défenseurs cygnaréens de son côté se heurtaient aux volées sifflantes de mortiers des bombardes ennemies. Malgré tout cela, son camp semblait trop préoccupé pour s’occuper d’un flanc effondré. Il plissa les yeux face aux éclairs constants des pièces pyrotechniques et repéra ses propres warjacks.

Il avait reçu deux warjacks légers désignés sous le nom de Sentinelles, mais maintenant, alors qu’il en avait besoin, il s’aperçut qu’il les avait devancés pour renforcer le flanc. Ils oeuvraient sans lui, leurs massifs boucliers de fers étant régulièrement bombardés, mais donnant davantage en retour avec le claquement incessant de leurs mitrailleuses. Ils effectuaient des tirs de suppression tandis que les puissants Défenseurs derrière eux crachaient des salves successives ébranlant le sol. Caine regarda les Sentinelles, impuissant. Elles étaient trop loin pour être appelés et lui était trop loin pour se téléporter vers eux.

Allister Caine était seul.

La première vague d’assaut sur le flanc débuta. Les Gardes de Glaces sortirent en hurlant des fourrés, leurs silhouettes étant faciles à repérer grâce à leurs grands manteaux et à leurs chapkas en laine.

D’un étui en cuir ajusté, Caine dégaina deux pistolets brillants. Des Pistolets-Tempêtes. Deux exemplaires uniques, élaborés pour lui et lui seul, des revolvers à long canon, d’une facture exquise brillaient avec un complexe treillages de laiton et d’incrustations de runes amplificatrices de magie. Il les avait nommés Béatrice et Darlene, et les runes sur chacun brillaient à présent d’une lueur blanche à son contact, et il visa.

Le premier cracha, un chatoiement d’un halo de rune sur la bouche, et l’ennemi chargeant le plus proche tomba raide comme une planche ; l’icône de sa chapka transformée en trou fumant. L’autre rugit à son tour, avec une mesure égale de halo runique et de mort. Un autre khadoréen cria, s’agrippant la poitrine. La paire crachait en rapide succession, goûtant du sang à chaque fois, mais l’ennemi continuait à s’approcher.

Caine allait échouer.

C’était comme tirer sur un raz-de-marée. Il n’y avait rien à faire, il abattit trois autres khadoréens, six de plus surgirent par-dessus ceux qui étaient tombés. Une grêle de coup s’abattit sur Caine, et le champ d’énergie de son armure de warcaster s’affaiblit visiblement sous l’effet de la tension. Ils étaient trop proches, trop nombreux. Agenouillé, il cherchait de l’air. Le générateur arcanomékanique dans son dos crachait une fumée noire afin d’empêcher son champ d’énergie de s’effondrer. Béatrice était épuisée, Darlene aussi, quelques instants après. Il n’y avait nulle part où se replier. Un khadoréen hurlant n’était qu’à deux pas, le fer de sa hache dirigé vers le visage de Caine.

Caine ferma les yeux, résigné. D’une unique expiration, il laissa tout tomber. Peur. Colère. Regret. Une seconde devenue toute sa vie. Avec un dernier souffle, il attendit le contact de l’arme.

Elle ne vint pas.

Perplexe, il ouvrit les yeux. La hache était toujours là, peut-être un peu plus près. Mais elle restait là. Caine leva les yeux. La khadoréen hurlant s’était tu, mais son visage guerrier n’était pas moins féroce. Il était immobile comme une statue. Derrière lui, une trentaine de ses camarades étaient tout aussi immobiles.

Caine vit autour de lui un monde dépourvu de couleurs, seulement du gris délavé. Les bruits de la guerre, autrefois assourdissant, n’étaient plus qu’un sifflement sourd de bruit blanc. Un scintillement éthéré flottait langoureusement dans l’air, ses Pistolets-Tempêtes bourdonnaient faiblement. Puis il tilta.

Ce jour-là au stand.

Caine se souvint de ce moment. Sa magie, hier comme aujourd’hui, l’avait amené ici. Un espace entre les secondes, peut-être. Caine rit au spectacle, sa voix résonnant dans cet étrange paysage temporel. Il était incroyable de découvrir un tel pouvoir alors que tout espoir était perdu. Combien de temps avant qu’il ne reflue ? Il ne pouvait pas le prédire. Cela n’avait pas d’importance.

Il en profiterait au maximum.

Il cassa ses Pistolets-Tempêtes d’une pichenette, faisant tomber en cascade des cartouches usagées en laiton. En retombant sur terre, leur éclat s’estompa pour laisser place au gris omniprésent. D’un mouvement fluide, il tira des chargeurs rapides fixés à sa ceinture et les fit passer devant ses pistolets, puis les referma, chargé. L’espace se déforma autour de lui alors qu’il disparaissait, réapparaissant à une dizaine de mètres de la charge de la Garde des Glaces.

Caine ouvrit le feu.

Ses deux pistolets commencèrent à tricoter une mort radieuse de gauche à droite, un maelstrom de plomb. Chaque coup de feu jaillissant des bouches telle une explosion d’étoile, laissant derrière lui un sillage d’onde de choc concentriques. Les silhouettes étrangement immobiles devant lui répondirent avec leur sang. Lentement, il commença à se répandre dans l’air, formant des motifs abstrait.

Tant de sang…

* * *

Caine se réveilla en sursautant. Il se redressa et le regretta aussitôt. Il se recoucha avec une grimace, se tenant la tête et ferma les yeux. Avec une profonde inspiration, il les rouvrit et regarda autour de lui. Il se trouvait sur un lit de camp dans un hôpital de campagne. Une infirmière le surveillait et il lui sourit faiblement. Son sourire disparut l’instant d’après. À côté d’elle se tenait son commandant, le warcaster Major Horlis Abernathy, les bras croisés et l’ait plus sévère qu’à l’accoutumée dans son épaisse armure marquée par les combats.

Lorsque Caine croisa le regard de son commandant, l’homme à l’allure patricienne, d’une dizaine d’années son aîné, secoua la tête.

« Je ne le croirais pas si vous n’étiez pas juste devant moi. Il n’y a vraiment aucune égratignure sur vous ».

« Monsieur ? Le flanc, je ne l’ai pas… »

« Vous n’avez pas fait quoi ? Tuer toute la compagnie ? On peut difficilement vous blâmer. Ils ont fui après que vous avez abattu presque deux pelotons entiers ». Le Major Abernathy secoua la tête, incrédule. « Avec deux pistolets ».

Caine se frotta les tempes enflées. « Si vous le dites, monsieur. C’est flou pour moi ».

« Oui. Le flou, c’était vous. Vous avez arrêté l’avancée khadoréenne. Je n’ai jamais rien vu de pareil ».

Caine hocha la tête, son visage se transformant lentement en un sourire. Les yeux du major se plissèrent.

« Je serais négligent, en tant que commandant, si je ne trouvais pas à ride sur votre conduite. Si vous n’aviez pas abandonné vos warjacks en premier lieu, ils auraient pu également tenir le flanc sous votre contrôle. Bah. En fin de compte, je suppose que les résultats parlent d’eux-mêmes. Vous avez sauvé la situation, Capitaine Caine ».

Le major décroisa les bras et remit à Caine son nouveau grade. S’éloignant d’un pas, il salua. Caine se leva pour lui rendre le salut, bien qu’il grimaçât en se levant ».

« Infirmière, nettoyez-le et envoyez-le au mess des officiers. Je pense que nous avons mérité une célébration aujourd’hui ».

* * *

Des chopes s’entrechoquèrent de par et d’autre Caine alors qu’il avait son troisième whisky d’une traite. Mâchant son cigare à moitié consumé, il fit signe au barman de lui en envoyer un autre, tandis qu’un officier passant lui tapait le dos en guise de félicitation. Un piano jouait un refrain familier, « Le coeur de Cygnar », que les officiers autour de lui chantaient bruyamment. Les sourires l’accueillaient partout où il regardait, et il devait admettre que c’était étrangement attrayant. Jamais auparavant il n’avait obtenu une telle acceptation, ne s’était senti aussi bienvenu. Brandissant son cigare, il se tourna vers le capitaine à côté de lui, le verre levé. Peut-être qu’il pourrait s’y habituer. En faisant tinter son verre, il porta à son tour un toast. Une capitaine, effet, gloussa-t-il. Qui l’aurait cru, chez lui.

« Félicitations, capitaine », dit une voix par-dessus son épaule. « C’est un véritable exploit ce que vous avez réalisé aujourd’hui ». La voix était un murmure facilement reconnaissable. Caine se retourna. Le visage souriant de Holden Rebald l’attendait. « J’espère que vous n’avez pas oublié notre arrangement ? »

Caine secoua la tête, son sourire disparaissant rapidement de son visage. Il posa son whisky. Rebald, de son propre verre, but une gorgée et tendit son verre vers Caine.

« Profiter bien de la nuit, capitaine. Nous partons aux premières lueurs du jour ».

7
594 AR, Décembre ; Ceryl

C’était une matinée nuageuse alors que Caine se déplaçait le long de la digue, comme il l’avait fait presque tous les jours depuis son arrivée dans la cité côtière de Ceryl. Les vagues océaniques d’un hiver précoce se heurtaient aux brise-lames en pierre, blanche comme de l’écume et glaciales comme les os. Cette image avait fini par exercer une forte fascination sur lui lors de son affectation de compagnon, et il les fixait souvent depuis les fenêtres et les remparts du fort étant désormais son foyer. Que cela l’occupe ainsi n’était peut-être pas une surprise. Après tout, il n’avait jamais vu d’océan auparavant.

Il regarda le baleinier Chien Impudent sortir du port. Les hommes à bard chantaient bruyamment pendant leur travail, et même d’ici, il pouvait entendre les paroles de leur chanson alors qu’ils laissaient la civilisation derrière eux.

La garnison de la ville se dressait derrière lui, haute de huit étages, construite à côté du vieux phare. Prenant une profonde inspiration, il entama la longue montée des escaliers vers les remparts. Aussi encombrante que soit son armure, il s’y était habitué depuis longtemps et ne rechignait pas à emprunter la longue cage d’escalier. Trois saisons s’étaient écoulées depuis sa rencontre avec Rebald, et sous la direction de son mentor, le vénérable Seigneur Walder Brigham, l’armure avait été mise à rude épreuve. Caine comptait un moins une vingtaine d’escarmouches depuis son séjour avec le Seigneur Brigham, presque toutes contre des pillards des Îles Scharde orientale à l’ouest du port. À deux reprises, des poursuites eurent lieu avec des navires de reconnaissance khadoréens, persistant à tester la détermination de la vigilance côtière de Cygnar.

Ce qu’il n’avait pas eu, c’était des nouvelles du commandant en chef des éclaireurs. Depuis leur accord, on lui avait demandé de tenir un journal des navires au port, et rien de plus. Un coursier de Rebald venait le chercher chaque mois, mais il n’y avait rien de plus. Il commençait à penser que le marché avait été totalement oublié.

Caine porta ses mains à on souffle pour se réchauffer et regarda au-delà de l’horizon. Il se demanda où le Chien se dirigeait et, pour sa part, il se posait la même question.

Proche du sommet de la vieille cage d’escalier en pierre, il fut dépassé par des soldats de l’armée prenant leur service. Sur le rempart précédant le sommet du grand donjon, il entendit une voix familière et irascible s’élever.

« Allister ! Viens ici, gamin ! » Malgré lui, Caine sourit au vieil homme.

Au pied du mât du drapeau cygnaréen, haut de plus de quinze mètres, le seigneur Brigham prenait son thé du matin. Du gorgerin au soleret, son armure élaborée brillait, presque jusqu’à rendre fou, et sa longue cape doublé de fourrure noire battait au vent. Froissé comme du cuir, aux cheveux blancs, aussi vieux que son armure et tout aussi bien conservé. Héros à nombreuses reprises par le passé, maintenant sûrement sa dernière période de service. Un sourire toujours proche des lèvres, et en effet, il souriait largement alors que Caine passait la dernière marche.

« De quel navire s’agit-il ? » demanda le Seigneur Brigham en tirant sa barbe blanche soigneusement taillée et en observant la scène.

« Chien Impudent », monsieur.

« Ah oui. Il part à la chasse à la baleine au-delà des Scharde au cours des six prochains mois, je me risquerais à deviner… » L’attention du vieil homme se porta sur l’eau. Caine s’approcha du bord de la balustrade de pierre et observa les pêcheurs en contrebas tandis qu’ils vidaient leurs prises sur les quais.

« Allister, tu as été un bon élève ». Le vieil homme se mit à réfléchir, son attention revint brusquement. Caine leva les yeux des quais, surpris, et se tourna vers son mentor.

« Avant ton arrivée, on m’avait prévenu que tu serais difficile. Ton séjour ici ne s’est certainement pas déroulé sans incident, n’est-ce pas ? » demanda Brigham.

Caine hocha la tête, luttant contre l’envie de sourire, tandis que Brigham poursuivait. « Pourtant, pendant cette période, j’ai également été témoin de l’épanouissement de ton talent pour la guerre. Avec seulement une paire de pistolets, tu es devenu redoutable. Avec toi, j’ai peut-être enseigné à mon meilleur élève ».

L’aîné des warcasters porta son thé à ses lèvres, pensif.

« Mais il y a une autre partie à cela. Si je devais être franc, eh bien, il y a une part d’ombre qui te ronge. Je l’ai vu chez d’autres, des amis perdus au fil des ans. Crois-moi quand je te dis que tu feras la paix avec, sinon cela te consumera. Ce serait en effet une tragédie, car tu as bien plus à offrir, gamin, que ce que tu laisses percevoir au monde ».

Caine sentit inexplicablement ses joues rougir. Il détourna le regard, embarrassé. « Monsieur ? Pourquoi m’avouer de telles choses ? »

« Parce que je ne pourrai pas le faire demain ». Le vieil homme rit en sirotant son thé.

Les yeux de Caine s’écarquillèrent. « Est-ce que ça va, monsieur ? »

« Oui, Allister. Mais pas toi. En fait, tu nous quittes. J’ai déposé les papiers il y a une semaine, et ils sont revenus ce matin même ».

« De quoi parlez-vous ? »

« De ton apprentissage. Il est terminé. Tu vas être redéployé au sein de la première armée à Fellig la semaine prochaine ». Le vieil homme gloussa, en réponse à la surprise de Caine. Il avait l’air d’avoir oublié quelque chose.

« Je voulais t’offrir quelque chose », répondit le Seigneur Brigham en fouillant dans les plus de sa cape et sortir un petit artefact en laiton poli au bout d’une chaîne. Avec une gentille tape dans le dos, il le pressa dans la main de Caine.

« N’oublie jamais qu’il y a dignité dans cette vie, Allister. La moralité aussi, même si nous sommes souvent appelés à faire des choses terribles ».

Caine hocha la tête, voyant que le vieil retraçait son propre passé en parlant. « N’oublie jamais ça, si tu souhaites honorer ce pour quoi le Cygnar se bat ».

« Caine regarda l’artefact, curieux. En l’ouvrant, il vit une petite boussole, fabriquée avec une étonnante précision. Stupéfait, il ne put remercier son mentor qu’en murmurant. Le Seigneur Brigham acquiesça.

« Elle appartenait à mon père, Allister et je te l’offre maintenant. Il m’a dit quelque chose le jour où je me suis engagé, il y a si longtemps. Il m’a dit que suivre les ordres sans jamais se soucier de son coeur t’entraînera sûrement en enfer, peu importe ce qu’ils peuvent épingler sur ta poitrine. Je n’ai jamais oublié ces paroles, que Morrow ait son âme. Toi seul sauras à la fin de tes jours si ta vie a été digne, Allister. Puisse cette boussole te conduire à la même paix que celle que j’ai trouvée à la fin de la mienne ».

8
Deux Ans Plutôt

594 AR, Fin du Printemps ; Le Praesidium, Brainmarché

« Prisonnier 31071 ! Tu as de la compagnie ».

Caine se retourna sur son lit de camp et découvrit un spectre l’observant. Il passa une main sur ses yeux pour bloquer l’éblouissement et plissa les yeux vers la silhouette d’un homme masqué de l’autre côté des barreaux. Ses yeux s’habituant, il aperçut que l’étranger était décharné, tant au niveau du visage que de l’ossature. Pendant un moment, l’homme se contenta de le fixer, le visage vide.

« J’ai entendu une historie, il y a deux saisons », débuta l’homme en gris, sa voix à peine plus forte qu’un murmure et dépourvue d’accent. « Il semble qu’il y ait eu un remarquable incident lors de l’inspection de l’Académie de Stratégie Militaire de Caspia ».

Caine ne répondit rien, mais se leva de son lit.

« Le Roi Vinter avait demandé à un cadet de tirer sur une cible à vingt pas, ce qu’il a fait. Par la suite, on entendit un conseiller du roi se montrer, dirons-nous, peu impressionné. Le cadet a effectué un tir à ricochet ayant touché deux murs et un lustre avant de faire voler la broche du conseiller de son épaule, laissant tomber sa cape à ses pieds.

Les pas des l’homme en gris s’arrêtèrent et il porta un long doigt à ses lèvres : « Le roi remarqua le glorieux avenir que ce cadet avait devant lui. C’est donc une d’une intéressante ironie qu’il disparaisse quelques mois plus tard, n’est-ce pas ? »

Caine lança un regard noir à l’homme en gris. Il se leva, puis vida sa vessie dans le seau près du lit.

« Pourquoi es-tu ici ? » Insista l’homme en gris, la voix toujours basse. « Nous savons tous les deux que tu peux partir à tout moment ».

« C’est ici que je dois être, n’est-ce pas ? En fin de compte, je suis rien de plus qu’un voyou. Un tueur ordinaire. N’est-ce pas ? » marmonna Caine en rattachant ses culottes.

« Un tueur exceptionnel, en fait. Une telle chose, je le crains, est une denrée précieuse par les temps qui courent. Au-delà de cette cellule et de ton apitoiement, notre nation est au bord du gouffre. Depuis que le Roi Leto s’est emparé du trône face à la corruption de son frère Vinter, nous sommes plus vulnérables en tant que nation que jamais ». Caine n’était toujours pas impressionné. L’homme en gris fit une pause. « J’ai décidé que Leto était le meilleur homme pour le Cygnar. Je veux le maintenir sur le trône, par tous les moyens disponibles. J’espère que t’engageras également pour cette cause ».

« C’est vrai ? » Se moqua Caine.

« Je sais que le patriotisme n’est pas une de tes vertus. Cependant, je crois savoir que tu as été fier de ta carrière.

« Oui, eh bien, tout cela est du passé, comme vous pouvez le constater. Ce n’est rien de plus que ce qu’on pouvait attendre de moi ».

L’homme en gris sortit une lettre des plis de son manteau.

« Il n’est pas nécessaire qu’il en soit ainsi. J’ai ici le moyen de faire table rase pour ainsi dire. Je t’ai obtenu une grâce. Tu pourrais affecter à la reprise de ton apprentissage de compagnon. Dès demain, si tu le souhaites. Je ferai ainsi appel à tes services chaque fois que je le jugerai opportun, sans exception.

« Vous avez perdu votre temps en venant ici ». Répondit Caine en s’appuyant contre le mur de sa cellule, les bras croisés.

« Je vois. Alors tu te contentes de te complaire dans ton échec ? L’homme en gris le regarda. « De connaître une fin plus ignoble et plus obscure encore que celle de ton imbécile de père ? »

Le visage de Caine trahit la surprise. L’homme en gris insista.

« Oui, c’est vrai. Il est mort la semaine dernière. On ne te l’a pas dit ? Non, je suppose que non. Qu’est-ce que cela peut te faire ? Qu’est-ce que ça peut faire ? »

La rage indignée s’empara de Caine. Il jeta un coup d’oeil à l’homme nerveux devant lui, envisageant de lui tordre son migre cou. L’homme observa sa colère froidement, haussant un sourcil.

« Oui. Supposons que tu veux me tuer ? Et alors ? »

Caine secoua la tête. Ses pensées étaient-elles si transparentes. Frustré, il se détourna.

« Mon offre expire avec moi, et tu finiras soit à la potence, soit pourchassé le restant de ta courte vie par ceux qui sont très certainement tes égaux ».

« Vous devriez y aller ».

« Peut-être que tu as raison ».

Caine ne répondit rien, mais agrippa les barreaux de sa fenêtre. Il entendit l’homme en gris se retourner pour partir. Des pas résonnèrent dans le couloir, de plus en plus lointain. Caine regarda depuis sa fenêtre en secouant la tête.

Non. Non ! Il ne se laisserait pas si facilement manipuler. Sauf…

Jetant un coup d’oeil vers la porte d’entrée dessous lui, il ferma les yeux et plia l’espace autour de lui. En un éclair, il se retrouva adossé au mur du donjon, les bras croisés. L’instant d’après, l’homme en gris franchissait la porte principale. Lorsqu’il aperçut Caine, il ne sembla pas du tout surpris. Au contraire, il sourit légèrement.

« C’est un plaisir de te rencontrer enfin Lieutenant Caine. Mon nom est Holden Rebald, Commandant en Chef des Éclaireurs du roi. Il tendit une main gantée, regardant Caine dans les yeux.

« Alors, nous avons un accord ? »

9
Trois Ans Plutôt

593 AR, Hiver ; Orven

« Compagnon Caine ! Nous y sommes presque, monsieur ». Cria le Lieutenant Gangier.

Caine n’écoutait pas, bercé qu’il était par le claquement régulier des fers de son cheval contre les pavés.

« Compagnon Caine, monsieur ! » Répéta l’officier subalterne fusilier, regardant Caine avec perplexité.

Caine se redressa, regardant le lieutenant bien emmitouflé dans sa tenue d’hiver, chevauchant à ses côtés. Les rues d’Orven grouillaient de vie autour d’eux, et les lumières et les décorations du prochain festival hivernal étaient partout où l’on regardait. Sous son armure, Caine frissonna et resserra sa cape autour de lui.

« La gare est juste devant, vous voyez ? »

Caine acquiesça, essayant toujours de se réfugier dans son armure pour se réchauffer. Il ne s’était pas habitué au poids de l’armure, même après un an, et elle frottait malgré les huiles et les baumes adoucissants qu’il avait appliqués sur la doublure en cuir. Il détestait particulièrement le fait que le plastron se coince sur sa poitrine lorsqu’il était essoufflé. Il avait l’impression d’être pris au piège. Malgré tout, il ne pouvait nier que c’était la première chose qu’il portait qui était neuve, adaptée à lui. Il y avait quelque chose de confortable là-dedans. Ce qu’il aimait dans son armure, c’était ce qui blasonné sur le contour des épaulières. Là, à gauche, le Cygnus gravé en or, et à droite, les protubérances blanches incurvées de son rang. Après un an de formation à Caspia, il était entré dans la phase finale.

Il était compagnon warcaster.

« Alors, où vous envoient-ils, lieutenant ? » Caine se pencha nonchalamment, saisissant les rênes. L’officier subalterne au visage frais s’éclaira, ralentissant son cheval tandis que les enfants couraient devant.

« En route pour la garnison de Nordgarde, monsieur ».

Caine grimaça à cette formalité. Il devait admettre qu’il en était venu à apprécier la compagnie du jeune officier. Son accent occidental semblait face à l’oreille de Caine, lent et mesuré, mais il parlait sérieusement, un effet que Caine trouva immédiatement désarmant. Malgré leur rang techniquement égal, le lieutenant s’en était remis jusqu’à présent à l’autorité de Caine en matière d’arcanes. Caine décida qu’il était temps d’y mettre un terme.

« Appelle-moi Allister. Nous sommes tous les deux des apprentis, hein ? »

Le visage jeune du lieutenant s’éclaira d’un sourire chaleureux.

« Très bien… Allister. Tu peux m’appeler Gerard, même si seule ma mère le fait. À la maison, on m’appelle simplement Gerdie

« Alors tu as fini l’Académie et tu pars affronter les khadoréens à Nordgarde ? »

« Comme mon père avant moi, Morrow paix à son âme. Rien d’aussi excitant que ton poste, j’ose le dire ». Gerdie sourit, ses yeux s’illuminèrent.

« Ech, en bien… » Se moqua Caine avec une fausse modestie.

« Muté comme apprenti sous les ordres du Commandant Magnus ? Monsieur, je veux dire Allister ? Es-tu fou ? C’est une légende vivante ! La rumeur dit que c’est lui qui tas choisi ! Y a-t-il du vrai là-dedans ? »

« Aucunement », répondit Caine avec un sourire.

Devant eux, un sifflet à vapeur retentit et les puissantes roues du train hurlèrent le long des rails, annonçant son arrivée dans la gare bondée. Le long train était chargé de passagers, heureux de débarquer après leur long voyage à l’étranger. Descendant de cheval, Caine et Gerdie amenèrent leurs montures aux écuries militaires attenantes à la gare. Caine donna une tape sur le museau de sa jument alors qu’il confiait les rênes à un garçon d’écurie roux. Se tournant, il observa le train qui l’emmènerait vers le nord. La foule qui s’interposait était intimidante, mais lui et Gerdie réussirent à se frayer un chemin. Devant eux, un aboyeur annonçait des troubles à Caspia, dans le sens comme s’il venait d’arriver. Caine fronça les sourcils en entendant les mots « menace pour Vinter » et « défis pour Leto », mais continua à avancer, les oubliant rapidement. C’est alors qu’une main dans la foule le frôla.

Qu’est-ce que c’était ?

La main flotta doucement tel un papillon et deux fois plus vite jusqu’à sa ceinture. S’il n’avait pas lui-même le don de magie et des années comme pickpocket, il l’aurait raté.

Caine réagit en une fraction de seconde.

Il lança sa propre main vers l’avant, et saisit la main baladeuse. Le voleur était bon, d’accord. Audacieux ou fou de tenter ce coup sur un officier armuré. Sa fatale erreur avait été de manquer rater son rang arcane sur l’épaule de Caine.

« Pardon, monsieur ! Je ne l’ai pas fait… » dit un visage fatigué du monde, alarmé, puis il s’arrêta. Il y avait de la confusion dans ses yeux. Caine se tourna vers l’homme tout aussi abasourdi. Le visage était cicatrisé, prématurément usé, les cheveux ébouriffés, mais d’une nuance de route familière. Il manquait deux doigts à la main qu’il tenait, mais il réalisa tout de même à qui elle appartenait.

« On dirait que tu as trouvé tes pierres après tout, hein Tylen ? » il sourit.

Son ancien partenaire sourit, ses yeux s’illuminant de soulagement et de surprise.

« Allie ? J’en crois pas mes yeux ! Serait-ce possible ? En vie et en personne ?


Caine lâcha sa main et hocha la tête.

« De même mon pote ».

Tylen s’émerveilla de sa transformation de voyou en militaire pur et simple.

« Nous pensions – nous craignions – qu’Horace avait tenu parole. Maintenant que je te vois, je ne suis pas sûr qu’il s’agisse un destin pire que ça ! »

Caine rit et lui donna une tape dans le dos. Les présentations furent faites. Gerdie, obligé de prendre leurs billets au kiosque à l’intérieur, ressortit. Tandis qu’il s’éloignait, Caine fronça les sourcils.

« Tylen, que fais-tu à Orven ? »

Le visage de son ancien complice devint grave à cette question, et il tendit sa main mutilée. Caine la regarda, plissant les yeux.

« Tu t’es fait pincer, Ty ? »

« On peut dire ça », admit Tylen. « Lorsque le Boss Dakin est mort l’année dernière, Horace a pris le relais. Il a jugé bon de faire quelques exemples ». Caine acquiesça, les yeux plissés à ce nom.

« La première chose qu’il a fait a été d’écraser quelques personnes comme moi. Il s’est assuré que nous comprenions que soit nous travaillions pour lui, soit nous ne travaillons pas ». Tylen exhiba sa main à trois doigts avec une fierté ironique.

« Après cela, il a ouvert son livre de rancunes. Il l’a cherché pendant longtemps. La prime était élevée, mais à la fin, il t’a cru mort, comme nous tous. Écoute, qu’est-ce qu’il a fait à ton paire ? Je suis vraiment désolé, Allie. Il ne le méritait pas ».

Caine sentit la colère monter en lui. Son regard était à la fois intense, perçant.

« Qu’est-ce que tu racontes, Tylen ? »

« Bon sang. Je pensais… »

Le monde Caine se remplit de rouge. Ses oreilles lui brûlaient et il eut l’impression que les secondes s’écoulaient à une vitesse d’escargot. Il saisit brutalement Tylen par l’épaule.

« Vivant ? … Il est vivant, Tylen ? »

« Oui… mais Caine, il est… euh, ow ! Tu me fais mal ! » protesta Tylen. Caine le relâcha aussi vite qu’il l’avait attrapé et se retourna pour partir. Ce faisant, Gerdie revenait, se frayant un chemin dans la foule avec les billets à la main.

« Hello ! » lui cria l’officier subalterne à travers la circulation piétonnière bruyante. Caine ne répondit pas, mais se tourna vers son vieil ami.

« Dis-lui de continuer sans moi. J’ai quelque chose à faire ».

Tylen hocha la tête et regarda Caine disparaître dans la foule.

* * *

Caine franchit la vieille porte rouge, affolé. Elle lui paraissait si vieille et si fragile à présent, comme un objet datant de plusieurs siècles. L’intérieur de la maison n’avait pas mieux résisté, plus défraîchie que jamais il ne l’avait vue. Le couloir sentait la mort. Des baumes et des liniments flottaient de la cage d’escalier au-dessus.

Alors qu’il entrait dans le hall d’entrée, un cri de surprise vint de la pièce d’entrée. Sa petite sœur, Bethany, le regardait fixement. À genoux, elle frottait la boue d’une paire de bottes de travail, tandis qu’une douzaine d’autres attendaient d’affilée. Elle leva les yeux de sa corvée, la bouche grande ouverte. La vue de son frère mort, mais aussi devenu soldat, l’avait transformée en statue.
« Beth ! » Caine s’approcha d’elle, se mettant à genoux et posant un bras sur son épaule. Elle s’élança pour l’étreindre, manquant de le faire tomber. Il lui rendit l’étreinte, la serrant avec intensément. Elle ne dit rien, mais se mit à sangloter sur son épaule. Il lui tapota la tête et se recula suffisamment pour la regarder dans les yeux.

« Papa. J’ai entendu dire qu’il… est-ce qu’il va bien ? » demanda-t-il doucement.

Bethany renifla, toujours sous le choc de la vision s’offrant à elle. Elle regarda au-delà de l’exigu hall d’entrée et vers les escaliers. Caine suivit son regard et hocha la tête. La tapotant une fois de plus, il se leva et se dirigea vers les escaliers.

La chambre était calme et sombre, avec des rideaux moisis retenant le soleil de fin d’après-midi. S’il n’y avait pas eu une respiration saccadée dans l’ombre, Caine aurait pensé que la pièce était vide. Tirant les rideaux, il vit son père allongé devant lui sur le lit. Le vieil homme était presque immobile et moribond, comme il ne l’avait jamais vu. Ses yeux fixant le plafond d’un air absent. Il avait vieilli de vingt ans en un peu plus de deux ans, si l’on en croyait les apparences. Ses cheveux avaient été réduits à seulement quelques mèches blanches, et sa silhouette autrefois charnue était maintenant presque squelettique. Caine remarqua une inquiétante cicatrice autour de son cou, tel un inégal collier.

Puis il cessa de respirer. Caine se précipita à ses côtés, posant une main sur son bras décharné.

Convulsant, le vieil homme trembla comme s’il était possédé, puis fut ravagé par une toux sèche. Sa gorge s’éclaircit, il respira à nouveau lentement et péniblement dans ses poumons atrophiés.

Caine s’assit sur une chaise à côté du lit et pris sa main en coupe. En il se pencha en avant, s’approchant de l’oreille de son père.

« P’pa ? » Il regarda Seamus, ne sachant pas quoi faire. Petit à petit, son visage se durcit.

Il ouvrit son long manteau, révélant le plastron de son armure. « Regarde ça ! Me vois-tu ? Suis-je encore un voyou pour toi ? Est-ce qu’un voyou porte l’armure du roi ? »

Caine observât le visage de son père, attendant désespérément un signe. Il n’y eut aucune lueur de reconnaissance dans ces yeux gris et flous. Ils se contentaient de fixer le plafond au hasard. Au fur et à mesure que l’attente se prolongeait, sa tête se mit trembler lentement. Deux années de dépit et de colère refoulés s’écoulèrent de lui et il s’affaissa dans le fauteuil en expirant longuement.

« Tu ne pouvais pas me laisser faire, n’est-ce pas ? » murmura-t-il.

« Il est comme ça depuis qu’ils l’ont battu », prononça Bethany depuis l’embrasure de la porte.

« Morrow, pardonne-moi, ils auraient dû le laisser mourir là-bas. Je jure que cela aurait été mieux. Mieux que ça », ajouta Bethany, le visage rougi. Caine fut choqué de voir à quel point elle lui rappelait sa mère la dernière fois qu’il l’avait vue.

« Où étais-tu, Allister ? Nous pensions que tu étais mort ».

« Je suis désolé, Beth… Je devais y aller ».

Elle hocha la tête sans un mot, venant à ses côtés. Elle baissa les yeux sur leur père, à la respiration sifflante, s’essuyant les yeux.

« Pourquoi ? Pourquoi est-ce arrivé ? » demanda-t-il.

« Qui sait ? » Bethany s’assit sur le lit, pris la main décharnée de Seamus et la caressa lentement.

« Maman a dit qu’il avait payé sa dette au Boss Dakin. Cela aurait dû être la fin. Mais quand Horace a pris la relève, il est venu le chercher, comme s’il avait un compte à régler. Il n’a jamais dit pourquoi. Sa bande a pendu P’pa sur la place de marché, à la tour de l’horloge, à la vue de tous. Il y est resté cinq minutes avant que quelqu’un prenne la peine de le descendre. Horace en a pendu une douzaine d’autres comme lui en une semaine. Tout le monde l’a vu, mais aucun témoin, bien sûr ». Bethany le regarda, mais Caine détourna le regard, la mâchoire serrée. Se levant, il se dirigea vers la porte.

« Où vas-tu ? Maman va bientôt rentrer de son service. Elle voudra savoir si tu vas bien », plaida-t-elle.

« Je ne suis pas bien, Beth. Pas du tout ».

* * *

Caine marchait dans la rue, le meurtre dans les yeux. Malgré la froideur, la rage brûlait en lui plu fort que la centrale énergétique à l’arrière de son armure. En fin de compte, trouver Horace ne fut pas un défit. Quelques ivrognes éméchés n’avaient pas tardé à l’informer que lui et son équipe se trouvaient à la Chaudière, comme la plupart des nuits, tout comme il l’avait fait la dernière fois que Caine l’avait vu. En s’approchant du bar, il put entendre l’air d’un violoniste et d’une foule bruyante chantant avec lui. S’approchant de la porte, il sortit son arme. Les quelques personnes rassemblées près de la porte lui jetèrent des regards effrayés et s’empressèrent de dégager la voie. Tout sauf un, Même dans sa rage, il reconnut l’ancien homme de main d’Horace à la main cicatrise qu’il avait tendu vers lui. À sa décharge, le grand tint bon, osant même s’emparer de sa propre arme.

Trop tard.

Trois enjambées après, Caine explosa de rage. Un arc de force projeta le truand contre les épaisses portes en bois, qui à leur tout se brisèrent tel du bois d’allumettes. Dans la taverne, le violoniste s’arrêta et brusquement la foule en délire se tût.

Caine enjamba la porte brisée et le truand inconscient, passant devant des clients stupéfaits qui avaient été renversés par la force de l’impact.

« Horace ! » Cria-t-il devant une foule abasourdie, les yeux brûlants comme des braises. « Sors de ton trou ! » Depuis le box du fond, Horace était assis, une servante à chaque bras. Le truand cligna des yeux, la tête penchée d’un air interrogateur. En vérité, Horace ressemblait encore beaucoup à ce que Caine avait vu la dernière fois, il n’en avait pas moins la face squelettique qu’avant. Pourtant, d’une manière ou d’une autre, il ne pouvait pas sembler plus différent. Là où Caine avait vu un adversaire ou une menace, il ne voyait plus qu’une proie.

Peu à peu, Horace commença à se bouger, plissant les yeux en signe de reconnaissance. « Bien sûr, bien sûr… J’arrive ». Cria-t-il paisiblement, s’adressant à moitié à la foule. Ses hommes le regardaient bouger, attendant le signal pour agir. Il leur fit signe de s’en aller, de s’éloigner du box.

Caine hocha la tête et se tourna vers la porte. Dans le silence feutré de la pièce, il entendit le bruit d’un pistolet qu’on armait.

Il sourit.

Revenant sur Horace en un clin d’oeil, son arme cracha une fois, un coup de tonnerre dans l’espace clos. Horace poussa un cri de consternation lorsque le tir fit tomber son arme au sol. Serrant sa main engourdie, il lança un regard noir à Caine.

« Tu veux faire ça ici, hein ? Bien. Ramasse ». Caine rengaina son arme, croisant les bras.

Le truand plongea vers l’arme, roulant derrière de ses précieuses serveuses s’étant cachée sous la table entre-eux. L’attrapant par le cou, il la souleva pour en faire un bouclier. Se penchant derrière l’épaule de la jeune femme, il tenta une nouvelle fois de braquer l’arme sur Caine.

Le deuxième pistolet de Caine cracha, suivit d’un autre coup de tonnerre et d’une corolle de fumée. Horace relâche la jeune fille et se roula par terre, à l’agonie. Sa main gauche avait été réduite en une masse de viande et de sang jaillissant. Une fois de plus, Horace avait lâché son pistolet. Caine, quant à lui, avait rechargé et rengainé.

« RAMASSE ! » aboya Caine, sa rage à son comble.

Horace, tremblant de douleur et de colère, tendit la main vers son pistolet. Il se redressa au prix d’un grand effort, haletant sous l’effet du choc. Caine l’observait, les bras croisés. Un bras tremblant souleva le pistolet pour viser, et essaya une fois de plus de tirer. Une fois de plus, la bouche du canon brilla et un coup de tonnerre rugit.

Horace chuta au sol en hurlant, sa rotule disparue.

Caine s’avança d’un pas insouciant vers le truand qui gémissait désormais. Cette fois, Horace n’osa pas toucher son arme. Il ne faisait que gémir lorsque Caine s’agenouilla pour lui remettre.

« Non ? » C’est tout ce que vous avez ? Personne d’autre ? Personne n’est capable de m’offrir un vrai combat ? » cria en jetant un regard circulaire furieux dans la taverne. Le silence lui répondit. Les clients restants, observant avec terreur sous leurs tables et derrière le bar. Les truands qu’il avait répérés et marqués avaient disparu. Il prit une profonde inspiration. À mesure que sa rage se calmait, ses manières devenaient détachées et calculatrices.

« Ainsi soit-il ».

Caine repoussa l’arme d’Horace puis se pencha sur lui pour le saisir par la chemise avec un grognement. Passant le bras valide du truand sur son épaule, Caine le remit debout.

« Allez, Horace. Nous allons nous promener ».

Sur le marché, orné de lumières colorées et de couronnes de Noël les deux hommes claudiquaient. Horace boitait pour suivre le rythme de Caine, il criait à chaque pas. Devant eux se tenait la grande Tour de l’Horloge du Marché, haute de cinq étages et ornée de rameaux de fête. Horace leva les yeux vers elle, la panique se lisant sur son visage.

« Je me souviens de toi… écoute, on peut résoudre ça, hein ? » plaida-t-il.

« Certainement ».

« J’ai de l’argent, tu sais ? Tu peux… prendre… autant que tu veux ». Il adressa un faible sourire par-dessus la douleur, essayant de paraître sympathique. Caine regard froidement Horace.

« Je voulais un moment. Tu me l’as pris. Tu peux me le rendre ? »

Le truand, déconcerté, le regarda d’un air absent.

Caine jeta un coup d’oeil vers le ciel, sa concentration se renfonçant. Fermant les yeux, il plia le monde autour de lui. Au prix de grands efforts, il amena le gangster blessé avec lui Le duo disparu, pour réapparaître sur le podium devant la tour de l’horloge. Respirant lourdement, Caine se balança sous l’effort qu’il avait fourni pour en faire apparaître un autre. Horace, désorienté par la téléportation, tomba à genoux, éclaboussant son dîner sur le côté de la passerelle. Tandis qu’il se relevait, Caine reprit son souffle et jeta un coup d’oeil à la gargouille à l’ange de la tour.

Cela fera l’affaire.

Il se pencha pour détacher une corde attachée à la gargouille. Cette corde était emmêlée avec des branches à une tour inférieure voisine. En tirant brusquement et avec force, la corde se détacha à l’autre extrémité, et les branches glissèrent jusqu’au sol. Alors qu’il enroulait la corde autour de son bras, le cadran géant rétro-éclairé de l’horloge marquait l’heure, les aiguilles de fer défilaient avec des battements forts et réguliers.

Toujours désorienté et à genoux, Horace ne se rendit pas compte que Caine confectionnait un nœud coulant avec la corde et l’attachait. Regardant par-dessus le bord, Caine remarqua que son spectacle avait rassemblé un large public, qui comprenait enfin les forces de l’ordre local. Les gardes crièrent de s’arrêter et de se rendre. Un Horace piteux au visage plat, leva les yeux vers Caine, essuyant la salive de ses lèvres.

« Pas comme ça. Pas… » Horace haletait tandis que Caine lui passait la corde au cou.

« Juste comme ça ».

Caine expulsa Horace de la passerelle d’un coup de pied. L’ex-truand tendit la corde avec un bruit sec, et ne convulsa qu’une fois avant de devenir un dernier ajout aux décorations des fêtes.

Caine disparu de la passerelle, pour réapparaître sur les pavés, vacillant un instant avant de tomber à genoux. Les gardes arrivèrent de tous côtés, l’armes aux poings, et il leva les mains d’un air moqueur.

« Bien. J’ai fini ».

10
Quatre Ans Plutôt

592 AR, Été ; Académie de Stratégie Militaire, Port Bourne

Caine se tenait droit et concentré aligné avec une douzaine d’autres comme lui le long du champ de tir. Par une journée nuageuse, ils se tenaient à l’abri dans les épais murs de pierre de l’académie. Chacun était vêtu des capes bleues et grises patinées des cadets Mages Balisticiens de la Tempête Mystique. Leur panoplie état complétée par un tricorne, des lunettes de tireurs d’élite et l’arme de poing de marque, un pistolet cinémantique, rangé dans un étui à la taille.

À vingt pas de distance, l’équipe dans les fosses de la galerie mékanique complexe commença à faire fonctionner les rouages.

Derrière les cadets, le sergent-artilleur faisait les cents pas en ajustant ses propres lunettes. Ensuite, il serra ses mains derrière son dos et se racla la gorge.

« Cadets, à vos MARQUES ! » hurla-t-il d’une voix très mesurée.

Caine plia les poings et stabilisa sa respiration. Derrière ses propres lunettes, il cligna des yeux, comptant les points de la mêlée dans son couloir. Il écouta les pas du sergent derrière lui. Devant lui, la galerie s’animait. L’instructeur faisait encore les cents pas, sur le point de donner le mot… jusqu’à ce que…

« Cadets, FEU ! »

D’un mouvement fluide et délibéré, Caine sortit de son étui un pistolet richement gravé. Les runes gravées sur le canon brillaient faiblement à son contact. Régulièrement, il visait vers le bas et observait. Dans le couloir de chaque cadet se trouvait un kaléidoscope de cibles colorées et animées. Certaines se précipitaient de gauche à droite, d’autres se déplaçaient selon des motifs ou en arcs de cercle.

« Deux minutes ! » hurla le sergent-artilleur.

Caine aligna sa première cible. D’un murmure et d’une légère pression, le canon de son pistolet explosa avec une flamme scintillante. Des runes mystiques tourbillonnaient autour de son tir, le suivant comme un feu d’artifice. Il avait murmuré Briser, exactement comme ils avaient été entraînés, jour après jour ces huit derniers mois. Le mot lui avait-il appris, n’était pas aussi important que les pensées qu’il évoquait. Avec la bonne pensée, la volonté du mage balisticien s’imposait à son arme, et le tir lui-même s’en trouvait grandement modifié.

Dans le grand cadre du stand de tir mékanique, une plaque d’acier peinte en bleu s’agitait de haut en bas jusqu’à ce que le tir de Caine l’atteigne et qu’elle se brise comme autant de confettis.

L’un après l’autre, les cadets à sa gauche et à sa droite firent de même, murmurant leurs propres mots de pouvoir. La cour résonnait de la cacophonie des tirs ensorcelés.

Caine n’y prêtait aucune attention. Il était dans sa tête, les mains se déplaçant pour recharger sans lui, alors qu’il se concentrait sur sa prochaine cible. Cinq autres tirs et cinq succès de plus alors que les secondes s’égrenaient.

« Une minute ! »

Alors qu’il se concentrait, le monde autour de lui ralentit, s’assombrissant jusqu’à l’obscurité. Seules les cibles à distances semblaient encore vivantes, car elles entraient et sortaient de la cohue en quantité infinie. Il y avait des cibles rouges, articulées et lestées de briques. À eux, Caine chuchota Foudre, son tir se brisant à l’impact avec suffisamment de force pour les faire reculer. Il y avait aussi des cibles jaunes tournoyantes, placées bien à l’écart des autres. C’est à celles-ci que Caine murmura Portée, poussant son tir de plus en plus loin. Chaque fois que son pistolet se vidait, il s’arrêtait mécaniquement pour le recharger et tirait à nouveau sans hésitation. Il n’en avait encore manqué aucun.

« Trente secondes ! »

Il lui restait deux cartouches à la ceinture. Un score de treize était déjà impressionnant, à un point du record. Pourtant, il sentit une curiosité ludique l’éloigner de l’urgence du test. Il s’était souvent demandé, au cours des mois précédents, s’il ne pouvait pas évoquer une nouvelle façon d’augmenter son tir. Caine sourit en rechargeant. Pourquoi ne pas essayer ? Qu’avait-il à perdre ? Son esprit s’emballa alors qu’il rechargeait, excité de repousser de nouvelles limites. Son arme chargée, il concentra ses pensées. Il tendit la main, visant et tirant avec fluidité. Rebondir, murmura-t-il cette fois. Il regarda le tir voler et hocha la tête devant le résultat irrégulier. Pas mal, mais il pouvait faire mieux. Ses mains tremblaient tandis qu’il rechargeait, il avait désespérément envie d’un nouvel essai. Il visa à nouveau, et murmura encore une fois. Rebondir. Le coup de feu jaillit de la bouche et se dirigea vers la galerie. Les cibles se fissurèrent, se brisèrent et tombèrent, alors que le tir magique ricochait entre elles. Caine sourit au spectacle.

« Cadets, CESSEZ LE FEU ! »

La main de Caine remit l’arme dans son étui. Il adopta une posture de repos, croisant les mains derrière le dos. Prenant une inspiration, il laissa son attention vagabonder jusqu’à ce qu’il entende le pas de l’instructeur derrière lui.

« Cadet Caine, rompez ».

Avec des mouvements mesurés, Caine recula, et de plus d’un pas. L’instructeur se déplaça pour prendre sa position dans le couloir, regardant vers le bas.

« Couloir huit ; indiquez ! » Cria le sergent. Du niveau inférieur de la galerie sortit un bâton au bout duquel était fixé une ardoise Un numéro y avait été noté à la craie. Autour de lui, les camarades cadets de Caine commencèrent à murmurer. De son côté, l’instructeur commença à pester. « Cadet Caine ! Voudriez-vous m’éclairer sur la note parfaite pour cet examen ? »

« Quinze, sergent-artilleur ! » répondit Caine.

« Remarquable. Essayer de deviner pourquoi ce score n’a pas été battu depuis la fondation de cette école, cadet Caine ? » Il grogna. Caine évita de regarder l’hargneux instructeur, gardant les yeux baissés.

« Parce que nous ne recevons que quinze cartouches, sergent-artilleur ! »

« Brillant, cadet ! » Le sergent le contourna, étudia son visage à la recherche d’un signe de culpabilité. « Alors comment expliquez-vous votre score ?! »

Caine regarda le nombre griffonné sur l’ardoise. Il était noté dix-sept. Caine se retint de sourire, mal. L’instructeur s’en aperçut et entra immédiatement dans une colère noire, jurant ses grands dieux contre son insubordonné cadet. Enfin, il se calma.

« Je dis que vous êtes un tricheur ».

Caine se renfrogna. « Je n’ai pas triché, sergent-artilleur ! J’ai juste essayé quelque chose de différent… »

Si son explication visait à apaiser le sergent, elle eut exactement l’effet inverse. Le visage du pistolero grisonnant se teinta d’indignation.

« C’est c’la, Cadet Caine ? Vous voulez me faire croire que vous avez improvisé une nouvelle évocation sur place ? Suffisamment perfectionnée pour abattre plus de cibles que vous n’avez de tirs ? » Caine commença à ouvrir la bouche ? « Ne répondez pas ! J’ai compris, vraiment. Vous avez reçu un peu d’aide de vos camarades, c’est ça ? Combien ça vous a coûté de les persuader de faire des tirs croisés dans votre couloir ? Couloir sept et neuf, indiquez ! »

De nouveau, des ardoises avec des numéros griffonnés surgirent de la galerie, dans les couloirs adjacents à celui de Caine. L’instructeur se dirigea vers les cadets à gauche et à droite, comparant les chiffres à la craie avec les munitions restantes dans leurs bandoulières. Ses lèvres bougeaient tandis qu’il comptait pour lui-même.

Puis il s’arrêta.

« Cadets, ROMPEZ ! » aboya-t-il en pausant une main contraignante sur l’épaule de Caine. « Cadet Jenkins ! Faites-moi venir le lieutenant ! » Un à un, la classe de Caine passa devant lui. Le sergent-artilleur était devenu curieusement silencieux pendant qu’ils attendaient. Une minute plus tard, le lieutenant de l’école de combat sortait à grands pas du réfectoire, visiblement agacé.

« Il faudrait mieux que ce soit pour une bonne chose, sergent-artille », grommela le lieutenant en approchant. En remarquant Caine debout à côté du sergent-artilleur, il leva les yeux au ciel. « Gloire à vous ! Allons-nous encore parler du Cadet Caine ? Qu’est-ce que c’est cette fois cadet ? Pris avec de la gnôle dans la caserne ? Encore des combats ? » L’exaspération du lieutenant était palpable.

Le sergent-artilleur salua vivement lorsque l’officier s’arrêta devant lui, et Caine se tint au garde-à-vous.

« Pas cette fois, monsieur ». Répondit le sergent-artilleur. « Il semblerait que le cadet vienne d’obtenir un score légitime de dix-sept au test de tir ».
Le lieutenant se lécha les lèvres et cligna des yeux. « Sergent-artilleur, avec moi ». Dit-il presque voix basse.

Caine demeura au garde-à-vous, le visage tourné vers l’avant et les mains pressées le long du corps. Il observa cependant les mages balisticiens plus chevronnés arpentant le champ de tir le regard détourné. Après quelques minutes d’une discussion feutrée mais animée, ils revinrent. L’expression du lieutenant était indéchiffrable alors qu’il faisait face à Caine. Le sergent-artilleur, quant à lui, se dirigea vers l’armurerie au pas de course.

« Cadet Caine, la semaine dernière, le quartier-maître a prétendu qu’un de ses labor-jacks avait disparu au cours de la nuit. Je suppose que vous ne vous en souvenez pas ? »

La mâchoire de Caine se crispa et son esprit s’emballa, essayant de comprendre l’intention.

« Monsieur ? »

« Il semble que votre caserne était la seule à passer l’inspection le lendemain. Votre troupe était la seule à bénéficier d’une permission.

« Les… euh, les garçons et moi, on s’en est pris une bonne, monsieur », menti Caine. Depuis l’armurerie, il pouvait entendre le bruit de grands pieds chaussés de fer s’approchant, avec le sifflement rythmique de vapeur. La nausée commença à lui serrer les tripes et la vague de fierté qu’il avait ressentie quelques instants plutôt avait disparu depuis longtemps. Pourquoi le lieutenant en parlait-il ? Ne venait-il pas de faire quelque chose que personne n’avait jamais réalisé ? Ne devraient-ils pas le féliciter ? Et même lui demander comment effectuer l’évocation ? Comment se faisait-il que tout tournait si mal, si vite. Caine luttait pour garder son souffle, mais son coeur battait la chamade.

« Ou peut-être ont-ils été aidés ? Hein, cadet ? » Le lieutenant se tourna vers la porte de l’armurerie. À travers les portes ouvertes, une immense silhouette se pencha pour passer l’arcade et sortir de l’ombre. Il s’agissait d’un modèle Orient Motorisations usé, construit pour les tâches générales de travail. En apparence, il ressemblait à un homme en armure massive d’environ trois mètres de haut avec un visage en forme de visière, d’épaisses et bulbeuses épaules, des tendons de pistons et des mains surdimensionnées à triple articulation et à préhension en griffes. D’une cheminée située dans son dos s’échappait un filet de fumée. À côté de lui, le sergent-artilleur le faisait avancer en aboyant des ordres. Il affichait une expression d’indéniable suffisance.

« Vous savez, sans votre petit spectacle d’artillerie aujourd’hui, je n’aurais peut-être jamais organisé cela. » Les bras croisés du lieutenant étaient maintenant croisés, les yeux plissés.

Caine sentit la chose, ses pensées directes étant désormais repoussées aux confins de son esprit. À mesure qu’il se rapprochait, il le sentit lui aussi. Des yeux brûlants enfoncés au fond de la fente d’une visière grillagée se redressèrent et se fixèrent sur lui. Il essaya de ne pas le regarder, mais la reconnaissance qu’elle montrait le fit paniquer.

Non ! Reste en arrière ! Pensa-t-il, essayant désespérément de plier la machine semi-intelligente à sa volonté. Cela avait marché la semaine dernière, après tout…

Il ne pouvait plus l’arrêter.

La bête s’éloigna du sergent-artilleur et se dirigea vers Caine. En quelques grandes enjambées, la machine sifflante se tenait devant lui, soumise, la tête penchée.

« Oh par pitié ! Veux-tu simplement t’éloigner de moi ? Soupira Caine.

Cette fois, consciencieusement, le labor-jack recula d’un pas. Il resta immobile et pencha la tête une fois de plus, attendant un autre ordre.

« C’est ce que je pensais ». Le lieutenant hocha la tête. « Ce sera tout, sergent-artilleur ».

Le sergent-artilleur cria à la machine de reculer, mais elle restait fixée sur Caine.

« Monsieur, je ne sais pas… »


« Cadet Caine ! À la lumière de cela et d’autres incidents pour lesquels vous avez été cités, j’ai pris la décision de vous renvoyer immédiatement de cette école de combat ». Déclara le lieutenant d’un ton ferme.

Caine ne put cacher son indignation.

Plus d’un an de travail ! Bien sûr, il avait eu son lot de difficultés à s’adapter à la vie militaire, mais n’avait-il pas versé son sang et sa sueur dans cette uniforme ? N’avait-il pas fait preuve de talent ? Depuis cette dernière nuit avec son père, l’accomplissement de cette chose brûlait en lui comme jamais auparavant. Il allait le montrer à ce vieux salaud. Il lui en mettrait plein la face.

« Vous ne pouvez pas prendre ça ! » Un grognement lui tordit le visage et l’officier devant lui recula.

« Retirez-vous Cadet Caine ! » Le Lieutenant lui fit signe de partir. « Il s’agit d’une I pas d’un renvoi ! De toute évidence, nous perdons votre temps ici. Je vous envoie à l’école de combat de Caspia. Vos manigances vont probablement vous faire renvoyer, d’accord. Mais si ce n’est pas le cas, vous pourriez bien devenir un warcaster ».

11
PARTIE UNE

Cinq Ans Plutôt

591 AR, Printemps ; Brainmarché

« Allez, Allie, aide-moi ! » Le visage pâle de Tylen Reillly était rouge, sa respiration difficile. Le tuyau d’évacuation gémissait et ses fixations de mauvaise qualité menaçaient de se détacher du mur de briques. Le jeune homme se chancela, incapable de se hisser par-dessus l’avant-toit.

Allister Caine, allongé comme il l’était sur le toit, se pencha en avant avec un sourire narquois. Il leva une botte noire usée et la tint en attente moqueuse, comme s’il était prêt à renvoyé son ami frêle du haut de ses trois étages.

« Allez, viens ! Certains d’entre nous doivent faire ça à la dure, tu sais », Tylen  grogna plus agacé qu’alarmé. Caine acquiesça, le sourire toujours en place, et tendit la main vers l’avant. D’une énergique traction, Tylen fut soulevé et posé, s’écrasant sur le toit couvert de suie avec un grognement. En se retournant, il jeta un regard à Caine, puis secoua la tête avec dégoût. Ech ! Mes remerciements les plus sincères, espèce d’andouille ».

Caine ajusta sa veste en toile épaisse avant de s’allonger une fois de plus contre le toit. Il regarda au-delà des murs de la ville. Braimarché au crépuscule s’étalait devant lui. Le quartier ouvrier se pencha et s’affaissa pour devenir un canyon de toits de tôle et de murs de briques. Des cordes à linge tendu sur des balcons festonnés de draps et de sous-vêtements, et des cheminées fumaient ici et là. À huit cents mètres à l’ouest, à vol d’oiseau, Caine aperçut les imposantes cheminées des usines de pâte à papier crachant une épaisse fumée noire en silhouette sur un ciel rouge sang. Même de loin, l’odeur rance atteignit les narines de Caine. Les cheminées lui rappelaient la mission de Tylen.

« Alors ? »

Le compagnon de Caine, roux et longiligne, hocha la tête d’un air maussade et s’assit à côté de Caine. Il tira une sacoche effilochée de son épaule et la posa devant lui. « Pourquoi devrais-je t’en donner, vu les abus dont je suis victime ».

Caine sourit, le regard tourné vers l’étendue urbaine, mais tendit néanmoins une main. Tylen fouilla dans la sacoche, en sortit de la charcuterie, du pain et quelques cigares ordiques trempés dans du vin. Roulant des yeux à la main tendue de Caine, il passa l’un des cigares, puis en prit un pour lui. L’aîné, Caine, âgé de vingt ans et maigre comme un clou, repoussa en arrière une touffe de cheveux noir de jais et sortit une allumette en bois de sa botte. La grattant contre la cheminée la plus proche, il tint la flamme vacillante et la porta à son cigare. Tylen se pencha et l’alluma à son tour. Les deux jeunes gens s’appuyèrent contre le toit et profitèrent de la vue.

« Un vrai festin que nous avons ici, mais qu’est-ce qu’on a pris ? » dit Caine en tirant une bouffée et en jetant un regard en coin à Tylen.

« Ech… pas aussi bon ». Tylen sortit un porte-monnaie de sa veste et le lança sur le toit en tôle. Cinq cuivres s’échappèrent d’un sac par ailleurs vide. Caine roula des yeux, ce à quoi son ami répondit par un haussement d’épaules.

« La place du marché semblait presque vide aujourd’hui ».

« Toute la semaine ». Corrigea Caine en fronçant les sourcils.

Un cri provint d’en bas, rapidement étouffé et suivit des bruits d’une bagarre.

Caine et Tylen grimpèrent sur le bord du toit et jetèrent un coup d’oeil dans les ombres du crépuscule. En bas, deux hommes en poussaient un troisième contre le mur. Le plus grand des deux, un rondouillard au crâne rasé, maintenait la victime sanglotante en place tandis que l’autre, une brute maigre vêtue de vêtements sombres moulants, se serrait pour parler. Même du haut de leur position, le visage de l’homme était déconcertant à voir. Une blessure ou une difformité l’avait laissé avec un étroit espace à la place du nez. La victime protestait, sa voix était stridente. L’homme de main aux mains baladeuses répondit en lui portant un coup de poing dans l’estomac, assez fort pour que l’homme se plie en deux. L’homme au faciès squelettique rit, un son affreux et grinçant, et tira la tête de la victime par les cheveux. L’instant d’après, la victime céda, tendant la main pour retirer quelque chose de sa botte.

« Ech ! Les chiens sont de sortie ». Tylen ricana, les yeux plissés. « C’est Horace, hein ? Le second du Boss Dakin ? »

Caine hocha la tête. « On ne peut pas se tromper sur cette beauté. On dirait que c’est une soirée de collecte ».

Il regarda Tylen, ses lèvres se retroussant en un sourire. « C’est peut-être l’occasion de se rattraper après une mauvaise semaine ? »

Tylen rit. Caine non. Le jeune homme aux cheveux roux déglutit, son visage se tordant en une grimace.

« Tu ne plaisantes pas ».

* * *

Dans l’ombre d’une ruelle sinueuse, le duo attendait leurs cibles. Caine s’appuyait contre le mur d’une alcôve, écoutant les bruits de pas d’Horace et de son homme de main. Dans l’alcôve d’en face, Tylen faisait de même. Le jeune homme regarda Caine, le visage d’une pâleur maladive. Caine le soulagea d’un geste, l’oreille toujours tendue. Tylen hocha la tête en retour et enfila une capuche sur son visage. Caine entendit les bruits de pas s’approcher. C’était maintenant ou jamais. Le signal donné, Tylen se précipita au coin de la rue et percuta l’homme de main. Les deux hommes poussèrent un cri. Les mains agiles de Tylen s’emparèrent d’une babiole brillante à la ceinture du grand homme, et l’instant d’après, il s’élançait dans la ruelle.

« Bougre, ça m’avait pris du temps, il l’a fait ! » cria le grand homme, se retournant pour regarder Tylen s’échapper. Horace ne fut pas aussi lent d’esprit.

« Eh bien ! » cria-t-il en tapant dans le dos du grand homme, comme s’il conduisait un bœuf. Le voyou s’avança en titubant pour se lancer à sa poursuite à grandes enjambées. Horace secoua la tête, frustré, puis se mit à suivre son acolyte.

Caine sortit de l’ombre, Horace lui tournait le dos. Son front se plissa sous l’effet de concentration et ses yeux se brillèrent d’une lumière surnaturelle.

La magie arrivait.

La plupart du temps, il la gardait pour lui, cachée. Ne jamais montrer l’as dans votre manche, avait-il appris. Aujourd’hui, c’était différent. Il n’y avait que lui et le moche, sourit-il. La magie se plia à sa volonté, se manifestant et s’enroulant autour de lui en un cercle incandescent de runes. Il tendit la main, et la force s’élança vers l’avant, frappant Horace en plein dans le dos.

Le truand tomba en avant sur les pierres glissantes de la ruelle avec un grognement. Il glissa la tête la première dans la boue et la vase bordant la ruelle avant de s’immobiliser. L’homme de main qui le précédait était inconscient de la course folle, criant après Tylen d’une rage impuissante.
Caine tomba sur Horace telle un vautour, arrachant un porte-monnaie bourré avec une déconcertante facilité. Horace se débattit, essayant de repousser son agresseur.

« Tu as la moindre idée de qui je suis ? »

Leurs regards se croisèrent brièvement dans l’ombre, et Caine répondit par un clin d’oeil. Puis il disparut, se glissant à nouveau dans l’alcôve d’où il était sorti.

Il entendit l’homme au visage squelettique se relever en jurant. L’attention de Caine se fixa sur les avant-toits au-dessus de sa peu profonde alcôve.

« Tu es comme mort, petit chien ! Tu m’entends ? Tu n’as nulle part où aller maintenant ! » Hurla Horace depuis le coin de la rue.

Caine sourit, la magie l’habitant s’intensifiant encore. Concentré sur l’avant-toit, l’air se replia autour de lui telle une bulle de savon. L’alcôve sans issue disparut. Clignant des yeux, il se retrouva trois étages plus haut, accroupi à l’endroit qu’il avait repéré d’en bas.

Il était grand temps. Il se tourna pour regarder l’alcôve juste au moment où Horace tournait le coin, un pistolet à l’allure brutale ouvrant la voie. L’affreux truand arborait un féroce sourire, mais lorsqu’il vit disparaître son agresseur, il y cria un serment. Attrapant un tonneau d’ordures, il le jeta de côté, renversant le contenu. Pour faire bonne figure, il braqua son pistolet sur un gros navet roulant depuis le tonneau retourné. Le tir fit gicler la pulpe pourrie contre le mur de briques graisseuses. Le bruit de son arme résonna comme un coup de tonnerre dans l’espace confiné, et Horace trembla de rage. Criant une dernière fois, il tourna les talons et s’éloigna à grands pas.

* * *

« Stupide ! C’était stupide ! Le Boss Dakin… il va... » Tylen s’inquiétait alors que lui et Caine traversait les rues bondées d’une rangée délabrée d’immeubles. Comme ils approchaient de la dernière porte de la rangée, la lumière des becs de gaz diminua. Une porte rouge sur une cage d’escalier brisée se profilait au-dessus d’eux.

« Est-ce que les merdeux t’ont vu ou non ? »

« Non, mais… »

« Ech, alors accorde-toi un peu de crédit, pourquoi ne pas le faire ? Tu as des pieds plus rapides et des mains plus agiles que n’importe qui que j’aie jamais vu. Si tu les cailloux pour les accompagner, tu serais un cauchemar. Maintenant prends ta part et ne t’en fais pas plus ». Caine eut un sourire narquois, tapant Tyler dans le dos.

« Est-ce que ça suffira ? Tu t’en remettras à moi pour ta part ? » Tylen l’appela, son expression se transformant en inquiétude.

« Peut-être ». dit Caine en tapotant sa plaie du haut des marches.

Caine regarda son ami aux cheveux roux se fondre dans le flot des travailleurs qui rentraient chez eux en traînant des pieds. Il se tourna vers la porte et aperçut de faibles lumières dans l’entrebâillement des volets. Prenant une profonde inspiration, il entra.

Une collection hétéroclite de meubles patinés et de rebuts remplissait le salon. La longue table à manger en bois était maintenue en équilibre avec une pile de vieux livres, et des couvertures tricotées avaient été soigneusement placées sur des tissus d’ameublement déchirés. S’il y avait une chose qu’il pouvait dire à propos de sa mère, c’était qu’elle ne laisserait jamais les temps difficiles lui voler sa dignité. Caine prit tout cela avec un soupir.

Malgré les restes d’un feu crachotant dans l’âtre, la maison paraissait vide. Sa sœur était probablement en poste maintenant, à l’usine de textile, mais qu’en était-il de ses parents.

Caine fit les cents pas jusqu’à ce qu’il entende un faible sanglot à l’étage.

Montant les marches grinçantes, il trouva sa mère seul dans sa chambre, recroquevillée en boule à côté du lit. Elle ne remarqua pas son arrivée et serrait étroitement autour d’elle un châle de maison tout en pleurant. Ses longs cheveux bruns avaient été négligés, une chose rare pour elle. Dans l’obscurité, Caine la fixa, une boule à la gorge.

« M’man ? » demanda-t-il doucement. Se redressant, elle s’essuya les yeux et tenta de sourire.

« Allister… tu es rentré ? »

« À l’instant… qu’est-ce qui ne va pas, maman ? »

« Ce n’est rien, Allister. Descendons. Tu dois avoir faim, j’imagine ? »

Caine soupira, son visage se durcissant. « Où est-il ? »

« Peu importe ! C’est juste qu’il... »

« Où, maman ? » insista Caine.

« La Chaudière, je pense. Ce n’est pas sa faute, Allister ! Pas cette fois », dit-elle aussi résolument que possible. Ses yeux racontaient une autre histoire. Il y vit également des rides autour de ces yeux, vit les années d’inquiétude qu’ils contenaient, et il ne pouvait pas le supporter. Il se tourna pour partir, mais s’arrêta à la porte. Sortant de son manteau le porte-monnaie encore bien rempli, il le jeta sur le lit à côté d’elle.

« Bien sûr que c’est de sa faute ».

* * *

Caine ouvrit d’épaisses portes à double battant pour révéler un feu rugissant dans l’âtre de la Chaudière. Autour de lui, des chopes étaient frappées et des hommes au visage rougeaud riaient bruyamment. À un jet de pierre du moulin en bas de la route, c’était une salle pleine de pauvres ouvriers, se réjouissant d’une autre journée accomplie.

Caine le remarqua à peine. Tout ce qu’il pouvait clairement voir, c’était son père, Seamus, penché dans une cabine au fond, une chope pleine devant lui. En fait, il était plutôt pressé dans le box, étroitement encerclé de chaque côté par deux hommes. Le vieux machiniste bedonnant repoussa une mèche de cheveux grisonnant sur le sommet de son crâne chauve et ajusta ses lunettes, mais ne pas toucher sa chope. Caine fronça les sourcils. La seconde suivante, le grand homme à côté de Seamus faisait claquer sa propre chope sur la table, et l’aîné de Caine sauta presque de son siège. S’il ne savait pas, Caine aurait pu jurer que son père était sobre et effrayé.

À mesure qu’il s’approchait, Caine se sentit nauséeux. Les hommes assis avec son père n’étaient pas de simples partenaires de beuverie.

C’étaient les hommes qu’il venait voler il y a moins d’une heure.

Caine se tourna brusquement vers le bar, de peur qu’ils ne le repèrent à travers la foule. Que faisait son père avec eux. Caine gémit. Il leur devait de l’argent. Quoi d’autre cela pourrait-il être. Quand exactement les choses étaient-elles devenues si mauvaises que son père en était arrivé à s’endetter auprès de la mafia ? Bien sûr, les choses avaient été difficiles depuis qu’il avait été blessé à l’usine. Caine savait que son père avait eu sa part d’ennuis depuis, la bouteille n’étant pas la moindre. Mais n’avait-il pas aussi réussi à gagner quelques couronnes ici et là grâce à des petits boulots ? Comment en était-il arrivé là ? Caine se passa une main dans les cheveux et s’approcha du bar en jouant des coudes.

Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

Il se pencha pour faire un signe au barman et laissa passer un moment avant d’oser jeter un coup d’oeil par-dessus son épaule. Horace ne regardait plus dans sa direction. Le mafieux au visage squelettique était plutôt distrait par une serveuse passant. Caine laissa échapper une longue expiration et fit de nouveau face à la scène. Ouvrant son manteau, il vérifia son deux-coups dans les plis de sa veste. L’objet était attaché par des bouts de chiffons usés et sa mire avait depuis longtemps disparu, mais il lui avait assez bien rendu de service lors d’une poignée d’échauffourées jusqu’à présent.

Sur le tabouret à côté de lui, un imposant tronc d’arbre personnifiant un homme enveloppé dans une cape d’équitation noire inclinait sa chope et le regardait d’un air dubitatif. L’homme avait une crinière noire attachées en queue de cheval et avait posé solide tricorne noir sur le bar devant lui.

« Tu t’attends à des ennuis ? » dit l’étranger d’une voix à la fois sonore et grave. Caine tressaillit, refermant, le revers de son manteau. Il plissa les yeux vers l’étranger.

« Ce n’est pas ton problème, n’est-ce pas ? » siffla-t-il.

« C’est vrai. Si tu veux commencer par quelque chose, tu ferais mieux d’emporter plus que cela ». L’homme se retourna vers le bar, sirotant sa chope.

Caine le regarda, incrédule. Une chope glissa le long du bar et s’arrêta devant lui. Alors qu’il la portait à ses lèvres, il jeta un coup d’oeil en arrière pour voir si son père avait déjà apaisé les exigences d’Horace. Ce faisant, il s’étouffa avec son verre, le renversant sur le verre.

Le box où se trouvait son père était vide.

L’homme gloussa sans regarder, et Caine se leva. Poussant les clients ivres, il se dirigea vers l’arrière de la taverne. Il arriva à la porte arrière et l’ouvrit pour révéler une étroite ruelle éclairée seulement par les lampes à gaz d’une rue adjacente.

Là, son père était adossé au mur du fond et l’homme de main le rouait de coups de façon répétée. Seamus s’était recroquevillé sous les coups, sanglotant sous les bras levés. Du sang coulait de sa bouche et de son nez. Horace ricanait, observant la scène. Caine grogna, dégainant son pistolet de poche sous le coup de la colère.

En pressant la gâchette, un coup de feu résonna dans la ruelle, et le poing incliné de l’homme de main se relâcha dans une tache rouge. Un vilain trou béait au centre de sa paume, laissant les tendons déchiquetés et visibles. Le truand le regarda d’un air engourdi avant de pousser des gémissements, sa prise sur Seamus oubliée depuis longtemps.

« C’est assez ! » cria Caine.

Horace se retourna, le visage déformé par la rage. Le truand avait sorti son propre pistolet, une poivrière à quatre canons, qui brillait au clair de lune. Trop tard, Caine vit la brutale arme dirigée vers lui. En un battement de coeur, les pensées de Caine se transformèrent en action. Ses yeux brillèrent et des runes éthérées tourbillonnèrent devant lui. Pour la seconde fois cette nuit, une onde de force s’abattit sur Horace.

Le truand s’effondra sur son homme de main en train de geindre, lâchant son pistolet. Horace et son père le regardèrent, le souffle coupé et les yeux écarquillés.

« J’en ai encore une, et elle sera pour ton œil si tu ne mets pas tes mains en évidence ». prononça Caine, en pointant son pistolet sur Horace. Lentement, le truand s’exécuta.

« Très bien petit ». dit Horace d’une voix apaisante. Les mains levées, il étudia Caine. Ses yeux s’illuminèrent de reconnaissance et un hideux sourire se dessina sur son visage. « Nous nous sommes déjà rencontrés, n’est-ce pas ? Je t’accorde que la première fois, tu avais des couilles. Mais je ne suis pas stupide. Tu aurais dû t’arrêter à temps ». Horace fit un demi-pas en avant.

Trop vide pour que Caine puise réagi, une ombre surgit de derrière lui, lui assénant un coup de matraque sur la tête. Il s’effondra, le monde se brouillant. Son pistolet s’écrasa sur le sol et la silhouette déformée d’Horace s’avançant vers lui, masquant la lumière de la lampe à gaz. Des mains rudes l’attrapèrent par-derrière, le soulevèrent et le poussèrent contre le mur. Des pieds se heurtèrent aux siens, écartant ses jambes. Le rire d’Horace grinça à ses oreilles.

« Bien, voyons maintenant cette paire de couille. Marten ! Passe-moi ton couteau ». Il y eut un cri étouffé en réponse. D’une manière ou d’une autre, Caine n’était plus retenu contre le mur, et des bruits de bagarre avaient éclaté derrière lui. Tombant à genoux, il aperçut une silhouette massive se dirigeant vers l’un des sbires d’Horace. Alors que la silhouette se déplaçait, le bras tendu et la main baignée d’une étrange lumière, deux assourdissants coups de feu retentirent depuis la poivrière d’Horace. Caine cligna des yeux, essayant de remettre ses idées en place. Pour ses sens dérangés, le nouvel arrivant semblait se déformer et se déplacer juste au moment où l’arme s’exprimait, ce qui fit que les tirs à bout portant le ratèrent… de beaucoup. En deux temps trois mouvements, la silhouette sombre enchaîna avec un coup de poing sur l’homme le plus proche d’Horace. La puissance brute de l’attaque, semblable à la foudre, se répandit et crépita, et l’homme s’écrasa contre le mur de briques assez fort pour le fissurer. Caine vit un autre assaillant passer devant lui et s’effondrer dans les ordures.

Horace tremblait, regardant l’étranger qu’une seconde. Sans un mot, il se retourna et s’enfuit aussi vite que ses jambes le lui permettaient.

Sa vision s’éclaircissant, Caine leva les yeux vers l’étranger au-dessus de lui. C’était l’homme portant une cape du bar. Il portait maintenant son tricorne, repoussé près de ses yeux, et un col haut boutonné pour couvrir sa bouche. Sa cape noire s’était déployée lors de la bagarre, révélant l’éclat de l’acier à l’intérieur. Il tendit une maillée et remit Caine sur ses pieds, puis désigna le père de Caine.

« Rentre chez toi. Je vais parler à ton fils maintenant ».

Caine entendit un ordre, pas une suggestion, et Seamus acquiesça avant de sortir en boitant dans la rue.

L’étranger reporta son attention sur Caine tout en ouvrant son col. Alors que sa cape s’ouvrait encore plus largement, Caine aperçut que l’acier qu’elle contenait n’était rien de moins qu’une arme complète. Suffisamment impressionnante pour représenter la moitié de la masse de l’homme, elle était composée de tuyaux, de conduites de vapeur et de complexes armatures. Plus importante encore pour Caine, au centre du plastron se trouvait un cygne en or richement sculpté. Caine grimaça devant la marque du Roi : le Cygnus.

Cet homme était-il un inquisiteur ? Rares étaient ceux qui possédaient le don de magie comme Caine. L’Inquisition du Roi veillait à ce que cela reste ainsi. Morrow aide-moi s’ils m’ont repéré.

Non, il avait déjà eu sa part d’échecs avec ces bandits. Même s’ils portaient le Cygnus comme cet étranger, ils n’étaient pas du tout comme lui. Il devait être autre chose. C’était un soldat. Plus que cela, il devait être un leader en quelque sorte, si son allure était une indication. Et puis, il y avait le fait qu’il possédait sa magie.

Alors, qu’était-il ?

Un warcaster peut-être ? Caine déglutit.

Comme tout le monde, Caine avait entendu des histoires sur ces mages-guerriers plus grands que nature, mais peu d’entre eux en avaient rencontré en personne.

Les armées les suivaient à la trace et tombaient devant eux, du moins, c’est ce qui se passait. Les warcasters étaient des maîtres de l’acier et des sorts et eux seuls pouvaient diriger ces tanks ambulants et crachant de la vapeur, les warjacks, seulement par la pensée. Caine ne pouvait que le regarder, la bouche grande ouverte tandis que l’homme lui tendait une main maillée.

« Mon nom, c’est Magnus ».

* * *

Caine sirotait sa bière, étudiant avec méfiance le visage grisonnant de Magnus. Le warcaster ne disait rien, mais même en respirant, il dégageait une certaine menace. Les deux hommes étaient assis en face à face autour d’une table usée, au fond de la Chaudière, dans un silence abject.

Caine tressaillit sur son siège, les yeux se dirigeant vers la porte, attendant des représailles de la part de la foule. Magnus grogna.

« Me voici », déclara finalement Magnus, la voix basse et à l’accent que Caine ne parvenait à situer. « J’arrive de Caspia pour les affaires du roi. Je m’abrite une nuit à Brainmarché et qu’est-ce qui m’interrompt durant mon verre ? Un foutu ensorceleur voyou. Maintenant, notre bon et noble Roi Vinter a clairement expliqué mon devoir dans de telles circonstances ».

« Vous voulez m’emmener à l’Inquisition, c’est ça ? » demanda Caine.

Magnus se radoucit et s’installa dans son siège. « Non. Après réflexion, je ne suis pas sûr de pouvoir le faire. Tu as un don rare, si tu es parvenu à les devancer aussi longtemps. Je ne pense pas que ce sera moi qui t’emmènerai. Au contraire, j’espère que tu le feras, après t’avoir dit ce que j’ai à te dire ».

Caine croisa les bras, les sourcils froncés.

« Tu as quelque chose que la plupart des gens tueraient pour avoir. De plus, tu es bon tireur et tu as un coeur solide. Alors qu’est-ce que tu es ? » Magnus fit une pause, le dégoût se lisant sur son visage. « À te voir, un voleur au mieux, mais probablement bien pire. Un putain de gâchis de ton potentiel, à mon avis. Maintenant, il existe une autre voie, sans Inquisiteurs ». Il prit une longue gorgée de sa chope. « Bien sûr, tu pourrais continuer à te cacher, mais je pense pas que ce soit ce que tu es. Même si c’était ton père, c’est une personne qui comptait plus que ton propre cul. C’est un début. Faire passer quelque chose avant soi est au coeur de tout bon soldat. Ajoutez à cela des dons comme ceux de Morrow t’a fournis, et tu as alors le potentiel pour quelque chose de plus grand encore. Leadership, Caine ! Regarde-moi. Je suis aussi mal né que toi, mais je me suis battu pour devenir le conseiller du Roi Vinter en personne ! C’est ce genre de potentiel dont je te parle ».

Caine se moqua, regardant sa propre chope. Le service était pour les imbéciles. Vous avez échangé votre liberté contre cet uniforme, votre vie aussi. Une somme dérisoire de couronnes était tout ce que vous valiez pour eux. Peut-être vous donneront-ils une petite bande de ruban si vous êtes un bon chien. Mais d’une manière ou d’une autre, même s’il se répétait ces choses, elles tombaient un peu… à plat. Il devait admettre qu’il y avait quelque chose dans ce que disait Magnus. Ce n’étaient pas de l’autorité, ce n’était pas du pouvoir, et ce n’était certainement pas un sentiment exagéré de patriotisme… alors qu’est-ce que c’était.

Caine se raidit sur sa chaise et rencontra le regard sévère de Magnus.

« Merci pour le conseil, mais j’ai les miens à protéger ici ».

Le visage de Magnus se durcit, et le grand homme recula immédiatement de la table. En se levant, il se pencha en avant jusqu’à ce que ses yeux ne soient pas qu’à quelques centimètres de ceux de Caine.

« Ça ne durera pas, fils. Tu ferais mieux de prendre la décision tant que tu le peux ».

* * *

Caine trouva son père près de l’âtre, les mains croisées sur sa chaise usée. Il ne restait plus des braises et il les regardait, absorbé, tandis que Caine entrait discrètement par la porte d’entrée. Il aperçut l’éclat des couronnes répandues sur le sol devant lui. Le sac que Caine avait laissé à sa mère se trouvait dans sa main.

« Qu’est-ce que tu crois faire ici, fils ? Après ce que tu as fait ? » bredouilla son père, les postillons aux lèvres. Il y avait une bouteille vide à ses pieds.

« J’ai essayé de te sauver... » Soupira Caine depuis la cage d’escalier.

« Ça se serait passé comme ça, si tu avais laissé faire. Ce que je dois faire pour me racheter maintenant, Morrow le sait ».

« Le Boss Dakin est un homme sans pitié ! Comment as-tu pu t’endetter auprès de lui pour commencer ? » Caine secoua la tête, frustré.

« Tais-toi ! Qu’est-ce que tu en sais ? Je m’en occupais ! Ma dette n’était même pas due. Pas avant une semaine ! »

Caine grimaça. Il repensa à sa première rencontre avec Horace. Le butin de la nuit avait été volé. Se pourrait-il qu’Horace ait essayé de recouvrer quelques dettes plus tôt que prévu pour sauver la face auprès son boss ? L’idée qu’il ait pu être à l’origine de ce gâchis lui donnait le tournis.

« Alors ta mère… elle me montre ça ! » s’écria son père en jetant un coup d’oeil sur la table, cria son père en jetant le sac à moitié vide sur le vieux plancher. « Alors tu penses que j’ai besoin de ton aide ? » Les yeux de son père étaient désormais fous et il tremblait.

« Non, P’pa ! Tu vois les choses du mauvais côté ».

« Si tu penses que je ne sais pas comment tu obtiens cet argent, détrompe-toi. Je sais précisément ce que tu es ! » Son père trébucha et sortit en titubant de la pièce principale. Il s’approcha de Caine, l’attrapant par le revers de son manteau pour l’empêcher de tomber. Caine s’appuya contre le mur pour garder l’équilibre.

« Tu n’es pas meilleur que moi, fils ! Comprendre ? Tu es juste un voyou. Et quant à ça… » Il se détourna de Caine, plongeant sur les couronnes qui se trouvaient sur le sol et les ramassant dans ses mains. « C’est de l’argent du sang. Je n’en veux pas ! » Il jeta les couronnes sur les braises de l’âtre.

Agacé, Caine s’approcha de l’âtre, passant devant son père pour attraper un tisonnier. « Pour l’amour de Morrow ! Vous en avez besoin ! Ils en ont besoin ! Je ne pense pas être meilleur. C’est juste que… »

Son père le frappa durement au visage. Caine tressaillit, la douleur du coup lui faisant perler des larmes aux yeux. Il s’efforça de se relever, mais son père était au-dessus de lui, le lorgnant. Le tisonnier lui tomba des mains.

« P’pa ! » le supplia-t-il. « Prends-le. Ils méritent… mieux… » bredouilla-t-il, la lèvre ensanglantée.
Son père le frappa à nouveau, le visage tordu par la rage.

« Il ne s’agit plus d’argent, Allister ! Brainmarché n’est pas si grand que ça. Combien de temps avant qu’ils ne découvrent qui tu es ? Qu’en sera-t-il de ta chère mère ? » jura-t-il en frappant à nouveau Caine. Malgré la douleur, Caine avait du mal à se débarrasser de Seamus.

Caine rencontra les yeux de son père avec la même intensité sauvage. « Tu as tort ! », cracha-t-il cette fois, tenant le poing de son père à distance. Le deux hommes étaient maintenant tendus par l’effort.

« Je vais te montrer, espèce d’ivrogne biberonneur de boutanche ! » Les yeux de Caine étaient devenus blancs. Le son fut aspiré de la pièce par un soudain courant d’air. Il vit les yeux de son père s’écarquiller au-dessus de lui et sa peau se mit à picoter. L’instant d’après, tout avait disparu. Alors que l’éblouissement dans ses yeux s’estompait, son foyer et son père avaient été remplacés par la route sombre devant sa maison.

Caine marcha dans la nuit.

12
PROLOGUE

596 AR ; Merywyn

Le vieil homme trébucha dans le couloir sombre, quittant sa chambre somptueuse en proie à la panique. Il trébucha sur un épais tapis et se retrouva maladroitement par terre. Avec un gémissement, il se releva et se remit en marche. Il risqua un coup d’oeil par-dessus son épaule, scrutant les ombres de la porte qu’il avait quittée, bouche bée.

Rien n’avait bougé.

Au bout du couloir, un grand balcon donnait sur un vaste hall. Les murs étaient chargés d’inestimables peintures, presque trop nombreuses pour être comptées, même s’il pouvait nommer chacune d’entre elles. Le palier se divisait à gauche et à droite en une cage d’escalier qui descendait en spirale sur trois étages avant de rejoindre le rez-de-chaussée. Alors qu’il s’approchait de la cage d’escalier, il se retourna une fois de plus, le souffle court.

Rien ne le poursuivait.

En fait, on ne voyait personne. Il n’y avait ni garde ni serviteur, et la plupart des torches du couloir avaient été éteintes. Arrivant enfin au palier, il saisit la balustrade de marbre poli et appela un domestique. À bout de souffle, sa voix n’était plus qu’un léger râle.

Pas de réponse en bas.

Ça suffit, pensa-t-il en prenant une profonde inspiration. Les démons qui le poursuivaient étaient du domaine du rêve. Il n’y avait rien de plus que cela. Certes, il avait enduré de terribles cauchemars depuis des mois, mais il était idiot de les laisser prendre le dessus sur ses nerfs comme ça. Il se détourna du palier, la mine renfrognée…

…pour voir apparaître une silhouette dans la fumée.

Il cligna des yeux, son air renfrogné se transforma en étonnement. Il s’écoula suffisamment de temps pour les regards se croisent, et pas une seconde de plus. Une onde de choc silencieuse de force spectrale déferla sur lui, portée par des vrilles de brume bleue incandescente. Le vieil homme n’était plus qu’une poupée de chiffon, projetée par-dessus la balustrade. Il plongea trois étages plus bas, un hoquet dans la gorge. Il n’eut pas le temps d’en faire plus. Avant qu’il ne puisse reprendre son souffle pour crier, il se retrouva nez à nez enchevêtré dans précieuse peau d’ours blanc bien conservée.

Sous lui, le sol de marbre mit fin à sa chute aussi brusquement qu’elle avait débutée.

13
LES CHRONIQUES DES WARCASTER : VOLUME UN

LA VOIE DE CAINE

MILES HOLMES

PROLOGUE

PARTIE UNE

PARTIE DEUX

PARTIE TROIS

ÉPILOGUE

INDEX DES ROYAUMES D’ACIER

14
Bonne lecture  :)

15
INDEX DES ROYAUMES D’ACIER

Ancienne Ichtier : Une antique cité au sein du Protectorat dans le sud profond, considérée comme la source de la civilisation menite de l’Immoren occidental et le Canon de la Vraie Loi originale.

Lac Barbotal : Il s’agit d’un immense lac et d’un fleuve au coeur de Rhul, et de la soure du Fleuve Noir. Les cités rhuliques de Ghord, Ulgar et Brunder se situent sur ses rives.

Groupe de bataille : Un wacaster et les warjacks qu’il contrôle.

Berck : Ville portuaire ordique, plus grande ville d’Ord et port d’attache de la Marine Royale Ordique.

Fleuve Noir : Le plus long fleuve de l’Immoren occidental, qui relie le Rhul, le Llael et le Cygnar. Merywyn, Corvis et Caspia-Sul se reposent sur ce fleuve et forme la frontière orientale de Cygnar, la séparant des Marches Sanglantes.

Cape Noire : Terme appliqué aux énigmatiques mystiques et potentiellement dangereux faisant partie d’une ancienne société secrète s’appuyant sur le pouvoir destructeur des éléments et de la nature sauvage.

Morteseaux : Ville portuaire cryxienne et siège de sa flotte de pirates.

Marches Sanglantes : Une grande région géographique aride entre le Désert de Jaspe et l’Immoren occidental, occupées par des tribus idriennes, farrow et l’Armée de l’Extrême Occident Skorne.

Caen : Nom du monde contenant les Royaumes d’Acier, Immoren, Zu, etc. On oppose parfois le monde matériel au monde spirituel d’Urcaen.

Carre Dova : Ville portuaire ordique, située sur la rive septentrionale de la Baie de la Pierre.

Caspia : Capitale de Cygnar, la « Cité des Murs » et l’unique ville humaine à ne pas être tombée aux mains des orgoth.

Ceryl : Ville portuaire cygnaréenne, siège de l’Ordre Fraternel des Magiciens et de la flotte septentrionale de la marine cygnaréenne.

Pierres Bavardes : District de Cinq-Doigts sur l’Île de l’Hospice, remarquable pour son grand cimetière rempli lors d’une ancienne peste sur l’île.

Colosse : Massifs prédécesseurs des modernes steamjacks, ces grandes machines ont été construites à l’origine pendant la Rébellion contre les orgoth.

Cortex : Dispositif mékanique hautement arcanique conférant au steamjack son intelligence limitée.

Corvis : Ville du nord-est cygnaréen située à la jonction du Fleuve Noir et la Langue du Dragon, également appelée la « Cité des Fantômes ».

Vallée de Crael : Vallée agricole du nord de Cygnar, au sud de Brainmarché, brièvement prise et tenue par Madrak Cuirdefer et les Kriels Unis.

Cryx : Également connu sous le nom d’Empire du Cauchemar, un royaume insulaire de nécromanciens, de morts-vivants et de pirates situé au sud-ouest et dirigé par Toruk le Père des Dragons.

Cygnar : Le plus méridional des Royaumes d’Acier, gouverné par le Roi Leto Raelthorne et portant le Cygnus sur son drapeau.

Tour du Bois Profond : Forteresse frontalière septentrionale cygnaréenne, détruite en 608 AR.

Dragon : Créatures immortelles et non naturelles engendrées par le Seigneur Toruk, le premier et le plus grand d’entre eux. Les dragons sont hostiles les uns envers les autres, et en particulier envers leur géniteur, et s’intéressent rarement aux affaires des êtres inférieurs.

Fleuve de la Langue du Dragon : Le fleuve s’étend de Corvis à la Baie de Pierre séparant le Cygnar de l’Ord et sur laquelle reposent un certain nombre de villes telles que Port Bourne, Tarna et Cinq-Doigts.

Drer Drakkerung : Ruines de l’ancienne capitale orgoth sur l’Île de Garlghast, désormais revendiquée par le Cryx et considérée comme le siège du Seigneur Liche Terminus.

Mur-Levant : Forteresse cygnaréenne du sud-est, le long du Fleuve Noir.

Fellig : Ville Cygnaréenne septentrionale du Bois d’Épines, actuellement partiellement occupée par des troupes ordiques et coupée de Cygnar.

Ruissepêche : Ancienne ville cygnaréenne au nord du Fleuve de la Langue du Dragon, rasée en 607 AR par la Croisade du Nord du Protectorat.

Cinq-Doigts : Ville portuaire ordique connue pour ses jeux d’argent, ses gangs criminels et son commerce de contrebande, également sous le nom de « Port de l Tromperie ».

Garlghast : La plus septentrionale et la plus grande des îles Scharde, site de l’ancienne capitale orgoth de Drer Drakkerung.

Ghord : Capitale de Rhul, sur la rive nord-est du Barbotal.

Gobber : Race de petite taille composée d’individus curieux, agiles et entreprenants qui se sont bien adaptées aux villes humaines. La plupart des gobber mesure environ nonante centimètres de haut. Les gobber sont connus pour avoir d’indéniables aptitudes pour les appareils mékaniques et l’alchimie.

Mage Balisticien : Arcaniste capable de canaliser son énergie arcanique dans des tirs runiques tirés à l’aide de ses pistolets cinémantiques.

Hammerfall : Forteresse rhulique occidentale protégeant les approches occidentales à travers les montagnes de Ghord.

Col de l’Enfer : Ancienne cité ogrun autrefois conquise par l’Empire khardique et faisant maintenant partie de Khador.

Fort-Horgen : Forteresse rhulique méridionale protégeant les approches sud de l’intérieur rhulique, y compris la route de Leryn et le Fleuve Noir.

Haute-Muraille : Ville côtière cygnaréenne, siège de la flotte méridionale et quartier général de la Troisième Armée Cygnaréenne.

Imer : Capitale du Protectorat de Menoth, ville relativement récente située près des Collines d’Erud.

Immoren : Continent comprenant les Royaumes d’Acier, Ios, Rhul, l’Empire Skorne et les terres les séparant. Une grande partie d’Immoren reste inexplorée et ses habitants n’ont eu que peu de contacts avec les autres continents.

Ios : Nation isolationniste située à l’est des Marches Sanglantes,, Ios a été fondée bien avant les nations humaines par les survivants d’un empire détruit appelé Lyoss.

Iosien : Habitant d’Io, une race elfique d’une grande longévité subissant un long déclin progressif et confrontée à une catastrophe cosmologique imminente.

Royaumes d’Acier : Initialement, les quatre nations fondées après la Rébellion orgoth : Cygnar, Khador, Llael et Ord. Le Protectorat de Menoth, fondé après la Guerre Civile Cygnaréenne et ayant récemment déclaré son indépendance vis-à-vis de Cygnar, devint le cinquième Royaume d’Acier. Avec la conquête de Llael, il reste peu de ce royaume.

Contrôleur : Personne ayant appris à donner des ordres verbaux précis à un steamjack  pour le diriger dans la conduite du travail ou de la bataille. Une compétence professionnelle très utile, bien que dépourvu de la polyvalence ou de la finesse offerte par le contrôle mental direct des steamjacks exercé par un warcaster.

Khador : Le plus septentrional des Royaumes d’Acier, autrefois un royaume et aujourd’hui un empire. L’Empire Khadoréen est dirigé par l’Impératrice Ayn Vanar.

Khardov : Ville industrielle de l’ouest du Khador, qui est également une plaque tournante majeure du chemin de fer khadoréen.

Korsk : Capitale de Khador et la plus grande ville de ce pays, située sur la rive orientale du Lac Grand Zerutsk.

Lac Grand Zerutsk : Le plus grand des trois grands lacs entourant Korsk dans le centre de Khador.

Leryn : Ancienne ville de Llael et lieu de naissance de l’Ordre du Creuset d’Or, aujourd’hui siège de la Croisade du Nord du Protectorat. Occupé par les khadoréens pendant la Guerre Llaelaise et ensuite prise par le Protectorat.

Llael : Autrefois le Royaume d’Acier le plus oriental ; largement conquis durant la Guerre Llaelaise de 604 – 605 AR et actuellement divisé entre le Khador, le Protectorat et la Résistance Llaelaise.

Mékanique : Fusion de l’ingénierie mécanique et de la science des arcanes.

Mercir : Ville côtière méridionale cygnaréenne, siège de la Ligue Mercarienne.

Meredius, le : Océan occidental, travers avec succès par les orgoth.

Merin : Capitale de l’Ord.

Merywyn : Ancienne capitale du Llael, actuellement la plus importante ville industrielle du territoire occupé par les khadoréens.

Midfast : Ville et forteresse ordique septentrionale, le long de la frontière khadoréenne.

Empire du Cauchemar, l’ : Cryx.

Nordgarde : Ancienne forteresse de la frontière nord cygnaréenne, assiégé et prise par le Khador en 608 AR, servant actuellement de forteresse de réapprovisionnement pour l’armée khadoréenne.

Nyss : Cousin des iosiens, les nyss sont une race de chasseurs sauvages voulant revendiquer de larges portions du Khador septrional comme leur territoire. Largement décimé par l’émergence de la Légion d’Everblight, les nyss survivants sont en grandes parties des réfugiés dépendant de Khador et d’Ios.

Ogrun : Race de grande taille et physiquement puissante, réputée pour sa force et son honneur. La plupart des ogrun sont citoyens de Rhul, mais on les trouve dans tous les Royaumes d’Acier et également en Cryx.

Olgunbosque : Forêt située au su de l’Ord et principale source de bois d’oeuvre de cette nation.

Ord : Royaume d’Acier situé sur la côte ouest entre le Khador et le Cygnar, largement neutre dans les récentes guerres et considéré comme un havre pour les compagnies de mercenaires.

Orgoth : Redoutable race humaine ayant envahi et asservi l’Immoren occidental pendant des siècles. Les orgoth sont arrivés en grand nombre sur les rives occidentales d’Immoren et ont rapidement conquis les royaumes humains de l’époque, avant d’être chassés il y a un peu plus de quatre cents ans.

Protectorat de Menoth : Théocratie du sud-est dédiée au dieu Menoth. Considéré comme le cinquième royaume d’acier, il n’existait pas à l’époque des Traités de Corvis.

Rougemuraille : Forteresse llaelaise à la frontière khadoréenne, détruite en 604 AR.

Tir Runique : Balles spécialement conçues pour inscrire des runes, utilisées par les mages balisticiens pour canaliser leurs énergies mystiques.

Rhul : Nation naine du nord-est, bordant le Khador, le Llael et l’Ios ; les natifs sont appelés rhulfolk.

Rhulfolk : Nains de Rhul. Un peuple tenace et compétent commerçant depuis longtemps avec les nations humaines.

Îles Scharde : Groupes d’îles au sud-ouest de Cygnar, nommé d’après la plus grande des îles devenue le coeur de Cryx. La majorité des Îles Scharde font partie de l’Empire du Cauchemar tandis que celles qui sont contestées sont la proie de Cryx.

Sul : Ville du Protectorat occidental, anciennement la partie de Caspia à l’est du Fleuve Noir, cédée après la Guerre Civile Cygnaréenne.

Esprit d’Outre-Tombe : Quartier de Cinq-Doigts connu pour sa production d’alcools, une source majeure de revenus pour la ville.

Steamjack : Automate mékanique à vapeur conçu dans grande variété de configurations et de tailles, utilisé à la fois pour le travail et la guerre au sein des Royaumes d’Acier, Cryx et Rhul.

Tarna : Ville ordique méridionale sur le Fleuve de la Langue du Dragon, le site où les premiers ensorceleurs ont été découverts lors de la Rébellion contre les orgoth.

Thuria : Ancien royaume humain conquis par le Tordor des siècles avant l’arrivée des orgoth actuellement divisé entre le sud de l’Ord et le nord de Cygnar.

Thurien : Groupe culturel composé des peuples du sud de l’Ord et du nord de Cygnar partageant des ancêtres communs.

Tordor : Ancien royaume humain réputé pour sa grande flotte.

Tordoréen : Groupe culturel des peuples du nord de l’Ord, comprenant notamment la noblesse terrienne la plus puissante et la lignée royale.

Trollkin : Robuste race apparentée aux trolls pur-sang. Les trollkin vivent à la fois dans leurs propres communautés en marge de la civilisation et parmi les cités humaines.

Uldenfrost : Petite ville de trappeurs et de chasseurs situées à l’extrémité septentrionale et occidentale de Khador.

Umbrie : Ancien royaume humain centré sur ce qui est aujourd’hui le Khador oriental et anciennement le nord-ouest de Llael.

Urcaen : Mystérieux royaume cosmologique étant la contrepartie spirituelle de Caen, où résident le plupart des dieux et où la plupart des âmes passent pour expérimenter l’au-delà. Il est divisé entre les domaines divins protégés et les étendues sauvages infernales où rode le Ver Dévoreur.

Veld : Nom iosien de l’Urcaen.

Néant : Deux significations différentes : le vide entourant Urcaen d’où surgissent les maudits morts-vivants ; et où les âmes skorne sont jetées après la mort si elles ne sont pas abritées au sein de pierres sacrées. On ne sait si ces deux usages décrivent le même lieu.

Warcaster : Arcaniste né avec la capacité naturelle de contrôler les steamjack avec leur esprit Avec une formation appropriée, le warcaster devient un atout militaire singulier et parmi les plus grands soldats de l’Immoren occidental, chargé de commander des dizaines de troupes et leur propre groupe de bataille de warjack sur le terrain. Acquérir et former des warcasters est une priorité pour toute force militaire employant des warjacks.

Warlock : Arcaniste capable de se lier à des bêtes sauvages ou asservies et de les contrôler mentalement.

Warbeast : Bête sauvage liée à un warlock.

Warjack : Steamjack très perfectionné et bien armé, créé ou modifié pour la guerre.

Zu : Continent peu exploré au sud d’Immoren, engagé dans un lucratif commerce avec les immoréens pour certaines marchandises exotiques.

16

Le sifflet du Sergent Crawley réveilla le camp bien avant l’aube. « On bouge, les Cerbères ! Nous avons une piste brûlante ».

« Toute la compagnie se mit en branle. Il n’y eut pas de grognements ni de bavardages comme d’habitudes lorsqu’ils levaient le camp et se rassemblèrent au sein des unités leurs ayant été assignées. Dans chaque unité, deux hommes portaient une lanterne au lieu de la ramener au chariot d’avitaillement. Harrow attendait déjà pour ouvrir la voie vers la piste qu’il avait découvert.

Les traces de l’étrange warjack suivaient les empreintes de griffes du Massacreur le long d’un chemin de broussailles piétinées et d’arbres marqués. Un peu plus d’un kilomètre dans le sud de l’Octelande, les Cerbères rencontrèrent les conséquences de cette poursuite.

Personne n’eut besoin d’une fusée éclairante de Harrow pour voir la lumière cryxienne fumante s’échappant du corps en ruine du helljack. Sa cheminée avait depuis longtemps cessé de produire de la fumée, et aucune vapeur ne s’élèverait du moteur à la nécrotite froid. Deux lames-scies luisantes dépassait du châssis arrière de l’imposant Massacreur, mais Crawley attira leur attention sur une ligne sinueuse brûlée à travers l’épais fer noir de l’avant du helljack.

« Qu’est-ce qui pourrait faire ce genre de dégâts sur Caen ? »

Sam fronça les sourcils. « J’ai déjà vu des éclairs brûler à ce point, mais pas de façon aussi régulière ».

« En voici une autre », déclara Burns. Il montra une profonde entaille juste sous l’une des articulations de l’épaule du Massacreur. « On dirait un impact, mais il y a la même brûlure profonde ».

Sam laissa tomber une main sur la poignée de son épée. « Si j’étais joueuse, je parierais que ce qui a frappé le Massacreur à cet endroit a donné un sacré choc à son cortex. Il ne semble pas que l’explosion provienne du warjack que nous avons combattu à l’entrepôt.

« Non », dit Crawley. « Cela doit venir de son marshal ».

« Ou du warcaster », rétorqua Sam. « Soyons réalistes, d’après le peu que nous avons vu, il s’agit de quelque chose qui peut voler. Vous ne pouvez-pas dire qu’il n’y a pas de magie là-dedans ».

Personne ne le contredit.

« Ce qui m’intéresse, c’est ce que nous ne voyons pas ici », reprit Lister.

Le bras », acquiesça Sam. « L’autre warjack a poursuivi celui-ci pour récupérer son bras »

Burns siffla. « C’est un sacré warjack, un dur à cuire ».

Crawley désigna Harrow, qui faisait signe depuis un endroit situé cinquante mètres plus au sud. « Il a trouvé quelque chose d’autre ».

La Liche surveillante gisait dans un enchevêtrement, brûlée et abattue par la même arme qui avait aidé à abattre le Massacreur. Deux de ses trois crânes avaient été brisés en éclats d’os. Le troisième regardait fixement le ciel gris

McBride revint en courant après sa rotation d’éclaireur : « J’ai trouvé le warjack. Un quart de kilomètre. Et il n’est pas seul ».

« Avez-vous vu son warcaster ? »

McBride secoua la tête. « Non, mais il se tient dans une sorte de structure métallique éclairée. Il y a un plus petit ‘jack qui a l’air de réparer le grand ».

« Le réparer ? » dit Crawley.

« C’est ce qu’il semble, oui, sergent ».

Sam ordonna que le plein de charbon et d’eau soient fait aux grands gaillards. « Nous laisserons le chariot d’avitaillement ici », dit-elle. « Crawley, demande aux deux autres chariots de nous suivre, en restant à une centaine de verges derrières. Je ne veux pas que notre cible les voie avant que nous soyons prêts à leur faire coucou, mais je veux qu’ils entrent en action dès que nous serons au contact ».

« Oui’s » Il désigna le siège du conducteur du chariot de Gully. « Lisse, bienvenue dans l’encadrement. Ne prends pas tes aises ».

Le grand homme se glissa entre les deux conducteurs, souriant en les serrant entre ses bras. « Ça va être amusant ».

« Éteignez les lanternes », prononça Sam. « Laissez-les dans le chariot ».

À la lumière diffuse de la lune, Sam divisa les Cerbères restants en trois unités. La première comprenait Burns, Dawson, Morris et Fraser. Ils la suivirent tandis qu’elle dirigeait Gully et Foyle dans la direction indiquée par McBride. Lister et Crawley prirent les autres.

« Je veux que vous serriez les flancs, à gaucher et à droite », dit-elle tout à tour en désignant Lister et Crawley. « La cible principale est celle que nous avons déjà vue, mais si le petit tente de s’échapper, arrêtez-le. J’envoie Foyle et Gully plein gaz. Nous savons qu’il ne sert à rien d’essayer de la faire tomber, alors je vais essayer de l’immobiliser. Prenons exemple sur les cryxiens, et éliminons ses bras ».

« Et si le contrôleur se montre ? »

Sam hocha la tête. « Dans ce cas, nous changeons d’objectif. Si nous agissons rapidement, nous aurons le warjack inopérant avant de devoir nous soucier des renforts. D’autres questions ? »

Il n’en eut pas.

« D’accord, Cerbères. Récupérons notre prime et sortons de ce maudit marais ».

Sam ouvrit la marche au milieu. À ses côtés, Gully et Foule aplatissaient les broussailles. Dans le sud, le tonnerre lointain faisait écho à leurs lourds pas. Sam freina Foyle pour permettre aux  warjacks d’avancer au même rythme que les autres, juste assez vite pour que les courber les fumées noires s’échappant derrière eux.

Alors que les Cerbères avançaient, un éclair en provenance du sud dessina la silhouette de la colline. Un autre coup de tonnerre retentit, bien plus proche que le précédent. Après avoir cligné des yeux pour éviter l’éblouissement de la foudre, les Cerbères virent ce que McBride avait repéré plus tôt.

La structure se trouvait à une trentaine de verges en contrebas de la crête d’une colline, abritée à l’est, à l’ouest et au sud par des bosquets de frênes et de chênes. La lumière de la structure éclairait les branches et les quelques feuilles restantes des arbres argentés. Deux lueurs mobiles et des rafales d’étincelles occasionnelles ajoutaient un sentiment d’industrie à ce lieu autrement solitaire.

Avec une base ne dépassant pas trois mètres de diamètre, le bâtiment reposait sur une fondation circulaire de ce qui semblait être de l’acier poli. Chaque surface était incrustée d’un métal plus sombre, dont a couleur réelle était masquée par les lumières bleu-blanche. Quatre gracieuses entretoises soutenaient un agencement de poutres bimétalliques qui, à leur tour, soutenaient une étrange coupole à quatre lobes à environs quatre mètres cinquante au-dessus du sol.

Il y avait un autre carré placé à l’intérieur du carré extérieur, décalé de quarante-cinq degrés. Des poutres descendaient des tuyaux de caoutchouc ondulé d’épaisseur variable, de la largeur d’un doigt d’homme à la circonférence de son bras. Les plus gros tuyaux s’ajustaient contre le châssis de gros warjack, le maintenant en place, tandis que les plus petits tubes partant des colonnes de soutien de la structure se connectaient à des ports situés dans l’abdomen du warjack. Les lentilles de verre les plus proches des ports brillaient d’énergie, bourdonnant alors qu’elles semblaient recharger la machine de guerre.

Il ne faisait aucun doute qu’il s’agissait du même warjack que les Cerbères avaient combattu à l’entrepôt d’avitaillement ordique. Les blessures étaient identiques, y compris le bras tranché, maintenant suspendu à des câbles à côté du trou béant de son épaule.

Un autre automate mékanique avança prudemment à travers les colonnes et les tuyaux de ma station et autour du gros warjack. Il se déplaçait sur trois pattes au lieu de quatre, son économie de mouvements ressemblaient plus à un mécanisme qu’à une machine de guerre, chacun de ses membres trouvant soigneusement sa place avant que l’un des autres ne bouge.

Les trois jambes de l’automate convergeaient vers une base en acier. Sous celle-ci pendant l’extrémité inférieure d’une bobine rayonnait d’une énergie blanche-bleue. Sous le socle reposait deux engrenages rotatifs en laiton supportant un cylindre trapu. Insérée dans des plaques de chrome et des lentilles bleues cette section abdominale supportait encore un rotor en laiton. Le tout était surmonté d’une « tête » d’où dépassaient une scie radiale fixe, une petite griffe en acier et le sommet de la bobine de verre formant l’axe de l’automate.

L’automate à trois jambes étendit sa scie pour découper un coin déchiqueté du châssis à l’épaule du warjack lourd. Alors que des étincelles jaillissaient du métal, deux globes de la taille d’un heaume descendit du plafond de la structure.

Elles ressemblaient à de simples sphères chromées flottantes, chacune dotée d’une lentille « oculaire » supérieure et de deux lentilles inférieures et d’une pince attachée par un simple bras à engrenage et piston. Tenant compte d’un ordre invisible, elles saisirent le métal déchiré et le maintinrent fermement pendant que l’automate de réparation cisaillait le métal endommagé.

« McBride n’a remarqué qu’une des petites tout à l’heure », dit Sam. « Descendons-les avant qu’il n’y en ait d’autres ».

Dégainant son épée paralysante, Sam regarda à gauche et à droite. L’obscurité masquait les mouvements de ses unités de flanc, mais elle hocha la tête comme si elle les avait vus – ou comme si elle leur faisait simplement confiance pour être là ou elle les avait dirigés.

« Allez, mes grands gaillards », prononça-t-elle à ses warjacks : « Tout droit au milieu, double cadence ».

Elle courut avec eux. Juste au moment où Foyle approchait sa pleine vitesse, le plus grand automate de réparation sortit de la station de recharge et tourna sa « tête » inhumaine dans leur direction. L’une des sphères flottantes le suivit, serrant sa pince dans un geste nerveux.

« Ils nous ont repérés », déclara Sam. « Chargez! »

Foyle décupla sa vitesse, levant sa lance paralysante haut alors qu’il suivait la pointe de l’épée de Sam en direction de l’automate réparant le warjack. Sam resta plus proche de Gully, qui leva son espadon au-dessus de sa tête et suivit son homologue plus petit.

L’une des sphères flottantes émit un cri d’alerte aigu, et s’agrippa à un pilier proche en simulant la peur humaine. L’autre se mit immédiatement à fuir vers l’est, en émettant des sifflements et des vrombissements d’alarme.

Tenant toujours son épée d’une main, Sam dégaina son long pistolet et visa tout en continuant d’avancer. Elle tira. Des étincelles et du verre brisée jaillirent du serviteur en fuite, faisant taire son alarme et le projetant au sol.

Se fut le seul signal dont l’unité de Crawley avait besoin. Se précipitant hors de la couverture des aulnes, l’unité de Crawley tomba sur le plus grand automate de réparation. Elle vrombit et poussa des cris d’alarme, ressemblant plus à un ‘jack sous l’assaut de soldats professionnels qu’à un orgue pris d’assaut par un enfant curieux. Sa scie fixe s’avança, mais Crawley l’écrasa avec sa pioche, Swire écrasa la bobine saillante alors que l’énergie qui s’en dégageait formait un arc de soudage. Les autres tombèrent sur les jambes de l’automate, brisant les rouages en laiton et écartant les jambes de la base.

Derrière son compagnon abattu, le warjack lourd s’agitait dans son berceau de recharge. À un signal silencieux, les supports cylindriques se retirèrent. Un gémissement de colère du bras-scie s’amplifia tandis qu’il se retournait pour faire face à ses attaquants.

Cette fois, il était trop tard. La lance paralysante de Foyle s’enfonça profondément dans le plastron argenté du warjack. Des éclairs crépitèrent le long de la lance, et le warjack frappé frissonna dans une danse d’électricité. « Gully, brise le bras ! » Sam pointa son épée.

Le grand warjack bondit de tout son poids. Son espadon cisailla les engrenages mécaniques entraînant l’axe de scie dans l’unité d’épaule. Avec un pathétique gémissement de décélération, la fureur montant du lance scie se dissipa.

L’unité de Lister avait déjà intercepté la seconde petite sphère, qui s’était enfuie dans la direction opposée. Avec de féroces mais précis coups, les Cerbères l’abattirent avec leurs pioches. La pointe de la hache de Craig attrapa le « coude » de la sphère et la cloua au sol. Bowie acheva le travail en empalant son châssis sphérique. Avec un pitoyable gémissement, l’automate émit ses dernières protestations.

De retour au berceau de recharge, sur l’ordre de Sam, Foyle retira sa lance et planta à nouveau. Cette fois, la lance creusa un profond sillon dans le châssis chromé du warjack, mais la pointe ne pénétra pas assez profondément pour paralyser la machine. Pourtant, alors que le warjack blessé levait son bras partiellement reconnecté pour frapper, Gully le trancha d’un unique coup.

Même sans bras, le warjack lourd luttait contre les grands gaillards. « Abattez-le ! » leur dit Sam. Ils frappèrent l’ennemi avec leurs boucliers. Sans bras, il n pouvait rien faire de plus que de se tordre et vrombir d’un désespoir impuissant.

« Attendez ! » appela Sam. Lorsque les machines de guerre firent une pause, elle plongea son épée paralysante dans l’abdomen du warjack ennemi. Telle une version plus petite que la lance de Foyle, son épée crépita d’un époustouflant éclair. Le warjack démembré frissonna, ses jambes  s’agitant en involontaire danse. Comme par sympathie, la foudre explosa juste au-dessus de la colline, le tonnerre éclatant en même temps que l’éclair. « Très bien, Cerbères, abattez-le ! »

Les trois unités convergèrent vers la warjack tandis que Sam ordonnait aux grands gaillards : « Dehors ! »

Une qu’ils se furent rapprochés avec leurs pioches, les Cerbères surent instinctivement où frapper, brisant les engrenages exposés et bosselant les groupes motopropulseurs au point de les rendre inutilisables. Ils continuèrent jusqu’à ce que les lentilles bleues du warjack clignotent et que Sam s’écrie : « Ça suffit. Maintenant, tenez-le bien ».

« Tu es sûr, Sam ? » demanda Lister.

« Je sais ce que je fais. Ne bougez pas ».

Tandis que les Cerbères coinçaient les membres restants du warjack, Sam plongea sa lame profondément dans le châssis. Sur son signe de tête, Lister s’approcha et retira le métal à l’aide de sa pioche. Après avoir jeté un coup d’oeil à l’intérieur, Sam poignarda à nouveau, élargissant la blessure. Elle recommença trois fois, jusqu’à ce que Lister écarte le métal pour révéler le cortex bleu brillant.

En quelques coups de lame supplémentaires, Sam coupa les connexions. Les dernières lueurs du warjack s’éteignirent, et ses membres s’affaissèrent dans un vrombissement pitoyable. Elle sortit son trophée.

« Voilà qui devrait donner au Vieux de quoi étudier. Chargez le reste de cette chose sur le chariot, ainsi que les autres ».

Il fallut quelques minutes à Lisse et aux conducteurs pour arriver, tant l’assaut avait été rapide. Une fois le chariot tourné, Sam ordonna à Gully et Foyle de faire basculer le corps du warjack ennemi dans le chariot et de le pousser sur plancher renforcer de fer. L’unité de Lister porta le bras tranché de la machine et le souleva par-dessus le côté du chariot pour qu’il rejoigne le corps.

« Ce n’est pas aussi lourd que ça en a l’air », remarqua Lister.

« Il est quand même sacrément lourd, si tu veux mon avis », grogna Burns. « Monsieur ! »

Une fois le gros du travail effectué, Lister et Burns retournèrent chercher les sphères abattues. Sam fit signe à Harrow et, ensemble, ils grimpèrent la colline pour jeter un coup d’oeil au-delà. Quelque part, la ville cygnaréenne de Calbeck se trouvait de l’autre côté du fleuve.

Les restes des Cerbères sécurisa le warjack lourd pour le transport et ajouta les plus petits automates au chargement. Au total, la cargaison était plus lourde que ce que le chariot avait l’habitude de transporter, mais Crawley approuva le travail à contrecœur.

Alors qu’ils achevaient, Lister gravit la colline pour rejoindre Sam et Harrow, mais ils revenaient déjà en courant. « On bouge ! » dit Sam. « On bouge vite ! »

Lister rejoignit Sam et Harrow. « Qu’est-ce qu’il y a ? »

« Warcaster », répondit Sam. « Cette fois, elle a amené des amis.

Les conducteurs des chariots claquèrent les rênes. Lisse se laissa tomber dans le chariot, se retournant pour s’asseoir le dos contre le siège. Il tenait son gros flingue prêt à l’emploi tandis que le reste des chiens courait à côté du chariot qui accélérait.

Ils tournaient la tête à chaque nouvel rayon de l’aube naissante, apercevant parfois leurs poursuivants. Depuis le chariot, Lisse pointa le doigt vers le haut et prononça : « Que Morrow nous préserve ! »

Sept silhouettes ailées s’élevaient au-dessus de la crête de la colline et descendaient vers les Cerbères se retirant.

Celles qui se trouvaient sur les deux flancs semblaient parfaitement identiques : dans l’éclat furtif de l’orage, leurs corps brillaient de chrome et de laiton. Leurs silhouettes toutes en courbes étaient indéniablement féminines, mais elles mesuraient plus de deux mètres de haut et étaient entièrement métalliques, de leurs visages immobiles aux bords acérés de leurs ailes en laiton. Chacune tenait dans une main de tranchantes lames d’acier. Dans l’autre, un lourd gantelet laissait entrevoir un pouvoir inédit.

Leur chef différait dans chaque détail. Ses ailes étaient trois fois plus larges que celles de ses subordonnées, chaque plume étant reliée à son propre système motorisé. Les élégantes lignes de son armure étaient à la fois plus épurées et plus élaborées que les autres, des ailes impériales de sa coiffe jusqu’aux hauts talons de ses bottes étincelantes. Elle tenait un massif bâton, lui-même doté d’un mécanisme se hérissant de la même énergie bleu-blanche que celles que les Cerbères avaient vue à la station de recharge. Pourtant, malgré tous ces traits distinctifs, ce qui distinguait la cheffe de ses serviteurs était l’expressif visage humain sous le casque, la chair humaine exposée au niveau de ses épaules et l’expression de colère humaine dans ses yeux.

« C’était un ange ! » cria Dawson à Lisse.

« Nous avons ce pour quoi nous sommes venus », hurla Sam. « Il est temps de partir. Allez, allez, allez ! »

Les chevaux furent rattrapés par la panique des humains, hennissant alors qu’ils tiraient la lourde cargaison sur le terrain accidenté. Chaque fois que les roues heurtaient une ornière, Lisse rebondissait d’un côté à l’autre. Le warjack sans bras commença à glisser vers lui. Avec sa bonne jambe, il se poussa dans le coin chariot et se prépara au pire.

Un autre éclair illumina les cieux. Plutôt qu’un coup de tonnerre, un cri lancinant accompagna l’éclat blanc-bleu. Le rayon jaillit du bâton de la warcaster. Là où il toucha l’imposant châssis de Gully, le rayon laissa une ligne chauffée à blanc. Des flammes s’élevèrent là où l’intense chaleur touchait l’huile ou des débris sur la peau métallique du warjack. La blessure passa du blanc au rouge tandis que Gully poursuivait sa route, se laissant distancer par Foyle qui s’approchait du chariot pour lui disputer la tête.

Un éclair bleu-blanc frappa le sol à côté du chariot, recouvrant ses passagers de gazon mouillé et de détritus tout en faisant tomber Burns et McBride au sol. Burns fut le premier à se relever. Il saisit McBride par la ceinture et le remis sur ses pieds. « Cesse de lambiner ! »

Une autre explosion se produisit. Dawson se retourna pour en voir la source. Les éclairs d’énergie jaillissaient des gantelets des anges mécaniques, l’un après l’autre. Ils tombèrent tout autour des Cerbères battant en retraite, les renversant et projetant le chariot d’un côté à l’autre.

Les autres répondirent à l’appel de Sam alors qu’ils s’approchaient de l’endroit où ils avaient laissé les deux autres chariots. Dans la confusion de la tempête, de la pénombre de l’aube et du chaos de la retraite soudaine, les conducteurs et les mékaniciens s’efforçaient de faire demi-tour avant que leurs soldats n’arrivent.

Dawson regarda sur le côté pour voir Morris courir à côté de lui, puis regarda en arrière juste au moment où un autre ange lançait un éclair d’énergie. La terre explosa entre eux, les couvrant tous les deux de fragments enflammés. Ils se regardèrent, incrédules et soulagés d’avoir survécu. Ils continuèrent à courir, frappant les débris brûlant sur leur peau.

Un autre rayon provenant du bâton de la warcaster attrapa Gully en fuite. Cette fois, le faisceau déchira son blindage, faisant exploser ses réservoirs en laiton et étain dans l’avarie, ainsi qu’une longue langue de flamme et de fumée noire. La machine de guerre réussit encore quelque pas avant de s’écraser dans un tas de vapeur, de feu et de fumée.

L’épée de l’ange trancha Morris en deux, des côtes à l’omoplate. Du sang chaud aspergea Dawson au visage tandis que Morris luttait pour respirer, son poumon ouvert béant à travers sa cage thoracique scindée. Il prononça un mot, mais n’en sortit que du sang. Dawson n’eut pas besoin de l’entendre. Il le reconnut à la forme des lèvres de Morris : « Isla ».

« Dawson, sors de là ! » hurla Burns.

Un autre trio d’anges descendait. Elles abattirent leurs épées à l’unisson. Telles les lames d’une charrue, ils se penchèrent pour tracer des sillons.

Une fois de plus, Dawson se jeta à terre. Il se releva plus léger et se retourna un instant, telle un chien courant après sa queue, pour voir ce qu’on lui avait arraché. Ce n’était que son paquetage.

Au-dessus de lui, un autre projectile explosa. Il leva les yeux pour voir le panache crémeux du tir de Burns se détachant des ailes d’un autre ange mécanique. Que ce soit par instinct ou par dessein, leurs ailes se repliaient pour les protéger de chaque projectile approchant.

« Ce n’est pas bon », cria Dawson, « les ailes sont des boucliers ! » Il essaya de courir, se rendit compte qu’il s’était égaré et se retourna, cherchant un signe de sa compagnie. Il se concentra sur le bruit sourd du chariot et courut vers lui.

« Te voilà ! » Burns l’attrapa par le bras et l’entraîna. « Je pensais qu’ils t’avaient eu ».

« Ils ont tué Morris », cria Dawson. « Les anges emploient leurs ailes comme boucliers ».

« OK. Dis-le à Sam. Cours ! »

Ils n’eurent pas beaucoup à courir. Sam était occupé à transformer en avantage l’encombrement des trois chariots qui convergeaient vers le même espace. « Formé un cercle ! Foyle, va à l’arrière. Écrase-les s’ils s’approchent ».

Lister et Crawley répétèrent ses ordres, chacun à sa manière. Tandis que les anges mécaniques et leur maîtresse tournaient au-dessus, les hommes se recroquevillèrent derrière un abri.

« Capitaine », dit Dawson, à moitié essoufflé. « Les anges mécaniques, ils utilisent leurs ailes pour se protéger des tirs ».

Sam secoua la tête, comme si elle ne pouvait pas croire la nouvelle.

« Si c’est vrai, Sam », dit Lister, arrivant par-derrière, « alors notre seul espoir pourrait être de couper et de courir ».

Ils se jetèrent au sol alors que les anges mécaniques déclenchaient une autre volée d’explosions d’énergie. Quelques secondes plus tard, les pilotes plongèrent vers les Cerbères, tranchant avec leurs lames acérées. Un trio d’anges balaya Foyle, qui porta un coup avec sa lance paralysante qui semblait lente comparée à la légèreté des anges. Un autre trio tomba sur deux conducteurs, dont les cadavres éviscérés chutèrent au sol.

Dawson se releva. « Lieutenant, nous avons déjà tant perdu. Gully n’est plus. Morris est mort. Nous ne pouvons pas simplement nous enfuir maintenant. Ils vont nous abattre !

« Ressaisis-toi, soldat ».

« Et le chef ? » demanda Sam. « Est-ce que ses ailes la protègent aussi ? »

« Je ne- » débuta Dawson. « Je parie que non. Ses ailes sont beaucoup plus grandes que les autres. Elle vole différemment aussi. Je ne vois pas comment elle pourrait les déplacer à temps ».

Sam réfléchit à son opinion.

« En plus », ajouta Dawson. « Elle n’est pas comme les autres. Sous cette armure, elle est de chair et de sang. Si nous la blessons, elle pourrait se retirer ».

Sam fit un calcul silencieux et hocha la tête. « D’accord, Dawson. Je vais couvrir ce pari ». Avec un coup d’oeil vers le haut, elle baissa la voix. « Faites passer le message à tous les hommes. La prochaine fois qu’ils s’approchent, la première, la première salve est pour tous ces grands anges. Rechargez rapidement. Si nous parvenons à l’attirer, nous pourrons alors concentrer tous les tirs sur leur chef ».

« Lister, Crawley et Dawson se passèrent le mot à voix basse. Les soldats préparèrent leurs gros flingues, tandis que les conducteurs et les mékaniciens dégainèrent les pistolets qu’ils portaient sur eux en cas d’urgence ou de cheval boiteux. « Deuxième salve, tous sur le chef », rappela Dawson à l’un des conducteurs.

Le tonnerre se fit entendre, mais pas en provenance du sud. Cette fois, le grondement venait de l’est, et il fut suivi par éclair.

« Oh, merde ! » s’écria Burns. « Ils nous ont encerclés ».

Sam pencha la tête, écoutant. Levant les yeux pou s’assurer qu’aucun ange n’était prêt à lui tomber dessus, elle saut sur le chariot d’avitaillement, et se tint droite, scrutant l’ouest à la recherche d’un signe de ce qui approchait.

Le bruit du tonnerre se transforma en grondement de sabots de chevaux. Une demi-douzaine d’hommes montés se dirigeaient vers les chariots des Cerbères. Devant eux se trouvaient une bannière cygnaréenne.

« Sam, descends ! » hurla Crawley.

Sans s’arrêter de regarder, Sam se pencha en avant, tombant du chariot et s’écrasant sur le sol. Un trio d’anges mécaniques passa devant l’espace qu’elle venait d’occuper, leurs épées tranchant des morceaux des panneaux du chariot.

Leur chef plongea l’instant d’après, son bâton rayonnant frappant le siège du conducteur avant de se retirer ?

Sam secoua la tête « On dirait qu’elle et moi avons eu la même idée.

« Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? » demanda Crawley.

« Même plan, mais cette fois on sait qu’elle arrive. Tous tirent sur le chef ».

« Comment peux-tu être sûr qu’elle reviendra ? »

« Je vais lui donner une raison ».

Sam remonta sur le chariot, se redressa et braqua son canon à main. Alors que Crawley et Lister lui beuglaient de sauter, elle attendit que les anges descendent. Elle pointa son canon sur le trio, s’abaissant à demi accroupie, stabilisant la crosse de son pistolet avec sa main gauche. Alors qu’elles arrivaient à portée, Sam plia les genoux et bondit en arrière, se tournant pour faire face à la direction opposée.

La warcaster se dirigea directement vers Sam, son bâton débordant déjà d’énergie. Sam tira alors qu’elle retombait à l’abri entre les chariots.

Le grondement des gros flingues assourdit les Cerbères. Les projectiles ricochèrent à quelques pas du warcaster, déviées par une invisible énergie protégeant son corps. Malgré la défense, ses ailes se replièrent sous l’impact, son corps armuré s’écartant de la trajectoire prévue.

À proximité, les anges mécaniques poussèrent des cris métalliques à la vue de leur chef tombant du ciel. Ils plongèrent vers elle.

Avant qu’ils n’arrivent, la warcaster ailée se redressa d’un bond pour se percher – comme Sam l’avait fait l’instant d’avant – sur le bord du chariot d’avitaillement. Elle secoua ses ailes repliées comme une cape et regarda Sam avec des yeux bleus glacés. Puis, d’un air surpris, elle se toucha la joue et regarda le sang sur ses doigts.

Sam fixa son adversaire, tandis qu’autour d’elle, les Cerbères rechargeaient leurs gros flingues et leurs pistolets.

La warcaster leva les yeux au ciel lorsque la cavalerie cygnaréenne arriva. À leur tête se trouvait un homme aux cheveux blancs vêtu d’une armure bleue et or. Il maniait lui aussi un bâton, mais au lieu de l’étrange éclat de l’ange, le sien crépitait d’éclairs.

La warcaster ailée sauta du chariot, prenant son envol alors même que les Cerbères visaient. Avant que quiconque puisse mirer, les anges mécaniques s’approchèrent pour la protéger de leurs ailes. Ensemble, ils s’envolèrent vers le sud, dépassant la colline solitaire et s’enfoncèrent dans l’obscurité de la tempête.

L’un après l’autre, les Cerbères se levèrent pour examiner leur environnement.

« Occupez-vous de ces feux », grogna Crawley, attrapant un seau de sable et ouvrant la voie vers le coin enflammé du chariot d’avitaillement.

Sans un mot, Dawson partit dans la direction opposée. Lisse se redressa sur sa béquille et commença à le suivre, mais Harrow secoua la tête. Ensemble, ils regardèrent Dawson s’agenouiller près du corps de Morris. Ils virent qu’il parlait au mort, mais ne purent entendre les paroles. Lorsque Dawson eut terminé, il retira trois médaillons du cou de Morris et les plaça autour du sien.

Les cavaliers prirent des positions offensives autour du triangle de chariots, mais leur chef descendit de cheval et se dirigea directement vers Sam. Sans préambule, il dit : « J’ai reçu votre message ».

« Nos efforts nous permettent de vous montrer plus que depuis je l’ai envoyé », déclara Sam.

« Bon timing, Vieux », déclara Burns. « Vous êtes arrivé juste à temps pour nous voir terminer le travail sans aucune aide ».

Les sourcils blancs de l’homme se levèrent, mais au lieu de répondre à Burns, il se tourna vers Sam. « Est-ce celui qui a acheté la moitié d’un cheval qui parle ? »

D’une main, Sam étouffa un rire. « Caporal ‘Pare-balles’Burns, Général Artificier Nem o ».

Nemo regarda le trou de balle dans le casque de Burns. « Un trou dans le crâne et il est de retour sur le terrain ? C’est merveilleux ce qu’ils peuvent faire avec des blessures à la tête de nos jours ».

« Il ne faut jamais sous-estimer la détermination d’un Cerbère ». Sam ne jugea pas nécessaire de préciser comment Burns avait mérité le trou de balle. « Venez voir ce que leur sacrifice vous a apporté. Vos récompenses sont un peu plus abîmées, mais nous les avons ».

Le capitaine conduisit Nemo au chariot et lui montra le warjack démembré et les automates qui l’accompagnaient. Nemo souleva le serviteur sphérique et regarda dans sa lentille morte. Il passa un doigt dans l’orifice du projectile l’ayant fait chuter et lança un regard triste à Burns.

« Bravo, Sam. Je serai plus qu’heureux de signer ce bonus dont nous avons discuté ».

« Ne parlez pas trop vite », dit-elle. « J’ai autre chose à vous montrer ».

Elle le conduisit jusqu’au sommet de la colline, juste au moment où l’aube perçait les nuages gris. Sam fit signe à Nemo de la rejoindre au bord d’une proéminence surplombant le fleuve. Là, ils contemplèrent la Langue du Dragon. Là, ils observèrent de l’autre côté de la Langue du Dragon, le spectacle qui l’avait tellement effrayée alors qu’ils se préparaient à déplacer les chariots.

Au loin, ils aperçurent une ville riveraine grouillante d’activité dans le halo bleu-blanc. Sam regarda Nemo alors qu’il examinait la scène qu’elle avait déjà vue.

Les formes mécaniques étaient partout, mais sans l’échappement de vapeur révélateur caractéristique produit par un travail mékanique. L’étrange lumière émanant de leurs casques, et de diverses autres ouvertures, révélait leur nature inhumaine.

Celles qui gardaient les rues extérieures de la ville portaient de lourdes masses et des boucliers, illuminés de la même manière par les étranges énergies communes aux warjacks et aux « anges » que les Cerbères avaient vaincus. Les boucliers étaient particulièrement curieux, leur conception en croissant suggérant un but inconnu. Derrière ces défenseurs se tenaient des rangs de hallebardiers, leurs silhouettes n’étaient pas moins féminines en raison de leur édification en acier.

D’autre formes mécaniques – des hommes cette fois – patrouillaient dans les zones intérieures de la ville de Calbeck. Elles ne portaient pas d’armes distinctes, mais marchaient le poing levé, l’un renforcé d’une lourde lame perforante, l’autre hérissé de canons. Aux intersections des rues les plus grandes, des plus petits warjacks à trois jambes et de plus grands à quatre jambes montaient la garde.

Un nouveau bâtiment s’élevait au-dessus de tout cela, étendant es quatre vastes jambes arquées pour toucher les quatre coins de la ville. Bien plus grande que la station de recharge, c’était une tour de laiton, d’acier et de verre, imprégnée de l’étrange lumière bleu-blanc alimentant toutes leurs machines. Quatre pétales s’ouvraient autour d’un énorme orbe gris au sommet de la structure. Les élégantes lignes de la tour exprimaient autant l’art que l’efficacité, pointant vers le ciel telle la cathédrale d’un dieu extraterrestre.

Sous les yeux de Sebastian Nemo, la warcaster volante et ses anges mécaniques virent se poser au sommet de la tour inachevée. La warcaster se tourna pour regarder en arrière vers la rive ordique. Ses yeux se tournèrent directement vers la colline sur laquelle Sam et Nemo se tenaient.

Le Général Artificier baissa sa longue-vue. « Qu’est-ce que tu m’as apporté, Sam ? »

« Certains garçons s’inquiétaient que tu nous aies envoyés à la chasse au gobber ».

Nemo lui jeta un regard dur, mais son expression s’adoucit. « Je ne pensais pas que vous m’apporteriez un dragon ! Mais vous, Capitaine Samantha MacHorne, vous m’avez amenée directement dans l’antre du dragon ».

« En gardant cela à l’esprit, et compte tenu des difficultés que nous avons rencontrées, je manquerais à mon devoir envers les garçons, et les hommes, si je ne suggérais pas qu’un bonus supplémentaire soit de mise ».

Jetant un coup d’oeil de l’autre côté du fleuve, en direction de Calbeck occupée, Nemo hocha lentement la tête. « Je vais réviser votre lettre de crédit en conséquence ».

« Vous voulez qu’on vous escorte quelque part ? »

« Non », répondit Nemo. « J’enverrai un messager pour amener le reste de mes forces ici. Je ne sais pas ce que ce nouvel ennemi de l’autre côté du fleuve à l’intention de faire là-bas, mais tu peux parier que je vais le découvrir ».

* * *

Dawson compta les pièces avant de signer deux copies du reçu. L’employé de la banque les contresigna tous les deux et en remit un à Dawson, ainsi qu’une bourse en peau de veau. « Avec la courtoisie de l’établissement, Soldat Dawson. C’est toujours un plaisir de faire affaire avec les Cerbères ».

« Au moins quand nous avons les poches pleines grâce à un nouveau contrat, n’est-ce pas ? »

« Je vous assure, monsieur- »

Dawson lui fit un clin d’oeil. « Je plaisante. Quand commencera-t-elle à recevoir l’argent ? »

« Le prochain coursier arrivera à Carre Dova dans deux jours. La jeune Isla devrait recevoir la paiement le lendemain ».

« Et le médaillon ? »

« Oui, soldat, et le médaillon. Le récépissé de livraison devrait nous parvenir dans une semaine environ ». L’employé hocha la tête, impatient de s’attirer les faveurs d’un nouveau client. Dawson s’éloigna, souriant en secouant la tête.

En quittant la banque, il aperçut une trollkin familière vendant des poulets rôtis au bout d’un bâton qu’elle tenait en bandoulière. Dawson lui fit signe de s’approcher et leva un doigt. Lorsqu’il vit un cul-de-jatte se frayer un chemin sur la promenade en s’agrippant à une paire de blocs, il modifia sa commande par deux, et remit le second au mendiant.

Le mendiant lui dit ; « Je vous connais ? »

Dawson haussa les épaules et déposa une poignée de pièces dans la poche de l’homme. « Achète-toi quelque chose à boire ».

Alors que Dawson s’éloignait, le mendiant l’interpella. « J’aime ta nouvelle veste, Cerbère », dit-il. « Je me souviens de toi maintenant ».

Dawson arracha un pilon et lui fit un signe au revoir avec.

En tournant le coin de la rue, il faillit entrer en collision avec Bowie, qui arrivait de la rue transversale. « Te voilà, Dawson !  Sam veut que tous les garçons reviennent à l’entrepôt pour le premier briefing ».

« Oh, allez », se plaignit Dawson. « J’aimerais qu’elle choisisse quelqu’un d’autre pour aller chercher les garçons cette fois-ci. Je viens juste d’acheter mon dîner ».

« Elle ne t’envoie pas », déclara Bowie en le dépassant pour se diriger vers le Marché de la Rouille. « C’est moi qu’elle envoie ».


17
PARTIE TROIS

Les Cerbères trouvèrent les corps des hommes disparus non loin des ruines fumantes du dépôt d’avitaillement ordique. Les hommes n’étaient pas tombés près des flammes, mais leurs corps gisaient brûlés et tordus de l’autre bout de la structure.

Contre toute attente, Lisse insista pour rester debout à l’aide d’une béquille que Harrow avait tallée dans une branche de frêne. Les autres Cerbères surveillaient l’épais bandage enroulé autour du haut du mollet de Lisse. Le Sergent Crawley avait donné l’ordre général que dès que quelqu’un verrait du sang couler, Lisse serait ramené au chariot, quel que soit le nombre d’hommes nécessaires pour le faire.

Lisse éleva la voix par-dessus le clapotis de la pluie. « Ils ont dû tomber sur la liche de fer pendant que nous nous battions à l’intérieur de l’entrepôt ».

« Il n’y a pas pire façon de faire », déclara Burns.

Même pas brûler ? » demanda Dawson. Lui et Burns cousirent l’un des morts dans un sac de toile, tandis que Swire et McBride firent de même pour l’autre.

Burns hocha la tête, son visage inhabituellement sobre. « La brûlure est horrible, mais ce qu’est que de la douleur. Tu meurs, c’est fini. Ces cryxiens, leurs liches de fer et certains des autres monstres ne font pas que vous tuer. Ils extraient votre âme et l’utilisent pour nourrir leurs malfaisantes machines ».

Dawson n’ajouta rien.

Une fois les sacs scellés, Lister murmura une prière pour les corps. Morris et environ la moitié des autres hommes passèrent la main sous leur plastron pour toucher leur médaillon d’ascendant et ajouter leurs propres invocations silencieuses à la cérémonie improvisée.

Lorsque Lister eut terminé, Sam retira ses lunettes et s’avança. « Nous prendrons bien soin de Bates et Hughes jusqu’à ce que nous puissions les ramener chez eux », déclara-t-elle. « Il y a plus à dire sur chacun d’eux, mais pour l’instant nous avons un travail à achever. Quand nous aurons fini, nous boirons à leurs souvenirs, et je raconterai la fois où un gobber a vendu à Hughes une demi-part dans un cheval qui parle ».

Quelques-uns des hommes sourirent à la mention de l’incident par le capitaine. Burns s’essuya les yeux d’un revers de la main. « Il était tellement crédule ».

« Tu veux que je te rappelle qui a acheté l’autre moitié ? » demanda Sam.

« Je ne vois pas ce que tu veux dire, capitaine ». Burns feignit l’innocence.

Quelques-uns des hommes forcèrent un rire, mais l’hilarité n’atteignit jamais leurs yeux.

« Une fois que la pluie se sera suffisamment calmée pour le suivre, nous retrouverons ce warjack. Et cette fois, nous allons le faire tomber, peu importe à quel point ses jambes sont glissantes. Nous le livrerons au Vieux, et nous toucherons la prime, non seulement pour nous, mais aussi pour Robinson, Bates, Hughes, et pour leurs familles ».

« Bien dit, bien dit », déclara Crawley. Ses yeux étaient rougis par la fumée, mais il ne les frotta pas. Au lieu de cela, il polit les lentilles de ses lunettes et les remis en place. « Maintenant, j’ai besoin de voir nos grands gaillards ».

Les Cerbères ramenèrent les morts jusqu’au chariot, où ils déposèrent les sacs à côté de celui contenant les restes de Robinson. Alors que les autres les regardaient partir, Sam rappela Crowborough : « J’ai besoin que tu transmettes un message ».

« Oui capitaine. Où ? »

« Eh bien, c’est la partie délicate. Donne-moi ta carte ». Lorsqu’il le fit, Sam encercla trois points de l’autre côté du Fleuve de la Langue du Dragon. Elle remit à Crowborough une lettre pliée. « Uniquement pour le Vieux. Tu le trouveras dans l’une de ces zones. Commence par la plus proche en premier.

Lister remit une bourse à Crowborough. « Prends le coursier. Traverse au Bac de Callbeck s’il est en activité. Sinon tu devras passer à gué à Oxbridge.

« Oui, monsieur », répondit Crowborough, saluant tour à tour. « Oui’s ».

Il courut vers le chariot d’avitaillement, n’accordant qu’un instant pour saluer les soldats tombés au combat, avant de réquisitionner un manteau de pluie à capuchon et le plus rapide des chevaux de salle. En quelques minutes, il s’éloigna des flammes mourantes du dépôt de ravitaillement.

Le Sergent Crawley fit grimper les mékaniciens sur les deux warjacks, leurs efforts étant entravés par la pluie battante. Une fois qu’il peut assurer à Sam qu’ils étaient en état de marche, le capitaine mena les Cerbères vers le sud, la direction dans laquelle ils avaient vu pour la dernière fois le helljack Cryx et l’étrange warjack chromé s’enfuir.

« Tu penses que le lance-scie veut récupérer son bras ? » demanda Lister à Sam. Ils marchaient côte à côte avec Crawley devant les chariots. Burns, Morris, Dawson et Lisse les protégeaient, leurs gros flingues rechargés et prêts à l’action.

« C’est ce qu’il semble », dit Sam. « Tout comme il semble que la liche voulait se procurer un morceau de ce warjack. Si le Cryx apprend ses secrets avant que le Vieux n’ait une chance de les découvrir… » Elle laissa sa phrase en suspens.

« Je n’ai jamais vu un warjack comme celui-là », reprit Burns. « Ce ne sont certainement pas des cygnes ou des rouges. Pas les fanatiques non plus. Serait-ce les elfes ? »

« Il est assez bizarre pour les iosiens », déclara Lister.

« Non, la façon dont il se mouvait, ça ne ressemble pas du tout à de la magie elfique », déclara Crawley. « C’est beaucoup plus mékanique. C’est quelque chose de complètement nouveau. As-tu vu sa cheminée ? »

« Non », dit Sam.

« Moi non plus. Cette chose fonctionne avec une forme d’énergie complètement différente ».

« Tu es sûr que ce n’est juste pas une nouvelle mékanique ? »

Non, je ne suis pas sûr », déclara Crawley. « Cela ne semble pas magique. Pas seulement mékanique. C’est quelque chose de nouveau ».

« Je commence à comprendre pourquoi le Vieux est si intéressé par cette chose », ajouta Sam.

La pluie fluctuait. Au plus fort, elle fumait contre les cheminées brûlantes de Foyle et Gully. Lorsqu’elle n’était qu’une bruine, elle semblait s’évaporer avant même toucher le fer chaud.

Un tonnerre lointain annonçait une pluie plus féroce à venir, mais Sam garda les chiens en mouvement tout au long de sa soirée. Elle passa d’unité en unité, félicitant les hommes pour le courage dont ils avaient fait preuve, leur demandant comment ils voulaient dépenser leurs primes à leur retour à Tarna. Elle menaça certain d’entre eux d’une partie de cartes, un stratagème suscitant un sourire ou un refus ferme, même chez les hommes les plus traumatisés. Lorsque le crépuscule et la pluie rendirent toute poursuite inutile, elle fit halte.

Crawley ordonna à l’unité de Dawson d’ériger un abri en bâche sur les warjacks. Aussi imparfait soit-il, il empêchait la pluie de tomber sur la tête des mékaniciens pendant qu’ils martelaient les bosses que l’étrange warjack pilonné sur le corps de fer de Foyle.

Lorsqu’ils achevèrent, les hommes se tirent sous l’abri pendant un moment, profitant du refuge contre la pluie.

« Ce que je veux savoir, c’est ce que le capitaine a vu sur le toit », dit Crawley. « Qui contrôlait ce warjack ? Nous étions du mauvais côté de ce combat. Qu’as-tu vu Morris ? »

« Juste une ombre », répondit-il. « Nous étions trop occupés à essayer de faire basculer ce warjack. Peu importe le nombre de filet qu’on lui lançait, ce satané engin ne voulait pas tomber ».

« Nous n’avons pas eu plus de chance avec les gros flingues », déclara Dawson. « Mais au moins, il sait qu’il s’est battu ».

« On a joué de malchance en n’ayant pas les grands gaillards avec nous », dit Burns. « Sam a envoyé Gully partout », reprit Lisse. « Cela aurait été mieux si elle avait été là pour le guider. Le grand gaillard n’est pas des plus brillants avec autre chose que de simples instructions. Il lui a fallu une éternité pour se déplacer de l’autre côté du dépôt ».

« Dis, vous étiez dehors, Lisse », dit Dawson. « Qu’avez-vous vu sur le toit ? »

« Je ne regardais pas au début », déclara Lisse. « Plus tard, après l’explosion, j’aurais juré avoir vu quelque chose voler au-dessus.

« Voler ? » demanda Morris.

« Je sais, ça paraît fou. Au début, j’ai pensé qu’il s’agissait d’un jeu de lumière sous la pluie. Ais j’aurais juré avoir vu quelque chose avec des ailes ».

« Quelque chose comme un oiseau ? »

« Un putain de gros oiseau, peut-être », dit Lisse. « Mais non, la forme était différente. Ses ailes ne battaient pas comme celles d’un oiseau. C’était plus comme s’il planait. C’était presque comme… nah ».

« Allez, crache », dit Burns.

« Eh bien, c’était presque comme une personne avec une grande paire d’ailes sur son dos ».

« Une personne ? » demanda Burns. « Des ailes dans son dos ? »

« J’ai eu l’impression durant seconde de voir quelque chose », dit Lisse. « La bataille nous a distraits. D’ailleurs, je t’ai dit que je n’avais rien vu en réalité ».

« Ha ! » rit Burns. « Ta mortelle égratignure t’as fait voir des anges ! »

« Attention à ce que tu dis, Burns ! »

« J’ai toujours pensé que ce serait le lieutenant qui finirait pas avoir des visions divines ».

« Je te préviens… »

« Je vous crois », prononça Dawson.

« Ne lui fais pas plaisir, gamin », dit Burns. « Il a fait courir Lucille sur son cuir chevelu un peu trop souvent, il s’est entaillé le cerveau ».

« Ne parle pas de Lucille », prévint Lisse.

« Je dis juste que j’ai cru voir quelque chose, moi aussi », dit Dawson. « Quelque chose qui volait dans la pluie alors que le warjack s’enfuyait. Ça aurait pu être… vous savez… en forme d’ange ».

« C’est tout ce que je dis », déclara Lisse. « Quelque chose avec des ailes. Ce genre de forme ! »

« En forme d’ange », se moqua Burns. « Je vais vous laisser à votre réunion de prière les filles avant que vous ne commenciez à vous tenir la main et chanter des hymnes.

« Après le départ de Burns, Dawson regarder Lisse et voulu poser une question ;

« Je ne veux même pas l’entendre », reprit Lisse. Le grand homme quitta le refuge.

Quelques heures plus tard, Dawson retourna au camp après avoir fait son tour de garde. Le clapotis constant de la pluie sur son capuchon avait menacé de l’endormir, mais il était resté attentif à tout signe de lueur cryxienne verte ou de l’étrange rayonnement bleu-blanc qu’il avait vu sur le warjack chromé.

Une fois que les mékaniciens eurent fait tout ce qu’ils pouvaient pour Gully et Foyle, les hommes se relayèrent sous l’abri pour manger leurs repas de haricots blancs et de bacon. Peu après que

Dawson les ait rejoints, le Lieutenant Lister entra péniblement dans la tente, se penchant sur son bol pour le protéger de l’averse.

Dawson observa Lister ôter de sa bouche son éternel cigare et le ranger dans une pochette de sa ceinture. Les mèches grises de la barbe de l’homme scintillaient à la lumière des lanternes de travail. Contrairement au cuir chevelu soigné de Lisse, la calvitie de Lister semblait entièrement naturelle. Là où les cheveux avaient autrefois bordé son cuir chevelu, il n’avait plus que deux tatouages noirs de chien infernaux à l’arrière de son crâne.

Il mangeait avec une précision mékanique : la cuillère dans la bouche, six mastications, avaler, recommencer. À chaque bouchée, ses épais sourcils formaient un profond sillon sur son front, comme s’il se concentrait sur la bataille menée dans son bol.

Les hommes baissèrent légèrement le ton, mais ignorèrent la présence du lieutenant. Ils se demandaient quel cordonnier de Tarna fabriquait les meilleures bottes imperméables, si le Roi Baird ou le Roi Leto avait l’équipe de cuisine la plus talentueuse, et si la célèbre maîtresse Malvina était naturellement rousse ou si elle avait acheté ses cheveux à un alchimiste. Ce dernier différend inspira une série de vantardise et de dénégations sans enthousiasme jusqu’à ce que Burns vienne trancher le litige par une anecdote concise qui fit rougir même quelques vétérans.

Dawson attendit que Lister ait raclé son bol avant de s’éclaircir la gorge. « Excusez-moi, lieutenant. Je me demandais… » Il pointa l’arrière du crâne de Lister. Lorsque l’homme leva un sinistrement un sourcil, Dawson se racla la gorge à nouveau. « Je veux dire, j’ai entendu dire que vous étiez présent lorsque le Capitaine McHorne avait remporté la charte de la compagnie ».

Listers se retourna pour fixer durement les autres hommes présents. « Qui a raconté des histoires ? »

Craig et Bowie partirent sans un mot. Burns croisa les bras alors qu’il s’appuyait contre le genou de Gully, souriant comme un homme s’attendant à profiter d’un divertissement. Lisse et Harrow émergèrent de la pluie, le second portant deux bols tandis que le premier s’asseyait sur un tabouret de mékanicien et mettait de côté sa béquille. En acceptant son bol, Lisse leva les yeux, haussant les sourcils devant tous les visages muets. « Qu’est-ce qui se passe ? »

Burns haussa les épaules et tenta sans enthousiasme d’effacer le sourire sur son visage.

« D’accord », déclara Lister. Il poussa son bol vide vers Dawson, et pointa du doigt Burns. « Donne-moi ça ».

Burns lui lança un autre des tabourets de mékanicien. Lister cala son cul assez puissamment dessus que pour enfoncer les pieds de cinq centimètres dans le sol. Il sortit son cigare de sa proche et le pointa en direction de Dawson.

« On parle beaucoup de cette partie. Chaque fois qu’une petite commère en parle, elle devient de plus en plus folle. Certaines des versions que j’ai entendues, eh bien, elles ne méritent pas d’être répétées. La chose qu’elles ont toutes en commun, c’est que le type que le type qui raconte l’histoire n’était pas présent – à moins que ce ne soit moi ».

Le Sergent Crawley n’était-il pas là aussi ? »

« Qui allez-vous croire, moi ou lui ? » Il enfonça son cigare dans le coin de sa bouche.

« Vous, monsieur ».

« Vous avez sacrément raison, moi. Maintenant, ouvrez grand vos oreilles, car si j’entends encore un récit sur la façon dont Sam à séduit ce dilettante khadoréen ou lui a fait les poches après l’avoir saoulé au vin ambré, je m’occupe du ménestrel responsable ».

« C’était en 603, sur le Griffon Doré, un casino flottant naviguant sur le Fleuve Rohannor de Merin àBerck. Les festivités comprenaient un tournoi de cartes sur invitation, et c’est ainsi que nous avons été impliqués ».

« Vous et le Capitaine Sam ? » demanda Dawson.

« Et Crawley. Sam et lui se connaissent depuis le Marché de la Rouille à Merin. Ils s’étaient engagés ensemble plusieurs fois pour d’autres compagnies, uniquement en tant que mékno. C’est comme ça que j’ai connu Flippant, et il m’a présenté Sam. Quoi qu’il en soit, c’est Sam qui avait été invitée au tournoi. Elle n’aimait pas l’idée d’y aller seule, alors elle nous avait invité pour veiller sur elle.

Dawson acquiesça. L’éclair d’un large sourire attira son regard. Il se retourna juste à temps pour voir Lisse recouvrir son expression d’une autre cuillerée de haricots.

« Nous voila donc, Sam la joueuse, moi les muscles et Crawley notre observateur ».

« Observateur ? »

« Celui qui garde un œil sur les spectateurs. Tu ne connais rie au jeu sérieux ? »

« Pas vraiment, monsieur. Non ».

« Cela explique pour quoi il s’est engagé dans ce groupe », déclara Burns. « Il ne sait reconnaître un gros coup quand il en voit un ».

« Ferme-la, Burns ». Lister pointa Dawson du doigt. « C’est une chose de garder un œil sur les autres joueurs. La plupart des bons joueurs peuvent le faire sans l’aide d’un observateur. Mais dans les grandes salles de jeu, et sur les bateaux fluviaux de luxe comme celui-ci, tu dois également garder un œil sur le public. Certains joueurs ont des partenaires dans la foule, qui peuvent voir les mains des autres joueurs et donner avertir leur joueur ».

« C’est pourquoi on ne voit jamais Sam ramasser ses cartes », reprit Lisse. « Elle ne qu’incliner les coins pour jeter un coup d’oeil ».

« C’est exact. Même ainsi, c’est suffisant pour qu’un observateur aux yeux perçants récupère ta main ».

« Vous n’avez pas dit que Crawley était votre observateur ? »

« Oui, mais seulement pour chercher d’autres observateurs. Il n’était pas là pour avertir Sam ».

Bruns ricana : « Si vous le dites, lieutenant ».

« Je commence à penser que les latrines n’ont pas été creusées assez profondément aujourd’hui ».

« Tu sais, peut-être que je vais me taire et écouter un peu ».

« Bonne idée. Maintenant, où en étais-je ? »

« Crawley en train de faire un repérage », dit Dawson.

« Correct. Crawley était sur le balcon, en face de Sam. Je suis derrière elle, prêt à attraper n’importe quel observateur. Sam fait comme si elle ne connaissait aucun d’entre nous, ce qui est la façon de faire de tous. Mais tout le monde sait que la moitié des gens qui regardent sont là avec les joueurs. Ce sont surtout des gardes du corps, des maîtresses, des amants, des pickpockets, des joueurs fauchés espionnant la concurrence, de riches aristocrates cherchant un joueur à soutenir, toutes sortes de choses.

« Le premier jour, les joueurs sont divisés en deux. Cette nuit-là, une première moitié est éliminée. Fippant garde un œil sur le public. Il désigne quelques observateurs, mais avant que je n’aie à intervenir, les gardes du bateau sont déjà sur eux. La sécurité est renforcée. Je pense que c’est bon signe ».

« Le deuxième soir, le tournoi se résume à une seule table. Sam joue un jeu traditionnel. Certains des autres joueurs la testent, essayant de lui faire perdre son sang-froid. Quand ils voient qu’elle ne sera pas dupe, ils ajustent leurs propres jeux. Très vite, tout le monde devient vraiment ennuyeux avec ses paris. Tout le monde sauf un gars ».

« Dorenski », déclara Dawson.

« Ce n’était pas le nom qu’il utilisait, mais oui, c’est lui. L’arrière-arrière-petit-neveu de Grigor Dorenski, ancien kapitane de la Garde des Glaces.

Dawson tourna la tête pour cracher, mais il s’arrêta quand il vit que personne d’autre ne faisait de même. Il déglutit. Il remarqua également que les hommes qui s’étaient éclipsés auparavant se tenaient maintenant juste la lumière de la lampe, avec une demi-douzaine d’autres.

Il vit que Sam se tenait parmi les spectateurs, en retrait, comme pour éviter d’être repérée. Elle écoutait avec les autres.

« Nous ne crachons pas sur la Garde des Glaces », dit Lister. « C’est Telyev Zerkova de l’armée khadoréenne qui a trahi les Cerbères.

Aussitôt, tous les hommes présents dans la tente tournèrent la tête et crachèrent, à l’exception de Harrow. Dawson regarda autour de lui, mais personne d’autre ne donna l’impression d’avoir remarqué inaction.

« Zerkova, qui a retourné la Compagnie Cerbère contre le Khador pendant la Guerre Ordique. C’est lui qui avait engagé les Cerbères pour prendre Porte du Sanglier, ne s’attendant pas à ce qu’ils réussissent. Lorsque le commandant de la compagnie, Grigor Dorenski a pris le site en une unique action, il a chassé la garnison ordique vers le sud, où elle s’est réfugiée à Midfast, qui était attaquée par la propre armée de Zerkova. Ces renforts inattendus ont suffisamment renforcé la ville pour en chasser l’armée de Zerkova.

« Plutôt que d’admettre qu’il était lui-même à l’origine de son embarrassante défaite, Zerkova a refusé d’honorer son contrat avec les Cerbères. Après cela, Dorenski a révisé la charte de la compagnie avec son propre sang. Même s’ils étaient le dernier employeur de Caen, il n’accepterait pas un seul kuppek rouge. Nous faisons de même aujourd’hui, honorant ainsi la décision de Dorenski. Tu le sais, n’est-ce pas Dawson ? »

« Oui, monsieur », répondit Dawson. « Mais cela semble bien plus vivant qu’en vous le raconter ».

Burns toussa, mais tout le monde l’entendit distinctement dire « Lèche-cul ! »

« Hrumph ! » Lister mâchonna son cigare tandis que ses yeux étudiaient le visage de Dawson. « Bien sûr, c’est plus vivant quand je le raconte. Je suis un Cerbère depuis plus longtemps que n’importe qui, sauf Sam et Flippant ».

« Vous n’allez pas nous dire que vous étiez présent au siège de Porte du Sanglier, n’est-ce pas, lieutenant ? » demanda Burns.

« Tu es prêt à aller chercher cette pelle ? »

« Non, monsieur ».

Bon, où en étais-je ? »

« La table finale », dit Dawson. « L’arrière-arrière-petit-neveu de Dorenski ».

« C’est vrai. Il ne se faisait pas appeler Dorenski, mais ce n’était pas inhabituel. La plupart des joueurs nobles voyageaient sous une fausse identité pour épargner à leurs familles la disgrâce lorsqu’ils perdaient et la notoriété lorsqu’ils gagnaient. Bien entendu, il n’est pas difficile de découvrir la véritable identité d’un joueur. Je savais qui était assis en face de Sam, et elle aussi ».

« Savait-elle qu’il avait parié la charte de la Compagnie Cerbère ».

« Qui de nous deux raconte cette histoire ? Toi ou moi ? »

« Vous, lieutenant ».

« Je commence à penser que Burns a eu une mauvaise influence sur toi ».

« Rien de plus vrai », déclara Lisse.

Burns leva le poing pour le frapper au bras, mais Lisse l’arrêta d’un doigt menaçant.

« Ah, je vais le garder pour quand ta jambe sera guérie ».

« Je vais te battre jusqu’à ce que tu perdes connaissances avec cette mauvaise jambe. Tout comme ce warjack et son bras ».

« Les garçons », avertit Lister.

« Monsieur », répondirent à l’unisson Burns et Lisse.

Lister retira le cigare de sa bouche et pointa à nouveau Dawson du doigt. « Oui, Sam savait que Dorenski possédait la charte des Cerbères. Tout le monde le savait. C’était l’unique chose pour laquelle il était connu. De temps à autre, quelqu’un lui offrait deux kuppeks en échange ».

« Pourquoi ? » demanda Dawson.

« Tu vois, la Compagnie des Cerbères était inactive depuis si longtemps que personne ne pensait qu’elle valait deux pièces de cuivre. Peu importe que Dorenski ait dit qu’il ne le vendrait pas pour cent milles koltinas. Pour lui, la charte de la Compagnie était une question d’honneur familial. Pour les autres, c’était devenu une mauvaise blague ».

« La seule qui ne le pensait pas était Sam ». Lister tira longuement sur son cigare, comme s’il était allumé et qu’il aspirait la fumée profondément dans ses poumons. Lorsqu’il relâcha son souffle, ses yeux se fixèrent sur un point situé bien au-delà des hommes ou des warjacks se tenant devant lui. Puis, sans que personne ne le lui demande, il reprit son récit.

« Finalement, le jeu se réduisit à trois joueurs, Sam, Dorenski et un petit rynien aux yeux de serpent, pas plus grand que Flippant », Lister détendit ses paupières fin d’imiter le regard fendu d’un reptile. « Sam jouait toujours avec prudence. Dorenski et le rynien lancèrent tour à tour de grosses mises. Au point où ils avaient multiplié par cinq ou dix leurs mises d’ouvertures.

« Ils se bluffaient l’un l’autre aussi. Chacun des hommes n’étant qu’à moitié capable de lire l’autre. Chaque fois que l’un d’entre eux était sur le point de perdre, l’autre poussait une main trop loin. De temps en temps, Sam grignotait l’un ou l’autre, mais aucun d’eux ne se reculait quand elle avait une bonne main ».

« Je devenais méfiant, mais chaque fois que je regardais Flippant, il secouait la tête. S’il y avait quelque chose de bizarre, je ne le repérais pas plus. Mais ensuite, cela n’eu plus d’importance. Dorenski fit tapis et le rynien suivi sa mise. Dorenski perdit ».

« Mais comment Sam a-t-elle pu gagner la charte s’il était hors jeu ? » demanda Dawson.

Burns roula des yeux vers le toit de toile. Le ruissellement devenait plus bruyant que la pluie battante.

« La maison déclara un entracte d’une heure. Je suis allé au bar pour parler à Sam. Flippant avait eu la même idée, mais elle n’est jamais venue. Elle était restée à la table et discutait avec Dorenski. Au moment où nous revenions, ils avaient conclu un accord.

Sam partagea ses jetons pour qu’il reste dans la partie Le rynien n’apprécia pas du tout, mais la maison soutient l’arrangement ; rien dans leurs règles ne s’y opposait ? Il pouvait perdre le reste de ses jetons. Inutile de dire qu’il n’aimait pas plus cette idée. Il resta. Mais à partir de ce moment-là, le jeu changea du tout au tout ».

« Je m’attendais à ce que Dorenski et Sam oeuvrent ensemble, mais il ne sembla pas que ce soit ce qu’ils avaient en tête. Quand Dorenski avaient une main forte, il s’en prenait à Sam avec autant d’ardeur qu’au rynien. La différence c’est que le rynien ne l’appris que trop tard que Dorenski avait changé son jeu. Avant même qu’il ne s’en rende compte, Dorenski l’avait éliminé ».

« C’est alors que Dorenski a sorti la charte et l’a posée à côté de ses jetons. Ce n’est qu’à ce moment-là que nous avons compris le marché que Sam avait passé avec lui. Elle avait accepté de le soutenir à une condition : si au final, elle le battait, elle gagnerait la charte ainsi que son argent ».

« Mais s’il ne voulait pas la vendre à n’importe quel prix, pourquoi la jouait-il ? »

Lister haussa les épaules. « C’est là que beaucoup de gens se trompent quand ils racontent l’histoire. Il se peut que le fait de jouer avec l’honneur de sa famille lui ait procuré des sensations fortes. Certains pensent qu’il a vu en Sam quelque chose qui l’a poussé à perdre pour elle. D’autres disent qu’il n’a jamais pensé qu’il perdrait. Peut-être qu’il avait juste trop bu de brandy. La vérité, c’est que seul Dorenski le sait ».

Dawson acquiesça, réalisant que sa bouche était ouverte, il la referma. « Que s’est-il passé ensuite ? »

« Vous savez ce qu’il s’est passé. Sam l’a battu ».

Dawson le fixa, une expression d’attente sur le visage, mais Lister haussa les épaule, et mâcha son cigare.

« Mais n’y a-t-il pas plus dans l’histoire ? »

« Bien sûr, vous connaissez déjà cette partie. Sam a investi l’argent qu’elle avait gagné dans des warjacks, des gros flingues, des filets, tout l’équipement de qualité que vous, les Cerbères, apprécier tenir à travers des territoires abandonnés des dieux telle l’Octelande. Deux ans plus tard, les Cerbères étaient redevenus une compagnie de mercenaires respectée, même si, à vous voir, je comprends que certains puissent penser que nos standards se sont dégradés ».

« Mais vous ne lui avez pas demandé pourquoi elle a joué avec Dorenski au lieu de simplement le défier au sujet du contrat.

Lister retira son cigare, inspecta la partie humide et le remis en bouche. « En fait, je l’ai fait ».

« Qu’a-t-elle dit ? »

« Elle a dit que Dorenski avait besoin d’une raison pour mettre ce contrat sur la table, alors elle lui en a donné une ».

Lister se leva et s’étira le dos en regardant son auditoire. Près de la moitié de la compagnie s’était rassemblée autour de la tente. « Je sais que le Sergent doit être à la recherche de certains d’entre vous. Vous feriez mieux de vous présenter avant que je ne l’envoie vers vous. Les autres, allez-vous vous reposer. Maintenant que la pluie a disparu, nous allons partir ».

Le rassemblement se désagrégea tandis que Lister s’éloignait. Harrow tendit sa béquille à Lisse, et les deux grands hommes sortirent ensemble.

Dawson pensa être le dernier à partir, mais en sortant de la tente, il entendit la voix du capitaine. « Beau travail, Dawson ».

« Capitaine ? » Ses sourcils se rejoignirent en une question. « Vous avez demandé à Lister de raconter l’une de ses vieilles histoires préférées. Il n’y a rien de tel pour encourager les Cerbères après une journée noire ».

« Je ne voulais pas être indiscret », répondit-il.

« Quoi, l’histoire du jeu de cartes ? »

« C’est juste avant de quitter Tarna, les Caporaux Burns et Harrow m’ont dit… je veux dire, c’est plutôt comme s’ils avaient suggéré…c’est-à-dire qu’ils ont laissé entendre que je ne devrais peut-être pas être si curieux ».

Sam sourit : « Mais vous avez été assez curieux pour poser des questions sur la partie ».

« Eh bien, j’avais entendu une version différente, et quelqu’un a dit que j’aimerais peut-être entendre celle du lieutenant ».

« Maintenant que vous l’avez entendue, laquelle pensez-vous être la vraie ? »

Dawson hésita, réfléchit. Il haussa les épaules. « Je pense qu’elles sont toutes les deux vraies, dans la mesure du possible ».

« Dans la mesure du possible ? »

« Tout le monde voit les choses sous un angle différent. Pendant un petit moment, à l’entrepôt, Burns et moi avons vu l’arrière de ce nouveau warjack. Et nous avons vu la liche de fer avant tout le monde. Vous avez vu ce qu’il y avait sur le toit, mais seulement à travers la vitre. Et puis, il y a eu l’incendie, la fumée, et puis la pluie. Tout le monde a vu le combat sous un angle différent, certain d’entre nous mieux que d’autres, certains d’entre nous moins bien. Et il y a beaucoup de choses que personne n’a vues ».

Le sourire de Sam s’effaça. Elle regarda attentivement le visage de Dawson, tournant la tête comme elle essayait de le voir sous un nouvel angle. « Y a-t-il quelque chose que vous voulez me demander à propos de la partie, Dawson ?

« Avez-vous eu peur ? » demanda-t-il aussitôt. « Quoi que vous ayez conclu avec Dorenski, est-ce que cela vous a faire grande de perdre ? »

Sam cligna des yeux, apparemment surprise. Son sourire revint peu à peu et elle dit : « Vous savez quoi, Dawson, j’ai eu la peur de ma vie. Vous voulez savoir autre chose ? »

« Oui’s »

« C’est comme ça que j’ai su que j’allais gagner.

* * *

18

En fin de compte, il fallut un peu moins d’une heure pour positionner le chariot, ériger le trépied pour le palan et sortir Foyle du bourbier. Crawley inspecta le pied incrusté de boue de Foyle et le déclarer utilisable. Lorsque Sam ordonna au Rapace de se déplacer, le ‘jack le fit avec un léger boitillement à l’articulation de la cheville.

Dawson aida Morris à démonter et à ranger le trépied. Ils terminèrent juste au moment où Harrow revenait de sa tournée à l’arrière. Posant son sac et son arme sur le hayon du chariot, à côté de la jambe bandée de Lisse. Il ne signala aucun signe de poursuite : Cryx, Tête d’Acier ou autre.

Quelques instants plus tard, McBride et Crowborough revinrent pour signaler que tout était clair sur l’un ou l’autre des flancs. Le Lieutenant Lister vérifia sa montre à gousset et scruta les brumes devant lui. « Où diable est Robinson ? »

Les yeux de Dawson suivirent la trotteuse faisant le tour du cadran de la montre. Alors qu’elle terminait son tour, les yeux de Lister rencontrèrent ceux de Harrow. L’éclaireur ramassa son arme, laissant son sac derrière lui, et se glissa silencieusement dans le bourbier.

Sam s’approcha, les yeux rivés sur la silhouette de Harrow s’éloignant. « Qui manque ? »

« Robinson. L’éclaireur ».

« Faisons bouger la compagnie. Même configuration qu’avant, mais gardons les détachements plus proches ».

Les derniers bavardages s’estompèrent alors que les Cerbères avançaient péniblement. Le grincement des roues des chariots et le chuintement des moteurs à vapeurs semblaient d’autant plus forts que les hommes se taisaient.

Lorsqu’ils virent la fusée éclairante, quelques hommes accélérèrent le pas.

« Restez avec la compagnie », les avertit Lister. « Gardez la formation ».

Crawley répéta l’ordre du lieutenant avec emphase, et les hommes le transmirent le long de la ligne alors qu’ils s’approchaient de la fusée éclairante de Harrow et virent ce qu’il avait trouvé.

Sur un monticule luisant de terre moussue, Robinson gisait en morceaux.

L’un des coups l’avait sectionné en deux. L’autre était une blessure moins profonde, mais tout aussi mortelle. Ensemble, les blessures avaient drainé chaque goutte de sang de l’homme. Sous un masque rouge en dentelle, le visage de Robinson était blafard.

Silencieux, Crawley fit signe à deux unités de prendre position de garde de part et d’autre du cadavre. Il fit signe à la troisième de le suivre. Dawson était le plus proche, Crawley et les officiers rejoignirent Harrow à côté de sa terrible découverte.

« Ça ne ressemble pas à une lame », dit Sam. Même son murmure semblait trop élevé.

Harrow désigna les plaies brûlées. « Une sorte d’impact énergétiques, peut-être un éclair. Deux coups ».

Lister récupéra le gros flingue de Robinson. Son canon trapu avait été tranché en biais, la coupe aussi nette et tranchante que celle d’une tasse de thé qui serait tombée. Le métal sur les bords de l’entaille était décoloré, comme s’il avait été soumis à une intense chaleur.

Crawley pris Dawson par l’épaule et tranquillement transmis ses instructions pour s’occuper du corps. Avec une hâte mesurée, Dawson et Morris allèrent chercher une longueur de toile épaisse dans le chariot d’avitaillement et la posèrent à côté de Robinson. Burns et Craig les aidèrent à transférer les restes sur le tissu.

Pendant que les Cerbères travaillaient, Lister passa la main à l’intérieur de son col pour s’emparer d’un médaillon d’un ascendant entre ses doigts. Il murmura une prière en caspien.

Les hommes plièrent les extrémités du sac mortuaire. Ils le scellèrent en tissant une corde à travers les œillets en laiton de l’ourlet. Avec une économie humble, ils traînèrent le corps jusqu’au chariot d’avitaillement et le déposèrent dans l’espace à côté de Lise. Favorisant sa jambe blessée, Lisse se déplaça pour s’asseoir à l’avant avec les conducteurs plutôt que de s’asseoir à côté du mort.

« Quoi que ce soit qui lui ait fait ça… », grogna Lister dans son cigare.

« Nous allons le réduire, le briser et le livrer en pièces détachées au Vieux », répondit Sam. « Nous remplirons notre contrat et nous vengerons Robinson en même temps ».

« J’aimerais mettre la main sur celui exploite cette chose ».

Sam toucha son bras. Face au massif biceps de Lister, sa main paraissait petite. « Fais attention à ce que tu souhaites, mon vieil ami. L’important, c’est que nous faisions notre travail, et que nous prenions soins des nôtres, vivants ou morts. Mais si nous avons une chance de nous venger, nous la considérons comme un second bonus ».

Lister hocha la tête. Il garda le menton baissé et mordilla à pleines dents l’extrémité de son cigare éteint.

La marche reprit. Lister demanda à Crawley d’équiper tous les éclaireurs de fusées éclairantes. Le sergent les envoya deux par deux en leur recommandant de garder les fusées à portée de main et d’émettre un signal au premier signe de danger.

Les premiers éclaireurs revinrent quinze minutes plus tard.

Fleming salue Lister et Sam. « Nous avons trouvé un abri ».

Rose ajouta : « Ce doit être un dépôt de ravitaillement ».

« C’est donc que ce que les hommes de Baird faisaient ici », dit Sam. « Allons voir ».
Alors que les éclaireurs menaient les Cerbères hors de l’eau, la compagnie restait vigilante à tout s’approchait par les flancs ou l’arrière. Ils traversèrent une forêt clairsemée alors que le sol l’élevait et devenait plus sec.

Les nuages s’éclaircirent suffisamment pour révéler le soleil. Sa lumière dorée repeignit l’environnement sombre de couleurs vives. Une parcelle de champignons étonnamment jaunes grimpaient le long d’un arbre tombé tel un petit escalier. Une pierre couverte de lichen reposait comme une couronne de bijoux sur une colline en saillie, et à ses pieds gisait la carcasse d’un helljack défoncer. Les entailles dentelées et les lignes les plus nettes des brûlures d’énergie sillonnait son châssis en fer noir.

« Ce type n’est pas prêt de se relever », dit Lister, qui repoussa l’odeur nauséabonde des fumées de nécrotite. « Tu veux que Crawley jette un coup d’oeil ? »

Sam abaissa ses lunettes sur ses yeux et fronça les sourcils. « Vérifions d’abord le bâtiment. Ce qui a lutté avec ce monstre est probablement encore dans les parages ou pire encore, d’autres cryxiens dont nous pensions avoir vu le dernier ».

La structure hémicylindrique mesurait six mètres de haut et dix-huit mètres de long. Le bâtiment était composé de robuste pin renforcé par des contreventements en fer Des lucarnes recouvertes de treillis métalliques se trouvaient en haut des murs et du toit.

Quelqu’un s’était efforcée de dissimuler les côtés avec des broussailles et de jeunes arbres déracinés, mais les lianes rampantes n’avaient pas dépassé trente centimètres sur les côtés convexes de l’abri. À l’exception de quelques taches dépareillées, l’ensemble de la structure était peint en gris foncé, un excellent camouflage pour la brumeuse Octelande.

« Vous voyez là ? » dit Lister. Il pointa du doigt un pan de mur noir mat. « Tout cela a été construit ailleurs. Puis il a été transporté ici pour être assemblé ».

Sam acquiesça. Elle suivit des yeux Harrow et Bowie s’approchant pour jeter un coup d’oeil dans les coins les plus proches. Harrow donna le signal de fin d’alerte.

Sam emmena Gully et Foyle jusqu’à l’extrémité la plus proche du demi-tube et les fit monter la garde de chaque côté de l’entrée. Sur chaque porte, l’épée brisée d’Ord avait été peinte en gris clair au pochoir. Une lourde chaîne et un cadenas fermaient les portes.

Les chariots s’arrêtèrent derrière. Sur un signe de tête de Crawey, les conducteurs commencèrent à aller cherche de la nourriture et de l’eau pour les chevaux, mais les laissèrent attachés à leurs chariots.

Lister hocha la tête en direction des symboles. « Ton ami du village nous a fait un bon rapport », déclara-t-il. « Baird installe des dépôts de ravitaillement. Mais pourquoi ? »

« Regardons ».

Lister détacha sa pioche de son dos et cria « Swire ! ».

Un homme maigre à la moustache fine comme un crayon s’avança et salua.

« Tu te souviens du petit problème dans lequel Lisse s’était mis ? Celui dont tu l’as aidé à sortir ? »

« Oui, monsieur ».

« Tu l’as avec toi ? »

« Monsieur ! » Swire déposa son arme et son sac. D’un compartiment à l’intérieur de sa botte, il sortit un fin paquet en cuir. Il le déroula et retourna la doublure intérieure en feutre pour révéler un ensemble de rossignols en laiton, chacun avec une forme différente à son extrémité. Certains ressemblaient à des vagues, d’autres à une silhouette de femme, d’autres encore à des peignes de barbier.

S’agenouillant à côté de la serrure, Swire se déganta et attrapa le verrou d’une main nue. Il sonda le barillet à l’aide d’un simple râteau, ressentant les vibrations à l’intérieur. « Tss », dit-il en mettant le râteau de côté. Il prit un peigne et une clé à torsion. « J’aurais dû savoir que ce ne serait pas si facile ».

Pendant qu’il œuvrait, le Sergent Crawley s’approcha et jeta un coup d’oeil sur les outils de Swire. « Pourquoi ne m’as-tu pas appelé ? J’aurais pu l’ouvrir en- »

Le cadenas cliqueta. Swire le laissa pendre à la chaîne alors qu’il replaçait les peignes dans l’étui. « C’est fait, lieutenant ».


« Voilà pourquoi, Flippant. Bon travail, Swire ».
Swire replaça le kit dans sa botte et récupéra son sac et son arme. Au même instant, le soleil les quittait. Swire leva les yeux, secouant la tête avec incrédulité. « Je commençais juste à penser que je pourrais sécher ».

« Crawley prend en charge les hommes à l’extérieur », dit Sam, « Lister, je veux deux escouades à l’intérieur ».

Lister choisit ses hommes, dont Dawson, Morris et tous les garçons à l’exception Lisse. L’homme blessé les observait depuis le siège du conducteur du chariot d’avitaillement, déplaçant  son rasoir bien-aimé le long de sa mâchoire dans un geste nonchalant démenti par son intense regard, dirigé vers l’endroit où il préférerait sûrement se tenir, parmi ses compagnons.

La brume s’insinua entre les hommes, les bêtes, les chariots et les machines rassemblées. L’air s’alourdit avec la promesse de pluie, puis les premières gouttes éclaboussèrent les heaumes et les épaulières. Quelques secondes plus tard, une bruine régulière s’installait.

Lister ouvrit la voie à l’intérieur du bâtiment.

Des doigts de lumière blanche-bleue traversaient les lucarnes et effleuraient les caisses le long d’un mur, laissant l’autre côté du dépôt dans l’ombre. D’autres piles de caisses et de tonneaux se tenaient au centre de la spacieuse allées. Le bois des caisses était encore frais, les clous n’ayant aucune trace de rouille.

L’écusson ordique peint au pochoir juste au-dessus d’une étiquette collée indiquant CHARBON, MUNITIONS, PIÈCES OU PROVISIONS. Un soldat paresseux avait laissé derrière lui un seau de peinture séchée. Burns enleva le pinceau évasé et le porta à son visage en guise de moustache comique.

« Taille-les, Burns », déclara Lister.

« Relax, lieutenant Tu ne vois pas que nous avons tiré le gros lot ? »

« Nous ne prendrons que ce dont nous avons besoin » déclara Sam. « Réapprovisionnez les bennes à charbon. Crawley, tu vois s’il y a des pièces dont nous aurions besoin pour les grands gaillards. En dehors de cela, nous ne pillons pas le dépôt de ravitaillement du roi » ?

Burns laissa tomber la brosse et souleva son arme.

« Ce que je veux vraiment savoir », dit Sam, « c’est pourquoi Baird s’est donné la peine de laisser un dépôt de ravitaillement ici sans gardes.

Les Cerbères se dirigèrent vers le côté le plus éloigné de l’abri. Derrière les caisses empilées dans l’allée centrale, l’autre extrémité était plongée dans une pénombre bleue.

« Hsst ! » Lister leva le poing, les doigts fermés pour signaler l’arrêt. D’un regard, il fit signe à Harrow d’avancer.

L’éclaireur n’avança que de quelques pas avant de s’arrêter lui aussi pour écouter.

La plupart des Cerbères l’entendirent alors, le bruit d’un ressort se détendant dans une chambre bien huilée.

Harrow tenait sa volumineuse d’un bras tout en faisant des gestes avec l’autre. Ses doigts indiquaient une ombre se profilant au-dessus d’une pile de caisses distante.

L’énorme silhouette se détachait dans un dépôt plein de formes familières de boîtes et de tonneaux. Le haut de son corps courbé en parfaite symétrie, un ovale suivi de près par un carré strié. De chaque côté se trouvaient des formes plus complexes, deux rectangles avec des cylindres en saillie vers l’arrière et sur le côté. La lumière bleu-blanche se reflétait sur la carapace d’acier de la silhouette, non pas à partir des lucarnes situées au-dessus, mais depuis son propre torse, en dessous.

Sam prix en charge les signaux manuels. Elle envoya Harrow au centre pour prendre position derrière une caisse. Burns, elle l’envoya vers la gauche, Lister vers la droite. Elle fit signe à Dawson de soutenir Lister. Elle se déplaça derrière Harrow et signe aux personnes se trouvant derrière elle de se mettre à couvert.

Une ombre passa au-dessus de Sam. Elle leva les yeux vers un mouvement soudain à travers la lucarne centrale. Juste au moment où elle dégainait son pistolet à canon long et visa vers le haut, l’énorme silhouette derrière les caisses émit un bourdonnement sourd et plusieurs claquements séquentiels. Elle bondit en avant, éparpillant les caisses et les barils. Une lumière bleu-blanche jaillit des lentilles de verre sur son corps, aveuglant brièvement les Cerbères.

L’un des barils percuta la caisse que Burns avait choisie comme couverture. L’impact repoussa son arme. Il cria de surprise en tombant en arrière.

Le warjack lourd se dirigea vers lui, son allure quadrupède étrange. Chacune de ses pattes en forme de crabe s’achevait par un petit bloc en forme de sabot. Les jambes supportaient un torse massif en chrome qui, à son tour, soutenait un châssis supérieur gros et ovoïde. De chaque côté, des engrenages et des pistons en laiton soutenaient un bras : l’un court et bourdonnant, l’autre se terminant par une main mékanique à quatre doigts. Des panneaux situés sur l’abdomen et les épaules, ainsi que plusieurs lentilles autour d’un œil central en verre central.

Burns se releva en titubant et fit sauter sa pioche de son épaule. Il beugla et leva son arme. Avant qu’il ne puisse frapper, l’étrange ‘jack l’attrapa au niveau du torse. D’un geste mékanique rapide, il le projeta contre les caisses alignées contre le mur.

Un bruit assourdissant emplit le dépôt lorsque Harrow fit feu avec son arme. Un lourd projectile frôla l’articulation entre l’épaule de l’étrange ‘jack et son bras bourdonnant. Enflammé, l’obus ricorcha à travers l’une des lucarnes latérales. Alors que des fragments de verre traversaient le treillis métallique, Harrow recula, ouvrant la culasse de son arme pour recharger.

L’étrange ‘jack laissa tomber Burns sonnés et avança, chaque pas gazouillant une note aiguë de ressorts huilés. Son petit bras gauche gémit de plus en plus fort avant qu’un disque d’acier n’en sorte, déchiquetant la caisse constituant l’unique abri de Sam. Des céréales et des haricots secs se répandirent à côté d’elle.

« Reculez ! » cria Sam. Elle suivit son propre conseil et se réfugia à l’abri d’une autre caisse.

« Filets ! » rugit Sam. « Faites le tomber ! » Il fit pivoter sa lourde chaîne de filet par-desus sa tête et la lança vers les jambes de l’étrange warjack.

Dawson et Morris lancèrent leurs propres filets l’instant d’après. Deux autres furent lancés par des hommes derrière eux peu après, chacun parfaitement projeté. Les lourdes chaînes s’enroulèrent autour des six jambes du warjack, les liant l’un à l’autre.

Le warjack hésita, son châssis supérieur pivotant d’un côté à l’autre alors qu’il se penchait en avant, des lentilles lumineuses inspectant sa situation. Puis, tel un crustacé flottant, il écarta ses jambes vers l’extérieur. Les filets s’étendirent sur les jambes dépliées. Le warjack lévita vers le haut, rétractant ses jambes d’un mouvement fluide alors que les filets glissaient.

Les filets ne servent à rien », dit Sam. « Tirez à volonté ! »

Alors que les Cerbères déchargeaient leurs projectiles, l’ombre sur le toit traversa une fois de plus la lucarne. Elle avait à peu près la taille d’un homme, mais un large vêtement s’étendait de chaque côté, comme une cape dans le vent. Entre les coups de feu et le crépitement régulier de la pluie, une autre harmonique traversait le plafond du dépôt.

Sam sortit son pistolet, visa alors que l’ombre traversait la lucarne, et tira. Son tir s’écrasa sur la vitre. Elle se couvrit le visage d’un bras et détourna le regard lorsque des éclats tombèrent à travers le grillage. Elle rechargea et cria « Marshal sur le toit ! »

Une fois la nouvelle cartouche en place, Sam releva à nouveau son arme. Son viseur suivant le bruit des pas, hésitant à chaque fois qu’un projectile explosait sur le warjack ennemi ou parmi les ravitaillements.

« Bon sang, Cerbères, attention aux munitions ! » beugla Lister en battant en retraite.
Harrow et Morris battirent en retraite avec lui. Dawson hésita lorsqu’il remarqua Burns étendu parmi les débris des caisses. Celle qui se trouvait derrière lui mentionnait « MUNITIONS ».

Alors même que Lister lui criait de battre en retraite, Dawson sprinta vers Burns. Il garda la caisse basse, se jetant à plat centre lorsque le bras de l’étrange ‘jack l’atteignit. Sa griffe en chrome brillant le frappa durement sur le côté de la tête. Son casque absorba une grande partie de l’impact, mais il secoua la tête et cracha du sang alors que Burns levait un regard brouillé.

Dawson attrapa Burns par la cuirasse « Allez, on bouge. Cette chose est arrivée ici d’une manière ou d’une autre. Il doit y avoir une autre porte de l’autre côté ».

Ensemble, ils dépassèrent leur agresseur en courant vers l’extrémité du dépôt. Ce qu’ils virent les arrêta net.

Il n’y avait pas de porte à l’autre bout du dépôt, mais un énorme trou ouvert dans le sol. Un énorme passage humide partant vers l’est, assez grand pour accueillir toute la compagnie et ses warjacks. Des éclats de bois formaient des crocs tout autour de la gueule ouverte, et des empreintes sombres et boueuses s’échappaient des lèvres molles de terre.

Les cadavres étendus de part et d’autre ne faisaient l’impression d’une bouche affamée dans le sol. Trois soldats ordiques gisaient parmi les ruines des caisses les plus proches. Leurs visages exsangues fixaient le plafond.

Une odeur nauséabonde de nécrotite s’échappait du trou. Le lourd cliquetis des pistons en fer résonnait dans le tunnel, s’amplifiant à chaque pas. « Oh, bon sang », dit Burns. « Il faut sortir d’ici ».

Avant qu’ils n’aient pu faire un pas en arrière, six tonnes d’os et de fer surgirent du passage souterrain. Son châssis endommagé et les amas de terre moussue réparties sur son bras et son torse l’identifiait comme le même Massacreur qu’ils avaient vu allongé dans la lande extérieure. À chaque pas, le helljack renvoyait une motte de terre humide, jusqu’à ce que ses pieds griffus crissent sur le sol du dépôt de fourniture. Il tendit un bras griffu tout en levant l’autre au-dessus de ses énormes épaules.

Burns cria, « À plat ventre ! »

Burns et Dawson se jetèrent au sol tandis que le helljack passait à toute vitesse. Il percuta l’étrange warjack, ses griffes noires s’accrochant à l’épaule de son ennemi.

Burns bascula le canon de son gros flingue pour le recharger. « Touchons-le par derrière ».

« Lequel ? » demanda Dawson. Magnifié par la structure fermée, le choc du fer et de l’acier devint assourdissant.

« J’ m’en fiche ! » rugit Burns, « mais ne le ratez pas ».

Ils tirèrent simultanément. Les deux projectiles explosèrent contre le dos du helljack. L’un deux laissa un cratère rougeoyant dans la fournaise. L’autre éventra la cheminée du Massacreur. Des fumées de nécrotite s’échappèrent pour couvrirent les deux warjacks.

Le warjack chromé saisit le Massacreur par le bras, sa poigne à quatre doigts entaillant la lourde armure. Une lame en forme de coin traversa son poignet pour pénétrer le fer épais de l’avant-bras du helljack. Le fer hurla alors que la lame s’abattait encore et encore. De l’huile chaude éclaboussa le châssis chromé du quadrupède.

Dawson jeta un coup d’oeil en direction du passage souterrain. Une nouvelle silhouette se tenait juste à l’intérieur des mâchoires.

Au-dessus de l’entrée planait une abomination d’os noir amuré tournant lentement. Trois crânes brillaient sous un heaume tripartite, ses segments reliés par des épaulières luisant de nécrotite. Trois lanternes agitées étaient suspendues à une cage thoracique débordant de vapeurs nocives. Sous tout cela pendait un épais appendice en forme de queue entrelacée de trois petites vrilles, dont l’une était coupée à mi-longueur. Dans le gantelet noir sur l’un de ses trois bras grêles, le surveillant liche de fer agrippait son bâton à trois dents.

Muet de peur, Dawson frappa le bras de Burns jusqu’à ce que le grand homme se retourne pour voir le maître du Massacreur.

« Qu’est-ce qu’on fait ? » demanda Dawson à voix basse.

Burns répondit avec une improbable vulgarité avant d’ajouter :  « Retourne voir les autres ! »

Les hommes baissaient la tête et courait vers les warjacks s’affrontant. Alors qu’ils évitaient la titanesque bagarre, une autre volée de projectiles explosa contre l’étrange warjack. La grosse machine trembla et relâcha son emprise sur le helljack.

Le Massacreur repoussa son ennemi dans des débris de caisse, mais le warjack chromé ne bougea que de quelques pas avant que ses quatre pattes n’accrochent. Il recula, slammant le Massacreur contre le côté éclairé de l’entrepôt.

« Ne tirez pas, ne tirez pas ! » cria Burns alors que lui et Dawson traversaient les décombres. Ils coururent jusqu’à Sam. À côté d’elle, Lister et Harrow alternaient les tirs et les rechargements de leurs gros flingues.

« Qu’est-ce que tu pensais faire ? » cria Sam à Dawson. Derrière elle, Foyle s’avança dans l’entrée de l’entrepôt, maintenant élargie sous la forme de ses larges épaules.

« Sauver mon cul », répondit Burns à la place de Dawson, qui restait sans voix. « Et au fait, on a une putain de liche de fer de l’autre côté ».

« Gully ! » cria Sam au warjack se trouvant à l’extérieur. « Déplace-toi vers l’arrière ! » Tous les Cerbères tressaillirent lorsqu’un effroyable bruit de métal tranchant résonna dans l’entrepôt. Avec ses deux massifs bras, le Massacreur serra le bras de son ennemi. Ses griffes s’enfoncèrent dans la plaque chromée et elle tordit le membre de son ennemi vers l’arrière. Alors que les rouages de l’épaule hurlaient de protestation, le Massacreur arracha le bras, le déchirant de l’épaule du warjack.

Le warjack chromé recula, le torse se tordant d’un côté à l’autre comme s’il était confus.

« Continuez à tirer ! » hurla Sam.

Les Cerbères lâchèrent une nouvelle volée. La plupart des projectiles ricochèrent sur l’épaule arrondie du warjack, mais quelques-uns bosselèrent légèrement son blindage.

Son prix à la main, le Massacreur écarta son ennemi et fonça dans l’allée, loin des Cerbères, vers le grand trou dans le sol.

Le warjack chromé le poursuivit. Dans un autre hurlement de métal, il lança une lame de scie sur le helljack en fuite. Le disque hurlant frôla l’épaule du helljack et alla creuser un trou dans le mur du fond.

« Foyle, frappe-le ! » Sam pointa son épée paralysante sur le warjack restant.

Les chiens s’écartèrent d’un bond tandis que le rapace fronçait à travers le bâtiment, repoussant de lourdes caisses en courant. Son massif ennemi se retourna juste au moment où la lance paralysante projetait des étincelles sur son abdomen incurvé. Le warjack lourd frissonna et recula, mais seulement pendant une seconde avant que son bras-lame de scie ne vienne frapper le petit Foyle contre les caisses situées dans l’ombre.

D’autres Cerbères affluèrent dans le dépôt. « Capitaine ! » cria Fleming. « Il y a quelqu’un sur le toit ! »

« Je sais » cria-t-elle en retour. « Un problème à la fois. Cerbères, arrachez-lui les pattes ! »

Alors que ses hommes passaient des gros flingues aux pioches, Same leva les yeux vers la lucarne. Ce qui s’y trouvait n’était plus visible.

Burns et Lister menèrent l’assaut contre le warjack ennemi. Les pointes de leurs pioches produisaient des étincelles et laissaient des égratignures, mais le warjack lourd réagissait à peine aux coups. Au lieu de cela, il lança un autre projectile à bout portant sur Foyle.

La lame de scie s’enfonça profondément dans le châssis du Rapace. Des éclairs scintillèrent sur les bords de la plaie alors même que de la fumée noire se déversait à l’arrière de sa fournaise détruite.

« Abattez-le ! », tonna Lister. À peine s’était-il exprimé que l’étrange warjack courut devant la ligne de front tel un crabe, chargeant les Cerbères se tenant entre lui et l’entrée du dépôt. « Arrêtez-le. Ne le laissez pas s’échapper ».

« Attendez ! » cria Sam, et l’instant d’après, tous purent voir ce qu’elle avait remarqué. Le warjack se précipitant ne laissa aucune trace dans son sillage, ne dérangea aucune des caisses sur son passage.

Ce n’était rien d’autre qu’une apparition.

Derrière eux, des tonneaux tombèrent au sol tandis que le véritable warjack ennemi fonçait vers le passage dans lequel le helljack s’était engouffré.

« Poursuivez-le » dit Sam. Comme s’il comprenait ses paroles, le warjack ennemi s’arrêta juste à l’intérieur de l’abri de l’entrepôt. Il se retourna, ajustant la visée de son lance-scie.

« À couvert ! » cria Lister.

Les Cerbères se dispersèrent, mais ils n’eurent pas besoin de s’en soucier. La lame-scie du warjack ne visait pas une cible vivante, mais une caisse portant l’inscription MUNITIONS. Des dizaines de boîtes de cartouches de fusil s’éparpillèrent sur le sol.

Lister explosa en une litanie de jurons en caspien. Sam cria : « Dehors ! Dehors maintenant ! Dehors ! »

Le warjack continuait de lancer des lames-scie sur les caisses de munitions tandis que les Cerbères se précipitaient pour sortir du dépôt. Son second tir déclencha une série de boum lorsque les étincelles trouvèrent la poudre.

La troisième brisa une autre caisse au moment où Foyle élargissait encore l’entrée, s’échappant juste derrière les Cerbères. La quatrième explosa lorsque la lame-scie traversa les cartouches qu’elle contenait.

À l’extérieur, les Cerbères se précipitèrent sous un torrent de pluie. L’entrepôt trembla tandis que les explosions cascadaient sur toute la longueur. Les lucarnes furent les premières à exploser, inondant les Cerbères de fragments de verre et de fer. Les flammes envahirent Foyle alors que la masse du Rapace abritait les hommes fuyant devant lui.

Les chevaux hurlèrent. Dans leur panique, ceux qui étaient attelés au chariot de Gully s’enfuirent alors que les conducteurs les conducteurs leur criaient de s’arrêter. Les autres équipes réussirent à peine à contrôler leurs animaux, les détournant du dépôt explosant.

Quelques instants après, l’ensemble du bâtiment se gonfla et fissura lorsque la réaction en chaîne atteint les charges les plus importantes. En quelques secondes, tout le bâtiment crépita de flammes, et la pluie sifflait son mécontentement en tombant sur l’incendie.

Secouant la tête et tapant sur leurs oreilles assourdies, les Cerbères se relevèrent. Sam fut la première à parler. « Allez de l’autre côté. Ce tunnel doit débaucher quelque part à proximité de cette maudite butte avant qu’elle ne plonge sous la ligne de flottaison.

Sam courût à côté de Dawson, qui pointa du doigt une forme brillante émergeant d’un trou à environ à vingt-quatre mètres. « Là ! »

« Gully ! » cria Sam au Nomade se tenant à l’autre bout du dépôt. Elle pointa la machine reculant. « Stop moi ce ‘jack ! »

Elle courut après le Nomade, Dawson et quelques Cerbères sur ses talons.

Le warjack chromé courait après l’ennemi lui ayant volé son bras, ignorant apparemment le massif Nomade chargeant pour l’intercepter, l’espadon levé. Le warjack chromé pivota à la taille et lança une lame-scie au moment même où l’épée de Gully s’abattait. Des étincelles explosèrent lorsque la lame rencontra la lame. L’impact projeta Gully assez loin de sa position pour que son corps effleure le warjack ennemi et tombe en avant à travers dans un bosquet de jeunes arbres.

Sam pointa son pistolet mais l’abaissa à nouveau lorsque le warjack chromé disparut dans le voile gris d’une pluie battante.

Gully s’efforça de se relever. Une énorme bosse froissait le haut de son châssis, mais tous ses membres fonctionnaient toujours.

Sam se tourna vers l’entrepôt en flammes. La lumière orange de l’incendie colorait les verres de ses lunettes. Elle leva la tête lorsque quelque chose se déplaçait à contre courant de la fumée et de la pluie au-dessus d’elle. Sans hésiter, elle releva son pistolet et tira.

Tous les Cerbères s’accroupirent. Ceux ayant un gros flingue visèrent plus le ciel, mais ils ne remarquèrent aucune cible.

À l’intérieur de l’entrepôt en feu, des caisses de pin crépitaient. Une autre volée d’explosions suivit.

« Sortez ces chariots de là ! », cria Sam. « Cerbères, éloignez-vous. Je ne veux pas que quelqu’un soit touché par une foutue caisse de munitions ».

Alors qu’elle éloignait les Cerbères, Crawley signala la disparition de deux hommes. Sam lui répondit d’envoyer une reconnaissance rapide autour du feu, mais de ne pas perdre plus d’hommes.

« Qu’as-tu vu, Sam ? » Lister toussa. « Qu’est-ce qu’il y avait sur le toit ? »

Elle releva ses lunettes, révélant une bande claire là où la fumée n’avait pas réussi à noircir ses yeux. « Je ne sais pas », dit-elle. « Mais je te promets que nous allons le découvrir ».


19
Dites, les amigos.. dans le nouveau lore, à quelle date débute la seconde invasion Orgoths par rapport au début du setting de Requiem (619 AR).. pas moyen de trouver une indication dans ma recherche..

Je n'ai pas plus d'indication que toi. La ligne temporelle s'arrête à 617 AR pour l'instant.

Et sinon les Sea Raiders Orgoths apparaissent dans le dernier monternomicon ou bien il s'agit toujours des Orgoths "fantômes" de la première invasion ?
Merci pour votre aide .

Ce sont tj les "fantômes" de la première invasion.

20
PARTIE DEUX

« Gully, Foyle, virage à gauche. Maintenant, avance lente ! »

Sam guidait ses warjacks à travers un labyrinthe de flaques d’eau et de ruisseaux lents. Les feuillages suspendus des saules étaient moins une barrière qu’une gêne, mais elle évitait les arbres les plus arbres les plus épais après que les Cerbères eurent passé dix minutes à dégager la lance paralysante de Foyle pour la libérer de la moitié d’un saule qu’il avait arraché.

Alors que Sam manoeuvrait le Nomade et le Rapace sur une bande de terre relativement ferme, sur le flanc Morris poussa un cri en plongeant dans une zone molle.

Morris lutta pour sortir du trou, mais il ne pouvait pas bouger sa jambe. Il mit de côté le lourd gros flingue et se débarrassa de son sac. Même avec ses deux mains libres pour pousser sur le sol, il ne réussit qu’à s’enfoncer davantage dans la boue molle. « Que quelqu’un me donne un coup de main ! »

Dawson fut le premier à l’atteindre. Il attrapa Morris sous les bras et tira, mais la terre humide retenait l’homme.

« Pousse-toi, Dawson ». Posant son arme et son paquetage, Lisse prit Morris par le bras gauche. Dawson lui attrapa le droit et, ensemble, ils tirèrent. Morris grogna et cria de douleur, mais il fut extirpé. Avec un bruit profond de succion, sa jambe sortit, d’un noir brillant.

« Bon sang », grommela Morris, « Ma botte est pleine de boue ! »

« De rien », dit Lisse. Il rangea son arme sous son bras et repris sa marche.

« Il fait un froid de canard ».

« Au moins, il n’y a pas de vent », déclara Dawson. Il frissonna de sympathie en expirant un panache de buée.

Morris pesta en claquant des dents. Il enleva une poignée de boue, de feuilles mortes et un ver de terre rouge, se tortillant, aussi épais que son index. « Pouah ! »

« Cela aurait pu être pire », déclara Dawson « Le Sergent Crawley dit qu’il y a des centaines d’hommes involontairement enterrés dans l’Octelande ».

Morris secoua la tête. « Bien sûr qu’il y en a. Le Cryx a assassiné des milliers de personnes dans cette lande ».

« Le sergent ne parlait pas de morts au combat », déclara Dawson. « Il parlait des voyageurs et des forestiers qui venaient juste d’être engloutis par des entonnoirs comme celui-là. Ils sont tout autour de nous, à quelques centimètres sous terre, encore debout là où ils se sont enfoncés. Nous marchons sur leurs crânes ».

Morris railla. « Il dit çà pour effrayer les chiots comme toi. C’est une autre raison pour laquelle on l’appelle Flippant ». Malgré ses paroles courageuses, Morris frissonna alors qu’il continuait à gratter la boue de sa jambe.

« Je ne sais pas. J’ai l’impression que nous marchons dans un cimetière. Il y a peu, Robinson a marché sur une cage thoracique ».

Au son d’un sifflement dissimulés, les deux hommes regardèrent autour d’eux. Dawson serra fort son armure, mais il n’y avait rien.

La brume s’épaississait à mesure qu’ils s’enfonçaient dans l’Octelande. La lumière du soleil filtrait à travers les nuages. Il offrait peu de lumière et encore moins de chaleur.

« Arrête, Dawson. Là, tu me donnes la chair de poule ». Morris détourna son regard de la brume et baissa les yeux sur sa botte détrempée avant de lâcher un lourd soupir. « Allons-y. Ils nous devancent ».

Dawson hocha la tête en direction de la jambe noircie de Morris. « Fais attention ».

Bientôt, ils rattrapèrent le reste de la compagnie et se plaçèrent à côté du chariot d’avitaillement. Les roues renforcées de fer patinaient dans la terre molle, les conducteurs suivant l’exemple de Gully et Foyle pour rester sur la terre ferme.

Le Lieutenant Lister menait une escouade à une cinquantaine de verges devant les warjacks. Il s’arrêtait de temps en temps pour s’assurer qu’ils restaient à portée visuelle des personnes qui escortaient le chariot de tête. Il disparut brièvement dans la brume s’épaississant, pour réapparaître alors qu’ils se rapprochaient. Habituellement, il se matérialisait en regardant une carte et une boussole, car les nuages obscurcissant rendaient la navigation par le soleil au mieux incertaine.

Loin devant, perdus dans les brumes, les éclaireurs des Cerbères guidaient la compagnie dans le sillage des pillards Cryx. Toutes les demi-heures, ils revenaient près de Lister à quelques minutes d’intervalle, faisant leur rapport trop discrètement pour les autres puissent l’entendre.

Les éclaireurs cherchaient des signes d’embuscade, pas la piste elle-même. Il n’était pas nécessaire d’être spécialement entraîné pour voir les plantes piétinées et la terre retournée que les morts-vivants avaient laissés dans leur sillage. Même les hommes près des chariots distinguaient les empreintes de bottes de fer des nécroserfs. Des plus grandes empreintes à trois doigts marquaient le passage des bonejacks et des helljacks, ces derniers étant deux fois plus gros que les premiers.

Morris se retourna, levant son gros flingue au bruit d’une brindille cassée. Jusqu’à ce qu’elle ait marché dessus, Sam se déplaçait silencieusement dans la lande. Elle tendit la main pour écarter le canon de l’arme.

« Cet endroit donne la frousse à tout le monde », dit-elle. « L’astuce, c’est qu’elle reste à l’intérieur ».

« Oui’s » répondit Morris.

Sam regarda Dawson. Sous le regard de son capitaine, il relâcha sa prise sur le gros flingue pour le porter librement mais prêt à la hanche. Ses propres yeux semblaient durs même dans la lumière tamisée, mais elle lui fit un signe de tête confiant.

Tandis que Sam poursuivait sa route prenant des nouvelles des autres Cerbères, Morris se retourna pour regarder Dawson, qui lui offrit un haussement d’épaules compatissant.

De temps à autre, l’un des Cerbères se penchait pour récupérer un artefact d’une bataille antérieure : douilles, sangles de toile, boucles de laiton, éclats d’obus et d’écrous de ‘jack aussi gros que des pommes. La plupart du fer était rouillé depuis longtemps, mais certains des débris semblaient neufs. Ces objets étaient remis au Sergent Crawley, qui les examinait avant de les jeter ou de les glisser dans la pochette de son ceinturon.

« Récent ? » demanda Sam alors que le sergent examinait la nouvelle babiole.

Crawley secoua la tête. « Pas assez pour être du lot que Brocker poursuit ».

Harrow quitta les éclaireurs pour adresser quelques mots à Lister. Le lieutenant acquiesça et renvoya Harrow avant de s’approcher de Sam.

« Nous avons trouvé quelque chose », lui dit-il. « Une étrange piste ».

« Foyle, Gully, marche en avant ! » Sam les accompagna, se déplaçant à une vitesse prudente.

« Attention ! » Lui cria Lister. Le grand homme glissa alors qu’il se dépêchait de les rattraper. Il désigna les hommes les plus proches. « Dawson, Morris, Robinson, avec moi ». Tandis que Sam trottinait entre le grand Rapace et le Nomade encore plus grand, Lister et son unité pressait pour suivre.

La jambe trempée de Morris gargouillait à chaque pas tandis que les Cerbères suivaient Sam et ses warjacks. Le bruit des roues des chariots s’estompait au fur et à mesure que les soldats avançaient.

Une fusée éclairante traversa la brume devant eux. Alors qu’ils se rapprochaient, les Cerbères virent Harrow s’agenouiller pour examiner quelque chose par terre. La lumière cramoisie de la fusée projetait des ombres infernales sur son visage. Lorsqu’il leva les yeux vers les mercenaires s’approchant, Dawson et Morris détournèrent le regard.

Sam ralenti et arrêta ses ‘jacks avant de rejoindre Harrow. Lister fit signe aux hommes de se mettre en position de garde en tournant le dos à la fusée éclairante.

Sam et Lister examinèrent une flaque rectangulaire légèrement plus grande qu’une brique. Une extrémité était légèrement plus large que l’autre et trois lignes parallèles formaient d’étroits ponts sur toute la largeur. « Je n’ai jamais rien vu de tel auparavant », dit Sam, « mais je parierais que ce n’est pas cryxien ».

Harrow se releva, faisant un geste avec la torche pour indiquer d’autres empreintes à proximité. Elles étaient toutes identiques, espacées en larges motifs répétitifs.

« C’est étrange », déclara Sam après avoir longuement observé. « Faites devenir Crawley. Je veux son avis ».

« Morris », dit Lister, en faisant un geste du pouce en direction du train de chariots. « À double cadence ! »

« Monsieur ! » Morris se mit à courir, pataugeant à chaque pas.

Sam suivit Harrow alors qu’il montrait de plus en plus d’empreintes. Il indiqua deux pistes parallèles, une large piste d’empreintes de cryxiens piétinées, l’autre les empreintes rectangulaires du voyageur solitaire.

Sam demanda : « Le Cryx le suivait, tu crois ? »

Harrow secoua la tête.

« Tu penses que ça les suivait ? »

Il acquiesça.

Crawley arriva, essoufflé. Derrière lui, Morris appuya ses mains contre ses cuisses, haletant.
Sam s’empara de la fusée d’Harrow et montra les étranges empreintes à Crawley. Le sergent baissa les lunettes autour de son cou et plissa les yeux vers la dépression rectangulaire. Son front se plissa alors qu’il suivait le tracé des pas.

« Qu’en penses-tu ? » demanda Sam. « Quadrupède ? »

« Certainement. Et extrêmement régulier. Trop régulier, si tu veux mon avis. Même pour un nouveau ‘jack fraîchement sortit de la forge, on s’attend à plus de variations dans les pas en fonction de sa charge d’armes, de la façon dont il tourne, s’il transporte quelque chose, Ces pas sont parfais ».

Crawley s’agenouilla. Il plongea sa main dans la flaque rectangulaire pour en mesure la profondeur. Il enfonça son pouce dans la terre comprimée à la base de la flaque, tâtant la fermeté des stries à l’intérieur de l’empreinte. Les yeux mi-clos, il effectua un calcul silencieux : « En supposant qu’il ait quatre jambes, je dirais environ sept tonnes. Peut-être huit ».

Lister siffla tout bas. « Aussi gros que Gully ».

« Combien de présent ici ? » demanda Crawley.

« Juste celui-là ? » Sam jeta un coup d’oeil à Harrow, qui hocha la tête pour confirmer. « Oui, juste un ».

« Des empreintes d’un contrôleur ? » demanda Sam.

Harrow secoua la tête.

« Est-ce la chose que nous recherchons, Sam ? » demanda Lister.

« Le message du Vieux indiquait que je le saurais quand je l’aurais vu », déclara Sam. « Maintenant que je le vois, je pense que oui ».

Ma question est : est-ce que le Cryx le cherche aussi ? »

« C’est possible », dit Sam. « Mais à en juger par la position des ces traces, je parierais que cette chose à vu les cryxiens avant qu’ils ne la voient. Peut-être qu’ils ne savaient même pas qu’il était là ».

« Et Brocker ? »

Sam haussa les épaules. « Il se peut qu’il ait dit la vérité. Ou peut-être que le Cryx s’est mis en travers de son chemin alors qu’il cherchait notre mystérieux ‘jack ».

« On suit ces traces ou les cryxiens ? »

« Pour l’instant, ça n’a pas d’importance. Elles ne se croisent peut-être pas, mais elles reviennent dans la même direction. Assure-toi que les autres éclaireurs voient ces empreintes. Places-en un de chaque côté des pistes, puis Harrow au milieu, entre les pistes ».

« Oui’s », répondit Lister.

« Je ramène les grands gaillards aux chariots. Je veux qu’ils soient entièrement chargés et prêts à l’action ».

« Ça marche, Sam », déclara Crawley.

« Trouvons cette chose avant que quiconque ne le fasse », dit-elle. Puis, presque pour elle-même, elle ajouta : « Et prions que le Cryx ne nous trouve pas en premier ».

* * *

La troisième fois que le chariot d’avitaillement s’embourba, le Sergent Crawley demanda à toute la compagnie de s’arrêter. Après s’être entretenu avec Lister et le capitaine, il ordonna aux hommes décharger les réserves d’eau et de nourriture et de répartir le chargement de manière égale entre les chariots vides. Un peu plus d’une heure plus tard, la marche reprit avec moins d’haltes pour les chariots en retard.

Les éclaireurs revinrent et signalèrent pour signaler un terrain traite devant eux. Sam dirigea les warjacks loin des terrains les plus périlleux. Cela nécessitait parfois un détour, mais Sam insistait sur la prudence. Poussez un chariot dans une ornière était déjà assez pénible. Personne ne voulait sortir d’un warjack d’un entonnoir.

Lorsque le Sergent Crawley donna le coup de sifflet d’arrêt, les Cerbères étaient trempés et épuisés. Ceux qui avaient été choisis comme piquets et sentinelles pestaient tandis que les autres se mettaient au travail pour établir le campement sur le terrain relativement sec qu’ils avaient choisi.

En moins d’une heure, les mékaniciens, sous le regard attentif du Sergent Crawley et du capitaine, étaient plongés jusqu’au coude dans Gully après que Foyle eut passé l’inspection et reçu un plein chargement de charbon et d’eau. Crawley arracha le pistolet à rivets de l’un des hommes et refixa la plaque renforçant le châssis de Gully brûlé par le venin.

« Regarde ça », déclara Robinson. Vétéran maigre à la barbe rousse, il souleva un objet concave de sous une jonchée de feuilles. Il balaya les détritus pour révéler la partie supérieure du crâne d’un bonjack. « Cela évitera à mon sac de couchage ne touche le sol humide ».

« Ne touche pas à ça », avertit Burns, « ça porte malheur.

« Ne sois pas un nigaud si superstitieux ».

Burns lui montra son poing. « Si tu ne contrôles pas tes paroles, la malchance arrivera plus vite que tu ne le penses ».

« Tu fais ce que tu veux blondinet », répondit Robinson. « Personne ne t’empêche de dormir sur le sol humide ».

Morris revint de ses recherches avec un torchon rempli de champignons. « Hé, caporal », dit-il. « Que pensez-vous de ces champignons ? »

Harrow jeta un coup d’oeil à la récolte de Morris. Piochant dans le tissu, il jeta un champignon au chapeau vert pâle et l’écrasa sous ses pieds. Quand il eut fini, il prit quelques champignons coniques pour les grignoter et s’éloigna sans un mot.

« Merci ». Morris goûta les champignons, plissa les yeux et hocha la tête e signe d’approbation.

« Que s’est-il passé ? » demanda Dawson.

« Avant de rejoindre la compagnie, Harrow était au SRC du Roi Leto ».

« Le Service de Reconnaissance Cygnaréen ! »

« Shh », dit Morris. « Baisse d’un ton. Il n’aime pas qu’on en parle ».

« Pourquoi est-il parti ? »

« Personne ne le sait — ne pense même pas le demander à Harrow. Il n’aimerait pas ça. De toute façon, on dit qu’on peut l’abandonner pendant un an dans n’importe quel endroit abandonné des dieux, et qu’il reviendra avec cinq kilogrammes de plus, avec les noms et les emplacements de chaque horrible chose vivant sous un rocher ou sur une branche d’arbre. Il connaît toutes les choses qui sont bonnes à manger et toutes celles qui te tueraient ».

« C’est un homme à avoir dans les parages ».

« Oui », acquiesça Morris. « Tant qu’il veut t’avoir à ses côtés ».

Dawson grimaça. « À Tarna, il m’a pris pour un espion de Khador ».

Morris étudia le visage de Dawson. « Non, il ne l’a pas fait ».

« Quoi ? »

« S’il t’avait pris pour un espion, nous n’aurions pas cette conversation. Tiens, essaye celui-là ». Morris lui tendit un morceau de champignon.

Dawson regarda le champignon cramoisi avec méfiance avant d’en prendre une bouchée. Au fur et à mesure qu’il grignotait, il se mit à sourire. « C’est vraiment bon ».

Morris divisa les champignons en deux tas inégaux. Le plus petit, il le posa dans un tissu et le rangea dans la pochette de sa ceinture. Il apporta le plus gros à Sam, qui assise sur le hayon ouvert du chariot de ravitaillement, mangeait un repas froid à côté de Lisse.

Elle mit de côté son assiette en fer-blanc de corned-beef, de fromage jaune dur et de pain plat pour accepter le butin de Morris. « Harrow les a vus ? »

« Voyons, capitaine ».

Sam grignota un morceau et approuva d’un signe tête. Elle en mit deux dans son assiette et passa le reste à Lisse. « Fais-les circuler, Lisse et annonce à tous que nous avons un intrépide chasseur de champignons parmi nous »

Morris salua Sam et se détourna avant qu’un sourire idiot n’envahisse son visage. Dawson le suivit jusqu’au chariot d’avitaillement, où Morris sortit une brosse rigide pour nettoyer sa botte souillée.

« Deux », déclara Dawson.

Ils retournèrent à l’endroit qu’ils avaient choisi pour faire leurs lits. Dawson regarda le crâne que Robinson avait posé sous lui pour rester au sec. Il frissonna et jeta un coup d’oeil à Morris. D’un commun accord, ils ramassèrent leurs sacs et s’éloignèrent vers un autre endroit sec.

Morris enleva sa botte détrempée, détacha sa genouillère et se débarrassa de son pantalon de cuir. Après l’avoir vigoureusement secoué, il le suspendit à une banche voisine.

« Donne-moi ça », dit Dawson en attrapant l’armure. Pendant que Morris frottait sa botte, Dawson brossait la boue accumulée sur sa genouillère. Morris fit un signe de tête appréciateur à Dawson.

Ils travaillèrent en silence pendant un moment avant que Morris ne demande : « Qu’as-tu fait pour que tu penses que Harrow te prenais pour un Rouge ? »

En grimaçant, Dawson décrivit comment il avait été surpris en train d’espionner le briefing des garçons. Plutôt que de le réprimander, Morris s’esclaffa. « Rose a fait la même chose au printemps dernier Burns lui a fait tellement craindre qu’Harrow lui tranche la gorge pendant qu’il dormait qu’il a failli renoncer à son contrat. Cela arrive de temps en temps – pas l’égorgement, mais le fait de jeter un coup d’oeil furtif au premier briefing. Chaque nouveau chiot veut être l’un des garçons.

« Qu’est-ce qu’il faut pour cela ? »

Morris haussa les épaules. « Je ne sais pas vraiment. Lister et Flippant étaient avec le capitaine bien avant la partie. Je suppose qu’ils ont été les premiers ».

« Lorsque je me suis engagé, le sergent m’a raconté comment le Capitaine MacHorne avait gagné la charte de la compagnie lors d’une partie de cartes. Avant d’entendre son histoire, je n’aurais pas pensé qu’elle était une tricheuse. C’est pour ça qu’aucun membre de la compagnie ne veut jouer aux cartes avec elle ? »

« As-tu entendu la version de Lister ? »

« Non ».

« Cela vaut la peine de lui demander un jour, en supposant qu’il soit de bonne humeur ».

« Et les caporaux ? Ce sont tous des garçons, n’est-ce pas ? »

« La plupart d’entre eux, mais pas tous : Robinson, par exemple. Et j’ai entendu parler de simples soldats qui étaient considérés comme des garçons, mais c’était avant mon arrivée. De toute façon, ce n’est pas qu’une question de rang ou d’ancienneté, pour autant que je sache ».

Dawson hocha la tête, mais son expression restait perplexe.

« Il n’y a pas d’annonce ou quoi que ce soit d’autre. Un jour Crawley t’annonce de te présenter au premier briefing, et tout le monde sait que tu n’es plus un homme. Tu es un garçon ».

« Huh ». Dawson eut un regard lointain dans ses yeux.

« Ne sois pas trop excité, gamin. Il n’y a pas d’augmentation ou quoi que ce soit ».

Morris mis sa botte de côté et commença à brosser la boue séchée de son pantalon. Lorsqu’il se pencha, trois talismans sortirent de sa chemise. Deux étaient en bronze poli, le troisième en or brillant.

« Je ne te savais pas si pieux » déclara Dawson.

Morris se leva et pris l’un des médaillons de bronze entre son pouce et son doigt. « Pas plus qu’un autre. Celui-ci est de ma soeur ».

Dawson se leva pour regarder le disque circulaire. Sur sa face était gravée une épée enveloppée dans une bannière inscrite de mots caspiens. « Ascendant Solovin », déclara Dawson. « Le patron des guérisseurs ».

« Murdina est sage-femme dans notre village natal, juste à l’ouest de Carre Dova. Chaque fois qu’elle m’écrit, elle me rappelle de rester près du chirurgien ».

« Mais nous n’avons pas de chirurgien de campagne dédié ».

Morris porta un doigt à ses lèvres. « Ne le dis pas à Murdina ».

Il laissa tomber le premier médaillon de bronze et souleva le suivant. Une épée contre un mur crénelé était estampée sur sa face.

« Ascendant Markus », déclara Dawson. Il toucha sa cuirasse. « J’en ai un tout pareil ».

« Cela te donne le courage de défier quatorze chefs barbares pour briser un siège ? »

« Eh bien… peut-être treize. Markus est mort en tuant le dernier ».

Morris rit. « Tu veux dire qu’il s’est ‘élevé’ ».

« Bien sûr. Mais il est d’abord mort ».

« Ne laisse pas Lister t’entendre parler comme ça. Il te menotterait pour blasphème ».

« Il est si pieux ? »

« Surtout à propos de l’Ascendant Markus. Ses meilleurs jurons sont en caspien ».

« Qui parle le caspien de nos jours ? »

« Le Primarque, ses Exarques, tous leurs prêtres, et le Lieutenant Lister », répondit Morris. « Mais je pense que Lister est plus à l’aise en particulier avec les jurons ».

« Que j’aimerais entendre ».

« Tu dis cela maintenant, mais tu ferais mieux de prier d’être à bonne distance quand ça arrivera. Tes oreilles vont bourdonner ».

« Et le troisième médaillon ? »

« Ah, c’est mon trésor ». Il leva le disque d’or. « Ascendant Katrena, défenderesse de la foi, patronne de la bravoure, de la chevalerie et de la noblesse – bien trop beau pour des hommes comme moi. Et regarde ici ». Il retourna le disque pour révéler un éclat d’ivoire incrusté dans le métal. « Un éclat de l’os de sa jambe. Je l’ai acheté à un homme ayant voyagé jusqu’au Sancteum ».

« Il doit valoir une fortune ».

« La plupart de mes gains de la première année », répondit Morris. « C’est pour ma fille. Tu sais, un jour ».

Dawson acquiesça. « Je ne savais pas que tu as une femme ».

« Je n’en ai pas ». Son sourire s’estompa. « Sa mère a épousé un autre homme. Un avec des perspectives d’avenir ».

« C’est pour cela que tu as rejoint la compagnie ? Pour faire fortune et la reconquérir ? »

« Non, je voulais juste partir. Je travaillais dans un village où je risquais de voir ma petite fille se balader sur les épaules du poissonnier en l’appelant papa ».

« Quel est son nom ? »

Morris s’illumina. « Isla. Ses yeux ont la couleur du bleuet ».

Après le souper, Dawson prit le quart suivant tandis que Morris se couchait. Il s’assit au sud du camp, à l’abri de la lumière des feux allumés par le chariot de Foyle, et regarda dans le brouillard. Après une fine pluie, les lunes fantomatiques apparurent à travers les troués dans les nuages. Dawson écouta la sérénade rythmée des grenouilles jusqu’à ce que Parks le remplace. Il retourna ensuite dans son lit et dormit jusqu’à ce que le sifflet sur sergent réveille la compagnie.

* * *

Après une matinée au cours de laquelle les éclaireurs signalèrent des bruits étranges dans la brume, Lister chargea Dawson et Robinson de partir en tant que deux paires d’oreilles fraîches. Ils venaient de quitter la compagnie depuis dix minutes qu’ils rencontrèrent un autre chenal d’eau stagnante leur barrant le chemin.

Dawson traversa le premier, tenant son fusil et sa pochette de munitions par-dessus l’eau atteignant sa taille. Il sortit de l’autre côté et se retourna pour voir Robinson faire de même. Lorsque le caporal émergea de l’eau, sa chemise se souleva, révélant de grosses sangsues brunes couvrant son corps.

« Remonte ta chemise », dit Dawson. « Ne bouge pas. Il pinça la sangsue juste au-dessous de l’une de ses extrémités effilées, forçant ses ventouses, avant de la décoller. Deux plaies sanguinolentes apparurent sur la peau de Robinson.

« Oh, Morrow », dit Robinson. « Enlève-les. Enlève-les maintenant ! »

« Ne fais pas le bébé. Ce ne sont que des sangsues ».

« Je ne les supporte pas ».

« Tu peux dormir sur le crâne d’un bonejack, mais ça te dérange ».

« Elles me mangent vivant ! »

Dawson jeta une autre sangsue de côté et tourna Robinson pour examiner le reste de son torse. « Enlève tout »

« Quoi ? »

« Elles ont peut-être pénétré dans tes vêtements ».

Frissonnant, Robinson retira son pantalon de cuir. Dawson l’examina de près. « Tu es propre. Maintenant, vérifie-moi ».

Robinson remit sa ceinture en place avant de vérifier que Dawson n’avait pas de sangsues. Il n’en trouva qu’une sur la hanche de Dawson, mais il ne put se résoudre à la toucher. Dawson l’enleva lui-même ».

« Tu as entendu ? » demanda Robinson.

Dawson s’immobilisa. Il entendit un cri d’oiseau au loin et quelques clapotis d’eau de grenouilles dans les flaques d’eau voisines. Puis il entendit un léger bruit de ressorts se comprimant et se relâchant. Ce n’était pas le bruit d’une machine à vapeur, mais il s’agissait indubitablement d’un mouvement mécanique.

« Devrions-nous aller voir plus près ? » chuchota Dawson.

« Je ne- » Robinson regarda dans la direction du bruit. D’autres chenaux et flaques stagnantes se tenaient devant eux. « Non, nous ferions mieux de faire notre propre rapport d’abord ».

Lorsqu’ils rapportèrent à Lister ce qu’ils avaient entendu, le gros lieutenant loucha sur Dawson en baissant son cigare. « Vous êtes sûrs que c’est ce que vous avez entendu ? » dit-il « Certains d’entre vous ne savent pas faire la différence entre une grenouille et un engoulevent ».

« J’ai entendu quelque chose de similaire », déclara Harrow, sortant de nulle part. « Et un bruit de cliquetis, plus comme un clocher que comme un warjack ».

« Avez-vous au moins jeté un coup d’oeil ? »

Harrow secoua la tête. « D’autres traces ? »

« Aucune que j’ai pu voir. Toute la zone est inondée ».

« Aucune que j’ai pu remarquer. Toute la zone est inondée ».

Lister se tourna vers Sam. « Qu’en dites-vous capitaine ? »

« Quoi qu’il en soit, il est assez intelligent pour cacher ses traces ».

« C’est probable », acquiesça Lister.

« Je n’aime pas l’idée d’emmener nos grands gaillards patauger. Pourtant… »

Elle ordonna à la compagnie de s’arrêter : « Je veux que six de nos plus grands hommes marchent en ligne devant Gully et Foyle. Deux hommes en arrière-garde et deux de chaque côté. Garde une escouade à portée de main ».

« Ça ne laisse pas beaucoup d’éclaireur », reprit Lister.

« Débrouille-toi ».

« Oui’s. Sergent, tu choisis les demoiselles d’honneur ».

« Des grandes, hein ? » Crawley ajusta ses lunettes et regarda Lister.

« D’accord, d’accord. Compte sur moi ».

« Écoutez, Burns, Lisse, Harrow !  Vous trois, escortez ce jeune marié costaud jusqu’à l’autel ». Il frappa sur le genou de Gully. « Fraser, Bowie, vous accompagniez la mariée avec le lieutenant ». Il indiqua Foyle.

Les Cerbères prient leurs nouvelles positions, menant les ‘jack et les chariots à travers l’eau jusqu’aux mollets. Lorsque Bruns et Lisse plongèrent jusqu’aux hanches dans une mare, Sam stoppa les ‘jacks jusqu’à ce qu’il trouve une voie moins profonde.

« C’est stupide ». Burns coupa une longue branche et en détacha les brindilles. Avec le bâton, il sonda le sol pendant que les Cerbères avançaient. L’un après les autres, les autres suivirent son exemple, à l’exception de Harrow, qui se baladait dans l’eau croupie sans l’aide d’une sonde, laissant à peine une ondulation dans son sillage.

À quelques minutes d’intervalles Robinson et McBride revinrent de leurs repérages et ne signalèrent aucune observation inhabituelle. Robinson confirma que leur chemin aquatique s’éloignait de la piste laissée par le Cryx.

« Ce qui les suivait venait de cette direction », dit Crawley. Il fit signe aux éclaireurs de repartir.

Sam acquiesça. « Nous nous rapprochons de la Langue du Dragon. Qu’en penses-tu ? Cinq ou six kilomètres ? »

Crawley sortit une boussole et une carte de sa poche. « Laisse-moi vérifier la carte ».

Sam se retourna, Harrow leva cinq doigts d’une main, trois de l’autre.

« Huit kilomètres », répondit Crawley. Il laissa la carte pliée et remit la boussole dans sa poche.

« Qu’est-ce qu’il y a ici, si près du fleuve ? demanda Sam à personne en particulier. Personne n’eut de réponse. Ils avançaient en pataugeant dans la boue.

« Nous y voilà. Regarder ». Burns pointa son bâton.

Il indiqua une étendue d’eau sombre au sud-est. Un reflet irisé se mêlait à des tourbillons plus sombres sous la surface de l’eau. Au-delà du noyau sombre de la tache, l’eau brillait.

« De l’huile et du venin cryxiens », déclara Lister. « Soyez attentif ».

S’aidant de leurs bâtons, Lister Harrow avancèrent. Bientôt, ils s’enfoncèrent dans la boue jusqu’aux hanches.

Burns sauta pour les rejoindre, mais il glissa sur le côté, s’écrasant sous l’eau. Il remonta en bafouillant : « Au secours ! Il plongea à nouveau sous l’eau, puis remonta en ajoutant : « Quelque chose m’a attrapé ! »

Lister et Harrow se retournèrent. Lister mis son gros flingue, mais se ravisa. Harrow avait déjà sa pioche en main. Il la balança en arc pour frapper près du pied de Burns. La pointe frappa avec un bruit sourd sous l’eau. Quoi qu’il en soit, le coup fut suffisant pour libérer Burns. Lister se releva.

Harrow frappa à nouveau, mais l’eau resta immobile.

« Qu’est-ce que c’était ? » demanda Lister.

« Ça m’a attrapé la jambe », déclara Burns, sans pour autant se mettre à hurler d’inquiétude.

Harrow enfonça sa hache sous l’eau, frappant un objet sous la surface. Comme l’objet ne réagissait pas, il déplaça l’arme, tâtant la forme de l’objet. D’un simple mouvement de tête, il remit sa hache sur son épaule et enfonça ses mains sous l’eau.

« Fais attention, mec » l’avertit Burns. « Il a avalé mon pied en entier dans sa gueule ».

Après avoir tâté l’objet englouti, Harrow recula et tendit sa main, Lister lui donna la perche qu’il avait lâchée. Ensemble, ils utilisèrent leurs perches comme levier pour soulever le crâne d’un bonejack en ruine.

Sous une mâchoire pleine de crocs, une paire de défenses renforcée de fer se recourbaient en pointes acérées. Des pistons les reliaient à des mékanismes situés à l’intérieur d’un dissipateur thermique en laiton formant un collier derrière la « tête » du ‘jack. Les Cerbères voyaient pas grand choses du corps blindé du mékanisme, mais la plupart hochèrent la tête en reconnaissant la forme la plus commune des machines de guerre de Cryx.

« Dépeceur », déclara Crawley.

« Attention », cria Burns. « Ça glisse ».

Il tomba à genoux, mais le bonejack ne s’enfonça pas avec lui. Avec un craquement de fer et un gargouillis d’eau du marécage, la tête du Dépeceur remonta à la surface, révélant les dégâts ayant presque séparé la tête du châssis.

La coupe semblait parfaitement droite à l’exception d’un motif régulier de points cisaillés le long du bord de la plaie.

« Cela ne provient pas d’un espadon », déclara Lister. Il testa le bord de l’entaille dentelée avec le doigt d’une main gantée. En sifflant, il le porta à sa bouche, mais s’arrêta avant de passer sa langue sur la blessure. Même en l’effleurant, le métal taillé tranchait le cuir.

« On dirait que quelqu’un a passé cette chose à la scie à bois » fit remarquer Crawley. Il examina la tache d’huile, d’abord avec ses lunettes, puis en plissant les yeux après les avoir rabattues autour de son cou. « Cela ne fait pas longtemps qu’elle est là. Je dirais que ce qui a trouvé ce Dépeceur l’a fait juste avant que Brocker et ses hommes ne rencontre les cryxiens pour la première fois au nord-ouest.

« Alors », répondit Sam, « il est possible que les cryxiens l’aient recherché, trouvé, puis aient été entraînés dans un combat ».

« Ce qui pourrait suggérer que Brocker le cherchait également, et c’est pourquoi il était ici », déclara Lister.

Sam regarda par-dessus son épaule avant d’acquiescer. « Peut-être. Dans tous les cas, nous devons continuer à surveiller nos arrières ».

Ils reprirent leur marche. Les bavardages se réduisirent à des chuchotements, ponctués par de sifflements d’avertissements au silence par les hommes les plus éloignés de l’agitation des warjacks.

« Tu as entendu ça ? » demanda Morris.

Dawson ferma les yeux pour mieux écouter. « Je pense que c’est juste les arbres. Il se retourna lorsqu’il aperçut un mouvement inattendu du coin de l’œil. « Attention Burns ! »

Foyle trébucha en avant. Son ombre se profila au-dessus de Burns tandis que le Rapace s’inclinait vers lui, levant sa longue lance paralysante dans une désespérée tentative de se rattraper.

Burns se retourna, les yeux écarquillés par le danger. Il commença à bouger, mais la boue l’enserrant le retint.

Sam se précipita vers lui, bondissant pour plaquer le grand homme de tout son poids. Même si elle ne faisait que la moitié de sa taille, elle le frappa avec le bon angle pour l’écarter de la trajectoire du warjack. Ils plongèrent dans le bourbier. L’instant d’après, Foyle s’abattait à côté d’eux, éclaboussant tous ceux que se trouvaient à moins de six mètres.

L’eau du marais siffla lorsqu’elle toucha la fournaise sur le dos de Foyle. Le warjack toussa lorsque atteignit son moteur.

Sam émergea la première, crachotant. « Foyle, stabilise-toi ! Accroche-toi ! »
Le Rapace sortit sa lance paralysante et planta sa crosse dans le sol. Il fit de même avec son bras-bouclier, poussant sur le côté tout en tirant son arme vers l’avant. Ses pistons s’élancèrent et se bloquèrent, ses engrenages sous pression.

Burns se leva et se déplaça pour pousser le warjack par-derrière. Tous les hommes à proximités se mirent en position pour l’aider dans ses efforts. Morris posa une main trop près de la fournaise, criant alors que le métal chauffé au rouge brûla sa paume à travers son gant de cuir.

Lister poussa une litanie d’obscénités dans un mélange d’ordique, de cygnaréen et de caspien à une vitesse folle. Les yeux de Dawson s’écarquillèrent, mais personne d’autre n’esquissa le moindre sourire.

Sous la direction de Sam, les hommes poussèrent au rythme des propres efforts de Foyle pour sortir de l’entonnoir. Alors que l’alarme s’estompait, leurs efforts se coordonnèrent. Malgré tous leurs efforts, le résultat demeura le même : Foyle était coincé.

« Très bien, Cerbères, reculons », dit Sam. Les hommes reculèrent avec précaution tandis que Foyle chancelait et s’immobilisait.

Sam remonta ses lunettes sur son front et s’essuya les yeux d’un revers de main. « Cela demande un peu plus de réflexion. En attendant, il ne faut pas baisser la garde. Crawley ? »

Le sergent assigna deux unités à la garde tandis que les autres se mettaient à l’aise, attendant de nouvelles instructions.

« Comment est-ce arrivé ? » demanda Lister. Il paralysa Burns d’un regard. « Tu as posé le pied sur ce trou ! »

« Je ne sais pas, lieutenant. Je n’ai rien senti ».

« Dit l’actrice à l’Exarque » ajoute Lisse, souriant et en cherchant l’approbation autour de lui. N’en voyant aucune, il leva ses mains vides tel un acteur s’excusant auprès du public. Il s’éloigna d’un projecteur imaginaire.

« Ow ! Fils de- » Lise s’éloigna d’un point près du genou gauche de Foyle. En Sifflant, il leva la jambe. Du sang coulait d’une plaie située sur son mollet, juste sous le pli du genou. Il la serra fort.

« Attrapez-le », dit Lister. Il saisit Lisse sous les bras. Burns et Harrow prirent ses jambes, d’un pas rapide et court, ils emportèrent le grand homme jusqu’au chariot le plus proche. Un autre Cerbère baissa le hayon, et ils posèrent Lisse dessus.

Lister déchira la déchirure de la jambe de pantalon de Lisse et pressa ses mains contre la blessure. Du sang coula entre ses doigts. « C’est une sacrée coupure ».

« Je l’ai à peine touché », dit Lisse.

« Alors, c’est tranchant comme la rancune ».

L’un des conducteurs était déjà sur place avec de l’eau, des chiffons propres et des bandages. Il nettoya la plaie avec de l’eau fraîche, l’épongea avec un chiffon propre et saupoudra la plaie d’une poudre coagulante. Une fois qu’ils eurent maîtrisé le saignement, Fleming sortit le kit de suture et enfila une aiguille incurvée.

Tandis que Fleming recousait la blessure de Lisse, Lister se dirigea vers Foyle, mâchonnant son cigare.

« Regardez », dit Sam. Elle pointa du doigt Dawson, Morris et Harrow qui sortaient avec précaution un objet pointu hors de l’eau.

C’était un disque d’acier bleui de près de soixante centimètres de diamètre. Son pourtour extérieur était hérissé de dents. Les mauvaises herbes du marais s’accrochaient à un trou en son centre.

« Vous voyez », dit Burns. « Ce n’était pas de ma faute. Cette chose devait être coincée dans le trou et les mauvaises herbes ou quelque chose comme ça. Quand Foyle a marché dessus, son poids l’a fait basculer ».

« Quelque chose me dit que ça ne vient pas d’un laborjack » dit Morris. « D’ailleurs, nous aurions remarqué quelque chose si quelqu’un avait scié des arbres à proximités ».

« Non », dit Dawson. « Cette lame n’a pas été conçue pour couper du bois. Les dents ne sont pas bonnes, les creux trop peu profonds. Il n’y a pratiquement pas d’avoyage. L’acier doit être incroyablement solide. Et regardez cette lancette ! ». Il regardait la lame avec admiration jusqu’à ce qu’il se rende compte que tout le monde l’observait.

« Lister enleva son cigare. « Tu parles quelle langue, Dawson ? »

« Désolé, monsieur. Je suppose que le jargon des bûcherons semble étrange pour les autres ».

« Tu as grandi dans une scierie ? »

« Pas exactement », répondit-il. « Mais j’ai travaillé avec mon oncle à la scierie du village jusqu’à ce que mon frère soit assez grand pour prendre ma place et que je quitte la maison pour rejoindre l’Ordique- »

« Je suis sûr que c’est une histoire très touchante », reprit Lister, « mais ma question est la suivante : tu t’y connais en scies ? »

« Oui, monsieur ».

« Que peux-tu me dire d’autre sur celle-ci ? »

« Eh bien, il n’y a pas beaucoup d’usure près du moyeu. Ce trou sert à son soutien, mais pas à la faire tourner régulièrement. Mais il y a une éraflure près du centre. On l’a fait tourner au moins brièvement, mais ensuite… Je ne sais pas. On dirait qu’elle a été sortie de son étau ».

« C’est soit cette lame, soit une lame similaire qui a coupé ce bonejack », dit Sam « Ça te semble juste, Dawson ? »

« Oui’s. Ces dents sont conçues pour couper le métal, pas le bois. Bien sûr, si on les fait tourner assez vite, elles couperont le bois aussi… ou presque n’importe quoi d’autre ».

Burns prononça les paroles. « Chasse au dragon ». Lister lui lança un regard noir.

Sam se frotta la nuque. « Cela devient de plus en plus excitant. Bien, que quelqu’un m’amène Crawley. Je veux qu’il voie ça. Lister, demande aux conducteurs d’apporter le treuil. Foyle doit être debout dans l’heure. Et Dawson ? »

« Oui, capitaine ? »

« Beau travail ».

« Mais j’ai seulement- » Dawson ferma sa bouche. « Oui’s ».

Sam lui sourit, lui fit un clin d’oeil et s’éloigna.

* * *

21

Le lendemain après-midi, Sam arrêta le train de chariots près d’un village à la lisière de l’Octelande. Les nuages s’étaient écartés juste assez pour révéler une parcelle de ciel bleu entre d’interminables bancs de nuages gris étain. Un seul rayon de soleil drapait d’un voile doré la lande qui s’étendait entre le village et la lisière du marais.

« Harrow, Lister et toi – ah, Dawson. Vous êtes avec moi. Les autres restent ici avec les grands gars. Crawley, abreuve les chevaux ».

Le sergent répéta les ordres de Sam pour la forme, mais les conducteurs étaient déjà en mouvements, impatients de se dégourdir les jambes après être restés assis pendant les deux dernières heures.

Les soldats se débarrassèrent de leurs sacs. Environ un tiers d’entre eux montaient la garde, tandis que les autres s’asseyaient pour se reposer, partageant une cigarette ou s’abreuvant à leurs gourdes en cuir.

Sam ouvrit la voie vers le village. À côté de l’une des chaumières, un homme et sa femme attachaient une chaise à bascule au sommet d’une charrette déjà remplie de meubles et d’autres affaires. Ils jetèrent un coup d’oeil nerveux aux Cerbères avant de se précipiter à l’intérieur pour un autre chargement.

Le chef de village et quelques adolescents virent à la rencontre des Cerbères. L’homme salua Sam d’une poignée de main.

« N’est-ce pas Samantha MacHorne. Ça fait combien de temps ? »

« Trop longtemps, Wilkie », répondit-elle. « Je peux encore goûter les sablés de Rona. Fondant sur nos langues ».

« Si nous avions sur que vous veniez, elle en aurait fait une grande quantité ».

« Ce fut soudain. Nous ne resterons pas ». Elle jeta un regard significatif vers le couple abandonnant leur maison.

« Tout le monde n’aime pas vivre si près de l’Octelande ». Wilkie haussa les épaules, mais déglutit nerveusement. « Vous chassez du Cryx, n’est-ce pas ».

Sam fit un signe de tête au couple s’en allant atteler une paire d’ânes à leur chariot. « Quelque chose les effraie. Je suppose qu’il y a eu des signes ».

« Aucun que j’aie vu de mes propres yeux », dit Wilkie. « Chaque fois que quelqu’un aperçoit une ombre dans l’Octelande ou sent une odeur nauséabonde, il est question de Cryx ».

« Ce genre de propos ne suffit pas à faire fuir les gens ».

« Non, c’est vrai », dit-il avec une certaine réticence. « Un forestier est passé hier. Il a raconté quelques histoires de lueurs cryxiennes et d’âmes perdues et peut-être a-t-il vu quelque chose qui l’a effrayé. Quoi qu’il en soit, il a couru jusqu’à ce qu’il tombe sur un groupe de Têtes d’Acier ».

« Brocker ? » demanda Sam.

« Oui », répondit Wilkie. « Lui et son horrible cheval ».

Lister tourna la tête et cracha sans déloger son cigare éteint.

« Combien ? » dit Sam.

Wilkie haussa les épaules. « Assez de fusils et de hallebardes pour qu’ils campent autour de quatre feux.

« Où étaient-ils ? »

« Peut-être à six kilomètres à l’est sud-est ».

« Dans quelle direction se dirigeaient-ils ? » demanda Sam.

« Le forestier n’a pas pu le dire, ils l’ont renvoyé avant de lever le camp ».

« Le forestier est encore là ? »

Wilkie secoua la tête.

« Ce forestier semblait-il pressé de partir ? »

Wilkie hocha à nouveau la tête avec une certaine réticence. « Si j’y pense trop, je commence à me dire que je devrais déménager ma propre famille à Tarna ».

« Et il a dit que les Têtes d’Acier cherchaient le Cryx ? »

« Il n’en a pas dit autant, mais il n’arrêtait pas de laisser entendre qu’il y avait pire que des mercenaires. En plus des histoires de feu de camp, certaines personnes se sont mis ça dans la tête… Eh bien, vous savez ce que c’est ». La curiosité plissa ses sourcils. « Qu’est-ce que vous cherchez exactement ? »

Sam haussa les épaules. « Je le saurai en le voyant. Sais-tu autre chose qui pourrait nous aider ? »

« Les hommes du Roi Baird sont entrés dans l’Octelande il y a quelques mois. Ils y sont allés avec six grands chariots comme le tien, certains remplis de matériaux de construction, les autres remplis de provisions, suffisant pour tenir un siège hivernal. Ils sont revenus moins d’une semaine plus tard, les chariots vides. Ils ne semblaient pas avoir essuyé de tirs, mais ils ne se sont pas arrêtés pour discuter ».

Sam acquiesça : « C’est bon à savoir. Ils vous manquent des produits de premières nécessités ? »

« Maintenant que tu le dis… »

Après un cours troc informel, Sam envoya Dawson chercher quelques outils de rechange et l’une des pioches de rechange de la compagnie. Le Sergent Crawley l’interrogea sur ce que les habitants avaient dit à Sam. Alors qu’il approuvait la libération du matériel de la compagnie, il prononça, : « Tu as l’air confus, soldat ».

« Je comprends que le capitaine veuille interroger les habitants, mais pourquoi troquer avec eux ? »

« Cela crée de la bonne volonté », répondit Crawley. « Ils sont susceptibles de nous en dire bien plus que ce qu’ils confieraient à une brute comme Stannis Brocker. De plus, regarde ce que nous obtenons en retour ».

Sam se dirigeait vers les chariots, un panier de légumes colorés de fin saison dans les bras. Harrow portait un gigot de mouton et Lister un sac de céréale par-dessus son massif épaule.

« Il y a des provisions que nous n’avons pas eu besoin de transporter depuis Tarna ». dit Crawley.
« Et regarde ces poivrons frais ! »

Après cet échange, le capitaine ordonna à la compagnie de se diriger vers l’ouest. Ils ne s’arrêtèrent que lorsqu’ils furent hors de vue du village, Burns déclara, « Pour rassurer les pères de toutes les jeunes filles ».

Sam ordonna que l’on prépare la nourriture pour le soir même. Avant de les laisser dormir, elle se tint devant les soldats rassemblés. « La mauvaise nouvelle, c’est que nous risquons d’avoir de la concurrence pour la prime », déclara-t-elle. « La bonne nouvelle, c’est que c’est Stannis Brocker ».

« C’est une bonne nouvelle ? » demanda Burns.

« Il est peut-être une terreur sur cette bête de guerre qu’il appelle un cheval, mais il n’a pas notre talent pour abattre un warjack ».

« Cela n’aura pas d’importance s’il le trouve avant nous », déclara Lister. « Il le ramènera en morceau et sifflera jusqu’à la banque ».

« Tu crois qu’il a eu le même contrat que nous ? » demanda Crawley.

« Bien sûr que non », déclara Sam. « Le Vieux est venu nous voir pour une raison, et il ne traiterait jamais avec un bâtard comme Brocker ».

« Quelqu’un d’autre aurait pu l’engager » dit Burns.

Les Cerbères marmonnèrent à propos des griffes des khadoréens s’enfonçaient en territoire ordique.

« Ça n’a pas d’importance », répondit Sam. « S’il y a quelque chose d’inhabituel dans l’Octelande, nous serons les seuls à le trouverons. Demain matin, nous partons à la première heure. Allez-vous le Sergent Crawley pour connaître votre affectation. Certains d’entre vous seront en reconnaissance demain ».

* * *


Dans les brumes d’automne, les gaz des marais et divers miasmes fétides entourant les souches d’arbres en décomposition, les Cerbères ne voyaient guère à plus d’un jet de pierre. Les vapeurs mélangées s’accrochaient au sol marécageux ou pendaient comme des toiles d’araignées entre les troncs des aulnes.

Ici et là, les brumes s’accumulaient au sein de creux. Ailleurs, des taches d’un jaune terne suggéraient qu’une imposante bête observait les mercenaires intrus.

Parfois, une vague lumière montait du sol, sa source obscurcie par la brume et la distance. Quand  l’un des cerbères s’avançait vers lui, un camarade posait une main sur son bras et secouait la tête.

« Ne suis pas les lumières cryxienne », dit Lisse à Dawson. « Certaines d’entre elles sont des âmes perdues. Elles te noieront si elles le peuvent ».

Les cris des vrais oiseaux étaient étouffés par le brouillard, mais aucun d’entre eux n’était un chant. Les corbeaux criaient des plaintes ou des avertissements rauques. Des moineaux gazouillaient leur inquiétude, s’envolant brusquement des branches nues de leurs perchoirs lorsque les Cerbères s’approchaient trop près.

Les habitants les plus surprenant de la tourbière étaient les soudaines puanteurs. Certaines jaillissaient lorsqu’une roue de chariot éclatait une poche peu profonde dans la boue. D’autres semblaient dériver dans une bise que personne ne pouvait sentir, ou sourdre des feuilles desséchées d’un arbre mourant.

À voix basse, Sam et Crawley ordonnèrent aux Cerbères de décharger Gully et Foyle. Les mékaniciens effectuèrent une inspection de dernières minutes pendant les ingénieurs chargeaient les foyers en charbon. Crawley enflamma les moteurs et, après avoir réchauffé les chaudières, les warjacks se mirent en mouvement.

Gulliver se tenait droit, levant son monstrueux espadon pour le reposer sur les « épaules » de son large châssis en fer. Le lourd warjack s’éloigna du chariot. De sa main gauche, il plaça sa solide tarde sur son flanc.

Foyle saisit sa lance paralysante et souleva son propre bouclier, beaucoup plus grand, avant que le warjack léger ne s’avance et ne se mette au garde-à-vous.

Une fumée noire s’élevait de l’unique cheminée des jacks. Elle disparut presque immédiatement dans la soupe grise de l’Octelande.

La première sentinelle arriva, essoufflé. Elle salua le capitaine mais fit son rapport au Lieutenant Lister. « Des bruits de bataille, monsieur. J’ai essayé de m’approcher, mais j’ai vu des nuages verts et j’ai estimé qu’il était plus prudent de rentrer ».

« Foutus Cryx », déclara Burns.

« As-tu vu contre qui ils se battent ? » demanda Lister.

« Oui, Monsieur. J’ai vu les contours de leurs hallebardes à travers la brume. Ce doit être les Têtes d’Acier ».

« S’ils combattent le Cryx, je dis qu’il faut avancer ». Lister se tourna vers Sam. « Laissons-les mener leurs propres batailles ».

« Ouais », répondit Burns. « Cela ne sert à rien de risquer nos vies ou nos âmes ».

Sam réfléchit à la question. « Il y a toujours la question de courtoisie professionnelle ».

« Courtoisie avec Brocker. » demanda Lister, incrédule.

« J’emmerde Brocker », cracha Burns, « il ne lèverait pas le petit doigt pour aider un Cerbère ».

« Quand on aura besoin de ton avis, Burns- », répondit Lister.

« Non, il a raison », repris Sam. « Stannis Brocker donne une mauvaise réputation aux mercenaires. Pourtant, je veux savoir pourquoi il est ici. Peut-être chasse-t-il réellement le Cryx. Dites ce que vous voulez à propos de Brocker, mais il est assez courageux pour être aussi fou. Mais s’il en a après notre prime, nous devons le savoir ».

« Je n’aime pas ça, Sam », déclara Lister. « Les Cerbères ne sont pas faits pour combattre le Cryx. Les Têtes d’Acier ont la portée et la vitesse, les fusils et la cavalerie ».

« À moins que quelque chose n’ait changé, Brocker n’a pas de warjacks. Si le Cryx a ne serait-ce qu’un seul helljack, les Têtes d’Acier auront des ennuis. Ce ne sont pas tous des salauds comme Brocker. À tout le moins, nous ne voulons pas que des Têtes d’Acier morts gonflent les rangs de Cryx, n’est-ce pas ? »

Lister secoua la tête.

« Mieux vaut eux que nous », déclara Burns.

« Nous allons regarder de plus près », dit Sam. « Nous nous rapprochons, prêt à tout. S’il semble que les Têtes d’Acier ont les choses bien en main, nous les féliciterons par la suite. Si nous apercevons des helljacks, eh bien, nous sommes les Cerbères. Quoi qu’il en soit, c’est une chance de découvrir pourquoi ils sont ici. Compris ? »

« Oui’s », répondirent les garçons.

« Équipement complet, prêts au combat ».

Les Cerbères avaient déjà leurs lourds filets en bandoulière, leurs gros flingues à la main. Ils avançaient par escouades de quatre. Dawson accompagnait Harrow, Burns et un vétéran de l’armée ordique au visage balafré nommé Morris.

« Qu’est-ce qui ne va pas avec Brocker ? » demanda Dawson. « J’ai entendu dire qu’il était l’un des meilleurs ».

« Il a tellement travaillé pour le Khador qu’il est pratiquement rouge lui aussi », annonça Burns.

« Mais la charte de la compagnie dit que nous ne travaillerons jamais pour le Khador. Cela
n’inclut-il pas d’aider les compagnies qui- ? »

Harrow les fit taire d’un regard sinistre.

À moins de cinquante verges, ils aperçurent au loin de brefs éclairs jaunes. L’instant d’après, ils entendirent le bruit sourd d’un coup de fusil. Bientôt, les Cerbères purent distinguer les cris de voix humaines, le grincement de mécanismes de ‘jacks et d’horribles explosions.

Harrow leva la main pour stopper les autres, puis courut vers l’avant, le pied léger. Il s’agenouilla et toucha quelque chose par terre avant de faire signe aux autres de le rejoindre.

Un homme en armure gisait sur le sol. Ses yeux morts fixaient le ciel, les iris blanchis de la couleur du lait caillé, sa peau de la couleur de la moisissure. Les yeux de Dawson s’écarquillèrent lorsqu’il vit le bas de la cuirasse de l’homme. Le reste du corps avait disparu, il ne restait plus qu’un amas de tripes ravagées répandues sur le sol.

Burns frappa le plastron d’acier de l’homme et regarda Dawson. « Assurément Tête d’Acier ». Il grimaça devant la dévastatrice blessure « Cryx, sans aucun doute ».

Dawson hocha la tête, bouche bée. Un instant d’après, il ferma la bouche contre la répugnante odeur de la puanteur montant du corps mutilé.

« Transmet au capitaine ». Harrow fit un signe de tête à Morris, qui partit en courant.

Harrow détacha sa pioche. Il commença à la lever au-dessus de la tête du mort, mais s’arrêta et se tourna vers Dawson. « Tu n’as jamais fait ça avant », dit-il. Il tendit sa pioche à Dawson. « Achève-le ».

« Mais— Mais il est déjà mort ».

« Assure-toi qu’il le reste », dit Harrow.

Dawson hésita, mais après un regard dans les yeux froids de Harrow, il balança la hache et fendit le crâne du mort en deux. Il eut un haut-le-cœur à ce qu’il avait fait, mais il réussit à ne pas vomir.
Harrow reprit son arme sans un mot de plus.

Les trois Cerbères restant poursuivirent leur progression. Par deux fois, ils s’arrêtèrent pour retourner les signaux manuels des escouades à leur gauche et à leur droite.

Morris revint en courant. « Ils arrivent ».

Un renard paniqué passa devant la jambe de Dawson fuyant la clameur venant de l’arrière.

Harrow leur fit signe de s’écarter alors qu’un bruit de pas de fer géants se fit entendre. Les jeunes arbres se brisèrent sous les warjacks. La tension et le soupir des pistons s’accéléraient à chaque pas. L’atmosphère déjà brumeuse de l’Octelande était assombrie par la vapeur et la fumée de charbon.

Foyle émergea de la brume, se dirigeant à grandes enjambées vers la bataille. Sam le suivait, l’énorme Gully à ses côtés. Lister trottinait juste derrière avec sa propre escouade.

Harrow accéléra le rythme. Les autres s’efforçaient de suivre, tout en se penchant pour mieux voir la bataille la bataille se déroulant devant eux. Les cris de l’infanterie des Têtes d’Acier s’intensifièrent, d’abord par soif de sang, puis en reculant, lorsque la voix grave de leur commandant ordonna une retraite tactique.

Les Cerbères virent les hommes fuir deux imposantes formes aussi grandes que Gully. En silhouette, leurs membres semblaient à la fois plus gracieux et plus anguleux que ceux du lourd Nomade. Dans des nuages de fumée et de vapeur, leurs seules caractéristiques distinctes étaient leurs armes : les réservoirs bouillonnants de venin vert au-dessus de leurs pinces de crustacés sur un bras, et le bulbe obscène de leurs canons nécrocanons à fange sur l’autre.

« Corrupteurs », gueula Harrow. « Si du vert frappe l’homme à vos côtés, éloignez-vous de lui rapidement ».

Des soldats nécropantins décharnés avançaient entre les helljacks. Autrefois humaines, ces choses étaient maintenant des cauchemars de chair et de métal. À chaque bond, leurs articulations mékaniques criaient leur soif de graisse. Leurs mâchoires décharnées claquèrent tandis qu’ils levaient des poings de fer au-dessus de leur crâne, prêts à briser les armures et les organismes vivants qui rejoindraient un jour leur légion de morts-vivants.

« Bougez, bougez, bougez ! » La voix du commandant des Têtes d’Acier résonnait par-dessus tous les autres sons. Les Cerbères l’aperçurent au sommet d’une bête trop épaisse et trop grande pour être un cheval, et qui pourtant dansait parmi l’infanterie en retraite avec la grâce d’un pur-sang. « Bougez, bougez… Couverture ! Feu ! »

Des tirs de fusils ponctuèrent la cacophonie. La volée sembla débarrasser le champ des nécroserfs, mais quelques-uns se précipitèrent, et quelques autres se relevèrent. Préparé pour la charge, les hallebardiers abattirent les monstres avant que leurs poings n’atteignent leurs crânes.

Derrière eux arrivait une autre vague de nécropantins, cette fois soutenus par de corpulentes silhouettes brandissant de fins canons corrodés laissant échapper une vapeur verte.

Comme excités par le carnage, les helljacks crachèrent leurs ignobles distillations. Une goutte verte enveloppa un arbre, faisant fondre le bois alors qu’elle s’enfonçait autour de son tronc. Une autre atterrit par un groupe de fusiliers. L’un réussit à s’enfuir avant que le corps de son camarade n’éclate en un bain de sang. L’autre tomba, déchiqueté par les éclats d’os brisés de son compatriote.

« Fusiliers, retraitent », hurla le commandant. « Bougez, bougez, bougez ! »

Le Cryx suivit les Têtes d’Acier battant en retraite, passant devant les Cerbères sans sembler s’apercevoir de leur approche. Ils avaient l’intention de tuer.

Sam fit un signe. Lister aboya un ordre. Le Sergent dit retentir un sifflement strident.

Harrow pointa du doigt le helljack le plus proche. « Notre cible ».

Foyle s’élança en premier. Le rapide Rapace intercepta le Corrupteur. Au moment où le helljack entamait sa rotation, Foyle enfonça sa lance entre son armure en forme de carénage et sa tête avec défenses. Des éclairs crépitèrent dans le creux sombre alors que la tête du helljack tressaillait de souffrance spastique.

« Tirez le vers le bas », beugla Burns. Il lança son filet, emprisonnant le bras-pince du Corrupteur contre l’articulation pointue de son genou. « Bon sang ! Pas bien ».

Dawson, Morris et Harrow firent de même. Ensemble, les filets lièrent les jambes du helljacks. Le Corrupteur paralysé chancela.

« Reculez ! » cria Sam.

Gully chargea, bouscula le helljack enchevêtré. Le Corrupteur s’écrasa dans la terre marécageuse, l’impact projetant des mottes de terre humides et de la végétation fétide.

Le Nomade abattit son espadon, cisaillant le châssis du Corrupteur. De l’huile noire et du venin vert jaillirent de la blessure.

« Gully, en arrière », cria Sam. « Les garçons ! »

« Démontez-le ! » Burns leva sa pioche et sauta sur le monstre tombé.

Telle des coléoptères sur un rat mort, les Cerbères déferlèrent sur le Corrupteur tombé à terre. Tandis que deux escouades les couvraient avec des gros flingues prêts à tirer, les autres employèrent leurs pioches pour soulever le blindage et exposer les parties vulnérables en dessous. Ils brisèrent les engrenages et coupèrent les tubes alimentant en venin le canon et l’injecteur de la pince.

Sam dégaina son épée et la planta à deux reprises dans les châssis du helljack. La seconde fois, l’énergie coruscante sur la lame démontra qu’elle avait trouvé son cortex. Le Corrupteur sursauta une dernière fois et s’immobilisa.

Lorsqu’ils eurent terminé, le second Corrupteur avait disparu dans la brume, à la poursuite des Têtes d’Acier battant en retraite.

« Garder l’oeil ouvert pour repérer le contrôleur des helljacks, ce n’est pas parce que vous ne le voyez pas qu’il n’est pas juste derrière vous ».

« Par les dents de Morrow, Flippant ! », s’écria Burns. « Cesse d’essayer d’effrayer les gamins ». Burns fut le premier à regarder par-dessus son épaule, les yeux écarquillés de peur.

« Très bien », dit Sam en pointant son épée. « On recommence ».

Les Cerbères coururent à toute allure pour rattraper leur retard. Sam les dirigea en biais pour éviter la ligne de tir des fusils des Têtes d’Acier. Tous les trente verges environ, les Têtes d’Acier faisaient une pause dans leur retraite.

Les Cerbères aperçurent bientôt leur ennemi commun. Les nécroserfs étaient au corps à corps avec les hallebardiers tandis que les fusiliers rechargeaient et visaient, attendant le prochain ordre de tir.

Le sifflet de Crawley retentit trois fois. Sue le flanc gauche des Cerbères, une foule de nécroserfs de Cryx émergea des brumes. Il ne s’agissait pas des soldats décharnés, mais de cœliaques. Les corpulentes silhouettes gargouillaient clapotaient à chaque pas. Des pompes bouillonnaient à l’intérieur de leurs corps autrefois vivants, alimentant en fluides corrosifs les nocifs canons brandit par leurs poignes sans vie.

Sam poussa un juron. « Avancez et tirez ! »

Le Lieutenant Lister et le Sergent Crawley répondirent à son ordre. Certains des récents Cerbères clignèrent des yeux en entendant l’ordre, mais ils obéirent. Les vétérans s’étaient déjà rapprochés à courtes distance et commençaient à tirer.

Les projectiles des gros flingues rugirent sur les morts-vivants boursouflés. Les nécroserfs touchés par le tir de barrage éclatèrent en morceaux fumants, les gaz toxiques dans leurs ventres amplifiant la force des explosions.

Le Cryx riposta. La plupart de leurs charges pestilentielles tombèrent derrière les Cerbères alors que les mercenaires avançaient après chaque tir de barrage. Le temps que les cœliaques ajustent leur portée, les Cerbères firent feu à nouveau.

Crawley fit signe aux hommes autour de lui, leur ordonnant de faire feu sur les nécroserfs se dandinant le plus près. « Ne les laissez pas s’approcher de vous, Cerbères ! »

Les autres nécroserfs firent feu également, mais leur cible n’était pas les Cerbères. Ils tournèrent leurs armes vers les warjacks. Sam tourna Gully et Foyle afin de faire face au Cryx juste au moment où un barrage de bile pulsée se dirigea vers eux.

« Boucliers levés ! » ordonna Sam. Elle bondit derrière Gully, s’abritant derrière le warjack lourd.
Les charges corrosives éclaboussèrent le large bouclier de Foyle et les épaules plaquées de Gully. Au fur et à mesure que le pernicieux liquide bouillait, le châssis du warjack devint brûlant, ses bords extrêmes se teintant de blanc.

Sam s’éloigna d’un bond, examinant les dégâts. « Pas trop de mal », décida-t-elle. « Gully, Foyle, chargez ! »

La vision de deux warjacks se précipitant vers eux attira l’attention des nécroserfs. Alors que les monstruosités dandinantes luttaient pour ajuster leur portée, les Cerbères les abattirent avec leurs gros flingues. À l’instant où tirs cessèrent, Foyle en empala un et Gully en trancha un autre, répandant l’immonde contenu de leurs corps corpulents sur le sol marécageux. En quelques instants, il ne restât de Cryx qu’une odeur nauséabonde et un terrain suintant d’un gaz lourd, vert-jaune.

« Nous n’en avons pas encore fini », annonça Sam. « Lister, fais-moi un rapport sur les blessés. Crawley, reformation autour de moi. Gully, Foyle, faites face ».

Au moment où les warjacks faisaient à nouveau face à la bataille battant en retraite, Lister ne signala aucune perte sérieuse.

« Très bien, alors », répondit Sam. « Abattons cet autre Corrupteur ».

Alors qu’ils se rapprochaient à nouveau, le helljacks restant tenait un hallebardier hurlant dans sa pince. De son autre bras, il bombardait une escouade de fusiliers en retraite avec son nécrocanon à fange. L’obus visqueux frappa l’une des Têtes d’Acier, faisant éclater le corps de l’homme en un bain de sang jaune vert. Les hommes à proximité hurlèrent tandis que les vapeurs infernales faisaient fondre la chair de leurs os.

« Foyle, charge ! » lança Sam en courant à côté de Gully. Les Cerbères suivirent.

Avant que le ‘jack n’ait parcouru la moitié de la distance, le Corrupteur brandit son prisonnier se tortillant. La bouche de l’homme s’ouvrit en grand. Au lieu d’un cri, un e vapeur bilieuse s’échappa. Il secoua la tête d’un côté à l’autre, les bras tremblants se dressant en griffes tordues. Des énergies noires crépitaient autour de ses doigts, ratatinant la chair alors même qu’elles conjuraient des magies noires.

« Reculez ! », tonna la voix du commandant Tête d’Acier. « C’est l’œuvre d’une liche de fer ».

Des flammes noires jaillirent des mains du captif, décrivant un arc de cercle à travers le champ de bataille brumeux. Elles tombèrent près d’une silhouette à cheval, à peine visible à travers la brume. Son cheval s’éloigna en dansant du feu nécromantique, mais les maléfiques flammes frappèrent un fusilier se trouvant à proximité. L’homme hurla tandis qu’un spectre cendreux s’élevait de son corps pour voler vers la source du sort. Sa carcasse décharnée tomba au sol.

« oh, Morrow », marmonna Burns. « C’est un harceleur d’âmes ».

Foyle atteignit le Corrupteur, sa lance paralysante glissant sur le plastron lisse du helljack. Le Rapace recula pour un autre coup, mais le Corrupteur se retourna.

« Merde » s’écria Sam. « Gully, charge ! « Cerbères, avec moi ! »

Cette fois, elle courut devant le warjack lourd, levant son épée alors qu’elle chargeait.

Le Corrupteur laissa tomber la carcasse vidée de son captif et s’approcha de Sam.

Foyle slamma le helljack avec sa targe, mais le ‘jack Cryx tint bon. Il repoussa le Rapace avec son bras-canon, les pinces claquant en prévision d’une mortelle étreinte.

Juste avant que le helljack ne l’atteigne, Sam se précipita sur le côté et plongea entre les jambes de Foyle. Rentrant son épée d’un geste habile et pratiqué, elle bascula vers l’avant pour remonter. Le Corrupteur se retourna, mais le warjack léger leva sa lance, parant pour protéger son marshal.

Sam leva son épée vers le haut, la lame crépitant d’électricité alors que sa pointe se plantait juste sous les défenses jaunies du helljack.

Un instant après, l’espadon de Gully s’abattait, sectionnant le nécrocanon à fange du helljack de son réservoir. Le Corrupteur riposta en serrant ses pinces autour du bras armé du Nomade.

Avec un cri, les Cerbères lancèrent leurs filets restants. La plupart atteignirent leur but, nouant les jambes du Corrupteur ensemble et bloquant son équilibre en un seul point. Le helljack bascula. Le premier des Cerbères sauta sur son châssis avant qu’il ne touche le sol.

« Attention au venin ! » Crawley avertit Dawson lorsque le soldat fracassa les récipients en verre. Le fluide corrosif siffla en brûlant profondément le limon.

« Oui, Sergent ! » Dawson leva sa pioche pour frapper à nouveau, enfonçant profondément dans les soudures de l’armure du helljack.

À proximité, les fusils des Têtes d’Acier tiraient dans la direction opposée. Alors que les nécroserfs de Cryx se retiraient, leurs sergents ordonnèrent aux fusiliers de se regrouper derrière les hallebardiers. L’un deux annonça que le gros des forces du Cryx s’était replié vers le nord. Un autre siffla le silence et pointa du doigt les Cerbères grouillant autour du Corrupteur tombé.

Sam essuya l’huile de sa lame et rengaina son arme. « Des pertes ? » demanda-t-elle à Lister.

Le grand lieutenant compta avec son pouce sur ses doigts. « Où est Swire ? »

« Ici, monsieur », répondit un soldat debout derrière la fournaise du Corrupteur.

« Tous présents et mobile, capitaine ».

« C’est ce que j’aime entendre ».

De tonitruants bruits de sabots se rapprochèrent. Un immense homme émergea des brumes par l’est. Sur une épaule, il portait une lame de combat presque assez grande pour Gully. De son autre main pendait un bol noir festonné contenant trois crânes et une masse de viscères de chair et de métal, ou du moins c’est ce qu’il semblait à première vue. Au fur et à mesure que l’homme s’approchait, il devint évident que l’objet était en réalité un groupe de tête coupées de la liche de fer surveillant qui dirigeait les Corrupteurs. Trois coups d’estoc les avaient tranchées du haut du corps armuré de la créature.

Burns siffla faiblement. « J’ai entendu dire que Brocker était un monstre avec cette lame, mais je serai damné si je pensais qu’il pouvait faire ça ».

Les Têtes d’Acier qui pouvaient encore se tenir debout le firent, acclamant le retour triomphal de leur commandant, mais leurs voix étaient tempérées par la perte. Trop de leurs compagnons soignaient les blessés ou gisaient sur le sol, impuissants.

« Pourquoi Stannis ? » demanda Sam. « Tu m’apportes toujours les cadeaux les plus charmants ».

« Que diable faites-vous ici ? » Stannis Brocker donna un coup de genou à son cheval pour s’approcher d’elle. En s’approchant, les Cerbères purent constater qu’il était de la taille des chevaux de train de leur train chariots. Seul son gigantesque cavalier le faisait paraître plus petit de loin.

« Tu veux dire à part te sauver de ces Corrupteurs ? »

« Je les avais sous contrôle ».

« Si vous aviez reculé plus vite, vous seriez déjà en train de pelleter de la neige à Korsk ».
Après avoir prononcé le nom détesté, Sam tourna la tête et cracha par terre. Tous les garçons et la plupart des hommes firent de même à l’unisson.

Un rire de surprise échappa à Dawson. Brocker lui lança un regard furieux jusqu’à ce qu’il le couvre d’une toux feinte.

Les autres Têtes d’Acier regardèrent leur chef, retenant leur souffle en attendant sa réaction.

« Vous les entraîner à cracher, n’est-ce pas ? »

« Nous avons tous nos petits plaisirs. Ces tâches sur ta lèvre, par exemple. Est-ce que quelqu’un les a déjà prises pour de vraies moustaches ? »

Brocker montra ses dents. Contrairement à son visage bronzé et balafré, elles étaient très grandes et très blanches. Lorsqu’il grimaça, ses moustaches en brosse apparaissaient d’autant plus ridicules. « Tu es drôle, MacHorne », répondit-il. « Pour une femme. D’habitudes, je n’aime pas que mes femmes soient drôles, mais dans ton cas, je ferai une exception. Quand nous aurons fini d’écraser ces nécroserfs, tu pourras venir dans ma tente et me raconter quelques mauvaises blagues ».

Les Cerbères se hérissèrent. Burns s’avança, mais Liter posa une main sur sa grosse épaule.

« Une mauvaise blague est à peu près tour ce que je trouverais dans ta tente, Brocker ». Sam couvrit la poignée de son épée, ne laissant que cinq centimètres entre sa main et la crosse.

Même les Têtes d’Acier gloussèrent, du moins jusqu’à ce que Brocker les fasse faire d’un regard de mort.

« Mais assez parlé de tes défauts », déclara Sam. « Qui t’a engagé pour chasser le Cryx ».

« La meilleure question est, qui diable embaucherait votre bande de rebuts ? Ou êtes-vous ici par vous-même, à la recherche de pièces détachées ? Je vous que vous en avez trouvé assez pour fabriquer deux warjacks pour un spectacle de marionnettes ».

« Tu veux dire les gros bras qui viennent de vous sauver la mise ? » demanda Sam. « Tu n’as pas répondu à ma question. C’est Baird, n’est-ce pas ? »

Brocker haussa les épaules. « Je n’ai aucune raison de te dire quoi que ce soit ».

« Je peux », dit-elle en haussant le ton. « Pense à combien d’autres de tes hommes ces Corrupteurs auraient pu bouleverser si nous ne nous étions pas montrés. À tout le moins, tu me dois des remerciements ».

Quelques soldats Têtes d’Acier hochèrent la tête jusqu’à ce qu’ils voient Brocker les observer. Celui-ci se renfrogna et réfléchit avant de répondre. « Le Roi Baird fait très attention lorsqu’il engage ses propres troupes, en particulier dans des endroits comme l’Octelande. Oui, nous collectons des primes sir les unités d’infiltration de Cryx et nous aurions pu nous en sortir sans ‘aide’, mais cette opération était différente, comme s’ils recherchaient autre chose que de supprimer des tombes standard ».

« Tu vois ? Ce n’était pas si difficile. Un jour où l’autre, tu vas pouvoir me dire « Merci de m’avoir sauvé la peau, Sam’ ».

« Je préférerais te mettre son mon genou », répondit-il. Son rictus disparut et fut remplacé par un regard lubrique. « Et t’apprendre à aimer ça ».

« Pourquoi, fils de pute rouge, lécheur de bottes- » Burns s’élança en avant. Cette fois, il fallut le poids combiné de Lister, Lisse et Crawley pour le retenir ».

Sam ne quitta pas Brocker des yeux ». Je ne peux pas dire à quel point j’ai apprécié notre petite discussion, mais je remarque tu es pressé. Si tu ne parts pas maintenant, tu ne rattraperas jamais le reste de Cryx ».

« Tu ne pas toujours pas dit ce que tu faisais dans l’Octelande » déclara-t-il.

« C’est exact ».

« Mais je t’ai dit- »

« Et je l’apprécie. Laisse-moi te témoigner ma reconnaissance ». Elle s’inclina et fit un geste de la main : « Merci Stannis. Tu vois comme c’est facile ? »

Alors que Brocker lui jetait un regard noir, Sam poursuivit. « Venez les Cerbères. Laissons les Têtes d’Acier bénir leurs morts et rassembler les primes ».

Sam appela Foyle et Gully, ce dernier développant un gémissement strident à chaque pas. Les Cerbères retournèrent vers leurs chariots, passant devant les corps des nécroserfs de Cryx et des Têtes d’Acier.

Lorsque Sam s’arrêta pour jeter un coup d’oeil en arrière, ceux qui étaient les plus proches d’elle firent de même. Derrière eux, les Têtes d’Acier ratissaient les champs pour récupérer leurs morts. Ils collectèrent les mains des nécroserfs morts et découpèrent les cortexes des helljacks.

« Tu sais qu’il ment probablement », déclara Lister. « Cette collecte de primes pourrait n’être qu’un spectacle ».

Sam acquiesça. « Probablement. Mais son histoire a du sens. Pendant qu’il poursuit ces cryxiens, je veux revenir sur leurs pas, découvrir d’où ils viennent. Même si Brocker ne s’en prend pas à notre objectif, il y a de fortes chances que les cryxiens le soient. Ils sont toujours à la recherche - Fils de pute ! »

Les garçons se retournèrent pour voir ce qui avait fait jurer leur capitaine. Les Têtes d’Acier empilaient les cadavres de leurs camarades tombés au combat avec du bois mort et du petit bois. Sous les yeux des Cerbères, les hommes de Brocker jetaient des brandons enflammés sur les hâtifs bûchers.

« Ce n’est pas une façon de traiter un camarade », grogna Lister.

« Pourquoi brûlent-ils les corps, demanda Dawson.

« Pour empêcher le Cryx de les récupérer en pièces détachées », répondit Burns. Il frissonna. « Et les âmes ».

« Les âmes ? » dit Dawson. « Je pensais que c’était juste- »

Burns l’éloigna et s’exprima doucement, ses yeux sur Sam alors que ses épaules se voûtaient et qu’il regardait fixement les Têtes d’Aciers brûler leurs camarades. « Nous ramenons nos morts à la maison », déclara Burns. « Et nous bénissons leurs corps pour préserver leurs âmes contre le Cryx. Nous les brûlos jamais. Ce sont les règles de Sam. Pas d’exception ».

Les Cerbères observèrent en silence Sam serrer et desserrer ses poings.

Enfin, Lister rompit le silence lorqu’il se tourna vers Sam. « Vos ordres, m’dame ? »

« Demande à Crawley et aux mékaniciens d’examiner de près les ‘jacks. Gully à besoin d’attention. Une fois qu’ils seront prêts nous laisserons ses gros idiots marcher un peu. Garde la moitié de la troupe sur les chariots, les autres soutiennent des ‘jacks. Envoie aussi deux hommes en reconnaissance à l’arrière, avec un rapport toutes les demi-heures. Je veux savoir si les Têtes d’Acier nous suivent. Il se peut qu’ils aient le même travail que nous ».

« Je n’arrive pas à croire que le Vieux ait engagé un animal comme Bocker ».

« Il ne le ferait pas », répondit Sam. « Mais quelqu’un d’autre aurait pu le faire. Le Vieux n’est peut-être pas le seul à avoir entendu parler de cet étrange ‘jack dans l’Octelande ».

« C’est génial », déclara Burns. « Nous allons danser avec les Têtes d’Acier, le Cryx et qui sait quoi d’autre, et nous ne savons toujours pas si nous sommes participons à une putain de chasse au gobber ».

« Je ne pense pas que ce soit le cas », dit Sam. « Avec une telle concurrence dans la lande, je parierais même que nous poursuivons un dragon ».

22
PARTIE UNE

Dawson dévalait Lantern Street en criant : « Crawley ! Harrow ! Pamuk ! Burns ! Lieutenant Lister ! Cerbères ! »

Il trébucha sur un mendiant cul-de-jatte agrippant à une paire de blocs de bois pour marcher sur les mains. L’homme tomba sur ses moignons. Jurant, il secoua un bloc boueux après Dawson. « Regarde où tu vas, espèce de bon à rien- »

« Désolé ! » Dawson sortit quelques piécettes de son sac et les jeta par-dessus son épaule. Elles tombèrent dans une flaque d’eau à côté du mendiant.

« Ça me dérangerait pas de les empocher ? » grommela l’homme. Il se planta à côté de la flaque pour en extraire les pièces.

Dawson continua à courir, criant en direction des balcons du deuxième étage : Cerbères ! Lieutenant Lister ! Caporal Pamuk ! »

Dawson tenta de s’écarter de la trajectoire d’une vendeuse trollkin, mais son épaule fait tomber deux des poulets rôtis suspendus au bâton de son épaule. Ils s’écrasèrent sur rue boueuse. « Désolé ! »

« Quatre poids d’argent ». La trollkin tendit une main de la taille d’une pelle. Par-dessus son menton bleu, elle fixait Dawson, qui mesurait 5 centimètres de mois qu’un mètre quatre-vingts et paraissait plus petit qu’elle.

Cette fois, Dawson s’arrêta en retirant la somme de son sac. Il plaça les pièces dans la main caillouteuse de la trollkin avant de reprendre sa recherche.

« Gaspillage de nourriture parfaitement bonne », grommela la trollkin. Avant qu’elle ne puisse se pencher pour récupérer les poulets tombés au sol, le mendiant en avait calé un entre son menton et sa poitrine et s’éloigna à grands pas sur ses blocs.

« Crawley ! Harrow ! Pamuk ! Burns ! Lieutenant Lister ! Cerbères ! N’importe qui ? »
« Chéri, tu cherches Lisse Pamuk ? » Une courtisane se penchait sur la balustrade de son balcon. Deux lanterne éponymes de la rue brillait à chaque extrémité de la balustrade, annonçant sa disponibilité.

« Savez-vous où je peux le trouver ? »

« Cela dépend », dit-elle. « Tu sais payer sa notre ? »

Dawson pesa son sac d’une main. « Combien ? »
« Vingt-six royals ».

« Vingt-six ?! »

Elle haussa les épaules et se détourna, faisant signe à un homme de l’autre côté de la rue.

« Attendez ! Attendez ! J’arrive tout de suite ».

Dawson fit irruption dans le salon de la maison close, évitant une femme peu vêtue montée sur le dos d’un client jouant le rôle d’un âne. L’homme se cabra et braya sur Dawson alors qu’il passait devant lui.

« Désolé ! Désolé ! »

La maquerelle trop maquillée leva les yeux de derrière un comptoir sur lequel elle comptait des jetons colorés, chacun peint avec une variation différente sur un thème commun de deux – parfois trois, ou plus – corps enchevêtrés. À la vue de Dawson, elle posa un chiffon sur les jetons et souris. Ses chaussures claquèrent sur le sol alors qu’elle contournait le comptoir.

« Si pressé, jeune homme ? Asseyez-vous et dites-moi exactement ce que vous aviez en tête- » Elle repéra l’emblème peint sur son épaulière. « Cerbères ! J’avais l’intention d’avoir un mot avec votre sergent au sujet de l’exceptionnel Lisse — Où pensez-vous aller ? »

« Désolé ! » Dawson contourna la maquerelle et s’élança dans les escaliers. La courtisane qu’il avait aperçue dans la rue l’attendait dans le couloir, la paume ouverte.

Dawson compta vingt-six pièces d’or dans sa main. Ses sourcils se haussèrent de surprise, mais elle désigna le couloir vers la grande suite. Dawson enleva une casquette invisible et dit : « Merci beaucoup ».

Il courut dans le couloir et franchit la double porte de la suite. À l’intérieur, le Caporal Pamuk était assis dans une baignoire fumante. Le corps de l’homme brun était une masse de muscles, presque trop pour la baignoire, mais une jolie jeune femme était assise derrière lui dans l’eau. Elle passait un rasoir argenté sur son cuir chevelu. À la soudaine arrivée de Dawson, elle leva les yeux. Pamuk siffla. Une tache de sang apparut sur la lame brillante.

« Bon sang, soldat ! » dit Pamuk en touchant la blessure. Il goûta le sang et se renfrogna. « Tu as intérêt à avoir une sacrée bonne - »

« Réunion d’urgence, monsieur », déclara Dawson. « Le capitaine a dit : Allez chercher tous les garçons, vite ».

« Mais nous n’avons pas- »

« Elle a un contrat, caporal. Un travail rémunéré ».

« Pourquoi ne pas l’avoir dit dès le début ? Et ne m’appelle ‘caporal’. C’est Lisse ».

Sa coiffeuse caressa son crâne rasé et dit : « C’est certainement le cas ».

Lisse se leva, éclaboussant la prostituée avec l’eau du bain. Il mesurait bien vingt centimètres de plus que Dawson. Apparemment, sa tête était la dernière partie de son corps à avoir été rasée.

« Ne reste pas planté là, soldat- »

« Dawson, monsieur ! J’ai signé la semaine dernière ».

« C’est très bien, Dawson. Maintenant, donne-moi cette serviette ».

Dawson s’exécuta. Lorsqu’il remarqua la femme le fixer depuis la baignoire, il alla lui en chercher une autre pendant que Lisse enfilait son équipement : un pantalon en cuir épais, de grosses botte, des épaulières en acier, des protège-coudes et des genouillères. Enfin, il s’empara de sa veste en cuir. Sur son dos était peint un féroce chien cornu, emblème de la Compagnie Cerbère.

La jeune femme essuya soigneusement le rasoir sur une serviette avant de le tendre à Lisse. Il lui donna un baiser et glissa le rasoir dans une poche de sa veste. « Merci poupée ».

Dawson se tourna pour sortir par la porte de la suite.

« Pas par là », dit Lisse. « C’est le moment de faire les comptes ».

Le claquement d’un pas rapide se fit entendre dans le couloir. Dawson grimaça en reconnaissant le bruit des chaussures à semelle rigide de madame. Il jeta un coup d’oeil par la porte pour la voir s’approcher, les épaules carrées, le menton rentré, prête au combat.

« Tout va bien », dit Dawson, «  j’ai payé votre note ».

« Tu as apporté un jeton ? »

« Quoi ? Non bien sûr que non ».

« Alors, je t’assure que tu n’as pas payé ma notre ». Lisse referma la porte de la suite. Après un moment de réflexion, il poussa une vanité devais eux.

« Lisse ! » Beugla la dame. Elle frappa la porte de la suite avec la force d’un berserker ogrun, faisant trembler le miroir de la vanité. « Je sais que vous êtes là ».

Lisse et Dawson passèrent par-dessus le rebord de la fenêtre, se glissèrent sur l’avant-toit et se laissèrent tomber dans la rue.

« Où sont les autres ? » Demanda Lisse.

« J’espérais que vous pourriez me le dire, caporal », répondit Dawson. « Je veux dire, Lisse ». Lisse le fixa et secoua la tête. « Pourquoi le capitaine t’a envoyé, alors ? » demanda-t-il.  « Très bien, suis-moi ».

Ils descendirent la Rue de la Lanterne jusqu’au Marché de la Rouille, quelques rues plus loin. La fraîcheur des ombres commençaient à s’accumuler aux pieds des bâtiments. Des nuages voilaient le soleil couchant.

« Flippant ! » cria Lisse.

Le Sergent Crawley leva les yeux d’une table pleine de pistons. Ses lunettes pendaient autour de son cou maigre. Le bout de son bonnet tombait mollement sur ses épaules. Il reporta son attention sur un piston de warjack, l’une des nombreuses pièces récupérées disposées sur des tables abîmées sous la tente du marchand. « Qu’est-ce que tu veux, Lisse ? »

« Le Capitaine MacHorne veut que les garçons rentrent rapidement », déclara Dawson.

Crawley leva les yeux, comme s’il remarquait Dawson pour la première fois. « Tu as de l’argent ? »

« Plus grand-chose », répondit Dawson en secouant le sac. « Mais le capitaine a un nouveau contrat ».

« Pourquoi ne pas l’avoir dit dès le départ ? » Crawley repoussa le piston sur la table.
« C’est ce que je lui ai dit », déclara Lisse.

« Je ferais mieux d’aller chercher le lieutenant », dit Crawley. « Il est quelque part dans le coin, en train d’engueuler le patron d’un bazar.

Les trois hommes passèrent encore deux coins au milieu de l’ensemble déroutant d’étals de bric-à-brac du marché avant d’entendre la preuve de la déclaration de Crawley.

Sur une plate-forme en bois, deux grands hommes se tenaient nez à nez, chacun essayant d’assommer l’autre avec des mots avec des mots durs lancé d’une voix forte. Derrière eux se tenaient deux rangées de warjacks déclassés recouverts de bâches. Chaque géant d’acier était enchaîné à d’énormes ancres de pierre enfoncées dans le sol. À proximité, un panneau en fer rouillé indiquait : « Achat & Vente ».

Lisse et Crawley grimacèrent face à la querelle et se regardèrent avant de se tourner vers Dawson.

« Passe ton message, Dawson », déclara Lisse.

Dawson déglutit avant de se rapprocher des belligérants. « Lieutenant Lister, Monsieur ! »

L’homme chauve et à la barbe noire continuait de jurer à la face du marchand de ‘jack à la barbe rousse. Un gros cigare éteint dansait à chaque syllabe, menaçant de chatouiller le nez du vendeur. « Je n’ai jamais accepté une majoration de trente-cinq pour cent sur le rachat ! »

« Si vous tardez, les prix grimpent ! », beugla le marchand. « Ce n’est pas de ma faute si vous, les cerbères, ne pouvez pas payer vos factures ».

« Vous ne savez rien des vicissitudes du mercenariat, petit ramasseur de ferraille crasseux ».

« Lieutenant, Monsieur ! »

« Calme-toi, soldat. Tu ne vois pas que je suis au milieu d’une délicate négociation ? »

« Ordres du capitaine, Monsieur ! Regroupement rapide, Monsieur. JOB, Monsieur ! »

Lister fit volte-face, tournant le dos au vendeur, qui fit un geste vulgaire sous le menton.

« Eh bien, pourquoi ne l’as-tu pas dit en premier lieu ? » Il sauta de la plate-forme, s’éclaboussant de boue ainsi que les autres cerbères. « Qui manque à l’appel ? »

« Harrow et Burns, Monsieur ! »

Lister fit un vague signe de la main au-delà du Marché de la Rouille, vers une rangée de boutiques. « Harrow est là-bas, quelque part ».

Ils se séparèrent pour scruter les devantures jusqu’à ce que le Sergent Crawley fasse retentir son sifflet de signalisation. Ainsi appelés, ils s’entassèrent dans une boutique sous l’enseigne d’une paire de pistolet.

À l’intérieur, un homme au visage dur se tenait en face du propriétaire et examinait l’intérieur du canon d’un nouveau gros flingue. Ses yeux et ses cheveux courts étaient à la couleur de l’acier nouveau. Entre lui et l’armurier se trouvait un plateau de jeu dont la plupart des pièces avaient été mises de côté, capturées.

Dawson fit un pas en avant. Harrow se retourna et le paralysa d’un regard. Dawson recula pour se placer à côté de Crawley. « Si cela ne vous dérange pas, sergent, peut-être pourriez-vous être celui qui le dira au caporal- »

« Harrow, boulot ! » aboya le Lieutenant Lister.

Harrow posa son arme et s’éloigna sans prononcer un mot à son adversaire.

Alors que les hommes quittaient la boutique, Lisse frappa Dawson à l’épaule, juste assez fort pour laisser une ecchymose. « Tu vois, C’est la façon de faire ».

« Maintenant, où est Burns ? » demanda Crawley.

« Où d’autre ? » dit Harrow. Sa voix était le bruit d’un obus chargé dans une chambre.

« Il y en a un », déclara Lisse. Il fit un signe de tête en direction d’une taverne à l’enseigne d’un cochon sifflant sous les jupes d’une dame effrayée. « Je crois que j’entends sa voix ».

Ils passèrent devant une statue de Madruva Dagra. Des flammes de gaz s’échappaient de chacune des paumes en coupe. Un trio de corbeaux humides étaient perchés sur ses bras, les yeux scrutant la rue à la recherche de nourriture.

Alors qu’ils s’approchaient du Cochon Sifflant, les hommes entendirent l’interprétation de Burns, de « Blue Rose in Winter ». Le grand homme était assis sur le rebord de la fenêtre, ses cheveux blonds bouclés rejetés en arrière tandis qu’il entonnait la chanson. Ses bras étaient aussi épais et durs que ceux de Lisse. Un public d’ouvriers d’usine frappaient leurs chopes sur les tables en rythme avec sa chanson.

« Euh, oh », dit Crawley, sa voix fluette se brisant. « Il interprète sa version spéciale ».

« C’est bien », dit Lisse. « Ce n’est pas comme s nous étions près de la frontière khadoréenne ».

« Dis-le à ces types ». Crawley pointa du doigt la taverne bondée.

Des mercenaires aux longues moustaches étaient accoudés au bar. Leurs insignes avaient été arrachées depuis longtemps, mais leurs longs manteaux étaient incontestablement khadoréens. À proximité, quatre autres khadoréens costauds étaient assis à une table, ne buvant pas leurs bières. Leurs mines renfrognées s’accentuaient à mesure qu’ils écoutaient les paroles révisées de Burns. Dans sa version de la chanson, l’amant de la princesse était un habile rétameur ogrun.

Lorsque Burns en vint à la partie où la princesse avoue son amour dans un couplet de rime obscènes, les mains des étrangers se portèrent à la poignée de leurs épées. Alors qu’ils s’avançaient vers Burns, leurs compatriotes se levèrent de table pour les soutenir.

« Sortez-le delà », déclara Lister.

« Oui, Monsieur ! » répondit Dawson. Il courut après le Sergent Crawley, qui se frayait déjà un chemin à travers la porte bondée. Désireux d’assister à une bagarre, les clients ne firent aucun effort pour s’écarter de son chemin.

Burns semblait inconscient à la fois des mercenaires qui s’approchaient et des cris de ses compagnons Cerbères. Alors que l’un des khadoréens dégainait son épée, Burns attrapa son casque d’acier et le balança avec force. L’homme tomba en arrière, serrant son nez qui ressemblait maintenant à une fraise écrasée.

La main de son partenaire quitta son épée et sortit un pistolet de l’intérieur de son manteau. Alors qu’il braquait l’arme sur le visage du chanteur, Burns balança à nouveau son casque. Le pistolet fit feu. Un ricochet frappa le casque et fit exploser un morceau de pierre de l’âtre avant de faire voler en éclats de bouteilles derrière le bar.

« Pas de pistolets ! » cria le barman avant de plonger à l’abri.

Burns donna un coup de tête au deuxième khadoréen, faisant du nez de l’homme un équivalent de celui de son compagnon.

Les clients applaudirent. Certains se levèrent pour attraper les gardes du corps des khadoréens. D’autres portaient des coups de poing à des cibles aléatoires.

« Tiens-toi loin de ma fille ! » cria quelqu’un avant de frapper l’homme à côté de lui.

« Tu ne paies jamais une tournée ! » Un autre homme sauta d’une table pour étrangler son compagnon de beuverie.

« Je ne te connais même pas ! » Un homme costaud donna un coup de poing dans le ventre à un étranger et regarda autour de lui en souriant, à la recherche d’un autre adversaire.

La taverne explosa en une bagarre générale lorsque les clients virent l’occasion de régler des querelles latentes ou simplement de se défouler après une journée de travail dans les moulins.

Lise bondit par la fenêtre ouverte derrière Burns. Il enroula ses bras massifs autour de la taille de Burns et le tira en arrière. « Nous n’avons pas le temps pour ça ».

« Qu’est-ce que tu fais, Lisse ? » beugla Burns. Il passa un doigt dans le trou de balle de son casque et fronça les sourcils de chagrin.

Lisse grimaça sous l’effet de l’haleine de bière. « Nous te sortons d’ici ».

« Boulot, caporal ! » cria Dawson, essayant de se frayer un chemin vers l’extérieur de la taverne. « Le capitaine à un boulot ».

« Oh, d’accord »,répondit Burns. Lorsque Lisse le relâcha, il se retourna vers la bagarre. « Je veux apporter un dernier point ».

Alors que les belligérants khadoréens se redressaient sur leurs pieds, Burns balança son casque dans un large arc horizontal, les faisant tomber tous les deux d’un seul coup.

Crawley souffla un puissant coup de sifflet de son sifflet de signalisation en cuivre. « Cerbères, dehors maintenant ! »

« Eh bien, merde », dit Burns. « Je ne faisais que m’échauffer. Serrant son casque cabossé, il s’empara de la chope d’un étranger et suivit Lisse par la fenêtre de la taverne.

« C’est ma bière », hurla l’homme en tenant son adversaire inconscient par le col.

Le tavernier se fraya un chemin à travers la foule de ses clients. « Vous n’irez nulle part tant que vous n’aurez pas payé les tournées que vous avez achetées ».

« Combien cette fois ? » demanda Crawley.

Burns s’arrêta pour roter. « Deux ou trois, peut-être ».

« Neuf ! » cria le tenancier de la taverne. « Vous, les Cerbères, vous me devez nonante six royal, sans parler des dommages ! »

« Ça pique ! » dit le lieutenant Lister. « Courez, Cerbères ! ».

« Restez groupé », cria Crawley. « Ouvre la voie, Dawson ».

Ils se frayèrent un chemin hors du quartier du marché et coururent vers le Fleuve de la Langue du Dragon. Un khadoréen au nez ensanglanté les poursuivit deux de ses hommes derrière lui. Quelques rues plus loin, les sifflets et les cris de la Garde de Tarna se joignirent à la chasse.

S’éloignant de la promenade fluviale, Dawson se précipita dans les tortueuses ruelles de la Rue des Moulins, espérant semer ses poursuivants dans les vapeurs de charbon et de teinture. L’eau de javel lui piquait les yeux, et le cliquetis mékanique des métiers à tisser actionnés à vapeurs submergeait les cris de leurs poursuivants.

Les Cerbères émergèrent dégoulinant et noircis par la suie, mais personnes les avait suivis hors du passage rempli de vapeur. Le ciel s’était assombri. Une brise fraîche soufflait sur Tarna depuis la Langue du Dragon.

Dawson ouvrait la voie vers l’entrepôt loué par la compagnie. À côté de la massive porte, l’un des hommes avait dessiné à la craie l’emblème du chien cornu de la compagnie. Une bruine de pluie provoquait un crépitement sur le toit en tôle du bâtiment.

« Bon travail, Dawson », déclara Crawley.

Dawson se tint plus droit jusqu’à ce que Burns ajoute : « Ouais, nous saurons qui taper la prochaine fois que nous devrons fuir un combat ».

« Harrow fit glisser la porte et les autres entrèrent. Dawson voulu les suivre, mais Crawley lui barra la route. « Désolé, Dawson. Le briefing est réservé au ‘garçons’. Va rejoindre les reste des hommes. J’expliquerais tout lors du deuxième briefing ».

Dawson ne savait pas ce qu’il fallait faire pour devenir l’un des ‘garçons’, mais il était évident que cela n’incluait pas les fantassins comme lui.

« Mais je… » Les épaules de Dawson s’affaissèrent. « Oui, sergent ».

Crawley lui adressa un sourire, mais ses dents tachées étaient plus effrayantes que réconfortantes. Il referma la porte.

* * *

Le Capitaine Samantha ‘Sam’ MacHorne se tenait sur un échafaudage en bois, un pied posé sur une caisse portant l’inscription « Graisse pour Engrenages de Qualité n°4 ». Appuyant un coude sur son genou, elle regardait ses hommes, les vétérans de la compagnie de mercenaire Cerbère. Ses longs cheveux blonds tombaient négligemment sur son visage, sauf là où les lunettes qu’elle portait sur son front les empêchaient les maintenaient hors de ses yeux.

Derrière elle se profilait le warjack Gulliver, un modèle Nomade de trois mètres soixante de haut et sept tonnes de destruction à vapeur. Son châssis en fer ressemblait à une caricature musclée d’un fantassin en armure. Au lieu de fragiles articulations et ligaments humains, il reposait sur des lourds engrenages et des pistons suffisamment solides pour faire avancer un bateau fluvial. Son énorme espadon et sa solide targe étaient posés contre le mur de l’entrepôt.

« Le vieil homme a un travail pour nous », dit-elle. « C’est potentiellement lucratif ».

« Il était temps », déclara Lister. Le lieutenant était assis au bord d’un autre échafaudage, se grattant sa tête chauve juste à côté d’un tatouage de Cerbère. Derrière lui se tenait l’autre warjacks opérationnel, un Rapace nommé Foyle. Un mètre plus petit et deux fois moins lourd que le Nomade, le Rapace tenait une énorme lance paralysante dans une main et un large bouclier dans l’autre. « Je commençais à croire qu’il ne nous aimait plus ».

« Ce n’est pas ça », répondit Sam. « Tu sais qu’il aime faire correspondre l’unité au job ».

Le reste des Cerbères était assis en demi-cercle grossier sur des caisses et des demi-tonneaux. Ils se penchèrent en avant, observant leur capitaine. Seul Harrow ne semblait pas intéressé. Les yeux fermés, il était assis par terre, les bras croisés, le dos appuyé contre une table chargée de lourds filets de chaînes et de pioches.

« Donc, il a besoin qu’on lui démolisse quelques ‘jacks », dit Crawley.

« Pas exactement ».

« Nous rejoignons les Cygnes ? » demanda Lisse.

« Non, nous sommes seuls. Le vieux dirige sa propre opération dans les environs. Entre les unités khadoréennes qui testent les frontières et le Cryx se faufilant à travers chaque marais et vallon, il a du pain sur la planche ».

« Cryx ». Crawley frémit en prononçant le mot.

« Alors, lequel est-ce cette fois-ci ? » demanda Burns, étouffant un rôt avec son poing. « Rouges ou morts ».

« Cela pourrait être les deux », déclara Sam. « Plus probablement aucun des deux. Ce que nous cherchons, c’est quelque chose de nouveau. Le vieux a entendu parler d’un étrange ‘jack dans l’Octelande.

« Oh, non », déclara Burns. « Il nous envoie à la chasse aux gobber ».

« Arrête, Burns », dit Crawley. « Si près de la frontière, se serait plutôt quelqu’un testant une nouvelle technologie cygnaréenne ? »

« Une nouvelle technologie que le Vieux ne connaît pas déjà à fond ? » répondit Sam. « Je n’y crois pas. Peut-être quelqu’un d’autre a mis la main sur les schémas de Cygnar et y a apporté quelques modifications ».

« Et maintenant, ils sont prêts à tester ce nouveau ‘jack sur ses propres créateurs. C’est ça ? »
Lisse passa ses doigts sur sa tête, fronçant les sourcils lorsqu’il toucha les poils de son rasage inachevé.

« C’est possible, mais ça n’a pas d’importance. Notre travail consiste à aller là-bas, à trouver cette chose et à la ramener. Le Vieux pourra décider lui-même de quoi il s’agit ».

« Remarquable », dit Burns. « Nous ne savons pas ce qu’il fait ni qui le contrôle, mais nous devons le trouver et le ramener. Et nous, avec la plupart de nos affaires misent au clou ! Cela ne me dérange pas si c’est une chasse au gobber. J’espère juste que ce n’est pas une chasse au dragon ».

« Qu’est-ce qui te fait peur, Burns ? » demanda Lisse. « Tu es toujours à l’épreuve des balles, n’est-ce pas ? »

Burns passa un doigt dans un trou de son casque. « Plus autant que je l’étais. Comment sommes-nous censés faire notre travail avec des trou dans nos casques ? »

« Si nous réussissons ce job, Burns », dit Sam, « tu auras assez pour acheter dix nouvelles armures, toutes de couleurs différentes ».

« Burns s’illumina. « Oui’s », répondit-il intelligemment. Dans toute autre compagnie, cela n’aurait été qu’une reconnaissance légèrement informelle de son rang. Mais au sein de la Compagnie Cerbère sa compagnie, c’était aussi une contraction de « Oui, Sam ». Pour elle, et ses hommes qui l’utilisaient, cela signifiait plus que « Oui, m’dame » ne pourrait jamais le faire.

« Quelle est la structure du contrat ? » demanda Lister.

« Tarif de base pour notre temps, avec un bonus pour la livraison », déclara Sam.

Les Cerbères marmonnèrent.

« Un bonus très conséquent. Maintenant, écoutez, nous n’allons pas là-bas pour nous dégourdir les jambes et cueillir des champignons. Mon but est de trouver ce nouveau ‘jack et de le livrer. Si nous touchons cette prime, nous serons tous à l’abri, plus du nouvel équipement. Et les parts seront plus que suffisantes pour acheter à Burns sa nouvelle garde-robe et pour sortir Lisse de ses ennuis avec Madame Jinty ».

Lisse jeta un regard noir dans la salle. Les autres évitèrent son regard ou haussèrent les épaules face à son accusation tacite.

« Où sommes-nous censés l’emmener ? On ne peut pas transporter un ‘jack jusqu’à Caspia, même sur ces plates-formes ». Lister frappa le côté de l’un des trois chariots ferrés garés dans l’entrepôt. La plate-forme trembla sur sa suspension à ressorts.

« Je sais où envoyer un messager lorsque nous aurons repéré notre cible », dit Sam. Elle sauta de la plate-forme, se retournant pour révéler une jolie version chiot du symbole des Cerbères peinte au dos de sa veste en cuir. « Comme je l’ai dit, le Vieux n’est pas loin. Nous organiserons le transfert en fonction de l’endroit où nous trouverons notre cible. C’est tout pour les questions ? »

Comme personne ne prit la parole pendant une demi-seconde, Lister dit : « Oui’s ».

Les garçons saluèrent avec plus ou moins d’enthousiasme. Harrow le fit sans ouvrir les yeux.

« Alors nous sommes prêts à partir ». Sam fit un signe de tête à Foyle et désigna Gulliver d’un geste du pouce par-dessus son épaule. « Crawley, je veux que ces grands gaillards soient chargés avec deux semaines de carburant et de provisions. Briefez les hommes et mettez-les au travail avant qu’ils n’aient le temps de s’enivrer. Nous fêterons cela après avoir touché notre prime. Nous partons demain à la première heure ».

« Oui’s ! » Crawley envoya les caporaux rassembler les troupes, les mékaniciens, et les pilotes.

Lister ajouta : « Et les ingénieurs ? »

« Nous pouvons nous en permettre deux », répondit Sam. « Et j’aurais besoin que tu t’occupes de la logistique par toi-même ».

Lister acquiesça. Son éternel cigare éteint à la bouche plongea alors qu’il considérait le travail qui l’attendait.

« Ce sera plus facile la prochaine fois », promis Sam. « Après avoir rempli le grand livre ».

« Je sais, capitaine. Ce n’est pas de votre faute. Nous n’avons pas eu de chance, c’est tout ».

« Ce n’est peut-être pas ma faute », répondit-elle. « Mais c’est ma responsabilité. Celui va nous remettre devant la scène. Je le sais ».

Lisse, Burns et Harrow sortirent sous la pluie. Le porte de l’entrepôt gémit lorsque Burns la referma.

« Je vais chercher les mékaniciens », déclara Burns. « Je les ai vus au Marché de la Rouille ».

« Non », dit Lisse. « Il vaut mieux que personne ne remarque ton visage près du marché pendant un moment. Je vais les chercher. Tu secoues les pilotes. Harrow ? Tu l’expliques aux hommes ? »

Harrow acquiesça. Lisse retourna vers le centre de Tarna, tandis que les autres se déplaçaient dans l’autre sens.

Au coin de l’entrepôt, Harrow s’arrêta près d’une pile de caisses vides. Il se racla la gorge. Penaud, Dawson sorti de sa cachette.

« J’étais juste- » Quoi que Dawson s’apprêtait à dire, le regard de Harrow lui bloqua les mots dans la gorge.

Harrow s’approcha pour examiner un trou dans le mur de l’entrepôt. L’ouverture offrait une vue dégagée sur les warjacks, les chariots et le Capitaine MacHorne.

« Ça ne s’annonce pas très bien pour toi, petit », dit Burns. Il attrapa Dawson et le poussa contre le mur. Les pieds de Dawson pendaient à quelques centimètres du sol. « Quel genre d’homme espionne nos briefings ? Je pense à une compagnie rivale ou à un espion khadoréen. Lequel est-ce ? »

« Aucun ! » Dit Dawson. « J’étais juste curieux ».

« La curiosité a écorché le chat », déclara Burns. « Ou quelque chose comme ça ». Il jeta un coup d’oeil à Harrow, qui étudia le visage de Dawson à travers les yeux fendus. « Qu’en penses-tu, Harrow ? Nous, les Cerbères, avons-nous un chat ou un rat ? »

Harrow secoua la tête. « Amenez-le » dit-il à Burns avant de s’éloigner.

Burns entraîna Dawson par le bras. Devant eux, la pluie dessinait les silhouettes des bâtiments. Leurs toits en pointe se teintaient de bleu-gris dans le crépuscule.

Dawson essayait de garder ses pieds alignés alors qu’ils se déplaçaient dans la boue. « Où allons-nous ? Le Sergent Crawley va me manquer au briefing ».

« Le vieux Flippant n’aime pas être dérangé par les détails du nettoyage ». répondit Burns.

« Caporal Burns, je ne suis pas un rat ! »

Au bout de la rue, Harrow tourna vers une rangée de pensions et d’auberges bon marché. À l’autre bout se trouvait l’immense écurie où les conducteurs des Cerbères gardaient les chevaux de trait nécessaire au transport des warjacks et la réserve apparemment inépuisable de charbon nécessaire pour les alimenter. Harrow s’adressa à deux conducteurs fumant leur pipe sous l’avant-toit de l’écurie. L’un d’eux hocha la tête et se précipita à l’intérieur de la pension.

Burns poussa Dawson sous le surplomb et s’appuya contre le mur à côté de lui. « Détends-toi, chiot. Les espions sont entraînés à ne pas se pisser dessus sous la pression. Tu n’es manifestement pas un espion ».

« Je n’ai pas pissé- » Dawson se ravisa et prononça « Merci ».

Burns étira son cou. Ils restèrent là pendant un moment alors que le crépitement de la pluie s’amplifiait. Bientôt, le bruit d’un pas descendant les escaliers de la pension s’y ajouta.

« Caporal, qu’est-ce qu’une chasse au gobber ? » demanda Dawson.

« Tu sais ce qu’est une chasse au gobber ? »

« C’est quand tes amis t’envoient chercher quelque chose qui n’existe pas pour rire. Tu as beau chercher, tu ne le trouves pas ».

« Quelque chose me dit que tu as eu une expérience de première main ».

« C’était il y a des années. Je n’étais qu’un enfant ».

« Tu es toujours un enfant, Dawson. Tu devrais espérer que ce n’est qu’une chasse au gobber. Lors d’une chasse au dragon, la différence est que tu trouves ce que tu cherches, d’accord », dit Burns. « Ensuite, tu regrettes de l’avoir fait ».

* * *

Les Cerbères passèrent la première moitié de la journée à charger et à conduire les trois grands chariots jusqu’au Fleuve Molhado. Ils passèrent la seconde à le traverser.

Le Rapace, Foyle, traversa sans incident, une garde d’honneur de huit Cerbères escortant sa silhouette allonge sur le ferry. Sous le contrôle du Sergent Crawley, et avec l’aide des conducteurs, deux mékaniciens et deux ingénieurs à lunettes, ils hissèrent le warjacks sur le chariot renforcé de fer ayant effectué la première traversée. Au signal du conducteur, six lourds chevaux de trait éloignèrent le chariot de la berge.

Le soldat Dawson observa la procédure tandis que le ferry revenait du côté de Tarna. À côté de lui, le Caporal Burns se penchait sur une barre d’attelage et cracha un glaviot de tabac brun sur le sol. « Si tu étais encore un bleu, tu devrais attraper du poil au menton maintenant ».

Les joues de Dawson rougirent de colère.

« Je ne te traite pas de couillon, petit. Tu es encore un bleu. Tu vas grandir et attraper de la bouteille. Tu comprends. Quoi qu’il en soit, c’était très courageux d’espionner le briefing du capitaine ».

Un sourire soulagé se dessina sur le visage glabre de Dawson.

« Stupide », déclara Burns. « Mais courageux tout de même. As-tu remarqué à quel point Harrow semblait furieux ? »

« Non », dit Dawson. « Il n’avait pas l’air en colère du tout ».

« C’est comme cela que tu sais qu’il est en vraiment en colère. Je suis surpris qu’il ne t’ait pas tranché la gorge sur le champ ».

Dawson déglutit. « Oui, caporal ».

« Si tu recommences sans y être invité, je m’occuperai de ton cas en personne. Tu attends avec le reste des hommes, ou un jour quelqu’un te prendra vraiment pour un informateur khadoréen ».

Le visage de Dawson jaunit et verdit. « Oui, caporal. Je veux dire, non, caporal ».

Burns gloussa. « Quel âge as-tu, petit. Dix-sept ? »
« Vingt ! »

« Avec ce visage imberbe ? Ou tu es sorti en cachette avec Lucille ? »

« Qui ? »

« La copine de Lisse ».

« Je n’avais jamais mis les pieds au bordel avant- »

« Le rasoir, mon chiot ».

Dawson grimaça au terme dédaigneux utilisé pour désigner les bleus de Compagnie Cerbère. « Oh, d’accord ». Au moment où l’agacement se dissipait de son visage, un nuage de perplexité s’installait à nouveau. « Il a nommé son rasoir Lucille ? »

« Il adore cette lame. Les chiots que Harrow ne tue pas pour avoir espionné, Lisse leur tranche le gosier pour avoir regardé Lucille de travers ».

Dawson sourit, détourna le regard, essaya de rire mais n’y parvint pas. Il déglutit difficilement et regarda à nouveau Burns. « Vous plaisantez, n’est-ce pas ? »

Burns haussa les épaules. « Je sais que je ne toucherais pas à ce rasoir si ma vie en dépendait Quoi qu’il en soit, c’est ta première traversée, n’est-ce pas ? »

« Ouaip », répondit Dawson. En regardant une seconde fois Burns, il ajouta : « Oui, Caporal ».

Burns gloussa à nouveau. Il recula pour regarder Dawson des pieds à la tête, secouant la tête.

Dawson demanda : « Pourquoi n’avons-nous pas envoyé les warjacks sur leurs chariots ? »

« Tu n’as pas compris ? »

« Je vous ai dit que  c’est ma première traversée, n’est-ce pas ? »

« Tu l’as dit », répondit Burns. Il inclina la tête en direction du ferry approchant. « Tu le remarqueras par toi-même bien assez tôt. Très bien, allons-y. Tu te tiendras là-bas ».

Dawson se dirigea vers l’endroit indiqué par Burns, à environ trois mètres de l’endroit où le ferry s’était amarré à la berge.

« Non », dit Burns. « Un peu plus à droite ».

Dawson se rapprocha de quelques pas du rivage.

Sur le chemin menant au quai, Sam guidait Gulliver vers le ferry. À chaque pas du warjack lourd, la terre tremblait. Il laissait dans son sillage une traînée de mottes de terre de la taille d’un chien de chasse. « Un peu à gauche », dit-elle. « Très bien, accroupis-toi. Avance, prudemment ».

Alors que Gully s’appuyait de tout son poids sur le pont, le ferry bascula sue le côté, éclaboussant le passeur. Il arracha son bonnet trempé de sa tête et l’essora.

« Gully, monte », dit Sam.

Gully posa son autre pied sur le ferry. Le mouvement soudain projeta une vague de la taille d’un ogrun  juste à l’endroit où se tenait Dawson, le trempant de la tête aux pieds.

Une fois que Sam eut fini de guider Gully en position assise sur le ferry, elle secoua la tête en direction de Burns, qui s’était allongé sur le sol, riant à s’en tenir les côtes. « Burns, je t’avais demandé de laisser le bizutage en ville ».

« Oui », haleta le grand homme. « Je n’ai tout simplement pas pu résister. Ce chiot est trop parfait ! »

Sam se tourna vers Dawson. « Ne laisse pas Burns t’atteindre », dit-elle. « Malgré toutes les apparences, c’est un homme de terrain. Réfléchis-y à deux fois avant de te laisser convaincre par quoi que ce soit ».

« Oui, capitaine », dit Dawson. Il retira une botte et versa une pinte d’eau de rivière. « Merci, capitaine ».

Sam lui fit un signe de tête. « Mais sérieusement, ne touche pas à Lucille. Si tu le fais, même moi je ne pourrai pas garantir ta sécurité ».

Seuls Sam et les bateliers traversèrent ave Glly. Malgré cela, les vagues déferlaient sur le pont, s’écrasant sur leurs bottes. Lorsque Dawson vit à quel point un seul warjack pesait sur le ferry, il comprit. « Ah ! »

« Ouais », déclara Burns. « Tu as besoin d’un plus gros bateau pour transporter le ‘jack avec le chariot. Maintenant, viens, petit ». Burns monta à bord d’un des canots. Se méfiant d’une autre farce, Dawson le suivit. Avec les autres Cerbères, ils atteignirent la rive opposée bien avant que Sam ne rejoigne la rive avec Gully.

Le reste relevait du travail classique, fourni par des soldats, des mékaniciens, des ingénieurs et des conducteurs travaillant côte à côte. Les garçons travaillèrent avec les hommes jusqu’à ce que les deux ‘jacks soient attachés sur leurs chariots pour le transport. Quatre chevaux de trait tiraient le chariot d’avitaillement, six celui de Foyle et huit celui de Gully. Deux chevaux de selle suivaient le chariot d’avitaillement, l’un sellé, l’autre non. Dawson observait, les sourcils froncés, les conducteurs enlever la selle de l’un et le brosser pendant qu’ils sellaient l’autre.

Sam le surpris en train de regarder. « Parfois, nous devons envoyer un message rapidement ».

« Mais nous n’avons pas de renforts », répondit Dawson.

« Non. Mais il y a toujours une chance que nous nous retrouvions dans un combat que nous ne pouvons pas gagner », déclara Sam. « Quand ce jour viendra, je veux les gens sachent que les Cerbères l’ont affronté avec courage ».

Dawson la regarda, mais son visage ne trahissait aucun signe de gaieté.

À l’exception des mékaniciens, qui chevauchaient avec leurs warjacks, ceux qui ne conduisaient pas se déplaçaient devant, à côté ou derrière le chariot. Même Sam, Lister et Crawley allaient à pied.

Les soldats enroulaient leurs chaînes autour de taquets sur le côté du chariot, leurs haches de démolition pendant en dessous, laissant les deux armes accessibles en cas d’action soudaine. Ils portaient leur sac à dos, les gros flingues dans les bras.

Dawson commença à se déplacer à côté de Burns. Après avoir franchi une petite colline, il se retourna pour dire quelque chose, mais il vit Lisse à sa place. Burns avait trottiné vers un bosquet pour soulager sa vessie.

Lisse passait son rasoir droit sur sa gorge, l’inclinant avec précaution sur l’arête de sa mâchoire. Il essaya la lame contre son bracelet en cuir et sourit aux vêtements mouillés de Dawson. « Je vois que tu as été oint ».

Dawson lui rendit un sourire amusé en retour. Il plissa les yeux, ne remarquant pratiquement aucun poil sur le cou de Lisse. Pourtant, le grand homme continuait à se raser. Dawson finit par demander : « Il nous manque pas un chariot ? »

« Qu’est-ce qui te faire dire ça ? »

« Eh bien, nous sommes censés capturés un ‘jack. Où allons-nous le mettre si nous le trouvons ? »

« Quand » dit Lisse. « Ne laisse pas le capitaine t’entendre dire ‘si’ ».

« Mais où allons-nous le mettre ? »

« Si nous manquons de carburant, nous le placerons dans le chariot à charbon. Si nous avons beaucoup de carburant, nous allumerons Foyle et le ferons marcher jusqu’à ce que nous soyons à court de charbon. Tout est une question d’équilibre ».

Daon hocha la tête. « Bien sûr. Je n’y avais pas pensé ».

« Tu es un chiot, c’est tout », répondit Lisse. Il loucha sur le petit homme. « Tu as déjà vu l’action. N’est-ce pas ? »

« Bien sûr, j’ai fait mon service dans l’armée ordique. J’ai bien aimé ça, mais pas la solde… » Il se frotta les doigts et montra ses mains vides.

« Alors tu t’es dit que tu ferais fortune avec les Cerbères ».

« Quelque chose comme ça ».

« Je parie que tu t’en es voulu pour ça ».

« Non ! Je veux dire, pas vraiment. Il y a beaucoup plus d’exercices que prévu. Et beaucoup plus d’attente. Mais maintenant, je peux lancer un filet et toucher plus souvent qu’à mon tour ».

« Tout ce dont tu dois te soucier, c’est de suivre les ordres. Quand tu n’en as pas, regarde ce que nous faisons. Maintenant que tu as été oint, tu n’auras plus à te faire engueuler… tant que tu n’auras pas les yeux rivés sur les judas ».

Dawson grimaça. « Est-ce que toute la compagnie est au courant ? »

Lisse sourit et le frappa sur l’épaule, juste assez fort pour lui faire un bleu.

* * *

La pluie avait rendu le sol meuble mais pas impraticable. Le train de chariots des Cerbères suivait les chemins de terre quand il le pouvait, traversant une fois un champ en jachère pour atteindre un sentier menant à l’est dans l’Octelande. Lorsqu’il aperçut le fermier local sortant d’une cave, Lister envoya un coureur avec cadeau provenant des provisions pour apaiser toute rancœur.

Au crépuscule, les Cerbères commencèrent à installer le camp sans un mot de leur sergent. Crawley garda son souffle pour haranguer les mékaniciens alors qu’ils vérifiaient et revérifiaient les warjacks et leurs chariots. Lorsqu’il lit ses lunettes sur ses yeux et grimaça pour révéler ses dents en forme de chevilles à travers un souffle de vapeur, Dawson comprit finalement pourquoi l’homme avait gagné le surnom de « Flippant ».

Malgré leur rang et leur rôle dans le cercle intime de Sam, les « garçons » travaillaient côte à côte avec les « hommes ». Dawson s’était retrouvé à nettoyer la boue des roues du chariot de Foyle, en face de Burns. Si le grand homme avait encore des soupçons sur la loyauté de Dawson, il n’en laissa rien paraître.

Lister s’entretenait avec Sam. À tour de rôle, ils regardaient à travers une longue-vue et griffonnaient une carte posée sur le hayon du chariot d’avitaillement. Lisse supervisait la préparation d’un repas composé de porc salé et de pains achetés à Tarna le matin même. Avec un autre homme, il remplit quatre marmites en fer avec de l’orge, des légumes secs et des cubes de bœufs. Ils laissèrent les marmites mijoter jusqu’au petit matin.

Lister envoya des sentinelles en piquet autour des chariots, entre lesquels les Cerbères s’installèrent autour des feux. Burns leur fit part de sa version de « The Roundabout Girl », qu’il avait en quelque sorte rendue encore plus blasphématoire. Dawson hésita à se joindre à eux jusqu’à ce qu’il entende la voix de Sam entonner les refrains les plus vulgaires. Après trois chansons, le capitaine dit « Dormez bien, mes Cerbères ». Quelques minutes après, le camp n’était que silence, à l’exception du crépitement du feu, de la brise d’automne et des ronflements rythmés.

* * *

23
LISTE DES COMBATTANTS DE LA COMPAGNIE CERBÈRE
Fin de l’Automne, 608 AR

Commandant

Samantha « Sam » MacHorne, Capitaine

« Les Garçons »

Lister, Lieutenant
Reginald « Flippant » Crawley, Sergent
« À l’Épreuve des Balles » Burns, Caporal
« Pas de Prénom » Harrow, Caporal
Vernom « Lisse » Pamuk, Caporal


« Les Hommes »

Bates, Soldat
Bowie, Soldat
Craig, Soldat
Crowborough, Soldat
Dawson, Soldat
Fleming, Soldat
Fraser, Soldat
Hughes, Soldat
McBride, Soldat
Morris, Soldat
Robinson, Caporal
Rose, Soldat
Swire, Soldat

24
LA PAIE DU DIABLE

DAVE GROSS

LISTE DES COMBATTANTS DE LA COMPAGNIE CERBÈRE

PARTIE UNE

PARTIE DEUX

PARTIE TROIS

INDEX DES ROYAUMES D’ACIER


25
Texte en entier  :)

Merci à Cyriss-Adept pour son aide

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