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Nouvelles & scenarii / [Nouvelle] L'art de la noblesse
« le: 31 mars 2016 à 19:18:50 »
Salut à tous et à toutes ! Ça fait un moment que je n'ai pas posté de texte ici, il faut vraiment que je me force à être plus régulier. Enfin bref ! Je vous propose la suite des aventures du vieux mercenaires Mordecai dans la capitale Llaelaise ! Pour éviter l'effet pavé, je vais diviser le texte en plusieurs parties et voici la première !
Bonne lecture et surtout n'hésitez pas à me donner votre avis !
Un vrai lien d’amitié se crée entre Mordecai et Borok, et c’est avec joie (lorsqu’ils obtinrent leurs parts sur la vente de la cargaison de Bolden Keller), qu’ils dilapidèrent leurs écus en boissons, jeux et bonnes compagnies. En deux mois à peine, le besoin de retrouver du travail se fit sentir. Borok, lassé de ses aventures, préféra rentrer chez lui en Rhul. Mordecai, que les tables de jeux ont laissé endetté, se fit engager dans la garde personnelle d’un bourgeois de Merywyn nommé Clancy di Morosini. Le vieux mercenaire se fit très vite remarquer grâce à son expérience du combat et ses talents martiaux et se retrouva « Capitaine » de la petite garde privée du bourgeois.
- Et là, je profite qu’il soit à terre pour lui envoyer un bon coup de hache directement dans le cortex ! ajouta Solovei d’un ton enjoué.
L’ancien soldat Kharde aimait raconter ses aventures. Il y ajoutait parfois quelques fioritures, mais elles n’étaient jamais déformées ou exagérées, et c’est ce qui avait plu à Mordecai lorsqu’ils avaient fait connaissance. Le vieux mercenaire avait toujours apprécié les bonnes histoires et l’affrontement du Kharde avec un Ironclad avait été particulièrement trépidant.
- Excellent ! dit Mordecai, enthousiaste. J’avoue que tu m’impressionnes gamin, mais tu as encore pas mal de boulot avant de m’égaler !
- Ah ouais l’ancêtre ? Peut-être veux-tu que l’on règle ça dehors ? répondit Solovei sur le ton de la plaisanterie.
Tout deux éclatèrent de rire. L’ancien soldat Kharde leva son verre, Mordecai sa pipe, tout en soufflant de longs nuages gris. Le vieux mercenaire pensait avoir encore le dessus sur le jeune soldat, s’imaginant reverser la table entre eux, dégainant ses armes et croisant le fer au milieu des lits et cantines du dortoir des gardes.
Ils entendirent le bruit des roues sur le gravier, et le cocher qui stoppait ses chevaux. Une voix puissante se fit alors entendre, maugréant des paroles trop éloignées pour être comprises. Cela, ils le savaient, était le signe que le travail allait reprendre.
Solovei vida son verre d’un trait, son nez aquilin disparaissant dans son boc. Lorsqu’il le reposa sur la table, Mordecai s’aperçu que de fines gouttes d’alcool ambré perlait sur sa moustache noire qui commençait tout juste à grisonner.
Peu après, la porte du dortoir s’ouvrit et un homme entra dans le dortoir. Comme Mordecai et Solovei, il portait une cotte de mailles sous une armure de cuir souple, par-dessus laquelle il revêtait un tabard vert foncé, que leur employeur, comme beaucoup d’autres bourgeois, avait fait faire pour se rapprocher de la noblesse. Des jambières et des bottes de cuir venaient compléter la tenue, ainsi qu’un casque d’acier. Le tulwar qui pendait à sa ceinture révélait clairement ses origines orientales.
Le capitaine fixa le jeune Idrien, dont les traits fins semblaient légèrement crispés, les lèvres pincées. Son long nez était masqué par son casque, mais le vieux mercenaire voyait briller son regard vert posé sur lui.
- Alors ? Comment ça c’est passé ? lança Solovei à Farhan.
- Forcément mal vu ce qu’on vient d’entendre, commenta Mordecai.
- De la pire manière possible, soupira l’Idrien. J’ai emmené Clancy chez la Duchesse Canice del Viscario. Il a absolument voulu participer à la réception sans invitation. Ce fut un calvaire pour le convaincre de repartir, les gardes lui ont refusé l’entrée et la Duchesse l’a même ouvertement ignoré ! Du coup je crois qu’il va péter quelques assiettes ce soir.
Cette dernière remarque fit rire les deux autres, qui se remémoraient avec délectation l’état farcesque dans lequel Clancy di Morosini, leur employeur, pouvait se mettre lorsqu’il piquait une crise.
- Vraiment pas de quoi rire ! J’ai passé une journée de chiotte ! protesta Farhan.
- Désolé gamin, dit alors le vieux Capitaine qui continuait malgré tout de rire.
Irrité, le jeune Idrien jeta son casque sur sa couche et alla se débarbouiller à l’aide d’une cuvette emplie d’eau claire, tandis que Mordecai et Solovei riaient et racontaient l’épisode du mouchoir maculé.
- Le seigneur Morosini souhaite vous voir immédiatement Capitaine, dit soudain une voix flutée.
Les rires cessèrent, Mordecai ne répondit pas tout de suite. Surpris par l’irruption de la jeune servante qui venait d’entrer dans le dortoir, il la regarda incrédule. Son visage était inexpressif, atténuant sa beauté juvénile encadrée par de magnifiques cheveux blonds nouées.
- J’arrive Elie.
Le vieux Capitaine prit son casque dans le coffre au pied de son lit, le mit et se dirigea vers la servante qui l’invita à le suivre.
Ils traversèrent un couloir, puis montèrent un escalier de pierre qui déboucha dans le hall de la demeure. Toujours sur les pas de la servante, Mordecai emprunta l’escalier principal recouvert d’un sublime tapis rouge et or.
Elie était presque encore une enfant lorsqu’elle avait été engagée il y a de cela des années par Clancy. C’était une orpheline qui se cachait derrière un visage froid pour se protéger des autres. Quand il entra au service trois mois auparavant, Mordecai s’attacha rapidement à elle et lui évita de nombreux ennuis avec des ivrognes un peu trop insistants.
La jeune servante le guida vers une petite porte qui, Mordecai le savait, menait au petit salon où Clancy aimait s’isoler. La servante toqua. Lorsqu’un « entrez » retentit de l’autre côté, elle fit entrer le Capitaine avant de s’éclipser.
Le petit salon était une pièce richement décorée, comme le reste de la demeure de Clancy di Morosini. Le parquet lisse et brillant reflétait les dizaines de flammes qui dansaient doucement sur les chandeliers et le lustre. Des divans et des fauteuils brodés d’or étaient disposés un peu partout, quelques guéridons exhibaient des vases et autres statuettes. De nombreuses toiles étaient accrochées aux murs, certaines représentant des paysages, d’autres des scènes.
Clancy faisait face à l’une des fenêtres dont la vue donnait sur le jardin. Le soleil se couchait, teintant la pièce d’une lueur rouge-orangée. Mordecai apercevait les innombrables flèches de Merywyn.
Le bourgeois se tenait droit comme un i, les mains jointent dans le dos. Il portait une robe bleue brodée d’argent et ornée de perles.
Le silence se prolongea de longues minutes durant lesquelles Mordecai attendit sans dire mot. Il savait que le bourgeois tentait de contenir sa colère et que le moindre mot le ferait hurler. Soudain, Clancy laissa exploser sa rage, et envoya valdinguer un vase proche.
- La Duchesse m’a refusé l’entrée ! hurla-t-il plein de rage. Par ma naissance, par mon sang je fais parti de cette noblesse dont elle m’a refusé la compagnie ! il se tourna vers Mordecai, ses mains gesticulant, ses yeux le fixant comme si c’était lui qu’il fallait convaincre.
Le visage du bourgeois était dénaturé par la colère, son nez court retroussé comme s’il percevait un tas de fumier proche, ses lèvres minces déformées en un rictus. Sa robe voltigeait autour de lui, au rythme de ses mouvements incessants, faisant face tour à tour au Capitaine et à la fenêtre, comme s’il pu apercevoir la Duchesse de là.
- Cette position de bourgeois, de misérable marchand n’est qu’un moyen pour permettre au nom de ma famille de retrouver sa gloire, son prestige. Je suis noble de sang ! Et quelle preuve Madame la Duchesse ? demanda-t-il dans le vide. Quelle preuve Capitaine ? interrogeant soudainement Mordecai, comme s’il se souvenait tout à coup de son existence.
Mordecai cacha sa surprise et répondit du tac au tac :
- La particule mon seigneur.
- Exactement ! cria-t-il satisfait de la réponse. Elle est le symbole du prestige aristocratique de ma famille, celle des di Morosini !
Son calme revenant, Clancy repris sa stature fière face à la fenêtre. Son visage rouge de colère reprenait peu à peu sa pâleur.
- J’ai besoin de me distraire, Capitaine, peut-être même de me défouler. Ce soir nous allons à la réception de Boudewyn. Faites préparer le carrosse. Prévenez également Solovei et Farhan, ils viennent avec nous.
La demeure de Garrick Boudewyn était immense et d’un luxe rare. Le principal usurier de Merywyn s’était fait bâtir une luxueuse habitation en plein centre des quartiers chics, dont la terrasse donnait sur un immense jardin orné de fleurs et d’arbres exotiques, ainsi que de sublimes fontaines de marbre.
Les nombreux convives formaient de petits groupes qui bavassaient, pendant que des serviteurs en livrés allaient et venaient de la terrasse au jardin avec de grands plateaux d’argent garnis de mets et de coupes. Les bourgeois et les aristocrates qui composaient les convives faisaient presque tous partis de la clientèle soigneusement accumulée de Garrick. Tous lui devaient de l’argent ; il disposait ainsi d’une influence non négligeable dans la sphère aristocratique. Ce dernier détail n’était pas sans agacer Clancy, qui le jalousait. Le vin avait un goût aigre dans sa bouche, et il se débarrassa bien vite de sa coupe.
Clancy discutait de politique et de la famille royale avec un petit groupe, tandis que derrière lui Mordecai se tenait en retrait, la main sur son sabre.
Le bourgeois se désintéressa soudain de la conversation et se dirigea vers un groupe plus petit. Mordecai suivit. Clancy marcha à grand pas vers Garrick Boudewyn et la Duchesse Canice del Viscario en grande conversation. Garrick était un homme large d’épaules et de ventre. Sur son visage bruni par le soleil, on comprenait qu’il avait travaillé toute sa vie pour parvenir à ce statut. On voyait par sa barbe noire bien taillée et l’assortiment de ses chausses à son pourpoint bleu que l’homme prenait soin de son apparence. Il portait un chapeau de même couleur pour cacher ses cheveux épars. La Duchesse, d’une extrême beauté, portait une robe verte brodée d’or et de perles.
Lorsqu’il fut arrivé à leur hauteur, il s’adressa à la Duchesse :
- Bonsoir votre Grâce, dit-il en tendant sa main pour baiser celle de la Dame.
- Il semblerait que le vin me soit monté à la tête mon cher Garrick, je vais vous laisser, dit-elle sans prêter attention à Clancy.
- Bien, votre Grâce, répondit-il en lui baisant ostentatoirement la main.
La Duchesse s’en fût à la vitesse du vent, tandis que Garrick affichait une mine réjouie face à Clancy, dont la bouche se déformait en un rictus haineux. Mordecai venait se placer derrière son maître, prêt à dégainer, lorsqu’un homme vêtu d’un plastron couvert d’un tabard mauve et jaune apparu derrière l’épaule de Garrick.
- Mon pauvre ami, commença Garrick. Je suis navré de voir la Duchesse vous porter un tel mépris, continua-t-il sarcastique.
Clancy encaissa calmement la pique que venait de lui lancer son bedonnant adversaire, attendant qu’il finisse pour pouvoir répliquer.
- Sachez, mon ami, que je vous ai aperçu tantôt et que je fus surpris de vous voir rester à l’extérieur de la demeure. Il est surprenant que vous n’ayez pas été invité, auriez vous égaré votre billet ?
Le triomphe se lissait dans le regard sombre du bourgeois, tandis que Clancy restait pétrifié à cette révélation : Garrick avait été invité par la Duchesse. Les poings serrés, Clancy semblait bouillonner de rage, mais c’est d’une voix profonde et calme qu’il répliqua :
- Il est tout à fait surprenant que la Duchesse accorde quelque intérêt à un paysan assoiffé d’ascension sociale. J’émets cependant l’hypothèse d’une curiosité malsaine chez notre dame pour les ambitions vaines et les espoirs fous de cloportes tels que vous, mon cher Garrick. Après tout votre nom suinte la médiocrité et la boue, par l’absence évidente d’un élément essentiel que ne l’on ne peut pas gagner, car il se transmet par un sang bleu…
Il laissa sa phrase en suspens pour admirer le pourpre qui était monté au visage de Garrick, qui tripotait nerveusement sa montre à gousset, faisant jouer le clapet comme pour se contrôler. Puis il ajouta sur le même ton acerbe :
- … et le votre n’est que glaire !
Alors que Clancy semblait satisfait de sa tirade, fier d’avoir humilié le gros bourgeois qui lui faisait face, Garrick ôta son gant et le gifla avec. A la vue de ce spectacle, Mordecai poussa un long soupir d’exaspération. Ces deux-la s’affrontait dans une quête d’ascension sociale pour laquelle aucun rival ne pouvait être toléré. Cette rivalité passait par des tentatives d’humiliation toujours plus violentes et virulentes, pour faire perdre toute crédibilité à l’adversaire.
- C’en est trop ! cria Garrick. Vous dépassez les bornes, je ne tolérerai pas que l’on m’insulte de la sorte ! Excusez-vous ou battez-vous ! dit-il d’un ton impérieux.
Tous les convives se tournèrent vers les deux hommes, attendant la réponse du maître de Mordecai.
- La vérité n’exige aucune excuse, dit-il en fixant son adversaire.
- Vos calomnies n’attendront pas pour être punies, le duel aura lieu ici même et immédiatement, par l’épée et ce jusqu’à ce que mort s’en suive !
Tous s’écartèrent pour former un cercle autour des deux hommes. Les bourgeois étaient suspendus à leurs lèvres, car le duel était une distraction très appréciée dans ces milieux de bourgeois qui voulaient fricoter avec l’aristocratie Llaelaise.
Ils avaient malheureusement fait preuves de toute la noblesse dont ils étaient capables.
- Dann sera mon champion, ajouta Garrick.
L’homme en plastron et tabard qui était derrière lui s’avança.
- Mordecai défendra mon honneur, répondit Clancy.
Un homme en pourpoint jaune et tenant une canne ornée d’ambre se détacha du public.
- J'arbitrerai si vous le voulez, bien mon cher Garrick.
- Avec joie monsieur Ashburn, lança Garrick.
Mordecai s’avança face à son adversaire. Monsieur Ashburn s’approcha de Dann qui tira sa lame pour que Clancy l’inspecte, puis ce fut le tour de Mordecai, qui dégaina son sabre et le présenta à Garrick. Le bourgeois l’examina pendant ce qui sembla être une éternité, probablement pour irriter le Capitaine et perturber sa concentration. Mais le vieux mercenaire garda la tête froide et patienta, ce n’était pas la première fois que Clancy le faisait jouer à ce petit jeu.
Puis ils s’éloignèrent et se mirent en garde face à face.
- Ce duel se fera jusqu’à la mort d’un des duellistes, vous commencerez quand je donnerai le signal, dit l’arbitre.
Jaugeant les deux duellistes, il s’exclama :
- Mais je pense que l’un d’eux mourra de vieillesse avant que j’ai pu prononcer le début de ce duel ! Quelques rires se firent entendre. Mais il ne faut en rien juger l’adresse d’un combattant à cela mes amis, mais à la vitesse et la dextérité du maniement de sa canne ! La foule des convives éclatèrent de rire.
Se reprenant Ashburn enchaina :
- Sur ce, Messieurs les champions, allez-y ! s’exclama-t-il.
Les deux champions s’élancèrent et frappèrent, croisant le fer. Ils échangèrent quelques coups, puis Dann enchaina de furieux coups d’estoc et de taille que Mordecai parait et esquivait sans difficultés. Les puissants assauts de Dann l’épuisaient. Alors, d’un geste souple du poignet, il fit dévier la lame de son adversaire avant de plonger la sienne sous son plastron. Dann, les yeux écarquillés de surprise, eut un hoquet et s’effondra.
Toute l’assistance applaudi et cria de joie face à la mort d’un champion.
- Monsieur di Morosini sort vainqueur du duel ! s’exclama joyeusement l’arbitre.
Mordecai s’essuya le front et remarqua le malaise chez monsieur Ashburn lorsqu’il croisa le regard furibond de Garrick, qui était à nouveau humilié.
Bonne lecture et surtout n'hésitez pas à me donner votre avis !
Un vrai lien d’amitié se crée entre Mordecai et Borok, et c’est avec joie (lorsqu’ils obtinrent leurs parts sur la vente de la cargaison de Bolden Keller), qu’ils dilapidèrent leurs écus en boissons, jeux et bonnes compagnies. En deux mois à peine, le besoin de retrouver du travail se fit sentir. Borok, lassé de ses aventures, préféra rentrer chez lui en Rhul. Mordecai, que les tables de jeux ont laissé endetté, se fit engager dans la garde personnelle d’un bourgeois de Merywyn nommé Clancy di Morosini. Le vieux mercenaire se fit très vite remarquer grâce à son expérience du combat et ses talents martiaux et se retrouva « Capitaine » de la petite garde privée du bourgeois.
- Et là, je profite qu’il soit à terre pour lui envoyer un bon coup de hache directement dans le cortex ! ajouta Solovei d’un ton enjoué.
L’ancien soldat Kharde aimait raconter ses aventures. Il y ajoutait parfois quelques fioritures, mais elles n’étaient jamais déformées ou exagérées, et c’est ce qui avait plu à Mordecai lorsqu’ils avaient fait connaissance. Le vieux mercenaire avait toujours apprécié les bonnes histoires et l’affrontement du Kharde avec un Ironclad avait été particulièrement trépidant.
- Excellent ! dit Mordecai, enthousiaste. J’avoue que tu m’impressionnes gamin, mais tu as encore pas mal de boulot avant de m’égaler !
- Ah ouais l’ancêtre ? Peut-être veux-tu que l’on règle ça dehors ? répondit Solovei sur le ton de la plaisanterie.
Tout deux éclatèrent de rire. L’ancien soldat Kharde leva son verre, Mordecai sa pipe, tout en soufflant de longs nuages gris. Le vieux mercenaire pensait avoir encore le dessus sur le jeune soldat, s’imaginant reverser la table entre eux, dégainant ses armes et croisant le fer au milieu des lits et cantines du dortoir des gardes.
Ils entendirent le bruit des roues sur le gravier, et le cocher qui stoppait ses chevaux. Une voix puissante se fit alors entendre, maugréant des paroles trop éloignées pour être comprises. Cela, ils le savaient, était le signe que le travail allait reprendre.
Solovei vida son verre d’un trait, son nez aquilin disparaissant dans son boc. Lorsqu’il le reposa sur la table, Mordecai s’aperçu que de fines gouttes d’alcool ambré perlait sur sa moustache noire qui commençait tout juste à grisonner.
Peu après, la porte du dortoir s’ouvrit et un homme entra dans le dortoir. Comme Mordecai et Solovei, il portait une cotte de mailles sous une armure de cuir souple, par-dessus laquelle il revêtait un tabard vert foncé, que leur employeur, comme beaucoup d’autres bourgeois, avait fait faire pour se rapprocher de la noblesse. Des jambières et des bottes de cuir venaient compléter la tenue, ainsi qu’un casque d’acier. Le tulwar qui pendait à sa ceinture révélait clairement ses origines orientales.
Le capitaine fixa le jeune Idrien, dont les traits fins semblaient légèrement crispés, les lèvres pincées. Son long nez était masqué par son casque, mais le vieux mercenaire voyait briller son regard vert posé sur lui.
- Alors ? Comment ça c’est passé ? lança Solovei à Farhan.
- Forcément mal vu ce qu’on vient d’entendre, commenta Mordecai.
- De la pire manière possible, soupira l’Idrien. J’ai emmené Clancy chez la Duchesse Canice del Viscario. Il a absolument voulu participer à la réception sans invitation. Ce fut un calvaire pour le convaincre de repartir, les gardes lui ont refusé l’entrée et la Duchesse l’a même ouvertement ignoré ! Du coup je crois qu’il va péter quelques assiettes ce soir.
Cette dernière remarque fit rire les deux autres, qui se remémoraient avec délectation l’état farcesque dans lequel Clancy di Morosini, leur employeur, pouvait se mettre lorsqu’il piquait une crise.
- Vraiment pas de quoi rire ! J’ai passé une journée de chiotte ! protesta Farhan.
- Désolé gamin, dit alors le vieux Capitaine qui continuait malgré tout de rire.
Irrité, le jeune Idrien jeta son casque sur sa couche et alla se débarbouiller à l’aide d’une cuvette emplie d’eau claire, tandis que Mordecai et Solovei riaient et racontaient l’épisode du mouchoir maculé.
- Le seigneur Morosini souhaite vous voir immédiatement Capitaine, dit soudain une voix flutée.
Les rires cessèrent, Mordecai ne répondit pas tout de suite. Surpris par l’irruption de la jeune servante qui venait d’entrer dans le dortoir, il la regarda incrédule. Son visage était inexpressif, atténuant sa beauté juvénile encadrée par de magnifiques cheveux blonds nouées.
- J’arrive Elie.
Le vieux Capitaine prit son casque dans le coffre au pied de son lit, le mit et se dirigea vers la servante qui l’invita à le suivre.
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Ils traversèrent un couloir, puis montèrent un escalier de pierre qui déboucha dans le hall de la demeure. Toujours sur les pas de la servante, Mordecai emprunta l’escalier principal recouvert d’un sublime tapis rouge et or.
Elie était presque encore une enfant lorsqu’elle avait été engagée il y a de cela des années par Clancy. C’était une orpheline qui se cachait derrière un visage froid pour se protéger des autres. Quand il entra au service trois mois auparavant, Mordecai s’attacha rapidement à elle et lui évita de nombreux ennuis avec des ivrognes un peu trop insistants.
La jeune servante le guida vers une petite porte qui, Mordecai le savait, menait au petit salon où Clancy aimait s’isoler. La servante toqua. Lorsqu’un « entrez » retentit de l’autre côté, elle fit entrer le Capitaine avant de s’éclipser.
Le petit salon était une pièce richement décorée, comme le reste de la demeure de Clancy di Morosini. Le parquet lisse et brillant reflétait les dizaines de flammes qui dansaient doucement sur les chandeliers et le lustre. Des divans et des fauteuils brodés d’or étaient disposés un peu partout, quelques guéridons exhibaient des vases et autres statuettes. De nombreuses toiles étaient accrochées aux murs, certaines représentant des paysages, d’autres des scènes.
Clancy faisait face à l’une des fenêtres dont la vue donnait sur le jardin. Le soleil se couchait, teintant la pièce d’une lueur rouge-orangée. Mordecai apercevait les innombrables flèches de Merywyn.
Le bourgeois se tenait droit comme un i, les mains jointent dans le dos. Il portait une robe bleue brodée d’argent et ornée de perles.
Le silence se prolongea de longues minutes durant lesquelles Mordecai attendit sans dire mot. Il savait que le bourgeois tentait de contenir sa colère et que le moindre mot le ferait hurler. Soudain, Clancy laissa exploser sa rage, et envoya valdinguer un vase proche.
- La Duchesse m’a refusé l’entrée ! hurla-t-il plein de rage. Par ma naissance, par mon sang je fais parti de cette noblesse dont elle m’a refusé la compagnie ! il se tourna vers Mordecai, ses mains gesticulant, ses yeux le fixant comme si c’était lui qu’il fallait convaincre.
Le visage du bourgeois était dénaturé par la colère, son nez court retroussé comme s’il percevait un tas de fumier proche, ses lèvres minces déformées en un rictus. Sa robe voltigeait autour de lui, au rythme de ses mouvements incessants, faisant face tour à tour au Capitaine et à la fenêtre, comme s’il pu apercevoir la Duchesse de là.
- Cette position de bourgeois, de misérable marchand n’est qu’un moyen pour permettre au nom de ma famille de retrouver sa gloire, son prestige. Je suis noble de sang ! Et quelle preuve Madame la Duchesse ? demanda-t-il dans le vide. Quelle preuve Capitaine ? interrogeant soudainement Mordecai, comme s’il se souvenait tout à coup de son existence.
Mordecai cacha sa surprise et répondit du tac au tac :
- La particule mon seigneur.
- Exactement ! cria-t-il satisfait de la réponse. Elle est le symbole du prestige aristocratique de ma famille, celle des di Morosini !
Son calme revenant, Clancy repris sa stature fière face à la fenêtre. Son visage rouge de colère reprenait peu à peu sa pâleur.
- J’ai besoin de me distraire, Capitaine, peut-être même de me défouler. Ce soir nous allons à la réception de Boudewyn. Faites préparer le carrosse. Prévenez également Solovei et Farhan, ils viennent avec nous.
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La demeure de Garrick Boudewyn était immense et d’un luxe rare. Le principal usurier de Merywyn s’était fait bâtir une luxueuse habitation en plein centre des quartiers chics, dont la terrasse donnait sur un immense jardin orné de fleurs et d’arbres exotiques, ainsi que de sublimes fontaines de marbre.
Les nombreux convives formaient de petits groupes qui bavassaient, pendant que des serviteurs en livrés allaient et venaient de la terrasse au jardin avec de grands plateaux d’argent garnis de mets et de coupes. Les bourgeois et les aristocrates qui composaient les convives faisaient presque tous partis de la clientèle soigneusement accumulée de Garrick. Tous lui devaient de l’argent ; il disposait ainsi d’une influence non négligeable dans la sphère aristocratique. Ce dernier détail n’était pas sans agacer Clancy, qui le jalousait. Le vin avait un goût aigre dans sa bouche, et il se débarrassa bien vite de sa coupe.
Clancy discutait de politique et de la famille royale avec un petit groupe, tandis que derrière lui Mordecai se tenait en retrait, la main sur son sabre.
Le bourgeois se désintéressa soudain de la conversation et se dirigea vers un groupe plus petit. Mordecai suivit. Clancy marcha à grand pas vers Garrick Boudewyn et la Duchesse Canice del Viscario en grande conversation. Garrick était un homme large d’épaules et de ventre. Sur son visage bruni par le soleil, on comprenait qu’il avait travaillé toute sa vie pour parvenir à ce statut. On voyait par sa barbe noire bien taillée et l’assortiment de ses chausses à son pourpoint bleu que l’homme prenait soin de son apparence. Il portait un chapeau de même couleur pour cacher ses cheveux épars. La Duchesse, d’une extrême beauté, portait une robe verte brodée d’or et de perles.
Lorsqu’il fut arrivé à leur hauteur, il s’adressa à la Duchesse :
- Bonsoir votre Grâce, dit-il en tendant sa main pour baiser celle de la Dame.
- Il semblerait que le vin me soit monté à la tête mon cher Garrick, je vais vous laisser, dit-elle sans prêter attention à Clancy.
- Bien, votre Grâce, répondit-il en lui baisant ostentatoirement la main.
La Duchesse s’en fût à la vitesse du vent, tandis que Garrick affichait une mine réjouie face à Clancy, dont la bouche se déformait en un rictus haineux. Mordecai venait se placer derrière son maître, prêt à dégainer, lorsqu’un homme vêtu d’un plastron couvert d’un tabard mauve et jaune apparu derrière l’épaule de Garrick.
- Mon pauvre ami, commença Garrick. Je suis navré de voir la Duchesse vous porter un tel mépris, continua-t-il sarcastique.
Clancy encaissa calmement la pique que venait de lui lancer son bedonnant adversaire, attendant qu’il finisse pour pouvoir répliquer.
- Sachez, mon ami, que je vous ai aperçu tantôt et que je fus surpris de vous voir rester à l’extérieur de la demeure. Il est surprenant que vous n’ayez pas été invité, auriez vous égaré votre billet ?
Le triomphe se lissait dans le regard sombre du bourgeois, tandis que Clancy restait pétrifié à cette révélation : Garrick avait été invité par la Duchesse. Les poings serrés, Clancy semblait bouillonner de rage, mais c’est d’une voix profonde et calme qu’il répliqua :
- Il est tout à fait surprenant que la Duchesse accorde quelque intérêt à un paysan assoiffé d’ascension sociale. J’émets cependant l’hypothèse d’une curiosité malsaine chez notre dame pour les ambitions vaines et les espoirs fous de cloportes tels que vous, mon cher Garrick. Après tout votre nom suinte la médiocrité et la boue, par l’absence évidente d’un élément essentiel que ne l’on ne peut pas gagner, car il se transmet par un sang bleu…
Il laissa sa phrase en suspens pour admirer le pourpre qui était monté au visage de Garrick, qui tripotait nerveusement sa montre à gousset, faisant jouer le clapet comme pour se contrôler. Puis il ajouta sur le même ton acerbe :
- … et le votre n’est que glaire !
Alors que Clancy semblait satisfait de sa tirade, fier d’avoir humilié le gros bourgeois qui lui faisait face, Garrick ôta son gant et le gifla avec. A la vue de ce spectacle, Mordecai poussa un long soupir d’exaspération. Ces deux-la s’affrontait dans une quête d’ascension sociale pour laquelle aucun rival ne pouvait être toléré. Cette rivalité passait par des tentatives d’humiliation toujours plus violentes et virulentes, pour faire perdre toute crédibilité à l’adversaire.
- C’en est trop ! cria Garrick. Vous dépassez les bornes, je ne tolérerai pas que l’on m’insulte de la sorte ! Excusez-vous ou battez-vous ! dit-il d’un ton impérieux.
Tous les convives se tournèrent vers les deux hommes, attendant la réponse du maître de Mordecai.
- La vérité n’exige aucune excuse, dit-il en fixant son adversaire.
- Vos calomnies n’attendront pas pour être punies, le duel aura lieu ici même et immédiatement, par l’épée et ce jusqu’à ce que mort s’en suive !
Tous s’écartèrent pour former un cercle autour des deux hommes. Les bourgeois étaient suspendus à leurs lèvres, car le duel était une distraction très appréciée dans ces milieux de bourgeois qui voulaient fricoter avec l’aristocratie Llaelaise.
Ils avaient malheureusement fait preuves de toute la noblesse dont ils étaient capables.
- Dann sera mon champion, ajouta Garrick.
L’homme en plastron et tabard qui était derrière lui s’avança.
- Mordecai défendra mon honneur, répondit Clancy.
Un homme en pourpoint jaune et tenant une canne ornée d’ambre se détacha du public.
- J'arbitrerai si vous le voulez, bien mon cher Garrick.
- Avec joie monsieur Ashburn, lança Garrick.
Mordecai s’avança face à son adversaire. Monsieur Ashburn s’approcha de Dann qui tira sa lame pour que Clancy l’inspecte, puis ce fut le tour de Mordecai, qui dégaina son sabre et le présenta à Garrick. Le bourgeois l’examina pendant ce qui sembla être une éternité, probablement pour irriter le Capitaine et perturber sa concentration. Mais le vieux mercenaire garda la tête froide et patienta, ce n’était pas la première fois que Clancy le faisait jouer à ce petit jeu.
Puis ils s’éloignèrent et se mirent en garde face à face.
- Ce duel se fera jusqu’à la mort d’un des duellistes, vous commencerez quand je donnerai le signal, dit l’arbitre.
Jaugeant les deux duellistes, il s’exclama :
- Mais je pense que l’un d’eux mourra de vieillesse avant que j’ai pu prononcer le début de ce duel ! Quelques rires se firent entendre. Mais il ne faut en rien juger l’adresse d’un combattant à cela mes amis, mais à la vitesse et la dextérité du maniement de sa canne ! La foule des convives éclatèrent de rire.
Se reprenant Ashburn enchaina :
- Sur ce, Messieurs les champions, allez-y ! s’exclama-t-il.
Les deux champions s’élancèrent et frappèrent, croisant le fer. Ils échangèrent quelques coups, puis Dann enchaina de furieux coups d’estoc et de taille que Mordecai parait et esquivait sans difficultés. Les puissants assauts de Dann l’épuisaient. Alors, d’un geste souple du poignet, il fit dévier la lame de son adversaire avant de plonger la sienne sous son plastron. Dann, les yeux écarquillés de surprise, eut un hoquet et s’effondra.
Toute l’assistance applaudi et cria de joie face à la mort d’un champion.
- Monsieur di Morosini sort vainqueur du duel ! s’exclama joyeusement l’arbitre.
Mordecai s’essuya le front et remarqua le malaise chez monsieur Ashburn lorsqu’il croisa le regard furibond de Garrick, qui était à nouveau humilié.