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Roman - le Boucher de Khardov

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elric:
LES CHRONIQUES DES WARCASTER : VOLUME DEUX

LE BOUCHER DE KHARDOV

DAN WELLS

PARTIE UNE

PARTIE DEUX

PARTIE TROIS

GLOSSAIRE

elric:
PARTIE UNE
Orsus retrouva Lola dans un village de montagne, écoutant un ménestrel ambulant dans une taverne pleine de paysans. Il arriva après la tombée de la nuit, couvert de neige. Il se tint à la porte et piétina la boue de ses bottes. C’était un endroit pauvre, petit et oublié du reste du monde, mais c’était la plus grande civilisation qu’Orsus avait vu en près de six mois. Il dit à Laika d’attendre dehors, utilisant son esprit pour donner au steamjack un ensemble d’instructions rudimentaires, puis passa la tête dans l’entrée basse, se sentant timide, sale et pas à sa place.

La pièce était éclairée par des torches et la lueur orange vif d’un foyer centrale, où le musicien se tenait debout avec son violon et faisait de clins d’œils audacieux aux servants pendant qu’il chantait. Orsus enregistra sa présence et l’analysa, ainsi que les autres personnes présentes dans la pièce : onze hommes forts, probablement des fermiers, et sept autres ayant l’air plus doux et habiller plus finement – des propriétaires terriens, peut-être, ou des artisans. L’un d’entre eux était assis à part. Ses vêtements le désignaient comme un étranger, un marchand ambulant, selon Orsus. Aucun d’entre eux ne représentait une menace, aussi les ignora-t-il. Il secoua la neige de son énorme manteau – pratiquement une peau entière d’un ours noir, bordée de sa fourrure la plus épaisse – et se dirigea vers le bar, appuyant sa hache à long manche contre lui toute en retirant ses gants. Une servante pas plus grosse que la hache le regarda avec une évidente frayeur mais réussit à balbutier un salut et s’enquérir de sa commande.

« Vyatka », dit-il, plus bourru qu’il ne l’aurait voulu. Il n’avait de querelle avec cette fille ni avec qui que ce soit dans le village ; il n’était même pas sûr de quel village il s’agissait. Cela faisait tout simplement trop longtemps qu’il n’avait pas parlé à quelqu’un d’autre que Laika, et sa voix semblait rauque, peu familière. Il lui fit un signe de tête et força un sourire, essayant de se rappeler comment les gens civilisés se comportaient. Il sentit les yeux des fermiers sur lui et la servante, qui était assez jolie, avec des cheveux châtains dorés de la même couleur que ceux de Lola. Il se demanda si elle était en danger – un prétendant jaloux, peut-être, ou un simple débauché. Elle se détourna pour aller son verre, et alors qu’il la regardait partir ses pensées se tournèrent à nouveau vers Lola pour la première fois depuis des lustres …

… et puis elle fut là, appuyée à côté de lui, appuyée contre le bar. « Rien pour moi ? »

Orsus sentit sa gorge se nouer, mais il était trop endurci pour se laisser surprendre facilement. Il garda la voix basse et répondit sans même la regarder. « Tu ne bois pas. »

« Tu ne l’as jamais fait, non plus. »

La serveuse posa un verre sur le bar – pas une tasse en grès mais un vrai verre, grand, fin et fragile – et versa une double dose de vyatka d’une fine bouteille. Orsus n’avait jamais demandé de double, mais la plupart des serveurs lui en servaient un grand quand même. Il mesurait deux mètres vingt-huit et était bâti comme un bœuf, son visage décharné marqué par d’innombrables batailles. Il souleva le verre, prêt à le boire d’un trait, mais s’arrêta, le reposa sur le bar en bois usé et le fit glisser devant Lola.

« Tu en veux ? »

Il ne l’avait toujours pas regardée, n’avait toujours pas osé, mais sa voix était comme le soleil et le miel, si familière qu’il la reconnaîtrait n’importe où. Une voix accompagnant ses rêves chaque nuit.

« Excusez-moi ? » demanda le marchand ambulant. Il était assis à la gauche d’Orsus, loin de Lola, et Orsus tourna la tête juste assez pour l’apercevoir du coin de l’œil.

« Cela ne vous concerne pas », dit Orsus.

« Je suis désolé », dit le marchant, « je pensais que vous m’offriez à boire. Petite terriblement sympathique, pensai-je. Je suis content de m’être arrêté. Peu importe, c’est ma faute si je vous ai mal compris, mon nom est … »

« Je parlais à la dame », grogna Orsus en se détournant. La vyatka était toujours posée là, les mains blanches et pâles de Lola reposant doucement à côté d’elle, mais il pensait pouvoir la faible empreinte de ses lèvres sur le verre. Il avait envie de le prendre, de poser ses lèvres au même endroit et d’imaginer pendant un instant qu’elles se touchaient …

« Quelle dame ? »

Orsus plissa les yeux et se retourna vers le marchand. « Excusez-moi ? »

« Il n’y en a pas beaucoup ici que j’appellerais des dames », dit le marchand avec un sourire narquois. Ce qui s’en rapproche le plus c’est cette brune dans le coin, et elle a l’air terriblement occupée. S’accrochant au bras de ce changeur de monnaie comme s’il était en or, ce qui est probablement le cas en ce qui la concerne. Il faudrait courtiser une femme comme elle. Le reste de ces traînées … »

« Qu’est-ce que tu as dit ? » La voix d’Orsus était sombre et pleine de menace. Il posa très légèrement sa main sur le dos de l’homme. Même ainsi, le poids de sa main, de la taille d’une poêle – ses doigts s’étendaient presque d’une épaule à l’autre – était menaçant. Il sentit le marchand se crisper.

« Cela ne voulait rien dire, monsieur, honnêtement monsieur. Je ne fais que passer. Je ne veux pas d’ennuis avec votre village, monsieur. »

« Ce n’est pas mon village. Mais les femmes qui s’y trouvent – les dames, que tu le penses ainsi ou non – tu peux considérer qu’elles sont sous ma protection. Maintenant, sors d’ici. » Il leva la main et le marchand descendit de son tabouret et à mi-chemin vers la porte en un instant. Orsus se retourna vers le bar, calmant sa rage. « je suis désolé pour ça. »

« Tu ne peux pas laisser tout te déranger autant », dit Lola. « Ce n’est pas comme ça qu’on vivait avant. »

« Je suis désolé pour ça aussi. »

« Ça ne change rien, cependant. »

Orsus nota le soupçon de tristesse dans sa voix. Il voulut dire quelque chose d’autre, mais il ne sut pas quoi – il avait déjà présenté des excuses, et elle n’était manifestement pas intéressée par d’autres. Il resta silencieux, espérant qu’elle comblerait le vide. Elle savait toujours quoi faire.

Les doigts de Lola tapaient sur le bar en bois en rythme avec la chanson du ménestrel. « Veux-tu danser ? »

Orsus rit, se sentant à nouveau comme elle l’avait fait toujours fait ressentir autrefois – un écolier mal à l’aise, gigantesque et maladroit et trop amoureux pour dire non. « Tu sais que je ne suis pas doué pour la danse », dit-il, mais elle posa sa main sur la sienne et ses protestations s’envolèrent comme la neige au soleil.

La sensation de sa peau était un miracle, douce et choquante, familière et électrique. Comme si elle sortait et rentrait à la maison en même temps. Une aventure sas fin plus juste et réelle que tout ce qu’il avait jamais connu. Il la regardait maintenant, pour la première fois depuis, il ne savait plus combien de temps. Ses yeux étaient grands ouverts, insouciants et débordants de vie comme ils l’avaient toujours été, ses cheveux radieux et étincelants, sa peau douce comme une crème soyeuse. Il posa la main sur sa taille, leurs regards se croisèrent et il cria au ménestrel d’une voix retentit à travers la pièce tel un canon.

« Connais-tu des chansons à danser ? »

Le ménestrel joua une note discordante sur son violon, choqué par le volume de la demande. « Je … n’ai pas de bayan, monsieur, mais je pourrais essayer de … »

« Ton violon suffit », répondit Orsus. Il sourit à Lola. « Joue une kareyshka ! Je vais danser avec ma femme. »

Ils s’avancèrent vers le centre de la pièce, de petits pas de côté dans le style traditionnel, mais aucune musique vint. Orsus leva les yeux avec fureur pour remarquer le ménestrel avec sa mâchoire pendante, le fixant bêtement. « Je t’ai dit de jouer ! » Rugit-il et le ménestrel positionna son violon. Il commença à jouer une chanson à l’archet, d’abord d’une main tremblante, puis plus rapidement et avec plus d’assurance au fur et à mesure que ses mains reprenaient leur schéma régulier. Orsus regarda Lola et la fit tournoyer à travers la pièce, marchant et trébuchant et se faufilant entre les tables. Il lui sourit plus vivant qu’il ne l’avait été depuis des années, et elle lui sourit en retour, plus vivante que … »

Les gens riaient. Orsus les ignora. Il les laissa rire ; ils s’étaient moqués de lui toute sa vie et cela ne l’avait jamais dérangé. Il était amoureux de la femme la plus merveilleuse du monde, et maintenant elle était à lui, et elle le regardait, lui souriait, le tenant à nouveau comme elle l’avait fait avant …

Sa tête lui faisait mal à force de tourner, et il revint à la partie la plus simple de la danse, de petits pas en avant et en arrière, tenant Lola d’abord d’une main puis de l’autre, la lumière de la torche brillant dans ses yeux comme de l’acier.

« C’est ce que vous vouliez dire, » C’était une voix familière, celle du marchand, gloussant d’un rire aigu s’élevant par-dessus le violon. « Il m’a dit que la vyatka était pour une dame – je n’aurais jamais imaginé qu’il parlait de cette vieille chose ! »

Orsus sentit la rage monter en lui, mais Lola gloussa doucement. « Ignore-les. »

« Sa femme, il l’appelait », dit un autre fermier, accueilli par un autre éclat de rire. « Tu crois qu’il l’embrasse aussi ? Une chose aussi dégoûtante comme ça ? »

« Retire ça ! » Le rugissement d’Orsus fit trembler les chevrons, et en deux pas il fut à côté de l’homme, le soulevant de son siège d’une main autour de sa gorge. « Retire-le maintenant ou je te brise le cou ! »

La salle entière se leva en un instant, certains hommes reculant, d’autres se penchant en avant comme s’ils avaient l’intention de se précipiter sur li. Orsus faisait plus d’une tête de plus que le plus grand d’entre eux, plus large d’une main que le plus large. Le fermier dans sa poigne donna des coups de pied frénétiques alors qu’il était suspendu en l’air, griffant les doigts d’Orsus autour de son cou.

« lâchez-le » dit l’un des artisans. Une femme aux cheveux noirs se recroquevilla derrière lui, et la servante derrière elle. « Posez-le simplement, gentiment et tranquillement, et nous oublierons tout cela.

« Il l’a traitée de dégoûtante. »

« Et il est vraiment désolé. »

« Je veux l’entendre le dire. »

« Ce n’est qu’une hache ! » cria un autre fermier. « Pour l’amour de Menoth ! » L’homme posa une main sur Lola, la tirant au loin, et Orsus regarda sa robe se déchirer, son bras s’arracher, sa poitrine se couvrir de sang.

Le monde devint rouge de sang et de feu, l’air se remplit de cendres, de neige et de cris. « Où étais-tu ? » Implora-t-elle. Pourquoi n’étais-tu pas là pour me protéger. »
Le fermier dans sa main poussa un cri étouffa alors qu’Orsus le martelait contre l’homme au bras de Lola. Les deux hommes tombèrent avec un craquement d’os, et la pièce grouilla. Il y avait dix-sept hommes encore debout, de petits couteaux et des gourdins apparurent dans leurs mains, semblant venir de nulle part. Ce n’étaient pas des fermiers, mais des guerriers, des voleurs, des brigands et des meurtriers.

En l’espace d’un battement de coeur, il étudia la pièce, cartographiant ses obstacles et ses couverts, identifiant les plus grandes menaces. L’homme derrière le bar avait un tromblon mais n’était pas un expert en la matière, et Orsus supposa qu’il lui faudrait au moins huit secondes pour le préparer et tirer ; il avait huit secondes pour se frayer un chemin jusqu’à une alcôve près de la porte, où une solide poutre en bois pourrait les protéger du tir.

Il garda Lola près de lui, dans sa main gauche, tournant son corps pour la protéger alors que la première vague hors-la-loi s’écrasait contre lui : six hommes en même temps, des gourdins se balançant contre son visage, ses tripes et ses genoux, des couteaux s’élançant à travers les brèches de ses défenses. Il n’avait pas d’autre armure que son épais manteau en peau d’ours qu’il retourna d’un coup sec pour attraper la première petite dague, la balayant inoffensivement sur le côté. Il se retourna vers l’homme, le frappant au visage avec son coude gauche et créant une brèche dans leur cercle où Lola pourrait se tenir à l’écart. En même temps, il tendit la main droite et attrapa un lourd gourdin en bois pointé sur son visage, l’abaissant d’un coup brutal qui entraîna son propriétaire avec lui, bloquant deux autres attaques de la foule – l’une avec un gourdin qui frappa la colonne vertébrale de l’homme, une autre avec un poignard qui perça le flanc de l’homme d’une fleur rouge. L’homme qui tenait le poignard recula en titubant, les yeux écarquillés, mais avant qu’il ne puisse protester de son innocence, Orsus lui jeta le gourdin volé au visage et le fit tomber au sol sans un mot.

D’autres hommes se joignirent à la mêlée, armés d’armes de plus en plus grosses – un pied de chaise, de table, une table entière – et Orsus se dirigea lentement vers l’alcôve, bloquant et redirigeant, frappant quand il le pouvait, comptant les secondes. Dans ses yeux, les hommes étaient hargneux et enragés, faisant claquer leurs mâchoires tel des animaux sauvages, avides d’un avant-goût des lèvres de Lola, de sa peau, de sa douce et souple chair. Le barman leva son tromblon, et Orsus se battit plus furieusement que jamais, fracassant des crânes, brisant colonnes vertébrales, et lançant des corps brisés comme des javelots sur les lâches tenant de fuir. Son oreille se dressa comme celle d’un loup au son d’un petit déclic et il s’avança derrière l’épais mur juste au moment où le tromblon fit feu, une demi-livre de plomb brûlant volant droit sur son crâne. Le tir fit un dans la poutre en bois, explosant dans un nuage d’éclats de bois et de morceaux de fer tordus, mais il ne pénétra pas jusqu’au bout. Lui et Lola étaient en sécurité.

Orsus poussa doucement Lola dans le coin. Il trouva une dague plantée dans sa jambe et le retira avec un grognement, sortant de derrière le mur et la lançant sur le barman. Elle s’enfonça profondément dans sa gorge, il s’effondra, et la pièce fut vide.

Orsus scruta la destruction, attentif à d’autres attaques, mais rien ne bougea. Son adrénaline s’estompa et sa vision rouge disparut, remplacée par de grandes éclaboussures de sang rouge chaud recouvrant les murs et les chaises cassées et les tables éclatées. Des femmes gisaient parmi les morts ; les femmes l’avaient-elles aussi attaqué ? Il vit son vyatka sur le bar. Sa hache avait disparu. Il ne l’avait pas employée au cours de la bagarre, et personne ne l’avait utilisée contre lui, mais elle avait disparu.

La cendre et la neige avaient également disparu, ainsi que les hurlements, les cris, les feux et la clarté vive et écarlate. À leur place, un vide s’était installé en lui, une torpeur, comme si son âme était de pierre et sa chair de fer. Aussi invulnérable et insensible qu’un steamjack.

Il savait où était sa hache. Une pensée de lui, pensa-t-il, l’avait toujours su. Il se dirigea vers le bar, enjambant les corps brisés, et regarda la vyatka. L’empreinte de la lèvre qu’il avait vue avait disparu. Il le porta à ses lèvres et but ; ça brûlait, il le savait, mais il ne le sentit pas.

Six mois au sein de terres sauvages. Peut-être resterait-il plus longtemps cette fois. Peut-être qu’il ne reviendrait jamais.

Orsus se dirigea vers le coin et regarda sa hache, haute d’un mètre cinquante et pesant au moins quarante-cinq kilogrammes, appuyée doucement dans l’alcôve où il s’était tenu pour la protéger. « Viens Lola. Il est temps d’y aller. » Il ramassa la hache, rabattu sa capuche sur ses yeux et sortit.

* * *
« Jack ! »

Orsus l’ignora, levant sa lourde hache et entaillant à nouveau le massif tronc. Il détestait qu’on l’appelle Jack.

« jack, mon garçon, c’est moi qui t’appelle ! Es-tu aussi sourd que tu es laid ? »

Orsus se releva de toute sa taille – près de deux mètres dix de haut, bien qu’il vienne d’avoir seize ans – et regard son patron, Aleksei. « Je m’appelle Orsus. »

Aleksei était un homme de petite taille, bien que presque aussi large qu’Orsus. Quand il souriait, ses lèvres se retroussaient en un sourire si diabolique que les femmes de la ville pâlissaient et faisaient signe de croix. Il souriait maintenant, comme s’il se délectait de l’inconfort d’Orsus. « Je connais ton nom, mon garçon, j’utilise ton titre officiel. Nous en avons fini avec cet arbre, et j’ai besoin d’un ‘jack pour le déplacer. »

Orsus jeta un coup d’œil au tronc aux pieds d’Aleksei, où deux des plus jeunes garçons du village avaient passé les dix dernières minutes à tailler les branches et branchettes, préparant le tronc pour le transport jusqu’au moulin C’était un petit arbre, probablement trop petit pour que l’équipe de bûcherons s’en soucie, mais tout de même de six mètres de long et plusieurs centaines de kilogrammes au moins. Orsus l’étudia un instant, en calculant la masse et le centrage. Il secoua la tête. L’équipe d’Aleksei était un grand groupe, la plus grande entreprise d’exploitation forestière de la forêt, et ils n’avaient pas le temps de s’occuper d’un arbre aussi petit. Celui sur lequel Orsus œuvrait faisait au mois vingt-sept cinquante de long et plus d’un mètre de large sa base ; il le coupait en trois sections égales pour faciliter le transport jusqu’au moulin. C’était le genre d’arbre dont ils avaient besoin. Un arbre de la taille d’Aleksei … il n’y avait aucune raison de l’abattre en premier lieu.

Aucune bonne raison, mais une mauvaise raison douloureusement évidente.

Aleksei lorgna, désignant l’arbre, et plusieurs des autres bûcherons levèrent les yeux également, s’arrêtant pour apprécier la plaisanterie. Comme toujours, Orsus refusa de leur donner cette satisfaction. Il se retourna vers son propre arbre, préparant sa lourde hache pour un nouveau coup. « Demande à Laika de le faire. »

Orsus leva sa hache et l’abattit avec un bruit sourd, enfonçant la large lame de plus de vingt centimètres dans le bois, L’arbre abattu lui arrivait presque aux genoux, un monstre atteignant la hauteur de cuisse de n’importe quel autre homme de l’équipe, mais Orsus allait le couper en quelques frappes supplémentaires.

« Mon cher petit garçon. » Aleksei adopta son ton de nourrice le plus condescendant. « Laika est un steamjack. Elle transporte les grands arbres. Quelque chose d’aussi petit serait une insulte aux mékaniciens qui l’ont fabriquée. » Le coin de sa bouche se tordit en un ricanement « C’est un travail pour un homme-jack. »

Orsus s’arrêta, tenté de se laisser influencer par cette dernière remarque, mais il ferma les yeux et prit une inspiration. Il allait l’ignorer. Il leva à nouveau sa hache et l’abattit en biais sur sa dernière profonde coupe. La lame s’enfonça profondément dans le bois, rencontrant la ligne qu’il avait tracée lors de sa précédente frappe, découpant un morceau en forme de coin de la taille d’une jambe humaine. Il se pencha et ramassa le fragment, le jetant sur le côté comme s’il ne pesait pas plus qu’un cure-dent. Les autres bûcherons détournèrent les yeux, déçus qu’il n’ait pas mordu à l’hameçon.

Aleksei s’avança vers lui. Orsus savait ce qui allait arriver et se prépara à une autre dispute. « Je veux que tu viennes avec nous ce soir », dit Aleksei, baissant la voix d’un air conspirateur. « Molonochnaya, juste après la tombée de la nuit. On frappera personne, juste … accélérer quelques défauts de conception dans leur équipement.

Molonochnaya était le village voisin, à près d’une heure de marche. Il y avait une nouvelle exploitation forestière, Orsus le savait, une tentative désespérée de se soustraire à l’emprise d’Aleksei, et le petit homme sournois était apparemment directement confronté au problème. Ce n’était guère surprenant – Aleksei avait réalisé des « projets après les heures de travail » similaire dans la raison pendant des années, gardon son entreprise puissante en écrasant la concurrence. C’était une pratique courante pour le kayazy, comme Orsus le savait bien. Il avait été l’un des hommes de mains d’Aleksei pendant des années.

Mais plus maintenant.

« Il y a plein de monde pour tout le monde » dit Orsus en se remettant au travail. Il donna un nouveau coup de hache, arrachant un autre morceau, géant, de l’arbre.

« Des arbres, oui », dit Aleskei, « mais des clients ? Où suis-je en trouver d’autres si Molonochnaya commence à acheter à quelqu’un d’autre ? Et qu’en est-il des villages à l’est d’eux – je suis censé abandonner à commercer avec eux ? Je paie à peine les factures comme ça, Jack. Si je les perds, je devrai faire de douloureuses coupes dans la main-d’œuvre. Sans mauvais jeu de mots. »

Orsus se hérissa d’être à nouveau appelé Jack, mais la subtile menace d’Aleksei éclipsa presque immédiatement son irritation. Il lança un regard noir au petit homme. « Tu parles de me laisser partir ? »

« Je pourrais avoir à laisser partir beaucoup de personnes … »

« Je fais le travail de deux hommes dans cette équipe », siffla Orsus, « et tu parles de me renvoyer parce que je casserai pas les jambes d’un pauvre villageois pour toi ? »

« Te renvoyer de quoi ? » Dit Aleksei, sa voix petite voix lourde d’indignation. « Avec une nouvelle exploitation forestière démarrant à Molonochnaya, je vais perdre des revenus, je vais perdre toute l’entreprise. Je ne veux laisser personne partir, tu le sais, mais sans une entreprise digne de ce nom pour nous soutenir, je n’aurai pas d’autres options. »

« Donc tu me forces à t’aider, ou je perds mon travail. »

Aleksei fronça les sourcils, son indignation simulée s’épanouissant en une colère simulée juste. « Ton travail ? Quel égoïsme grotesque ! C’est plus grand que ton travail et mon travail et le travail de n’importe qui. Cette entreprise emploie la moitié de notre village, ce qui signifie qu’elle nourrit la moitié de notre village, ce qui signifie que tu retires le pain de leur bouche. »

« Quand tu entends parler d’une nouvelle société d’exploitation forestière tu ne devrais pas rechigner, tu ne devrais pas rechigner, tu ne devrais pas rester là les bras ballant. Tu devrais courir jusqu’à Molonochnaya pour leur briser les jambes sans qu’on te le demande. Je ne te force pas à faire quoi ce soit, Orsus. Je te guide. » Il fit un geste vers les deux garçons du village, taillant avec suffisance les branches d’un autre arbre tombé. « Je les guide. Je m’assure que personne ne fasse quelque chose de stupide et ne se blesse. On y va ensemble, ou pas du tout. »

« Pas du tout », déclara Orsus.

« Et tu te demandes pourquoi ils t’appellent Jack. » Aleksei secoua la tête et désapprouva. « Sans coeur comme une chaudière vide. »

Orsus avait déjà entendu tout cela auparavant – les railleries, les supplications, les menaces. Aleksei était ambitieux et cruel, mais il manquait d’ambition et ses arguments suivaient la même voie en spirale vers ses propres intérêts – la seule fin comptant pour lui. Il avait fait appel au sein de la bonté d’Orsus, une qualité qu’Aleksei ne possédait pas lui-même, et maintenant que cela n’avait pas fonctionné, il faisait appel à quelque chose qui lui était plus familier : la cupidité. Orsus hocha la tête alors qu’Aleksei poursuivait.

« Je suis en faillite si tu ne viens pas mais si tu viens ? Il y a un bonus pour toi. » Il fit tinter sa bourse. « Un mois de salaire, payé à la fin du travail. Je n’ai été aussi généreux dans ma … Pourquoi ris-tu ? »

« Parce que tu es étroit d’esprit et prévisible. »

« Dit la hache au bras qui la balance. Si tu es tellement plus grand que moi, alors pourquoi je ne travaille pas pour toi, Ta Majesté, au lieu de l’inverse ? »

« Je ne travaille pour toi que le temps d’économiser assez pour acheter une boutique », déclara Orsus. « Je te l’ai déjà dit. »

« Ah, oui », dit Aleksei, « le grand ours des bois sculptant des planches de pain pour gagner sa vie, ou des petits soleils en bois à accrocher au-dessus de la porte. Et c’est moi qui suis étroit d’esprit ? Regarde-toi, tu es une montagne ambulante. Je n’ai jamais vu un homme plus apte à la violence de toute ma vie et je crois que en sait assez sur ma vie pour apprécier ce que cela signifie. Tu n’as pas ta place dans une menuiserie, Orsus, tu n’as même pas ta place dans ce village. Sais-tu combien de fois je pleure la nuit pour le potentiel que tu gâches ? Tu pourrais avoir la fortune, tu pourrais avoir du pouvoir. Si j’avais ta force et ta stratégie, je régnerais sur toute cette vallée, et tout ce que tu fais avec, c’est abattre quelques arbres. C’est du gaspillage. » Il fit à nouveau tinter ses pièces. « Si tu ne veux pas faire quelque-chose de ta vie, gagne au moins de l’argent. Pense à quel point tu serais plus proche de ce magasin avec un mois de salaire en poche. »

« Un mois », déclara Orsus. « Je peux attendre. »

« Alors tu es aussi stupide qu’un jack ! » Cria Aleksei, et Orsus sut que la dispute avait atteint son crasseux paroxysme. « Pense à tout ce que j’ai fait pour toi ! Tout ce que je t’ai donné et c’est comme ça que tu me remercies ? J’ai donné du travail à ton père quand les rats ont détruit votre cave, et je t’ai donné un travail quand les tharn ont abattu ton père. Qui est-ce qui a payé les fonctionnaires pour que ton nom ne figure pas sur le recensement de la conscription ? Sans moi, tu aurais été dans la Garde des Glaces et tu te serais fait tué quelque part. Je t’ai appris à travailler, je t’ai appris à te battre, je t’ai appris à te défendre, et tout ce que tu sais faire c’est de me le renvoyer à la figure ? Que possèdes-tu qui n’ait pas été acheté avec mon salaire ? Qu’est-ce qui ne vient pas directement de moi ? »

Et Orsus sourit, parce qu’il avait la chose la plus merveilleuse du monde. « je l’ai. »

« Une fille ? Je peux t’avoir des filles. »

« Pas comme Lola. »

« Mieux », répondit Aleksei. « Des filles si belles que tu oublierais que cette Lola existe. »

« J’ai vu tes filles, Aleksei, et Lola fait honte à toutes. »

« Très bien, alors. » Orsus regardait d’un œil méfiant l’homme sournois s’exprimer. La conversation prenait une nouvelle tournure. « Dis qu’elle est la plus belle fille du monde, la meilleure cuisinière, la meilleure maîtresse, tout ce que tu apprécies chez une femme … »

« La plus gentille », dit Orsus, « la plus courageuse, la plus intelligente… »

« La plus ennuyeuse, alors. Peu importe ce qu’elle est, ça n’a pas d’importance. Tu restes un petit montagnard sans le sou, sans une monture à lui, avec un toit fuyant, une paillasse et un couteau et une fourchette que tu as taillée toi-même avec les chutes. »

« C’est vrai. »

« Et tu penses que ta fille veut ça ? » Reviens à moi – reviens parmi la bratya. Il y a de l’argent à ce faire, Orsus, mais tu ne le trouveras pas en train de couper des bûches comme un de ces idiots. » Il fit un geste vers les autres travailleurs. « Toi et moi ensemble, nous pouvons être riches, plus riches que tu ne l’as jamais rêvé. Tu pourras offrir à Lola une vraie maison, avec des assiettes en porcelaine, une robe en velours – tu imagines en velours ? En soie ? Elle devrait avoir des bijoux dans les cheveux, Orsus, et tu peux lui offrir. »

« Orsus pouvait l’imaginer – il ne le voulait pas, mais il pouvait, et il l’avait fait, et maintenant la vision imprégnait son esprit et il brûlait de la rendre réelle. Elle méritait toutes ces choses et bien plus encore, et un voyage de temps en temps à Molonochnaya, ou Telk, ou Chaktiz …

Orsus secoua la tête, et la vision s’estompa. « Non. » Il souleva sa hache et se retourna vers l’arbre. « Ce n’est pas le genre de potentiel que je veux atteindre. »

La voix d’Aleksei devint tranchante comme une lame. « Alors peut-être que tu n’e pas vraiment mieux qu’un jack. »

Orsus le regarda, comptant lentement dans sa tête, se retenant de briser le visage ricanant de l’homme. Il laissa tomber sa hache, se dirigea vers le tronc abattu, se tint au-dessus de lui, calculant. Les garçons du village ont reculé de surprise, et les autres bûcherons devinrent silencieux. Au cours des années de taquineries, Orsus n’avait jamais vraiment osé.

Il estima le poids dans sa tête, jaugea la balance, repéra où mettre ses mains. Il prit une inspiration, s’accroupit pour mette ses mains en dessous, et le souleva. L’arbre s’éleva, des copeaux de bois et des aiguilles de pin tombant en cascade alors que le tronc de six mètres s’envolait dans les airs. Il marcha prudemment, délibérément, en serrant les dents sous l’effort, s’efforçant de tenir bon, jusque ce qu’il laisse finalement tomber l’arbre, sans un mot, sur le tas avec les autres. Il le fixa, surpris même de lui-même, et retourna à sa hache.

« Oublie la bratya », déclara Aleksei. « Un homme comme toi devrait-être un chef de guerre. »

« Plus de combats », déclara Orsus.

« Mais pourquoi ? »

« Parce qu’elle ne veut pas que je le fasse. Et je ne le ferai plus jamais. »

* * *
Simonyev Blaustavya, grand vizir de Khador et premier conseiller de la Reine Ayn Vanar XI, s’agenouilla devant son trône, inclinant la tête devant la jeune souveraine. Il avait servi la famille royale pendant une grande partie de sa vie, y compris en tant que seigneur régent durant la minortié d’Ayn. La nouvelle reine – aussi inexpérimenté soit-elle, était comme une fille pour lui. Elle méritait tout de même le respect que ses ancêtres avaient, et encore plus de la même protection.

« Quarante Gardes des Glaces derrière le prisonnier », dit Simonyev » et six de nos vétérans Man-O-War pour l’entourer directement. Ils tiendront les chaînes. Nous aurons dix Crocs d’Acier en rang devant vous, ici, armée de piques pour l’empêcher de s’approcher trop près … »

« Amure Man-O-War », dit la reine, « dans la salle du trône du palais ? » Sa voix était douce, mais Simonyev crut entendre – comme il le faisait souvent ces derniers temps – un courant plus profond d’indépendance dans sa voix. Cela aurait été un signe de bienvenu chez un dirigeant plus expérimenté, mais chez une dirigeante jeune et inexpérimentée …

Non, se dit-il, je ne dois pas avoir de telles pensées. Elle est inexpérimentée, mais elle est plus prête à assumer des responsabilités. Ce n’est plus une jeune fille, mais une reine. Je l’ai formée pour cela pendant des années.

« L’armure Man-O-War est en effet non conventionnelle dans le palais, Votre Majesté et risque d’endommager le carrelage en mosaïque que votre grand-père a installé ici. Cependant, votre vie est d’une primordiale importance, et si nous devons écraser des œuvres inestimables pour vous protéger, nous écraserons des œuvres d’art inestimables. À moins que vous n’ayez reconsidéré ma suggestion de mener cet entretien depuis le balcon, le prisonnier étant attaché en toute sécurité dans la cour ? »

« Je vais m’adresser au prisonnier ici, comme je le fais avec tous les kommandeurs accusés de trahisons. C’est mon devoir, n’est-ce pas ? »

« Votre devoir exige seulement que vous vous adressiez à eux. S’adresser à eux dans la salle du trône est simplement une tradition. »

« Mais les traditions sont importantes. Je vous ai entendu le dire vous-même à plusieurs à plusieurs reprises. Nous avons une salle du trône remplie d’œuvres d’art, à la fois commandées et conquises, car elle impressionne nos visiteurs sur la richesse et la puissance de notre nation. Sûrement un warcaster formé et devenu un traître à la Mère Patrie devrait se voir rappeler ces qualités encore plus fortement que le visiteur commun.

Simonyev garda une face sereine, mais à l’intérieur, sa fierté luttait contre ses nerfs. Elle faisait montre de toute la force de caractère qu’il avait espéré voir en elle, mais cela pouvait la tuer. « C’est sage, Votre Majesté », répondit-il en s’inclinant », mais si vous voulez bien pardonner mon échec, peut-être ne vous ai-je pas complètement expliqué la nature du prisonnier auquel vous vous adresser aujourd’hui. C’est un monstre. »

« Tous les traîtres le sont. »

« Dans leurs âmes, peut-être. Cet homme est un monstre dans sa forme physique, sans âme à proprement parlé. Il mesure une tête de plus que votre plus grand garde. Sa poitrine est aussi que celle d’un ours, et ses bras et ses jambes aussi épais que des troncs d’arbres. Il est attaché avec les mêmes lourdes chaînes que les dockers employer pour soulever les warjacks sur les cargos – rien de moins ne le retiendra, et rien de moins qu’un Man-O-War ne peut tenir ces chaînes. Je vous assure, Votre Majesté, que les Man-O-War ne sont pas une force excessive, ils sont un strict minimum rendu nécessaire par la taille de cette porte. Il désigna l’entrée voûtée en pierre de la salle du trône. « Si nous étions ailleurs, si vous nous permettiez de tenir ce jugement dans n’importe quel autre lieu, je le ferais encadrer par des Juggernauts au minimum. »

La jeune reine réfléchit à cela, penchant la tête d’une manière qui rappelait celle de son défunt père. Il aurait entendu raison, pensa Simonyev. Morrow, sauve-nous des enfants entêtés.

« Mon grand-père a aussi commandé de nombreux tapis et tapisseries », dit la reine. « Posez-les sur le sol, autant de couche que vous pouvez les empiler, et les laissez les Man-O-War marcher dessus ». Elle sourit. « Naturellement, vous allez d’abord nettoyer leurs pieds. »

Simonyev s’inclina, un geste lui permettant de fermer les yeux en signe de frustration silencieuse. « Si vous le souhaitez, Votre Majesté. »

Il commença à calculer combien de tapis il pourrait rassembler et combien de couche il pourrait poser s’il étirait un chemin depuis la salle du trône à la porte. Il pourrait y arriver, et cela pourrait même aider à préserver le sol mais certainement au détriment de tout les tapis entrant en contact direct avec la bande de roulement métallique des Man-O-War, nettoyé ou non. Et si le prisonnier tentait de s’évader ou – que Morrow l’empêche – d’agresser la reine, le sol serait tout de même ruiné et les tapis détruit par-dessus le marché.

« Nous n’avons pas encore abordé le plus grand danger », dit-il, « qui est sa compétence arcanique. Même s’il ne bouge pas, même s’il ne lève pas le petit doigt, il peut vous tuer par la pensée. »

« Il portera des chaînes imprégnées de puissance mystique, spécialement conçues pour annuler son lien avec la magie », dit Ayn « Du moins, je le suppose. Nous ne négligerons sûrement pas cet aspect de notre sécurité ».

Simonyev se permit un soupir silencieux et invisible. Bien sûr qu’elle se souvenait des chaînes. Il lui avait appris. « Bien sûr qu’il le fera, Votre Majesté. Il sera aussi incapable de pratiquer la magie que nous pourrons le faire. Cependant … si vous me permettez la question, Votre Majesté : pourquoi est-ce si important pour vous ? »

« C’est mon devoir, comme nous en avons déjà discuté, et c’est le meilleur endroit pour accomplir ce devoir ».

« Le meilleur à certains égards », déclara Simonyev, « et le pire à bien d’autres. Cet homme représente un danger trop réel pour vous, et nous ne pourrons pas vous protéger correctement à l’intérieur de votre salle du trône. Six Man-O-War juste pour tenir ses chaînes – avez-vous vraiment réfléchi à ce que cela signifie ? Six Man-O-War pour retenir un seul prisonnier. Dix piquiers Crocs d’Acier armés d’armes conçues pour abattre des warjacks lourds. Quarante Gardes des Glaces, non pas comme une garde d’honneur mais comme une véritable force de combat, dirigée par nos meilleurs kommandeurs, avec l’ordre de lui tirer dans le dos s’il se contracte. Nous aurons des tireurs embusqués Faiseurs de Veuve dans les galeries au-dessus de vous, nous aurons des soldats avec de lourds boucliers de fer de chaque côté de vous prêts à vous protéger du combat pendant que vos gardes du corps personnels vous escorterons par la porte de derrière. Le traître sera désarmé ; sans armure, et retenus avec des chaînes arcaniques, et encore ce matin, j’ai ordonné à dix autres Gardes des Glaces de marcher devant lui, uniquement comme obstacle pour le ralentir s’il essaie de se précipiter sur le trône. Et c’est la partie la plus importante : même tout ça, je ne suis pas sûr que ce soit suffisant. »

« Je devrais juger pour trahison simplement pour avoir permis de vivre cela, car c’est la solution la plus dangereuse à laquelle vous ayez jamais été – et j’espère sincèrement que vous serez jamais confrontée – dans votre vie. Une dernière fois, ma reine, je vous en supplie : adressez lui votre jugement depuis votre balcon, afin qu’il puisse rester dans la cour, enchaîné et mis en cage et surveillé par des warjacks. Il n’est pas simplement dangereux, il est le danger personnifié. Il est la mort et la violence incarnée sous la forme humaine la plus terrifiante. C’est un avatar de la guerre. »

La reine parut y réfléchir, ou peut-être ne sut-elle pas quoi répondre. Simonyev ne put le dire. Après une longue pause, elle s’exprima doucement mais pas, nota-t-il, avec contrition. « Parlez-moi encore de ses crimes. »

« Il a massacré votre peuple, Votre Majesté : un village entier et tous les soldats ayant tenté de le défendre. Certains d’entre eux sous son propre commandement. »

« La Cinquième Légion Frontalière », dit la reine.

Simonyev hocha la tête. « C’était le village de Deshevek, Votre Majesté, proche de Porte du Sanglier à la frontière ordique. Il y a des centaines de morts, dont la moitié par la propre main de cet homme. »

« Et c’étaient aussi des traîtres, n’est-ce pas ? Votre rapport mentionna des preuves qu’ils prévoyaient de faire sécession et rejoindre l’autorité ordique.

Il y a en effet de preuves de cela, Votre Majesté, mais cela ne justifie pas un massacre. On aurait dû leur donner la chance de se justifier, d’avouer ou de réfuter l’accusation. Un bon serviteur de Khador leur aurait offert un procès, pas un meurtre gratuit. »

La reine sourit – ce sourire sournois et exaspérant que son grand-père avait l’habitude d’afficher – et Simonyev réalisa trop tard qu’il avait été piégé
.
« Si les traites méritent un procès », dit-elle, « alors ce traître en aura un. Étendez vos tapis, disposez vos soldats, et amenez-moi cet homme. Je le jugerai comme la tradition et le devoir l’exigent. Si un kommandant à trahi le Khador, alors il m’a trahi, et je serai celui qui le condamnera. »

Simonyev hocha la tête, plus déterminé que jamais à ce que le prisonnier ne pose pas le bout d’un doigt sur la reine. Elle était encore plus déterminée qu’il ne le pensait, une digne héritière du royaume. Plus de tireurs embusqués, peut-être, pensa-t-il, et un autre Man-O-War pour se tenir à ses côtés avec un énorme bouclier-canon. Personne ne pourrait passer au travers, pas même le puissant Orsus Zoktavir.

Et puis il s’arrêta, juste un instant, et se sentit pâlir. Il s’appelait Orsus Zoktavir, pensa-t-il, mais plus maintenant. Après le massacre de Porte du Sanglier, l’homme avait eu un nouveau nom, un nom chuchoté dans les couloirs et les ruelles, qui faisait froid dans le dos en Ord et en Khador. Il n’est plus un kommandeur, plus un soldat, plus un homme.

Il est un Boucher.

* * *

elric:
Pyotr Zoktavir claqua la porte, la soutenant avec son corps tandis qu’il cherchait à tâtons la lourde barre de bois pour la verrouiller.

« Les tharns sont là ! »

La mère d’Orsus, Agnieska, cria de terreur, serrant ses enfants contre elle. Normalement, Orsus – dix ans et trop grand pour un tel dorlotement – aurait essayé de s’éloigner, mais il était maintenant trop effrayé, reflétant instinctivement a terreur de ses parents. Il connaissait les tharn à travers des histoires, de redoutables barbares vénérant le Ver Dévoreur. Tous les adultes du village semblaient avoir peur d’eux, mais il ne les avait jamais vu en personne auparavant, n’avait jamais vraiment imaginé qu’ils puissent être réels. Les tharn n’étaient que des histoires à dormir debout, des croque-mitaines pour obliger sa petite sœur à manger son porridge, et pourtant, son père, le plus grand homme du village, était là, blanc comme neige, à claquer le verrou et à se précipiter vers la trappe de la vieille cave en passant devant sa mère et sa sœur.

« Mais les rats, papa », dit Orsus.

Un nid de rats avait envahi la cave familiale l’année précédente – des créatures géantes et vicieuses dévorant leur nourriture et s’installaient et résistaient à toutes les tentatives d’éradication. Cela leur avait coûté près d’un an de réserve, et forcé Pyotr à s’endetter auprès d’Aleksei Badian, et il y a des moins, ils avaient scellé la trappe et abandonné. Pourtant, maintenant, il faisait levier sur les planches, luttant contre les clous, désespéré de l’ouvrir.

La prise de conscience se fit jour dans les yeux de la petite Irina, et la sœur d’Orsus hurla d’horreur. « On ne peut pas se cacher avec les rats papa, tu ne peux pas nous forcer à le faire. »

la mère d’Orsus s’efforça de couvrir la bouche de la fillette, lui chuchotant : « S’il te plaît mon bébé, s’il te plaît ; ça ira, nous te protégerons des rats, mais tu dois te taire ; s’il te plaît, Irina, reste tranquille pour maman … » Elle poursuivit son tendre mantra terrifiée, et Orsus réalisa avec choc que c’était réel, que les tharn étaient vraiment là, que les tharn étaient vraiment là, et que ses parents avaient tellement peur d’eux qu’ils considéraient les rats – autrefois les plus grands monstres de la jeune vie d’Orsus – comme un refuge plutôt que comme une menace.

Il s’éloigna de sa mère et s’agenouilla près de la trappe de la cave, aidant son père à soulever les planches de couvertures. Il entendit un cri venant de quelque part à l’extérieur – un long et glaçant cri de peur débridée, et sa mère roucoula plus fort vers Irina, la serrant contre elle, caressant ses cheveux, leurs yeux fermer hermétiquement. Pyotr releva une planche, Orsus une autre. Il en restait trois. Ils entendirent un autre cri, et par-dessous le bruit sourd plus profond des sabots sur la route dehors – non, pas des sabots, mais quelque chose de différents et d’étranger. Une cadence inconnue donnant la chair de poule à Orsus. Il frissonna et arracha les planches.

Un autre cri, plus proche.

L’odeur de la fumée.

Un rugissement guttural, inhumain.

« C’est fait », grogna Pyotr, arrachant la dernière planche de la trappe de la cave. Il l’a fi pivoter pour l’ouvrir. Orsus recula aux sons précipités en bas. La trappe était comme une fenêtre noire sur le néant ; Orsus pouvait voir les premiers échelons de leur ancienne échelle en bois, puis tout le reste était perdu dans le vide. Pyotr pris Irina, la serrant contre lui pendant qu’Agnieska descendait dans le trou. « Reste sur l’échelle si tu peux », murmura-t-il. « Les rats ne vont pas l’escalader … Je ne pense pas. »

Plus de bruits de sabots dehors. La porte trembla contre le chambranle, mais Orsus ne put dire si quelqu’un frappait dessus ou si c’était simplement le vent. Pyotr lui jeta un coup d’oeil dramatique, puis fit descendre Irina dans le trou. Ses gémissements s’amplifièrent, et Orsus entendit les rats lui répondre. Agnieska attrapa la fille, l’étouffant pratiquement pour la faire taire, et bien qu’Orsus puisse à peine les voir dans l’obscurité, il pouvait entendre sa mère sangloter. Il commença à fermer la trappe, mais son père l’attrapa et secoua la tête.

« Toi aussi. »

« Mais je sais me battre. »

« Tu es un enfant. »

« Mais je suis grand. » Bien que ce soit techniquement vrai, il se sentait petit et puéril de l’avoir dit, comme s’il se vantait d’avoir été propre au lieu de se vanter de sa taille physique sans précédent. Même à dix ans, il était plus grand que la moitié des jeunes des hommes de sa ville. Il y a deux jours à peine, il avait immobilisé Gendy Rabin. « Gendy se battra », déclara-t-il.
« Gendyarev a seize ans. »

« Et je suis presque aussi grand ! »

Pyotr posa une main sur l’épaule d’Orsus. Les cris étaient plus forts maintenant, certains humains, d’autres sinistrement, indéfiniment différents. Les cris humains semblaient douloureux, effrayés, ou les deux. « Écoute-moi », dit Pyotr. « Tu es mon fils, et je suis fier de toi, et je n’ai jamais douté de toi, et quand tu as dit que tu pouvais faire quelque chose, je l’ai laissé essayer, à chaque fois. Parfois, tu avais raison, et parfois tu te faisais mal, mais c’est comme ça qu’on apprend. » Il secoua la tête. « Ce n’est pas quelque chose dont tu pourras tirer un enseignement – soit tu réussis, soit tu meurt. J’ai besoin que tu vives, et que tu prennes soin de ta mère et de ta sœur. Tu me comprends ? »

« Les yeux d’Orsus s’écarquillèrent et il sentit sa lèvre commencer à frémir. « Tu ne viens pas avec nous ? »

Pyotr respira profondément, fixant solennellement son regard au lieu de répondre. « J’ai besoin que tu veilles sur eux », dit-il enfin. « Tu m’entends ? Tu me comprends ? »

La voix d’Orsus se brisa. « Est-ce que ça va aller ? »

La porte claqua à nouveau, plus fort, et Pyotr jura dans sa barbe. « Je t’aime », dit-il doucement, en soulevant pratiquement Orsus pour le repousser dans le trou et le ferre descendre par la sombre échelle. « Je t’aime ». Il ferma la trappe, et Orsus entendit un grincement sourd au-dessus alors que son père traînait quelque chose lourd sur le sol afin de couvrir la trappe. Irina pleurait toujours, leur mère luttant pour la faire taire. En dessous d’eux, les rats se déplaçaient avidement.

Il y eut du fracas dans la pièce du dessus, et Orsus entendit son père hurler un défi. D’autres vois lui répondirent, aiguës et sibilantes, puis il y eut plus de fracas, plus de cris, plus de bruits sourds, plus de craquements et de hurlements. Orsus se recroquevilla dans l’obscurité, s’accrochant à l’échelle, sentant les réverbérations sourdes des impacts se répercutant sur le bois dans sa main. Il imaginait son père se faire découper en morceaux par les tharn ou déchiqueter par les monstres qui les accompagnaient, et il savait qu’il devrait aider, mais il avait trop peur – trop peur même de bouger – alors il s’accrocha à l’échelle et pria pour qu’ils partent, et se détesta d’y penser. Le monde bascula, sa vision disparut, et les bruits cessèrent d’avoir un sens.

Puis les bruits s’arrêtèrent.

Orsus écouta, tendant l’oreille pour entendre quelque chose, n’importe quoi, de la pièce au-dessus de lui. Il n’était pas devenu sourd ; il pouvait entendre les doux sanglots de sa mère sous lui, et les rats pépiant sous elle. Au-dessus de lui, cependant, il n’y avait rien ; pas de combat, pas de cris, pas même un pas. Il attendit, retenant son souffle.

Son père avait-il gagné ? Alors où était-il ? Le combat s’était-il déplacé ? Si les tharn avaient gagné, où étaient-ils ? Il avait envie demander l’avis de sa mère, mais elle était en dessous de lui ; elle avait moins entendu que lui, et expliquer la situation pourrait alerter les ennemis de leur présence. De plus son père l’avait laissé aux commandes. S’il était mort, alors Orsus était désormais l’homme de la maison. Il pourrait prendre cette décision tout seul. Il avait la responsabilité de le faire.

Alors il attendit.

Un léger soupir qui aurait pu être du vent, ou un cri lointain. Il ne pouvait évaluer le volume ou la distance de quoi que ce soit à travers l’épaisse trappe en bois. Un long moment de silence. Un craquement qui aurait pu provenir de l’étage, ou qui aurait pu être son propre poids sur l’échelle. Une autre période de rien.

Rien et rien et rien

Bruit sourd.

Ce n’était pas fort, mais c’était là. Au-dessus de lui, pas directement, mais certainement quelque part dans leur chaumière. Un pas, mais Orsus ne savait pas quel genre.
Était-ce son père ? Mais pourquoi son père marcherait-il si doucement ? Peut-être avait-il tué le premier groupe de tharn et avait-il peur d’en attirer d’autres. Orsus voulait lui demander s’il était sûr de sortir, mais et si ce n’était pas lui, Et si c’était un tharn, ayant tué son père et fouillant la chaumière à la recherche de butin, de nourriture ou d’esclaves ? Il devrait rester jusqu’à que le pillard parte … à moins que les pillards soient déjà partis et que ce soit un sauveteur du village – Gendyarev ou son père, ou un des hommes de l’équipe de bûcherons d’Aleksei. Mais un sauveteur aurait appelé les survivants. Si c’était quelqu’un du village, et qu’il se taisait, c’était parce qu’il se cachait. Peut-être que les tharn les chassaient – si Orsus les laissait entrer, cela pourrait leur sauver la vie. Ou cela pourrait les exposer tous, et sa mère et sa sœur mourraient. Il ne savait pas quoi faire.

Quelque chose racla bruyamment le sol.

Orsus leva les yeux. Son père avait dissimulé la trappe avec quelque chose, probablement leur épais tapis de laine, puis peut-être un pied de leur table, ou le lourd coffre en bois de sa mère. Maintenant, quelqu’un le déplaçait. Son père ? Ou un pillard tharn à la recherche de quelque chose de bon à voler ?

Qui que ce soit, il n’avait rien dit. Orsus se prépara à bondir vers le haut. Sa seule arme utile était la surprise. Le tapis de laine s’éloigna et des faibles lignes de lumières orange dessinèrent la forme carrée de la trappe dans le sol. Orsus cligna des yeux à cause de la luminosité et se demanda comment il pourrait combattre l’intrus en étant aveugle. La trappe bougea légèrement, puis s’ouvrit à la volée. Orsus hurla, mais ce fut la seule attaque qu’il fit, moitié cri de guerre, moitié terreur. La lumière l’inonda et l’aveugla, et avec elle l’odeur de la fumée, de la fourrure et du sang. Il continua à crier, les yeux fermés, et lorsqu’une paire de main se tendit pour l’extraire du trou, il s’agita sauvagement, frappant les bras, la poitrine et les jambes de quelqu’un sans aucun effet apparent. La silhouette le jeta sur le côté avec les mêmes paroles étranges et sibilantes qu’ils avaient entendus plus tôt, et Orsus sentit son sang se glacer : c’était un tharn. Dans sa propre maison. Il devait faire quelque chose.

Il s’attendait à entendre sa mère crier, ou Irina, mais elles restèrent silencieuses. Orsus roula lorsqu’il toucha le sol, se heurtant à un mur et luttant douloureusement pour ouvrir les yeux. La pièce était lumineuse, toujours orange, et, il s’en redit compte trop tard, en feu. Les craquements et les claquements qu’il avait entendus étaient les murs en bois de la chaumière qui crépitaient et éclataient alors que les flammes les dévoraient avec de longues langues orange. Il força ses yeux à s’ouvrir davantage et vit deux corps, l’un d’eux velu et bestial, moitié homme et moitié … quelque chose. Loup, peut-être, ou bœuf, ou une combinaison des deux. L’autre corps, plus petit et d’un jaune maladif à la lueur vacillante des flammes, était son père. Les deux cadavres gisaient dans une mare de sang partagé, leurs vêtements déchiquetés, leurs corps trop brisés pour être autre chose que morts. Orsus entendit des bruits de pas, des piétinements et d’autres mots dénués de sens. Finalement, il ouvrit suffisamment les yeux pour voir le tharn l’ayant extrait de la cave. Un seul, grand et hargneux avec une crinière de fourrure autour de son presque humain visage. La créature retira un tison brûlant du mur et le laissa tomber dans la cave, observant pour voir quels trésors il révélait. Orsus ne put comprendre les paroles, mais le regard de dégoût sur le visage du pillard était évident. La chose se détourna du trou et commença à fouiller dans les autres objets de la maison, cherchant quelque chose à voler dans l’humble chaumière pour que son pillage en vaille la peine.

Orsus se précipita jusqu’au bord de la cave et baissa les yeux. Les rats s’étaient dispersés dans les coins, loin de la lumière, et sa mère était toujours assise sur l’échelle, serrant toujours le corps mou d’Irina, se balançant d’avant en arrière, et sanglotant et sanglotant, sa main serrée contre la bouche de la petite fille. « Maman ? » Demanda Orsus. Elle ne répondit pas. Irina ne bougeait pas et il se demanda si elle respirait même.

Le tharn s’exprima à nouveau bruyamment, et Orsus leva les yeux pour voir le monstre se pencher sur lui avec un regard indubitablement furieux. Il cria une série de mots absurdes et impatients et finalement retroussa les lèvres dans une grotesque imitation de la parole humaine.

« Mangez », dit-il. « Nous mangez. Où ? »

Orsus sentit sa peur se transformer en colère – que cette chose vienne ici, dans la maison la plus pauvre du village, et tue son père pour de la nourriture qu’ils n’avaient pas. Sa sœur était-elle aussi ? Qu’était-il arrivé à sa mère ? La chose continuait à bégayer ses demandes, et Orsus savait qu’il devait l’attaquer, qui devait essayer de défendre son foyer, qu’il devait essayer de venger son père, mais il ne pouvait pas le faire. Il rampa en arrière sur le sol, essayant simplement de s’éloigner le plus possible de l’imposant monstre, espérant qu’il pourrait se cacher, s’échapper ou disparaître.

Un autre tharn cria à travers la porte ouverte, quelque chose de rude et d’urgent. Le pillard dans la maison d’Orsus leva les yeux, répondit tout aussi rudement et grogna. Il n’avait pas trouvé ce qu’il voulait, pensa Orsus, et maintenant il est temps de partir. Orsus eut juste le temps de penser, C’est bon, on y est ; il va partir maintenant quand tout à coup le tharn sorti un poignard dentelé de sa ceinture, s’avança vers lui impassible et le poignarda dans l’estomac. Aucune émotion familière n’apparut sur le visage de la chose ; elle se baissa simplement, plongea le couteau dans son estomac et s’en alla. Orsus se mit à pleurer de façon incontrôlable, sentant sa vie s’écouler en giclées liquides et chaudes sur ses mains.

C’est la fin, pensa-t-il. Nous sommes tous morts. Nous n’avons plus rien. Il se mit en boule, allongé sur le sol, regardant le tharn retourner vers la porte et sortit dans la neige …

… sauf qu’il ne franchit pas la porte et Orsus se souvint de la sombre rumeur qu’il avait entendue à propos des tharn : s’ils ne pouvaient pas voler la nourriture des humains, ils étaient tout aussi heureux de manger les humains. Orsus regarda avec une horreur naissante le monstre affamé se tenir au-dessus de la trappe de la cave, sortir une autre dague de sa ceinture et la jeter dans le trou. La mère d’Orsus cria, son corps tomba bruyamment sur le sol, et les piaillements des rats s’éleva comme un rire rauque.

Orsus sentit sa mâchoire trembler. Sa douleur se transforma en colère, en rage puis en fureur débridée. Le tuer est une chose, mais sa mère ? Une innocente fillette au fond du gouffre ? Il retira la dague de son estomac avec un grognement. Le tharn s’agenouilla, retirant un sac en cuir vide de son dos, et déballa deux minces couteaux à découper. Orsus serra les dents et se mit à genoux. Le tharn sortit Agnieska de la cave, pour sauver son repas des rats, et la jeta à côté du sac. Orsus attrapa le bord de la table et se remit debout, centimètre par centimètre agonisant. Du sang s’écoulait de la blessure à l’estomac, s’écrasant sur ses bottes et laissant des empreintes de pas rouge foncé alors qu’il titubait sur le sol. À la dernière seconde, peut-être alerté par le bruit, le tharn se retourna. Orsus vit le choc dans ses yeux alors que la victime qu’il croyait mourante levait sa propre arme contre elle, plongeant l’arme vers son coeur immonde. La créature attrapa son poignet, mais sa poigne faiblissait déjà, et la fureur d’Orsus le faisait se sentir plus fort à chaque seconde. Il libéra la dague et l’enfonça dans la gorge de la créature, la tranchant d’une oreille à l’autre. Il chuta en tas sur le sol, le sang chaud se répandant pour se mêler à celui de ses parents.

Orsus entendit une voix et leva les yeux pour remarquer un autre tharn dans l’embrasure de la porte, le fixant avec que l’esprit d’Orsus, en perte de vitesse, ne pouvait interpréter que comme de la surprise. Derrière la créature, il pouvait en voir d’autres, chargés des sacs de leur pillage, rassemblés autour d’un monstrueux chef de clan. D’autres chaumières brûlaient également. Les bêtes grognaient entre elle et regardaient anxieusement la route.

« Il en a tué trois », s’étouffa Orsus, une main brandissant la dague volée et l’autre serrée contre le trou dans son ventre. « J’aurais deux autres d’entre vous pour payer sa dette. »

Le tharn leva sa hache, mais le chef de clan l’arrêta d’un soudain aboiement. Le tharn grogna contre Orsus, puis se retourna et s’élança à la suite de ses congénères qui couraient vers les arbres. En un instant, ils avaient disparu, telle des ombres dans l’obscurité.

Orsus s’effondra sur ses genoux, seul dans les ruines brûlantes, regardant d’un air hébété l’embrasure de porte vide. Il voulait se coucher, tout oublier et mourir. Il agrippa sa blessure qui saignait encore d’une main, la main de sa mère de l’autre, et le monde devint sombre et silencieux. Il faisait froid, il le savait, mais il ne le ressentait pas. Il ne voulait plus jamais rien ressentir.

La dernière chose qu’il vit, c’étaient les hommes du village, armés de haches et de fusils, essayant de l’extraire des décombres en feu. Dans sa folie, il en poignarda un avec la dague en os du tharn alors qu’ils l’éloignaient de sa mère.

* * *
Aleksei Badian inspecta la foire du village d’un œil désintéressé. « Rien que de la camelote ici », dit-il avec un soupir. « Si les gens voulaient vraiment ces bibelots sans valeurs, ils les vendraient plus d’une fois par an à la fête des récoltes. »

« Probablement de la bonne nourriture, cependant », déclara Orsus. Il renifla. « Je peux sentir la viande rôtie, et au moins un de ces stands a des tourtes chaudes. »

Aleksei lui lança une pièce, et Orsus l’attrapa adroitement. Il n’avait que quinze ans, mais il était le plus grand des hommes de l’équipe d’Aleksei et l’un de ses agents les fiables. « Apporte-moi une toute alors. De l’agneau s’ils en ont. Si tu reviens avec une pomme, je te coupe les mains. »

Orsus regarda la pièce, beaucoup trop pour une seule tourte. « Qu’est-ce que tu veux, la plus chère ? »

« Je veux des employés heureux », déclara Aleksei en souriant. « Apporte-moi une tourte, et ensuite … peu importe. » Il lorgna. « Achète toit quelque chose de joli. »

Orsus haussa les épaules et se déplaça dans la foule. Aleksei était rarement aussi généreux avec son argent, mais ils avaient fait une balade rentable la nuit dernière et il était de bonne humeur. Quelqu’un avait essayé d’expédier des marchandises à travers la vallée sans payer les péages au kayazy, et les bratya d’Aleksei avait offert un message sans équivoque, à leur caravane endormie, que ce la ne devrait plus se reproduire. Orsus l’avait particulièrement impressionné en renversant un chariot entier, tout seul, déversant la cargaison et brisant les roues et les essieux contre les rochers sur le bord de la route. Ils avaient même emporté quelques trophées – juste l’argent et quelques matières premières, rien de traçable – et donc Aleksei était d’humeur à les récompenser. Orsus pour son patron une tourte à l’agneau fraîchement sortie d’un four noir trapu et brûlant, et fit tinter l’abondante monnaie dans son poing, se demandant comment la dépenser.

Il pensa à sa propre tourte ou à un gros gâteau brun plein de raisins secs et de noix, mais Orsus était orphelin depuis cinq ans, économisant chaque centime ; il était trop prudent avec son argent pour le gaspiller dans un tel luxe. Une brochette de viande serait plus utile, mais pas encore plus économique. Il erra dans la foire, se frayant un chemin à travers la foule, cherchant dans les étals de nouvelles couvertures ou de la vaisselle ou quelque chose dont il avait vraiment besoin, puis il la vit.

Le centre de la foire était une place ouverte avec un large plancher en bois, parfait pour les traditionnelles danses paysannes préférées des villages de montagne. Ce plancher était maintenant rempli de couples tourbillonnants et swinguant et d’un trio de musicien avec leurs instruments : un violon, un accordéon et un tambourin. Ils jouaient la kareyshka, et une foule s’était rassemblée pour les regarder. Près d’eux, frappant des pieds et riant, se trouvait la plus belle fille qu’Orsus ait jamais vue. Ses cheveux étaient bruns, roux et dorés par la lumière du soleil, telle une forêt en automne, et ses yeux s’illuminaient d’un éclat et d’une joie lui donnant envie de le voir de plus près. Il la fixait, captivé, et dans un soudain accès de folie, il se dirigea vers un étal de fleur et claqua son argent en désignant une couronne de camomille.

« Cette couronne, et vite ».

« Je viens de l’acheter », dit un autre jeune homme, en tapant sur la pièce qu’il avait posée sur la table – légèrement en dessous, remarqua Orsus, sa propre pièce. Orsus la fit glisser, de sorte que son propre argent tinta sur la table en bois, et rendit la pièce à l’homme.

« Je pense que vous sous trompez ».

Le jeune homme haussa un sourcil, ses lèvres se tordant en un ricanement de colère. « Tu penses que c’est juste parce que tu es grand que tu peux débarquer ici et obtenir ce que tu veux ? »

« Oui ».

Le jeune homme hésita, fixant les épais muscles de bûcheron d’Orsus, mais sembla ravaler sa peur. Il remit son argent sur la table du fleuriste. Orsus sentit la rage grandir en lui, comme elle l’avait fait cette nuit-là lors du raid, comme toujours quand quelqu’un menaçait quelque chose lui appartenant ; il voulut pousser l’homme au sol, lui écraser les mains, lui briser les bras et piétiner sa poitrine jusqu’à ce que ses côtes se brisent en éclats et que ses tripes coulent comme de la gelée. Le monde devint rouge. Il entendit le grognement d’un énorme loup des montagnes, et l’arrogant jeune rival marmonna quelque chose à propos de marguerites et s’enfuit dans la foule, le visage pâle et en sueur. Orsus le poursuivit presque – son pied déjà en mouvement – mais il s’arrêta. L’ennemi était parti.

À quoi je pensais ? Se demanda-t-il, sentant la colère s’évanouir ? Qu’aurait-elle dit si j’avais commencé une bagarre ici ? Ma mère détestait quand je me battais. Peut-être que cette fille est pareille ?

Il prit la couronne de camomille et la retrouva dans la foule, tapant toujours des mains au son de la musique. Les autres garçons du village offraient souvent des cadeaux et des fleurs à leurs copines, mais Orsus n’en avait jamais eu une à qui offrir des choses. Pour ce qu’il en savait, cette fille avait déjà un amoureux, mais en la revoyant, il réalisa qu’il s’en fichait. Il se faufila vers elle à travers la foule, et quand il l’atteignit, il lui tendit la couronne, simplement et silencieusement, trop boulversé pour dire quelque chose.

Elle le regarda et le monde sourit. « C’est pour moi ? »

« Oui », dit-il maladroitement et il déglutit à nouveau. Il s’éclaircit la gorge. « Je m’appelle Orsus. »
« Je m’appelle Lola », répondit la fille. Elle prit la couronne, effleurant son doigt avec le sien, et posa les fleurs sur sa tête en riant. « De quoi ai-je l’air ? »

« D’une reine. »

Lola sourit à nouveau, penchant la tête sur le côté en le considérant. « Orsus », dit-elle enfin en lui tendant la main. « Voudrais-tu danser ? »

elric:
PARTIE DEUX
« Nous ne savons pas d’où il vient », déclare le Kovnik Harch. « Il est juste entré dans Korsk avec ces deux antiquités et commencé à effrayer les citoyens. Nous ne savions pas où l’amener. »

Le Kovnik Polten acquiesça, jetant un coup d’oeil dans la cour où l’invité – qui n’est pas exactement un prisonnier, car il n’avait encore rien fait d’illégal – se tenait à l’ombre de deux vieux steamjacks : un Arkus cabossé, précurseur du Kodiak, dont les deux poings métalliques géants semblaient avoir vu plus que leur part de bataille, et l’autre encore plus ancien, un laborjack à première vue. Il pouvait comprendre pourquoi les gens dans la rue avaient été effrayés – l’homme était aussi grand qu’un ours et habillé comme tel. La hache qu’il brandissait semblait plus lourde que la moitié des nouvelles recrues exécutant des exercices sur le terrain au-delà. « Vous avez bien fait de me l’amener » dit Polten. « Tous les hommes avec un ‘jack ne sont pas une menace pour la population, mais celui-ci ne ressemble pas à tout le monde ».

« Merci, monsieur. » L’officier Harch se redressa et salua, faisant claquer ses talons avec une admirable précision. Polten sourit à nouveau à la fidélité militaire de l’homme et lui fit signe de le suivre alors qu’il commençait à se déplacer lentement hors de son bureau, à travers le champ vers l’étranger. La journée était chaude et Polten appréciait la sensation du soleil sur ses épaules. Le froid leur faisait mal, mais il était fier que les douleurs viennent autant de vieilles blessures que de l’âge. Un soldat mort est un homme ayant fait son devoir, disait son vieux kommandeur, mais un soldat blessé est un homme ayant fait son devoir assez intelligemment pour ne pas se faire tuer. La bataille est une violence, mais la guerre est une violence appliquée avec intelligence. Polten avait suffisamment combattu pour accumuler un impressionnant ensemble de cicatrices et fait suffisamment la guerre pour que, lorsque la première l’ayant finalement rattrapé, il se retrouve à Korsk, à former de nouveaux soldats et à gérer le flux des vastes ressources du royaume en temps de guerre.
Heh, pensa-t-il « des ressources en temps de guerre ». Comme s’il en existait d’autres.

« Où l’avez-vous trouvé ? » Demanda Polten alors qu’ils traversaient péniblement le champ.

« Nos gardes l’ont repéré dans les faubourgs de la ville bien avant qu’il ne soit assez proche pour faire du mal », déclara Harch, « mais comme il n’était pas en état d’ébriété ou violent, ils l’ont laissé passer. Il avait l’air d’un bûcheron ou d’un trappeur, mais il était curieux. Ce n’est que lorsqu’il a atteint le marché de la Place des Héros que les citoyens ont commencé à se plaindre. Personne ne voulait l’approcher, comme vous pouvez l’imaginer, et les fermiers ont dit que leurs affaires étaient ruinées. »

« Ne jamais menacer l’argent d’un homme », dit Polten, avec juste une pointe d’aigreur dans la voix. Il n’en voulait à personne de gagner sa vie, mais il en avait marre d’en entendre parler.  « Vous l’avez approché et lui avez demandé de partir ? »

« On a d’abord demandé ce qu’il faisait. Il a dit qu’il explorait, mais il n’avait pas l’air de le penser dans le sens de « chercher des bonnes affaires sur le marché », si vous voyez ce que je veux dire. Son accent le situe dans les profondeurs de la forêt, et il n’est certainement jamais allé à Kosk auparavant. Je peux presque croire, à la façon dit regarde les choses, qu’il n’en a jamais entendu parler. Il prétend qu’il est khadoréen, mais il ne semble pas vraiment comprendre ce qu’est Khador - politiquement, du moins. C’est un bûcheron, et il est … en train d’explorer. Il nous explore. Il regarde comme si c’était juste une étendue de forêt, sans arbre, très peuplée. »

« Intéressant », déclara Polten, bien qu’il ne sache pas encore quoi en penser. Il avait rencontré des kossites dans le grand nord avec un manque similaire de connaissances politiques mais cet homme était différent. « Et les steamjacks ? »

« Ils sont définitivement à lui ou en tout cas ils lui obéissent ? Je ne connais pas grand-chose au contrôle de ‘jack », donc je ne vois pas comment il les commande, mais c’est une étroite relation. »

« C’est un vieux ‘jack », dit Polten en étudiant le laborjack alors qu’ils s’approchaient. « Châssis Laika, probablement conçu pour le transport plutôt que le levage, et évidemment modifié pour le froid, mais il a quelque chose … » Il le regarda de près, repérant un boulon étrange ici, une ligne de soudure inhabituelle étrange ici. « Il a été lourdement réparé, bien sûr, mais si je me trompe pas, il a aussi eu un custom personnalisé. Primitif mais compétent. Je ne serais pas surpris que nôtre bûcheron ait fait le travail lui-même.

« Vous connaissez vos ‘jacks, monsieur », dit Harch.

« Vous êtes arrivé aux mêmes conclusions ? »

« Non, monsieur ». Harch pris une expression raide. « J’ai bien peur de ne pas connaître tous les ‘jacks. Mais semblez savoir de quoi vous parlez. »

« Voilà », dit Polten, « comment j’ai fini officier ». Il s’arrêta près de l’inconnu, remarquant un anormalement important contingent de soldats montant la garde à proximité. Le mystérieux bûcheron se retourna pour lui faire face, se redressant de toute sa hauteur : bien plus de deux mètres dix de haut, rasé de façon menaçante sous la massive peau d’ours brune lui servant de manteau.

« Bonjour », dit Polten, faisant de son mieux pour ne pas se sentir intimidé par la taille et l’expression féroce de l’étranger, sans parler de l’absolument massive hache, encore plus grande que ce à quoi Polten s’attendait, que l’étranger tenait nonchalamment sur une épaule. En y regardant de plus près, il aurait pu jurer que la hache était mékanique, mais où un bûcheron pourrait-il trouver de la mékanique ? Polten ravala sa soudaine appréhension et parla. « Bienvenue au cœur du Royaume de Khador ».

« Le coeur de Khador, c’est son peuple », répondit l’étranger, « bien que votre ville en ait certainement beaucoup ».

Réponse intéressante, pensa Polten, bien qu’encore une fois, il ne savait pas trop quoi en penser. Il put dire tout de suite que l’homme n’était pas stupide ; ses yeux et son visage semblait pétiller d’une intense intelligence. Ses paroles et ses comportements semblaient différents parce que sa vie et son expérience avaient été différentes. Ce mystère devenait de plus en plus intriguant.

« Mon partenaire m’a parlé un peu de vous », dit-il en désignant Harch, « mais je crains qu’il y ait encore beaucoup de chose que nous ne savons pas. Permettez-moi de me présenter : Je suis le Kovnik Harald Polten, de la Garde des Glaces de Korsk. Et vous ? »

« Orsus Zoktavir », dit l’inconnu. « De nul rien ».

« Je vois. Et d’où venez-vous précisément ? »

« Khador ».

« Khador est la plus grande nation de l’Immoren occidental. Je crains que vous ne deviez réduire un peu la liste pour moi ».

« La forêt », dit Zoktavir.

Polten haussa un sourcil. « Laquelle ? Noirracines ? Boisombre ? Forêt des Cicatrices ? »

« Une grande. J’y ai vécu seul pendant quatorze ans ».

« Un village d’origine en particulier ? Vous m’excuserez d’être indiscret. »

« Non », répondit Zoktavir. « Et non ». Il regarda Polten avec des yeux aussi durs que de l’acier, et le vieil officier compris qu’il n’allait pas obtenir plus d’informations sur ce sujet. Il hocha la tête. « Très bien. »

Il essaya un autre angle d’approche. « J’admirais votre steamjack en venant ici – c’est un vieux Laika, n’est-ce pas ? »

Zoktavir fronça les sourcils. « Comment connaissez-vous son nom ? »

« Son nom ? » Polten le regarda avec confusion pendant une demi-seconde avant déduire le processus de pensée de l’homme. « Laika est le nom d’un châssis de steamjack, un … groupe de steamjack, si vous voulez, tous utilisant le même modèle de base. L’autre s’appelle un Arktus ».

Zoktavir marqua une pause, comme s’il analysait cette nouvelle information. « Celui-ci s’appelle Dimyuka, et je vois que vous en avez un qui lui ressemble beaucoup. » Il désigna le terrain, ou une escouade de soldats s’entraînait avec un Kodiak – légèrement plus grand que l’Arktus, et beaucoup plus sophistiqué, mais tout de même assez similaire. Polten avait rarement vu un paysan de l’arrière-pays aussi attentif aux ‘jacks. « Laika est le seul ‘jack de ce modèle que j’ai jamais vu », déclara Zoktavir, d’une voix qui semblait avide de plus d’informations. « Même ici. »

« Le Laika est un vieux modèle »,dit Polten. « Je ne pense pas en avoir vu en état de marche depuis au moins dix, peut-être quinze ans, et même celui-là était à bout de souffle ».

Zoktavir sourit, une expression carnassière et terrifiante le faisant ressembler à un loup affamé. « Elle est souvent en panne ».

« Vous pouvez me dire où vous l’avez eue ? »

« Ceux que vous avez ici sont plus intelligents ».

Polten cligan des yeux. « Pardon ? »

« Les ‘jacks ici dans votre cour d’entraînement », déclara Zoktavir, désignant un Juggernaut à proximité tout proche et un modèle plus lourdement blindé appelé Dévastateur, se tenant silencieusement près des portes de la caserne où les gardes en service pourraient les utiliser en cas d’urgence. « Les ‘jacks que nous avons croisé en ville ont un cerveau plus gros que Laika, mais ceux d’ici ont des cerveaux plus intelligents ». Il se retourna vers Polten. « Ils sont différents, et plus dangereux. »

la première pensée de Polten fut, Par Morrow comment peut-il dire ça ? mais la seconde vint remplacer assez vite la remplacer : Cet homme est un warcaster.

C’était l’unique moyen pour un homme de savoir ce qu’un ‘jack pensait, pour autant que Polten le sache, mais il était tout simplement impossible que ce péquenaud sans formation soit un warcaster. Polten resta impassible. « les modèles que vous soyez ici dans la cour d’entraînement sont militaires. Ils sont un peu plus sophistiqués que les anciens modèles auxquels vous êtes habitués, conçus avec des réflexes plus rapides et un cortex plus autonome ». Il lança un coup d’œil à Harch, puis se tourna vers Zoktavir. « Vous avez un bon œil pour les ‘jacks ».

Zoktavir étudia les warjacks pendant un moment, puis se retourna vers Polten avait une expression. « Vous les avez bien entraînés », dit-il. « Ils ne m’écouteront pas. »

Polten contrôla sa réaction, bien qu’il soit intérieurement ébranlé par la confession tacite de cet homme. Le policier n’était pas aussi discipliné.

« Larmes de miséricorde », dit Harch, « c’est un warcaster ».

Polten soupira. Il n’y avait pas de mal à s’emporter, mais il avait espéré que le jeune officier aurait fait de preuve de plus de décorum. Polten parcourut la liste des tâches que la nature de cet étranger lui imposait : Il devrait contacter les Seigneurs Gris, qui seraient intéressés, au minimum, à parler à Zoktavir, voire le recruter pour un entraînement officiel. Il incomberait à Polten de la garder ici jusqu’à ce que les Seigneurs Gris arrivent, et si l’homme des bois géant décidait de partir, cette détention pourrait très vite devenir désagréable. Il allait devoir réfléchir à des moyens de faire patienter l’homme.

Polten ouvrit la bouche pour faire venir un messager quand le bûcheron parla.

« Je suis venu rejoindre votre armée ».

Polten s’arrêta net. « C’est … très bien. Je vais appeler les Seigneurs Gris. » Il sourit. « Je ne peux pas reprocher à un homme son amour du Khador ».

« Je n’ai rien d’autre que le Khador », répondit Zoktavir. Il descendit sa massive hache de son épaule aussi légèrement que s’il s’agissait un bâton de marche et plante la vicieuse lame mékanique dans l’herbe à ses pieds. « J’ai donné ma loyauté à beaucoup de chose, et Khador est la seule qui me reste. Il n’y a rien de plus important que la loyauté ».

* * *
La voix d’Aleksei Badian traversa la pièce tel un poignard. « Il n’y a rien de plus important que la loyauté. Ce que nous allons faire, nous le faisons les uns pour les autres, et pour moi qui vous soutiens, et pour les patrons qui me soutiennent. Les kayazi sont des hommes d’affaires et, en tant qu’employés, nous ne sommes pas des escrocs, nous ne sommes pas des sergents. Nous sommes une équipe, bratya: frères. Chacun d’entre vous, est un membre de cette équipe. Lorsque nous nous battons, que les couteaux sortent et que le sang commence à couler, vous pouvez croire que vous êtes le membre le plus important de cette équipe et essayer de vous sauver, mais vous ne l’êtes pas. Le gars à côté de vous l’est. Vous essayerez de le sauver. Vous surveillerez ses arrières. Vous l’aiderez à faire son travail du mieux qu’il peut, et vous le pouvez le faire parce qu’un autre gars fera la même chose pour vous, et un autre gars qui fait la même chose pour lui, et ainsi de suite, jusquà ce que chacun d’entre vous soit en sécurité, et que vous ne soyez pas des individus, mais une équipe. Vous restez fidèle à cette bratya et nous vivons, ; vous trahissez vos frères, et je veillerai moi-même à ce que vous mourriez. Est-ce qu’on se comprend ? »

Si voix lui répondirent, celle d’Orsus se mêlant fortement aux autres. « Oui ».

« Est-ce qu’on se fait confiance ? »

« Oui ! » Sauf qu’il n’y avait que cinq voix cette fois-là. Orsus et les autres regardèrent le dernier homme, Gendyarev Rabin, qui secoua la tête avec aigreur.

« Je fais confiance à la plupart de l’équipe », déclara Gendyarev, « mais pas à lui ». Il désigna Orsus. « Pas au gamin ».

« Gendy », dit Aleksei, « il fait deux fois ta taille ».

« Il a quatorze ans », répondit Gendyarev. « Complètement inexpérimenté. Bien sûr, il peut battre n’importe lequel d’entre nous dans un combat de lutte, mais savons-nous qu’il n’aura pas peur et ne s’enfuira pas, ou pire, ne deviendra pas trop arrogant et ne gâchera pas tout ? Comment savons-nous qu’il n’ira pas en parler demain au village ? »

Isidor Loukchenko, au visage acéré, sourit sournoisement. « Est-ce que c’est pire que toi qui te saoulais le mois dernier pour essayer d’impressionner cette fille à la taverne ? Tu lui as raconté deux de nos succès avant qu’on t’emmène ».

« J’ai prouvé ma loyauté cent fois », déclara Gendyarev. « Ce gamin ne fait que grandir ».

« Toi aussi, tu as été un débutant », déclara Aleksei.

« J’avais dix-huit ans ! »

« Que je veux tu que je fasse ? » Dit Orsus, et sa voix était assez forte – pas forte, mais puissante dans l’arrière-salle – pour que le reste des voyoux se taisent. « Aleksei m’a donné mon travail, ma nourriture, tout ce que j’ai dans ce monde. Tu veux que je fasse mes preuves. Si tu veux que je fasse mes preuves, dis-le ». Il fixa Gendyarev de son regard le plus froid. « Je parie que je suis prêt à faire bien plus que toi ».

« Si la volonté était tout ce qu’il fallait, je ne douterais pas de toi », déclara Gendyarev, « mais nous ne nous contentons pas de brutaliser un gardien d’entrepôt et de renverser quelques sacs de céréales. Nazarov a engagé ses propres voyous – il sait nous sommes après lui, et il sait ce qu’il faut pour nous battre, et il est prêt. Je préfère y aller avec un homme de moins qu’avec un homme qui ne sait pas ce qu’il fait ».

« Me fais-tu confiance ? » Demanda Alexei.

Gendyarev hocha la tête, même si sa voix manquait d’enthousiasme. « Bien sûr que oui ».

« Alors arrête de discuter. Le gamin y va parce que je le dis, et je ne l’enverrais pas si je n’avais pas confiance en lui pour te soutenir. Alors soit tu es d’accord avec le gamin, soit tu n’es pas aussi d’accord avec moi que tu le dis ».

Aleksei laissa les mots en suspens, laissant toute l’implication s’installer. Après une longue pause, Gendyarev leva les mains.

« Je suis d’accord avec le gamin ». Il lança un regard féroce à Orsus. « Ne nous laisse pas tomber ».

« Je ne le ferai pas », grogna Orsus.

Aleksei sembla satisfait et le groupe fit une dernière vérification de leur équipement. Orsus était armé d’un long poignard fin, parfait pour tuer tranquillement, mais le plan d’Aleksei avait élaboré semblait plus susceptible de finir en bagarre totale qu’à un assassinat silencieux. Il aurait aimé avoir une massue, ou mieux encore l’épaisse hache à long manche qu’il employait avec l’équipe de bûcherons d’Aleksei, mais si un poignard était tout ce qu’il avait, il se battrait avec un poignard. Ce ne serait pas la première fois, quoi qu’en dise Gendyarev.

Le groupe était vêtu de noir et de brun, et lorsqu’ils se sont glissés parla porte de derrière dans l’allée arrière, ils se sont fondus presque parfaitement dans l’obscurité. Orsus était le seul à ne pas porter de barbe et de moustache, et son visage brillait de blanc au clair de lune jusqu’à ce qu’il baisse sa capuche sur ses yeux et suive les autres en silence.

L’opération d’Aleksei était basée dans le village de Suvorin, le foyer d’Orsus. De là, il contrôlait toute la vallée et autant de forêt qui l’entourait qu’un seul homme puisse le faire. Ce soir, ils allaient frapper dans le plus grand village de la vallée, un centre d’expédition au bord de la rivière Telk – pas aussi grand que les villes dont certains voyageurs parlaient, loin au coeur du royaume, mais ici dans les forêts du nord, c’était la plus grande chose autour. Les informateurs d’Aleksei lui avaient fait savoir que Fanin Nazarov, le maître d’expédition de la Telk – appelé ainsi parce qu’il possédait le seul et unique entrepôt de la ville – détournait les bénéfices avant de les transmettre à Aleksei. Aleksei l’avait approché pour discuter de la question, et Nazarov l’avait renvoyé avec des voyous armés. C’était la plus grande menace pour le contrôle d’Aleksei en près de dix ans, et il y répondait en nature. Personne dans cet entrepôt ne survivrait à la nuit.

Orsus adressa une prière silencieuse à Menoth pour qu’il ne démente pas la foi d’Aleksei en lui.

Nazarov savait qu’ils arrivaient, comme l’avait dit Gendyarev, et le groupe s’était scindé en deux avant de se rapprocher de l’entrepôt : Isidor, le khiring au visage rude et un borgne nommé Tselikovsky avait tourné à gauche dans une autre ruelle sombre, tandis qu’Orsus avait suivi Aleksei, Gendyarev et le dénommé Emin. Emin ouvrait la voie, faisant le guet avec des yeux et des années affûtés par des années de chasses dans les forêts profondes. Si Nazarov décidait de tenter une frappe préventive, Emin le saurait presque aussi vite que Nazarov.

Le groupe d’Aleksei tourna un peu autour du village, pour éloigner les éventuels poursuivants et donner au groupe d’Isidor une chance de se mettre en place. Lorsque l’heure convenue arriva, Aleksei fit signe à Emin, et le chasseur les conduisit vers la vaste aire de chargement devant l’entrepôt, où ils s’arrêtèrent dans l’obscurité pour inspecter la scène.

« Ils sont à l’intérieur », dit Emin en observant à travers les fenêtres. Il sait qu’on pourrait éliminer un seul garde avant que l’aide ne puisse lui parvenir, alors il les a tous regroupés pour plus de sécurité ». Il regarda Aleksei. « Il a peur ».

« C’est un idiot », déclara Aleksei. « Il sait que nous arrivons et il sait d’où nous venons – les fenêtres donnant sur la cour de chargement devraient être remplies de tireurs. Nous attirer avec un garde solitaire à la porte et nous tuer avec une volée par-derrière ».

Orsus se promit silencieusement de ne jamais laisser Aleksei le placer comme garde.

« C’est la même chose à la fin », déclara Gendyarev, « et mieux pour nous de les avoir tous à l’intérieur de toute façon ».

« Il y a quelque chose là-dedans », dit Orsus en regardant attentivement la large porte fermée.

« Bien sûr », ricana Gendyarev, « c’est ce dont nous venons de parler ».

« Mais je veux dire … » Il ne pouvait pas l’expliquer et ne dit donc rien de plus, mais il ne pouvait pas se débarrasser de l’impression que quelque chose à l’intérieur de lui … l’attendait.

« On va parlementer ? » Demanda Emin.

Aleksei secoua la tête. « J’ai essayé de parler, et Nazarov n’était pas intéressé. Je laisserai Isidore annoncer notre présence ».

Ils attendirent, et bien sûr, Orsus remarqua un éclair orage dans le ciel derrière l’entrepôt. Une flèche imbibée de poix et allumée avec un brandon brûlant. Emin s’accroupit et prépara son fusil.

« Préparez-vous », prononçât doucement Aleksei, en dégainant ses deux longues dagues. « La fête commence … maintenant ! »

La porte avant à taille humaine de l’entrepôt s’ouvrit et Emin tira dans presque le même souffle. Une silhouette dans l’ombre s’écroula au sol avec un cri, et un autre homme la ramena à l’intérieur pendant qu’Emin rechargeait. La lueur derrière l’entrepôt s’agrandit et devint plus intense. Il n’y avait qu’une petite porte dérobée, et Isidor pouvait la suveiller facilement : un homme pour enflammer les flèches, un autre pour les tirer, et un autre pour tuer quiconque tenterait de s’échapper. La seule autre sortie était ici, à la fois une petite porte de bureau et une porte de chargement à deux étages pour l’entrepôt. C’était leur seule issue, et parce que la cour donnait sur la rivière, c’était leur seul moyen d’éteindre le feu. Nazarov devait faire les deux s’il voulait que sa rébellion ait un sens.

Aleksei gloussa vicieusement.

La porte s’ouvrir à nouveau, et Emin tira à nouveau dans l’obscurité, mais il n’y avait personne. Un battement de coeur plus tard, un docker armé s’avançait dans l’embrasure de la porte, leva son fusil et se croyant malin, avant de mourir lorsque Gendyarev l’abattit d’un assourdissant coup de tromblon. Aleksei rit à nouveau pendant que ses hommes rechargeaient.

Orsus entendit un bruit dans la ruelle derrière eux. Il se retourna pour voir deux voleurs vêtu de noirs ramper vers eux dans l’obscurité.

« On dirait que Nazarov n’a pas été aussi stupide que nous le pensions », déclara Gendyarev en brisant son fusil et y glissant une cartouche.

« Gardez les yeux sur cette porte », déclara Aleksei. « Orsus, pourquoi ne pas nous montrer ce pourquoi je t’ai emmené ? »

Orsus se tenait debout dans l’étroite ruelle, la remplissant presque d’un bout à l’autre, et évalua les deux voleurs. L’un portait une capuche, l’autre un bandeau marron en lambeaux, mais à part cela, ils étaient identiques – des vêtements en cuir sales, de fines bottes en cuir et de courts poignards scintillants. Personnes dans le nord ne s’habillait comme cela, Orsus le savait ; c’étaient probablement des hommes du fleuve, embauchés sur la dernière barge. Orsus s’accroupit un peu, abaissant son centre de gravité, tenant sa dague devant lui sans la serrer ?

Bandeau se déplaça en premier, feintant à gauche puis plongeant à droite, espérant un premier sang rapide, mais Orsus anticipa et garda sa garde haute, tailladant et forçant l’homme à garder sa distance. Capuche s’élança rapidement derrière lui, sautant sur la gauche et poignardant férocement le bras non protégé d’Orsus. Orsus laissa passé cette attaque, s’aplatissant pratiquement contre le mur de droite comme s’il ne se souciait pas du tout de protéger ses amis et Capuche mordit à l’hameçon, prolongeant sa poussée vers une nouvelle cible de choix et se déséquilibrant dans le processus. Orsus inversa son pas de côté, écrasant son poing dans le bras du voleur chancelant, le faisant tomber au sol et plantant sa botte géante de nordiste sur la main tenant le poignard de l’homme. Bandeau poursuivit son attaque tandis que Capuche hurlait de douleur, mais la portée d’Orsus était plus longue et ses bras bien plus rapides que sa taille ne le laissait supposer. Quelques coups de couteau plus tard, bandeau reculait, se tenant le visage et jurant. Orsus s’arrêta pour frapper de son pied libre le visage hurlant de Capuche, puis fit quelque pas en avant, pour frapper la tête de l’autre voleur contre le mur de briques. L’ensemble du combat n’avait duré que quelques secondes.

Emin et Gendyarev tirèrent presque simultanément ; Orsus se retourna pour remarquer les grandes portes de chargement de l’entrepôt s’ouvrir dans une grêle d’éclats alors que quelque chose d’énorme les traversait sans même prendre la peine de les ouvrir. Orsus eut juste le temps d’apercevoir quelque chose de grand, vaguement en forme d’homme, et luisant comme du métal huileux avant que toute la bande de brigands de Nazarov ne se précipite derrière elle dans la cour.

Nazarov avait dix hommes, selon le rapide décompte d’Orsus, et six d’entre eux se précipitèrent directement vers la rivière tandis que les quatre autres pressaient l’attaque à côté du monstre métallique géant. Orsus n’avait jamais vu de steamjack en personne, bien qu’il eût entendu de nombreuses histoires : des machines automotrices avec la force d’une centaine d’hommes alimentées par une fournaise chauffée à rouge à la place du coeur. Nazarov utilisait probablement celui-ci comme un énorme débardeur, mais ses applications de combats évidentes firent frissonner Orsus, même s’il était aux mains de l’ennemi. Il ressentit un attachement instantané, presque une parenté, qu’il ne pouvait expliquer.

L’imposant monstre de métal s’élança vers l’avant et tendit une main géante pour éloigner Gendyarev de l’homme avec lequel il se battait. Gendy réussit à s’échapper mais seulement parce qu’Aleksei repoussa son poursuivant humain. Gendyarev saignait abondamment du front et il agrippait son bras de douleur alors qu’il titubait sur ses pieds. Orsus se précipita sur le steamjack avec un rugissement, convaincu qu’il pourrait avoir un effet quelconque sur lui, mais il était aussi solide qu’un arbre enraciné. Emin cria un avertissement et Orsus roula juste à temps pour esquiver un autre des massifs poings de fer du steamjack.

« Arrêtez la brigade des seaux ! » Cria Aleksei, pointant avec un poignard tout en plongeant le second dans le cou d’un bagarreur. Orsus regarda la file de dockers recueillant l’eau dans la rivière, puis revint vers le steamjack. « Oublie le ‘jack », cria Aleksei, « stop l’eau ! »

Orsus grogna mais regarda vers l’incendie. Une fois la porte partie, il pouvait voir au plus profond du caverneux entrepôt. Le mur du fond n’était que faiblement embrasé – les flèches d’Isidor n’avaient pas été aussi efficaces que prévu. Les hommes de Nazarov n’auraient aucun mal à éteindre le feu, et la bataille deviendrait encore plus inégale. Leur seul espoir de succès était d’arrêter les seaux maintenant et de laisser l’incendie devenir incontrôlable ; ils pourraient vaincre l’ennemi lorsqu’ils rompraient les rangs pour l’éteindre ou fuir. Orsus le savait, et pourtant…

Le steamjack réussit à attraper Emin avec l’un de ses bras et à le soulever dans les airs en hurlant. De l’autre bras, il attrapa sa jambe et l’arracha presque sans effort, choquant mêmes les hommes de main de Nazarov. Orsus sembla le ressentir – la tension violente alors que le corps se séparait entre ses mains – et fit un pas vers le ‘jack dans un état de stupeur et de confusion.

« L’eau ! » Cria Aleksei. « Allez ! »

Orsus se retourna avec un grognement de frustration et se lança vers lança vers la brigade de s eaux. Trois dockers étaient déjà rentrés en courant dans l’entrepôt, un seau dans chaque main, mais les trois autres étaient toujours sur le quai. L’un d’eux posa son seau et se retourna vers Orsus dégainant un couteau de chasse pour défendre ses camarades, mais Orsus baissa la tête et fonça sur lui, prenant le couteau sur l’os solide de son avant-bras. La lame trancha un large lambeau de peau mais ne fait pas de réels dégâts, et Orsus continua simplement à courir, écrasant la tranchée de l’homme avec son autre poing avant de le pousser en arrière sur le bord du quai. Les deux autres porteurs d’eau s’étaient accroupis et tournés dans la mauvaise direction, il les acheva donc encore plus facilement, faisant craquer leurs têtes les unes contre les autres avant de pousser leurs corps inertes dans la rivière. Au même instant, il chancela, l’image d’une autre bataille que celle qu’il menait s’imposa à lui. Le brusque changement de perspective lui donna le vertige. Il s’agrippa au bord du quai pour se soutenir, mais la sensation disparut presque aussitôt.

La bataille derrière chez lui était devenue un cauchemar. Alors qu’Emin gisait au sol, Gendy et Aleksei ne pouvaient qu’esquiver les mains broyeuses d’os du steamjack et les poignards vicieux et tranchants des voyous qui grouillaient autour de ses pieds. Cela rappela à Orsus son soudain éclair de vertige, comme s’il avait vu ce même combat il y a quelques secondes à peine, mais du point de vue élevé du ‘jack. Il lutta pour comprendre ce qui se passait, mais il n’avait pas le temps d’y réfléchir. Les trois autres porteurs d’eau revenaient avec des seaux vides, et quand ils virent Orsus, ils se déployèrent pour l’entourer. Nazarov était parmi eux, souriant de manière sinistre. Le groupe d’Aleksei était en infériorité numérique, et même si l’entrepôt était réduit en cendres, cela ne leur ferait aucun mal : Nazarov tuerait simplement Aleksei et prendra sa place en tant que nouveau chez kayazy, soutenu non seulement par des assassins mais aussi par un démon métallique imparable. Orsus le regardait se battre tandis que les antagonistes humains l’encerclaient avec méfiance ; il était énorme, et étonnamment rapide pour sa taille, mais il y avait quelque chose d’anormal. Ses réactions étaient tardives – pas seulement lentes, mais tardives. Aleksei esquivait ur le côté, et un instant plus tard, le steamjack suivait. La même vitesse, agile, juste … en retard, comme si le ‘jack réagissait une seconde après ses cibles.

Ou bien, il réagissait à quelque chose de tout à fait différent.

Nazarov fit un geste vers la dague dans la main ensanglantée d’Orsus. « Tu as tout l’air de savoir te servir de ce couteau », dit-il, puis il écarta les bras pour révéler un pistolet enfoncé dans sa ceinture. « Mais tu sais ce qu’on dit sur le fait d’apporter un couteau à une fusillade ».
Orsus fit un signe de tête vers l’arme. « De combien de temps t’as besoin pour dégainer cette arme ? »

« Une seconde », déclara Nazarov. « Deux pour te la coller entre les deux yeux ».

« Alors on dirait que j’ai deux seconde de combat au couteau avant que cette arme ne devienne un problème ».

Il se précipita en avant et Nazarov laissa tomber ses seaux, tendant la main vers le pistolet. Orsus plongea sous la maladroite attaque du premier homme, balayant son couteau sur son ventre ; l’homme recula en titubant, essayant de retenir ses tripes tandis qu’Orsus se déplaçait vers le deuxième homme, lui tailladant son bras, sa poitrine et son visage dans un flou frénétique d’acier. L’attaquant hurla, serrant son œil en sang, et Orsus planta son couteau dans le coeur de Nazarov au moment précis où l’homme faisait feu avec son arme. Sa visée était haute et imprécise, grâce aux trente centimètres d’acier brillant lui transperçant la poitrine de part en part.

« Deux secondes », répondit Orsus. « Le couteau gagne ».

Aleksei hurla, et Orsus regarda de l’autre côté de la cour pour le voir à terre, un couteau dans la jambe, le steamjack réduisant Gendyarev en bouillie dans sa poigne de fer géante. Les autres combattants étaient tous tombés, déchiquetés par la légendaire habilité d’Aleksei avec une dague, mais cette habilité n’allait pas le sauver de la monstruosité de deux tonnes se tournant déjà vers lui.

Un mouvement éclair attira l’attention d’Orsus, au-dessus de l’épaule d’Aleksei, et Orsus leva les yeux pour remarquer un autre homme accroupi derrière une fenêtre, regardant dans l’obscurité avec ses mains levées en pleine vue du ‘jack. L’homme mystérieux leva la main droite, paume vers l’avant, et un instant plus tard, le steamjack lâcha le corps mutilé de Gendyarev. L’homme donna un coup de poing en avant, et un instant plus tard, le steamjack s’avança lourdement vers Aleksei avec une puissance à faire trembler le sol.

En un instant, Orsus comprit ce qui se passait. Nazarov avait tendu un piège, exactement comme Aleksei s’était moqué de lui pour ne pas l’avoir fait, mais il avait garni les fenêtres avec quelque chose de bien plus dévastateur que des flingueurs : le contrôleur du steamjack. Placé à cette fenêtre, il pouvait voir tout le champ de bataille, et le ‘jack pouvait le voir, observant facilement et obéissant aux signaux manuels lui disant quoi faire.

Le ‘jacks se déplaçait vers Aleksei. Orsus n’avait que quelques secondes pour agir. Il écarta le corps de Nazarov, prêt à se précipiter vers la bataille, mais en un instant, il se retrouva dans la tête de la machine, regardant à travers ses yeux, ressentant la force titanesque de ses pistons à vapeur et engrenages. Il tendit la main vers Aleksei avec une dévastatrice poigne de fer …

… et stoppa. Orsus lui dit d’arrêter, et il le fit. Il cligna des yeux de surprise soudainement de retour sur terre, regardant vers le haut ou le bas, et tomba à genoux alors que le vertige l’envahissait. Le contrôleur fit des gestes et des appels frénétiques, mais le steamjack refusa d’obéir. Sans savoir commet il le savait, Orsus était sûr que la chose attendait patiemment son prochain ordre … de lui.

Aleksei ouvrit un œil, levant les yeux vers l’endroit où il s’était recroquevillé sur le sol, et regarda le steamjack se tenant au-dessus de lui. « Que s’est-il passé ? »

Orsus déglutit cherchant encore ses repères. « Il y avait un homme à la fenêtre supérieure contrôlant le ‘jack ». Il se leva d’un pas mal assuré. « … Plus maintenant ».

Aleksei grimaça en examinant le carnage dans la cour de chargement. Gendyarev gémit, toujours vivant malgré ses blessures. Le reste de la cour baignait dans le sang. « Quoi, il a vu à quel point il perdait et a décidé de rejoindre notre camp ? »

« Non »,dit Orsus, en marchant vers lui. « Le ‘jack l’a fait ».

« Quoi ? »

« Je ne comprends pas non plus » Il posa une main révérencieuse sur la jambe du ‘jack, puis leva les yeux vers la fenêtre. « Il est parti ».

Aleksei retira la dague de sa jambe avec un grognement, et le retourna vers Orsus avec plus de nonchalance qu’il ne pouvait en éprouver. « Trouve-le et tue-le. Je ne veux pas que l’un de ces traites survive à la nuit ».

Orsus attrapa la dague mais secoua la tête. « Nous avons besoin de lui vivant. Il doit nous apprendre à contrôler cela… » Il regarda la plaque signalétique gravée sur la jambe du ‘jack ». … Laika.

Aleksei rit, bien que cela se transforme rapidement en un grognement de douleur alors qu’il essayait de mettre du poids sur sa jambe blessée. « Orsus, tu viens peut-être de transformer cette horrible défaite en notre plus grand succès depuis des années. Je pense que tu vas avoir un long et heureux avenir dans cette organisation ».

« Merci », déclara Orsus. « Je pense beaucoup à l’avenir ».

* * *

elric:
Lola sortit une autre chemise géante de la pile de linge humide, l’étirant telle une voile alors qu’elle l’accrochait à la corde à linge. « Orsus », dit-elle, « réfléchis-tu jamais à l’avenir ? »

Orsus détourna son regard de la large bassine en bois. « Je ne pense certainement jamais au passé », répondit-il en frotant vigoureusement une autre chemise contre la planche à laver. C’était gentil de sa part de l’aider, l’orphelin du village, pour sa lessive, mais il la faisait tout seul depuis cinq ans, depuis que sa famille … enfin, cela faisait partie du passé auquel il n’aimait pas penser. Il leva les yeux vers Lola. Ses cheveux étaient attachés en arrière pour les garder à l’écart du linge humide, mais étaient toujours entourés de fleurs d’été et encadraient son visage d’un halo rouge et or, et elle lui rendit son sourire timidement. « Le présent est plutôt génial cependant », dit-il, puis il prit un air de consternation moqueuse. « À moins que tue ne veuille dire qu’à l’avenir tu pourrais faire ma lessive, au lieu de l’étendre pendant que je fais tout le travail ? »

Elle lui jeta une chaussette humide au visage, riant de la gifle qu’elle avait faite contre ses yeux, et il rit avec elle, plus paisible, et insouciante qu’il ne l’avait ressenti depuis … jamais, vraiment. Sa vie avant Lola n’avait été qu’un long chemin gris et froid dans un monde bien trop désireux de le tuer ; ça n’avait pas du tout été une vie, vraiment, juste une absence de mort. Mais les six mois depuis qu’il l’avait rencontrée, et les deux mois depuis qu’ils se courtisaient officiellement, lui avait ouvert les yeux sur un type de bonheur dont il ignorait l’existence. C’était plus que le fait de ne pas être seul. Lola n’était pas une amie ou un membre de l’équipe d’Aleksei, elle faisait partie de lui. La trouver avait été comme trouver sa seconde moitié.

L’idée qu’une partie de lui, même par association, pouvait être si douce, gentille et aimante avait changé sa façon de voir le monde entier.

Lola enleva la chaussette molle de son visage en riant, puis arracha la chemise nettoyée de ses mains et la déroula avec brio. « Je ne pourrais jamais laver autant de chemises en une seule fois », dit-elle. « C’est comme une couverture géante en flanelle. Tu pourrais garder tout une famille au chaud avec ce truc – deux enfants au moins, peut-être trois s’ils sont petits ».

« C’est le nombre que tu veux ? » Ils avaient prononcé les mots avant qu’il ne sache ce qu’il disait, mais seulement parce qu’il y avait pensé pendant des semaines – pendant des mois, s’il voulait être honnête. Il n’avait jamais voulu de famille avant, mais avec Lola ? Il voulait tout ce dont il n’avait jamais rêvé. Lola le fixa, choquée par l’allusion au mariage, mais il avait appris à connaître son regard bien qu’il n’avait jamais rien connu, et la lumière qui en jaillissait maintenant lui disait qu’elle était ravie de l’idée. Un autre sourire se glissa dans les coins de sa bouche, mais en même temps son sourire s’estompa. Elle se détourna pour faire face à la corde à linge, suspendant silencieusement la chemise avec de fines pinces à linges en bois.

« Qu’est ce qui ne va pas ? »

Elle ne répondit pas, caressant doucement l’ourlet de sa chemise suspendue, et juste au moment où le silence allait devenir trop long, et qu’il allait lui poser à la question à nouveau, elle tira la chemise de la corde à linge et la ramena dans la bassine.

« Elle n’est pas assez propre ».

Orsus ne savait pas trop comment interpréter son soudain changement de comportement ni ce que sa chemise avait à voir avec ça, mais il lui prit doucement le vêtement des mains. « Je l’ai frottée pendant presque cinq minutes ».

Sa voix fut impassible. « Il y a du sang sur l’ourlet ».

« J’ai frotté cet endroit pendant la majeure partie des cinq minutes ». Il le chercha sur le vêtement mouillé. « Ça ne partira pas - »

« Tu es un tueur », dit-elle, et sa voix impassible se fissura sur le dernier mot froid. Elle le regarda, et lui la regarda, ne sachant pas quoi dire, jusqu’à ce qu’enfin elle se retire et retourne au panier à linge, cherchant la prochaine pièce de linge humide avec des doigts trop tremblants pour être efficace.

« Je travaille parfois avec Aleksei », dit-il, « mais ce n’est pas comme si j’étais un meurtrier ».

« Ne va pas croire que je n’ai pas pensé à une vie avec toi », déclara Lola, « parce que je l’ai fait ». Elle se tourna pour lui faire face, des larmes traçant de minuscules ruisseaux le long de ses joues. La beauté et la tristesse de celle-ci brisèrent son coeur en deux. « Tu es un homme bon Orsus, et un travailleur acharné. Tu me fais rire et tu m’as même fait à dîner ». Elle rit au souvenir, mais avec elle vint une autre larme scintillante. Elle se racla la gorge et respira profondément, adoptant un ton ferme, presque professionnel. « Tu serais un bon mari et un bon père, et je partagerais ma vie avec toi, je laverais tes chemises géantes et je ferais tout pour te rendre heureux, mais ensuite … » Elle secoua la tête. « Puis Aleksei appellera, et tu partiras dans la nuit, et je resterai seul à la maison à me demander si tu reviendrais un jour, et combien de temps cela pourrait prendre, et combien de nouvelles éclaboussures de sang il y aurait sur ta chemise quand tu reviendras ».

« Tu n’as pas à t’inquiéter pour moi, je sais comment gérer- »

« Je te dis que tu es un tueur, et la seule chose que tu as à dire pour ta défense, c’est que tu es doué pour ça ? »

Les mots furent une gifle au visage. Orsus se tut.

« J’y ai beaucoup réfléchi », dit-elle doucement, « et je crois que je me suis dit que si je continuais à repousser ce moment, ce jour n’arriverait jamais. Je ne veux pas être la mégère qui ronge ton âme, et je ne veux pas faire de toi ce que tu n’es pas ». elle posa une main sur son menton, comme elle le faisait toujours, si douce et délicate, et sa peau sembla brûler à ce contact. « Si nous devons être deux, je veux que ce soit vraiment tous les deux, pas l’un contrôlant l’autre, mais deux âmes unies ». Elle ravala ses larmes et prit une autre inspiration. « Mais c’est trop, Orsus. La vie et la mort, L’amour et le meurtre. Cela ne peut pas faire partie de ce que je suis ».

Orsus regarda ses mains, trop mal à l’aise pour la regarder directement. Il n’avait jamais voulu que la violence fasse partie de sa vie non plus ; puis une nuit infernale lors d’un raid sanglant de tharn avait changé ce cours à tout jamais … main non. Alors même qu’il le pensait, il savait que ce n’était pas vrai. Il avait toujours été un combattant, luttant avec les enfants du voisinage, chassant avec son père, même couper des arbres avec l’équipe d’Aleksei était une autre façon de briser les choses, de les forcer à s’adapter, d’employer sa force contre le monde. Les travaux de nuit avec Aleksei n’étaient ni beaux ni honorables, et il le savait, mais il était bon à ces tâches, meilleur qu’il ne l’avait jamais été dans quoi que ce soit – mieux que quiconque, pensa-t-il, et cela voulait dire quelque chose.

Il observa Lola, impuissant. « C’est ce que je connais ».

« Tu connais beaucoup de choses ».

« C’est ce à quoi je suis bon ».

« Je te l’ai dit, je ne veux pas entendre à quel point tu es bon- »

« Je sais que tu veux pas l’entendre » dit-il, plus fort que prévu. Il espéra qu’elle pourrait entendre que sa voix contenait plus de douleur que de colère. « Je sais que tu ne veux pas entendre à quel point je suis bon au combat, mais ce n’est pas ce que je dis. Je dis que je ne suis bon à rien d’autre. Est-ce que tu me comprends ? J’ai essayé d’autres métiers : transporteur de marchandise, forgeron, tout ce que ce village a à offrir, mais je ne suis pas… » Il avait du mal à trouver les mots justes. « Je ne suis pas un steamjack. Je suis plus que des bras géants sous des chemises géantes, mais c’est la seule option que j’ai ici.

« Nous pourrions partir ».

« Et aller où ? Chaque village est le même. Chaque travail est le même. Même l’exploitation forestière ne fait que déplacer des objets lourds – une hache, un arbre, une branche, une souche. Mon travail avec Aleksei est … Je ne sais pas comment décrire cela. C’est comme une chanson, avec tous les mots et toutes les notes à leur place parfaite ».

Elle fronça les sourcils, confuse et il se creusa la tête pour trouver un moyen de lui décrire.

« C’est comme la boîte du puzzle que je t’ai achetée pour le Jour du Don – toutes les petites pièces en bois parfaitement emboîtées. Ce ne sont pas les coups de poings ou les coups de couteau ou le physique … Rien, c’est l’esprit contre l’esprit. Plan contre plan. Se mesurer à un autre être humain. Faire en sorte ce que ça arrive, et aller jusqu’au bout, il ne s’agit pas du tout de destruction. C’est l’acte de création le plus merveilleux que tu n’aies jamais vu ».

Sa voix était amère. « Alors tu es juste trop brillant pour ne pas tuer des gens ? »

« Ce n’est pas ce que je dis ».

« Tu dis qu’un grand homme dans un petit village se retrouve coincé avec toute le travail fastidieux dont les bœufs ne peuvent pas s’occuper, et je comprends cela et je suis désolé, mais tu n’es pas le genre de personne qui sacrifie la vie d’autres personnes juste pour avoir un frisson dans ton travail. Tu n’as pas besoin de tuer pour être heureux ».

« Il ne s’agit pas de tuer… »

« Mais tuer se produit quand même, n’est-ce pas ? » Ses yeux semblaient brûler d’indignation. « Peu importe à quel point tes plans son minutieux et la complexité de ta boîte à puzzle, quelque chose ne va pas et tu dois tuer pour rester en vie. Peut-être pas à chaque fois, mais une fois sur trois, une fois sur cinq, une fois sur cent, et c’est encore trop. Même lorsque tu ne tues personne, tu les blesses, tu casses leurs affaires, ou tu ruines leurs vies. Tu es bon à ça parce que tu es bon en tout, Orsus, mais ce n’est pas qui tu es, et ce n’est pas qui j’aime ».

Ces paroles le firent basculer sur ses talons. Toutes les fois où il avait rêvé de les dire, de les entendre, et c’est ainsi que cela c’est passé – dans un combat, enfermé dans un conflit, sanglotant d’un désespoir sans espoir. Cela ne pouvait pas se passer comme ça, il ne le permettrait pas. Il ne priverait pas la femme à laquelle il tenait – la femme qu’il aimait – de la beauté que ce moment était censé avoir.

Il se leva. « Je t’aime ».

« Je t’aime aussi ».

Il la rejoignit d’une seule foulée, l’attrapa de ses bras et la soulevant dans un baiser, parfait, passionné et glorieux. Il voulait la serrer dans ses bras pour toujours, se fondre dans son corps, goûter ses lèvres douces et souples pour le reste de sa vie. Elle le serra contre lui et lui rendit son baiser, et il réalisa qu’il ferait n’importe quoi pour cette femme. Qu’il abandonnerait n’importe quoi. Devenir n’importe quoi.

« Je t’aime », dit-il encore.

« Je t’aime aussi », murmura-t-elle.

« Je veux t’épouser, et avoir trois enfants – quatre, s’ils sont petits, mais ils ne le seront pas parce que leur père est un ours qui parle ».

Elle riait, ses larmes étant maintenant des larmes de joie.

« Et j’arrêterai de travailler pour Aleksei », dit-il doucement, même si sa voix crépitait d’intensité.
« Je vais tout abandonner – je vais lui dire aujourd’hui si tu le veux. Je vais lui dire maintenant. Plus de meurtre, plus de combat, plus de violence, parce que tu as raison à mon sujet et que ce n’est pas ce que je suis ».

« Tu pourrais être un sculpteur », dit-elle.

« Quoi ? »

« Un sculpteur sur bois. Avec une boutique dans le village, à fabriquer des boîtes de puzzle pour le Jour du Don et les autres festivals ».

Il sourit. « Toutes ces pièces parfaite, placées aux bons endroits. Il faudra beaucoup de temps pour gagner l’argent nécessaire pour commencer ».

« Qu’est-ce que le temps pour nous ? » Dit-elle. « Il nous faudra ce temps rien que pour finir de laver tes gigantesques chemises ».

Il l’embrassa à nouveau.

« Aleksei te laissera-t-il rester dans l’équipe d’exploitation forestière ? »

« Je pense que oui », dit-il. « Je l’espère. Il est très attaché à la loyauté ».

Un léger froncement de sourcils passa sur le visage de Lola, un petit soupçon d’inquiétude, une petite ombre de désespoir.

Et puis il disparut.

* * *
« Cravachez ! » Cria Orsus, en poussant vers l’avant son cheval de guerre. « Cravachez jusqu’à ce votre monture meut sous vos jambes, et priez pour que nous n’arrivions pas trop tard ! » Derrière eux, une vaste armée de cavaliers khadoréens tonnait dans la vallée, leurs chevaux chauds et couverts d’écume, leurs uniformes usés par le temps ne touchant jamais leurs selles alors qu’ils se tenaient sur leurs étriers et poussant leurs montures. Le Kommandeur Orsus Zoktavir avait entendu parler d’une force mercenaire engagée par les cygnaréens qui attaquait dans le sud de l’Ombrie, et rien ne pouvait se mettre en travers de son chemin. Les autres bataillons de la Cinquième Légion Frontalière avaient été égarés par une force leurre, et maintenant il devrait chevaucher toute la nuit pour atteindre à temps les villes menacées. L’infanterie et les warjacks ne pouvaient pas suivre le rythme et suivaient séparément, tirés par des chariots, mais Orsus ne pouvait pas se permettre d’attendre. Plus d’un cheval, et même une poignée de cavaliers s’effondreraient au bord du chemin avant la fin de la chevauchée désespérée.

Des vallées s’ouvraient et se refermaient sur leur passage ; des fermes défilaient dans l’obscurité. Orsus conduisait son armée, toujours plus vite, plus fort et plus férocement, poussé par une seule folie. Il en voulait pas arriver trop tard. Il ne laisserait pas des innocents se faire massacrer. Lola se cognait contre son dos lorsqu’il chevauchait, une présence rassurante et un poids accablant. Il ne laisserait pas ses protégés se faire tuer.

« Pas à nouveau ».

« Ils sentirent la fumée avant de voir les incendies, un voile sombre cachant les flammes les plus vives jusqu’à ce que l’armée se précipite dans le dernier virage, traversant la dernière vallée comme l’armée du jugement de Menoth. La force d’incursion cygnaréenne, principalement composée de mercenaires, se tenait dans la vaste plaine au-delà du village en ruine, campant pour la nuit près de la grande ville ombrienne de Vlasgard, mais alertée par l’approche d’Orsus par leurs éclaireurs et déjà prête pour la bataille.

De gigantesques warjacks se dressaient parmi les troupes, faiblement éclairés par a lueur des torches ; des centaines de soldats s’agitaient à leurs pieds, une masse informe et mouvante dans l’obscurité. Orsus les scruta rapidement, presque inconsciemment, cataloguant leur nombre et leurs formations alors qu’il chevauchait vers la ville en feu. Les maisons et les magasins brûlaient furieusement dans le lever du soleil, la grande église de Morrow au centre de la place du village n’était plus qu’une masse en ruine, brisée. Les adultes criaient à tue-tête pour avoir de l’eau, des bandages ; les enfants couraient, terrorisés par la destruction de tout ce qu’ils avaient connu et aimé.

Orsus arrêta brusquement son cheval et sauta à terre, fonçant comme un fou dans une chaumière en flammes ou un faible cri s’échappait des décombres. Il écarta les poutres en feu, sans se soucier de la chaleur, même si elle brûlait et bouclait les bords de son manteau. La voix l’appela à nouveau, et il s’élança à travers l’incendie. Trois femmes hurlaient dans un coin sans flammes, s’étouffant avec la fumée et trop faibles pour s’échapper. Alors qu’Orsus s’approchaient d’elles, un chevron s’écrasa sur son chemin avec une explosion de cendres.

« Lola ! »

Il décrocha la lourde hache de son dos et attaqua le chevron avec témérité, le balayant de côté dans un rugissement. Les femmes réapparurent devant lui, mais à chaque pas lourd le monde tremblait, l’air vacillant dans la chaleur, l’image se tordant et tournoyant. Un pas. Trois femmes. Un pas. Deux femmes. Un pas.

Une femme. Toujours une femme.

« Lola ! »

« Pourquoi n’étais-tu pas là ? » Sa voix était faible et chancelante dans la chaleur de la fournaise, les fleurs d’été se fanant dans ses cheveux. « Pourquoi n’étaies-tu pas là pour me sauver ? »

« Je suis venu aussi vite que j’ai pu. Laisse-moi t’emmener… »

« Je suis déjà morte, Orsus ».

« Alors laisse-moi tranquille ! »

« Tu n’aurais jamais dû me quitter, Orsus. Tu m’as trahi ».

« Je vais te sauver ! »

Il la souleva, son corps léger et fragile comme il l’avait toujours été, à chaque fois, encore et encore. Il l’emmena à travers les flammes, à travers la chaleur et la fumée et Urcaen lui-même, mais il la déposa sur la route froide et sombre, ce n’était pas Lola mais un autre visage, trois visages, couverts de suie et vomissant mais vivants.

Jamais Lola.

Encore et encore et encore, mais il n’avait jamais sauvé Lola.

Le Kovnik Bogdan descendit de cheval à côté de lui. « Bien joué, monsieur. Vous les avez sauvés ».

« Elle est morte ».

« Le village brûle, mais ceux qui vivaient ici sont vivants, Kommandeur. Nos éclaireurs ont déjà fait le tour du périmètre et j’ai moi-même parlé avec le bourgmestre. Les forces mercenaires ont reculé lorsqu’elles ont appris notre venue. Ils sont prêts à nous affronter, mais nous avons sauvé des centaines de personnes.

« Elle est morte, et nous aurons notre vengeance. Dis aux hommes de former de former les rangs ».

« Une villageoise, ce n’est pas la fin- »

Orsus attrapa le col de l’homme avec son gant de fer clouté, le soulevant. « Un village est tout, Kovnik. Une villageoise, c’est le royaume ». Il jeta Bogdan au sol. « Dis aux hommes de former les rangs. Nous n’attendons pas l’aube ».

Bogdan s’étouffa et chercha de l’air. Les chevaux sont trop épuisés, Kommandeur. Ils mourront avant que nous atteignions l’ennemi ! »

« Alors nous combattrons à pied », répondit Orsus, son visage étant une fureur fulgurante dans la lumière des flammes, « et quand nos pieds céderont, nous nous battrons à genoux, et quand nos genoux seront des moignons sanglants, nous ramperons vers l’ennemi et nous le tuerons avec nos dents ».

« Mais pourquoi, monsieur ? »

« Parce qu’elle est morte. Quelqu’un doit être puni ».

Le kovnik se leva en titubant et cria l’ordre. Les forces épuisées reprirent le cri et se mirent en formation. Les lances ont été révélées, les épées ont été dégainées, les fusils amorcés et chargés. Orsus s’avança jusqu’à la lisière du village, Lola en main, et lorsque les feux s’élevèrent derrière lui, son ombre tomba sur l’ennemi, noire et sans limites.

« Je suis venu pour vos vies ! » rugit-il. Et elles ne suffiront jamais.

Il n’attendit pas son armée. Agrippant fermement Lola, il lança un défi et chargea l’ennemi seul, un Kodiak et un Maraudeur suivant de près leur maître. Les balles le frôlaient, le heurtaient, le traversaient, mais il frappa leurs lignes tel un obus d’artillerie, dispersant des soldats brisés à chaque coup de sa géante hache. Le Maraudeur réduisit un Nomade mercenaire en ferraille ; le Kodiak alla à la rencontre d’une charge de cavalerie Tête d’Acier, choppa le chef et le projeta aux milieux d’eux, cheval et tout. Les soldats khadoréens criaient maintenant, suivant leur commandant, mais Orsus les ignora ; ils vivraient ou mourraient de leur propre force. Il était temps maintenant de faire la seule chose pour laquelle il avait toujours été bon.

« Ce n’est pas vrai », dit Lola.

Il cria à nouveau pour la couvrir et apporta la mort à son ennemi.

À l’aube, l’ennemi était dispersé, brisé et mourant sur le terrain. Il y avait des traînards à finir, et les hommes avaient besoin de nourriture et de repos, mais …
« Les chevaux sont-ils prêts, Kovnik ? »

Bogdan secoua la tête, trop épuisé pour parler.

« Fais-les sceller, alors. Nous chevaucherons à nouveau à midi ».

Peut-être que cette fois nous la sauverons.

* * *
« Molonchnaya », dit Orsus.

Aleksei hocha la tête.

« Tu ne casses que du matériel ? Pas de jambes brisées, pas de blessés, pas de mort ? »

« Aucun ».

Orsus regarda le sol de la taverne. « Un magasin coûte cher », dit-il enfin. « Tu as parlé d’une prime ».
« Un mois de salaire ».

« Tu vas m’en donner deux ». Il fixa Aleksei, sans chercher à discuter.

Aleksei fit une pause, puis hocha la tête. « Deux ». Un sourire froid traversa son visage. « C’est bon de te revoir ».

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