PARTIE UNE
Orsus retrouva Lola dans un village de montagne, écoutant un ménestrel ambulant dans une taverne pleine de paysans. Il arriva après la tombée de la nuit, couvert de neige. Il se tint à la porte et piétina la boue de ses bottes. C’était un endroit pauvre, petit et oublié du reste du monde, mais c’était la plus grande civilisation qu’Orsus avait vu en près de six mois. Il dit à Laika d’attendre dehors, utilisant son esprit pour donner au steamjack un ensemble d’instructions rudimentaires, puis passa la tête dans l’entrée basse, se sentant timide, sale et pas à sa place.
La pièce était éclairée par des torches et la lueur orange vif d’un foyer centrale, où le musicien se tenait debout avec son violon et faisait de clins d’œils audacieux aux servants pendant qu’il chantait. Orsus enregistra sa présence et l’analysa, ainsi que les autres personnes présentes dans la pièce : onze hommes forts, probablement des fermiers, et sept autres ayant l’air plus doux et habiller plus finement – des propriétaires terriens, peut-être, ou des artisans. L’un d’entre eux était assis à part. Ses vêtements le désignaient comme un étranger, un marchand ambulant, selon Orsus. Aucun d’entre eux ne représentait une menace, aussi les ignora-t-il. Il secoua la neige de son énorme manteau – pratiquement une peau entière d’un ours noir, bordée de sa fourrure la plus épaisse – et se dirigea vers le bar, appuyant sa hache à long manche contre lui toute en retirant ses gants. Une servante pas plus grosse que la hache le regarda avec une évidente frayeur mais réussit à balbutier un salut et s’enquérir de sa commande.
«
Vyatka », dit-il, plus bourru qu’il ne l’aurait voulu. Il n’avait de querelle avec cette fille ni avec qui que ce soit dans le village ; il n’était même pas sûr de quel village il s’agissait. Cela faisait tout simplement trop longtemps qu’il n’avait pas parlé à quelqu’un d’autre que Laika, et sa voix semblait rauque, peu familière. Il lui fit un signe de tête et força un sourire, essayant de se rappeler comment les gens civilisés se comportaient. Il sentit les yeux des fermiers sur lui et la servante, qui était assez jolie, avec des cheveux châtains dorés de la même couleur que ceux de Lola. Il se demanda si elle était en danger – un prétendant jaloux, peut-être, ou un simple débauché. Elle se détourna pour aller son verre, et alors qu’il la regardait partir ses pensées se tournèrent à nouveau vers Lola pour la première fois depuis des lustres …
… et puis elle fut là, appuyée à côté de lui, appuyée contre le bar. « Rien pour moi ? »
Orsus sentit sa gorge se nouer, mais il était trop endurci pour se laisser surprendre facilement. Il garda la voix basse et répondit sans même la regarder. « Tu ne bois pas. »
« Tu ne l’as jamais fait, non plus. »
La serveuse posa un verre sur le bar – pas une tasse en grès mais un vrai verre, grand, fin et fragile – et versa une double dose de vyatka d’une fine bouteille. Orsus n’avait jamais demandé de double, mais la plupart des serveurs lui en servaient un grand quand même. Il mesurait deux mètres vingt-huit et était bâti comme un bœuf, son visage décharné marqué par d’innombrables batailles. Il souleva le verre, prêt à le boire d’un trait, mais s’arrêta, le reposa sur le bar en bois usé et le fit glisser devant Lola.
« Tu en veux ? »
Il ne l’avait toujours pas regardée, n’avait toujours pas osé, mais sa voix était comme le soleil et le miel, si familière qu’il la reconnaîtrait n’importe où. Une voix accompagnant ses rêves chaque nuit.
« Excusez-moi ? » demanda le marchand ambulant. Il était assis à la gauche d’Orsus, loin de Lola, et Orsus tourna la tête juste assez pour l’apercevoir du coin de l’œil.
« Cela ne vous concerne pas », dit Orsus.
« Je suis désolé », dit le marchant, « je pensais que vous m’offriez à boire. Petite terriblement sympathique, pensai-je. Je suis content de m’être arrêté. Peu importe, c’est ma faute si je vous ai mal compris, mon nom est … »
« Je parlais à la dame », grogna Orsus en se détournant. La vyatka était toujours posée là, les mains blanches et pâles de Lola reposant doucement à côté d’elle, mais il pensait pouvoir la faible empreinte de ses lèvres sur le verre. Il avait envie de le prendre, de poser ses lèvres au même endroit et d’imaginer pendant un instant qu’elles se touchaient …
« Quelle dame ? »
Orsus plissa les yeux et se retourna vers le marchand. « Excusez-moi ? »
« Il n’y en a pas beaucoup ici que j’appellerais des dames », dit le marchand avec un sourire narquois. Ce qui s’en rapproche le plus c’est cette brune dans le coin, et elle a l’air terriblement occupée. S’accrochant au bras de ce changeur de monnaie comme s’il était en or, ce qui est probablement le cas en ce qui la concerne. Il faudrait courtiser une femme comme elle. Le reste de ces traînées … »
«
Qu’est-ce que tu as dit ? » La voix d’Orsus était sombre et pleine de menace. Il posa très légèrement sa main sur le dos de l’homme. Même ainsi, le poids de sa main, de la taille d’une poêle – ses doigts s’étendaient presque d’une épaule à l’autre – était menaçant. Il sentit le marchand se crisper.
« Cela ne voulait rien dire, monsieur, honnêtement monsieur. Je ne fais que passer. Je ne veux pas d’ennuis avec votre village, monsieur. »
« Ce n’est pas mon village. Mais les femmes qui s’y trouvent – les dames, que tu le penses ainsi ou non – tu peux considérer qu’elles sont sous ma protection. Maintenant, sors d’ici. » Il leva la main et le marchand descendit de son tabouret et à mi-chemin vers la porte en un instant. Orsus se retourna vers le bar, calmant sa rage. « je suis désolé pour ça. »
« Tu ne peux pas laisser tout te déranger autant », dit Lola. « Ce n’est pas comme ça qu’on vivait avant. »
« Je suis désolé pour ça aussi. »
« Ça ne change rien, cependant. »
Orsus nota le soupçon de tristesse dans sa voix. Il voulut dire quelque chose d’autre, mais il ne sut pas quoi – il avait déjà présenté des excuses, et elle n’était manifestement pas intéressée par d’autres. Il resta silencieux, espérant qu’elle comblerait le vide. Elle savait toujours quoi faire.
Les doigts de Lola tapaient sur le bar en bois en rythme avec la chanson du ménestrel. « Veux-tu danser ? »
Orsus rit, se sentant à nouveau comme elle l’avait fait toujours fait ressentir autrefois – un écolier mal à l’aise, gigantesque et maladroit et trop amoureux pour dire non. « Tu sais que je ne suis pas doué pour la danse », dit-il, mais elle posa sa main sur la sienne et ses protestations s’envolèrent comme la neige au soleil.
La sensation de sa peau était un miracle, douce et choquante, familière et électrique. Comme si elle sortait et rentrait à la maison en même temps. Une aventure sas fin plus juste et réelle que tout ce qu’il avait jamais connu. Il la regardait maintenant, pour la première fois depuis, il ne savait plus combien de temps. Ses yeux étaient grands ouverts, insouciants et débordants de vie comme ils l’avaient toujours été, ses cheveux radieux et étincelants, sa peau douce comme une crème soyeuse. Il posa la main sur sa taille, leurs regards se croisèrent et il cria au ménestrel d’une voix retentit à travers la pièce tel un canon.
« Connais-tu des chansons à danser ? »
Le ménestrel joua une note discordante sur son violon, choqué par le volume de la demande. « Je … n’ai pas de
bayan, monsieur, mais je pourrais essayer de … »
« Ton violon suffit », répondit Orsus. Il sourit à Lola. « Joue une kareyshka ! Je vais danser avec ma femme. »
Ils s’avancèrent vers le centre de la pièce, de petits pas de côté dans le style traditionnel, mais aucune musique vint. Orsus leva les yeux avec fureur pour remarquer le ménestrel avec sa mâchoire pendante, le fixant bêtement. « Je t’ai dit de jouer ! » Rugit-il et le ménestrel positionna son violon. Il commença à jouer une chanson à l’archet, d’abord d’une main tremblante, puis plus rapidement et avec plus d’assurance au fur et à mesure que ses mains reprenaient leur schéma régulier. Orsus regarda Lola et la fit tournoyer à travers la pièce, marchant et trébuchant et se faufilant entre les tables. Il lui sourit plus vivant qu’il ne l’avait été depuis des années, et elle lui sourit en retour, plus vivante que … »
Les gens riaient. Orsus les ignora. Il les laissa rire ; ils s’étaient moqués de lui toute sa vie et cela ne l’avait jamais dérangé. Il était amoureux de la femme la plus merveilleuse du monde, et maintenant elle était à lui, et elle le regardait, lui souriait, le tenant à nouveau comme elle l’avait fait avant …
Sa tête lui faisait mal à force de tourner, et il revint à la partie la plus simple de la danse, de petits pas en avant et en arrière, tenant Lola d’abord d’une main puis de l’autre, la lumière de la torche brillant dans ses yeux comme de l’acier.
« C’est ce que vous vouliez dire, » C’était une voix familière, celle du marchand, gloussant d’un rire aigu s’élevant par-dessus le violon. « Il m’a dit que la vyatka était pour une dame – je n’aurais jamais imaginé qu’il parlait de cette vieille chose ! »
Orsus sentit la rage monter en lui, mais Lola gloussa doucement. « Ignore-les. »
« Sa femme, il l’appelait », dit un autre fermier, accueilli par un autre éclat de rire. « Tu crois qu’il l’embrasse aussi ? Une chose aussi dégoûtante comme ça ? »
« Retire ça ! » Le rugissement d’Orsus fit trembler les chevrons, et en deux pas il fut à côté de l’homme, le soulevant de son siège d’une main autour de sa gorge. « Retire-le maintenant ou je te brise le cou ! »
La salle entière se leva en un instant, certains hommes reculant, d’autres se penchant en avant comme s’ils avaient l’intention de se précipiter sur li. Orsus faisait plus d’une tête de plus que le plus grand d’entre eux, plus large d’une main que le plus large. Le fermier dans sa poigne donna des coups de pied frénétiques alors qu’il était suspendu en l’air, griffant les doigts d’Orsus autour de son cou.
« lâchez-le » dit l’un des artisans. Une femme aux cheveux noirs se recroquevilla derrière lui, et la servante derrière elle. « Posez-le simplement, gentiment et tranquillement, et nous oublierons tout cela.
« Il l’a traitée de dégoûtante. »
« Et il est vraiment désolé. »
« Je veux l’entendre le dire. »
« Ce n’est qu’une hache ! » cria un autre fermier. « Pour l’amour de Menoth ! » L’homme posa une main sur Lola, la tirant au loin, et Orsus regarda sa robe se déchirer, son bras s’arracher, sa poitrine se couvrir de sang.
Le monde devint rouge de sang et de feu, l’air se remplit de cendres, de neige et de cris. « Où étais-tu ? » Implora-t-elle. Pourquoi n’étais-tu pas là pour me protéger. »
Le fermier dans sa main poussa un cri étouffa alors qu’Orsus le martelait contre l’homme au bras de Lola. Les deux hommes tombèrent avec un craquement d’os, et la pièce grouilla. Il y avait dix-sept hommes encore debout, de petits couteaux et des gourdins apparurent dans leurs mains, semblant venir de nulle part. Ce n’étaient pas des fermiers, mais des guerriers, des voleurs, des brigands et des meurtriers.
En l’espace d’un battement de coeur, il étudia la pièce, cartographiant ses obstacles et ses couverts, identifiant les plus grandes menaces. L’homme derrière le bar avait un tromblon mais n’était pas un expert en la matière, et Orsus supposa qu’il lui faudrait au moins huit secondes pour le préparer et tirer ; il avait huit secondes pour se frayer un chemin jusqu’à une alcôve près de la porte, où une solide poutre en bois pourrait les protéger du tir.
Il garda Lola près de lui, dans sa main gauche, tournant son corps pour la protéger alors que la première vague hors-la-loi s’écrasait contre lui : six hommes en même temps, des gourdins se balançant contre son visage, ses tripes et ses genoux, des couteaux s’élançant à travers les brèches de ses défenses. Il n’avait pas d’autre armure que son épais manteau en peau d’ours qu’il retourna d’un coup sec pour attraper la première petite dague, la balayant inoffensivement sur le côté. Il se retourna vers l’homme, le frappant au visage avec son coude gauche et créant une brèche dans leur cercle où Lola pourrait se tenir à l’écart. En même temps, il tendit la main droite et attrapa un lourd gourdin en bois pointé sur son visage, l’abaissant d’un coup brutal qui entraîna son propriétaire avec lui, bloquant deux autres attaques de la foule – l’une avec un gourdin qui frappa la colonne vertébrale de l’homme, une autre avec un poignard qui perça le flanc de l’homme d’une fleur rouge. L’homme qui tenait le poignard recula en titubant, les yeux écarquillés, mais avant qu’il ne puisse protester de son innocence, Orsus lui jeta le gourdin volé au visage et le fit tomber au sol sans un mot.
D’autres hommes se joignirent à la mêlée, armés d’armes de plus en plus grosses – un pied de chaise, de table, une table entière – et Orsus se dirigea lentement vers l’alcôve, bloquant et redirigeant, frappant quand il le pouvait, comptant les secondes. Dans ses yeux, les hommes étaient hargneux et enragés, faisant claquer leurs mâchoires tel des animaux sauvages, avides d’un avant-goût des lèvres de Lola, de sa peau, de sa douce et souple chair. Le barman leva son tromblon, et Orsus se battit plus furieusement que jamais, fracassant des crânes, brisant colonnes vertébrales, et lançant des corps brisés comme des javelots sur les lâches tenant de fuir. Son oreille se dressa comme celle d’un loup au son d’un petit déclic et il s’avança derrière l’épais mur juste au moment où le tromblon fit feu, une demi-livre de plomb brûlant volant droit sur son crâne. Le tir fit un dans la poutre en bois, explosant dans un nuage d’éclats de bois et de morceaux de fer tordus, mais il ne pénétra pas jusqu’au bout. Lui et Lola étaient en sécurité.
Orsus poussa doucement Lola dans le coin. Il trouva une dague plantée dans sa jambe et le retira avec un grognement, sortant de derrière le mur et la lançant sur le barman. Elle s’enfonça profondément dans sa gorge, il s’effondra, et la pièce fut vide.
Orsus scruta la destruction, attentif à d’autres attaques, mais rien ne bougea. Son adrénaline s’estompa et sa vision rouge disparut, remplacée par de grandes éclaboussures de sang rouge chaud recouvrant les murs et les chaises cassées et les tables éclatées. Des femmes gisaient parmi les morts ; les femmes l’avaient-elles aussi attaqué ? Il vit son vyatka sur le bar. Sa hache avait disparu. Il ne l’avait pas employée au cours de la bagarre, et personne ne l’avait utilisée contre lui, mais elle avait disparu.
La cendre et la neige avaient également disparu, ainsi que les hurlements, les cris, les feux et la clarté vive et écarlate. À leur place, un vide s’était installé en lui, une torpeur, comme si son âme était de pierre et sa chair de fer. Aussi invulnérable et insensible qu’un steamjack.
Il savait où était sa hache. Une pensée de lui, pensa-t-il, l’avait toujours su. Il se dirigea vers le bar, enjambant les corps brisés, et regarda la vyatka. L’empreinte de la lèvre qu’il avait vue avait disparu. Il le porta à ses lèvres et but ; ça brûlait, il le savait, mais il ne le sentit pas.
Six mois au sein de terres sauvages. Peut-être resterait-il plus longtemps cette fois. Peut-être qu’il ne reviendrait jamais.
Orsus se dirigea vers le coin et regarda sa hache, haute d’un mètre cinquante et pesant au moins quarante-cinq kilogrammes, appuyée doucement dans l’alcôve où il s’était tenu pour la protéger. « Viens Lola. Il est temps d’y aller. » Il ramassa la hache, rabattu sa capuche sur ses yeux et sortit.
* * *
« Jack ! »
Orsus l’ignora, levant sa lourde hache et entaillant à nouveau le massif tronc. Il détestait qu’on l’appelle Jack.
« jack, mon garçon, c’est moi qui t’appelle ! Es-tu aussi sourd que tu es laid ? »
Orsus se releva de toute sa taille – près de deux mètres dix de haut, bien qu’il vienne d’avoir seize ans – et regard son patron, Aleksei. « Je m’appelle Orsus. »
Aleksei était un homme de petite taille, bien que presque aussi large qu’Orsus. Quand il souriait, ses lèvres se retroussaient en un sourire si diabolique que les femmes de la ville pâlissaient et faisaient signe de croix. Il souriait maintenant, comme s’il se délectait de l’inconfort d’Orsus. « Je connais ton nom, mon garçon, j’utilise ton titre officiel. Nous en avons fini avec cet arbre, et j’ai besoin d’un ‘jack pour le déplacer. »
Orsus jeta un coup d’œil au tronc aux pieds d’Aleksei, où deux des plus jeunes garçons du village avaient passé les dix dernières minutes à tailler les branches et branchettes, préparant le tronc pour le transport jusqu’au moulin C’était un petit arbre, probablement trop petit pour que l’équipe de bûcherons s’en soucie, mais tout de même de six mètres de long et plusieurs centaines de kilogrammes au moins. Orsus l’étudia un instant, en calculant la masse et le centrage. Il secoua la tête. L’équipe d’Aleksei était un grand groupe, la plus grande entreprise d’exploitation forestière de la forêt, et ils n’avaient pas le temps de s’occuper d’un arbre aussi petit. Celui sur lequel Orsus œuvrait faisait au mois vingt-sept cinquante de long et plus d’un mètre de large sa base ; il le coupait en trois sections égales pour faciliter le transport jusqu’au moulin. C’était le genre d’arbre dont ils avaient besoin. Un arbre de la taille d’Aleksei … il n’y avait aucune raison de l’abattre en premier lieu.
Aucune bonne raison, mais une mauvaise raison douloureusement évidente.
Aleksei lorgna, désignant l’arbre, et plusieurs des autres bûcherons levèrent les yeux également, s’arrêtant pour apprécier la plaisanterie. Comme toujours, Orsus refusa de leur donner cette satisfaction. Il se retourna vers son propre arbre, préparant sa lourde hache pour un nouveau coup. « Demande à Laika de le faire. »
Orsus leva sa hache et l’abattit avec un bruit sourd, enfonçant la large lame de plus de vingt centimètres dans le bois, L’arbre abattu lui arrivait presque aux genoux, un monstre atteignant la hauteur de cuisse de n’importe quel autre homme de l’équipe, mais Orsus allait le couper en quelques frappes supplémentaires.
« Mon cher petit garçon. » Aleksei adopta son ton de nourrice le plus condescendant. « Laika est un steamjack. Elle transporte les grands arbres. Quelque chose d’aussi petit serait une insulte aux mékaniciens qui l’ont fabriquée. » Le coin de sa bouche se tordit en un ricanement « C’est un travail pour un homme-jack. »
Orsus s’arrêta, tenté de se laisser influencer par cette dernière remarque, mais il ferma les yeux et prit une inspiration. Il allait l’ignorer. Il leva à nouveau sa hache et l’abattit en biais sur sa dernière profonde coupe. La lame s’enfonça profondément dans le bois, rencontrant la ligne qu’il avait tracée lors de sa précédente frappe, découpant un morceau en forme de coin de la taille d’une jambe humaine. Il se pencha et ramassa le fragment, le jetant sur le côté comme s’il ne pesait pas plus qu’un cure-dent. Les autres bûcherons détournèrent les yeux, déçus qu’il n’ait pas mordu à l’hameçon.
Aleksei s’avança vers lui. Orsus savait ce qui allait arriver et se prépara à une autre dispute. « Je veux que tu viennes avec nous ce soir », dit Aleksei, baissant la voix d’un air conspirateur. « Molonochnaya, juste après la tombée de la nuit. On frappera personne, juste … accélérer quelques défauts de conception dans leur équipement.
Molonochnaya était le village voisin, à près d’une heure de marche. Il y avait une nouvelle exploitation forestière, Orsus le savait, une tentative désespérée de se soustraire à l’emprise d’Aleksei, et le petit homme sournois était apparemment directement confronté au problème. Ce n’était guère surprenant – Aleksei avait réalisé des « projets après les heures de travail » similaire dans la raison pendant des années, gardon son entreprise puissante en écrasant la concurrence. C’était une pratique courante pour le kayazy, comme Orsus le savait bien. Il avait été l’un des hommes de mains d’Aleksei pendant des années.
Mais plus maintenant.
« Il y a plein de monde pour tout le monde » dit Orsus en se remettant au travail. Il donna un nouveau coup de hache, arrachant un autre morceau, géant, de l’arbre.
« Des arbres, oui », dit Aleskei, « mais des clients ? Où suis-je en trouver d’autres si Molonochnaya commence à acheter à quelqu’un d’autre ? Et qu’en est-il des villages à l’est d’eux – je suis censé abandonner à commercer avec eux ? Je paie à peine les factures comme ça, Jack. Si je les perds, je devrai faire de douloureuses coupes dans la main-d’œuvre. Sans mauvais jeu de mots. »
Orsus se hérissa d’être à nouveau appelé Jack, mais la subtile menace d’Aleksei éclipsa presque immédiatement son irritation. Il lança un regard noir au petit homme. « Tu parles de me laisser partir ? »
« Je pourrais avoir à laisser partir beaucoup de personnes … »
« Je fais le travail de deux hommes dans cette équipe », siffla Orsus, « et tu parles de me renvoyer parce que je casserai pas les jambes d’un pauvre villageois pour toi ? »
« Te renvoyer de quoi ? » Dit Aleksei, sa voix petite voix lourde d’indignation. « Avec une nouvelle exploitation forestière démarrant à Molonochnaya, je vais perdre des revenus, je vais perdre toute l’entreprise. Je ne veux laisser personne partir, tu le sais, mais sans une entreprise digne de ce nom pour nous soutenir, je n’aurai pas d’autres options. »
« Donc tu me forces à t’aider, ou je perds mon travail. »
Aleksei fronça les sourcils, son indignation simulée s’épanouissant en une colère simulée juste. « Ton travail ? Quel égoïsme grotesque ! C’est plus grand que ton travail et mon travail et le travail de n’importe qui. Cette entreprise emploie la moitié de notre village, ce qui signifie qu’elle nourrit la moitié de notre village, ce qui signifie que tu retires le pain de leur bouche. »
« Quand tu entends parler d’une nouvelle société d’exploitation forestière tu ne devrais pas rechigner, tu ne devrais pas rechigner, tu ne devrais pas rester là les bras ballant. Tu devrais courir jusqu’à Molonochnaya pour leur briser les jambes sans qu’on te le demande. Je ne te force pas à faire quoi ce soit, Orsus. Je te guide. » Il fit un geste vers les deux garçons du village, taillant avec suffisance les branches d’un autre arbre tombé. « Je les guide. Je m’assure que personne ne fasse quelque chose de stupide et ne se blesse. On y va ensemble, ou pas du tout. »
« Pas du tout », déclara Orsus.
« Et tu te demandes pourquoi ils t’appellent Jack. » Aleksei secoua la tête et désapprouva. « Sans coeur comme une chaudière vide. »
Orsus avait déjà entendu tout cela auparavant – les railleries, les supplications, les menaces. Aleksei était ambitieux et cruel, mais il manquait d’ambition et ses arguments suivaient la même voie en spirale vers ses propres intérêts – la seule fin comptant pour lui. Il avait fait appel au sein de la bonté d’Orsus, une qualité qu’Aleksei ne possédait pas lui-même, et maintenant que cela n’avait pas fonctionné, il faisait appel à quelque chose qui lui était plus familier : la cupidité. Orsus hocha la tête alors qu’Aleksei poursuivait.
« Je suis en faillite si tu ne viens pas mais si tu viens ? Il y a un bonus pour toi. » Il fit tinter sa bourse. « Un mois de salaire, payé à la fin du travail. Je n’ai été aussi généreux dans ma … Pourquoi ris-tu ? »
« Parce que tu es étroit d’esprit et prévisible. »
« Dit la hache au bras qui la balance. Si tu es tellement plus grand que moi, alors pourquoi je ne travaille pas pour toi, Ta Majesté, au lieu de l’inverse ? »
« Je ne travaille pour toi que le temps d’économiser assez pour acheter une boutique », déclara Orsus. « Je te l’ai déjà dit. »
« Ah, oui », dit Aleksei, « le grand ours des bois sculptant des planches de pain pour gagner sa vie, ou des petits soleils en bois à accrocher au-dessus de la porte. Et c’est moi qui suis étroit d’esprit ? Regarde-toi, tu es une montagne ambulante. Je n’ai jamais vu un homme plus apte à la violence de toute ma vie et je crois que en sait assez sur ma vie pour apprécier ce que cela signifie. Tu n’as pas ta place dans une menuiserie, Orsus, tu n’as même pas ta place dans ce village. Sais-tu combien de fois je pleure la nuit pour le potentiel que tu gâches ? Tu pourrais avoir la fortune, tu pourrais avoir du pouvoir. Si j’avais ta force et ta stratégie, je régnerais sur toute cette vallée, et tout ce que tu fais avec, c’est abattre quelques arbres. C’est du gaspillage. » Il fit à nouveau tinter ses pièces. « Si tu ne veux pas faire quelque-chose de ta vie, gagne au moins de l’argent. Pense à quel point tu serais plus proche de ce magasin avec un mois de salaire en poche. »
« Un mois », déclara Orsus. « Je peux attendre. »
« Alors tu es aussi stupide qu’un jack ! » Cria Aleksei, et Orsus sut que la dispute avait atteint son crasseux paroxysme. « Pense à tout ce que j’ai fait pour toi ! Tout ce que je t’ai donné et c’est comme ça que tu me remercies ? J’ai donné du travail à ton père quand les rats ont détruit votre cave, et je t’ai donné un travail quand les tharn ont abattu ton père. Qui est-ce qui a payé les fonctionnaires pour que ton nom ne figure pas sur le recensement de la conscription ? Sans moi, tu aurais été dans la Garde des Glaces et tu te serais fait tué quelque part. Je t’ai appris à travailler, je t’ai appris à te battre, je t’ai appris à te défendre, et tout ce que tu sais faire c’est de me le renvoyer à la figure ? Que possèdes-tu qui n’ait pas été acheté avec mon salaire ? Qu’est-ce qui ne vient pas directement de moi ? »
Et Orsus sourit, parce qu’il avait la chose la plus merveilleuse du monde. « je l’ai. »
« Une fille ? Je peux t’avoir des filles. »
« Pas comme Lola. »
« Mieux », répondit Aleksei. « Des filles si belles que tu oublierais que cette Lola existe. »
« J’ai vu tes filles, Aleksei, et Lola fait honte à toutes. »
« Très bien, alors. » Orsus regardait d’un œil méfiant l’homme sournois s’exprimer. La conversation prenait une nouvelle tournure. « Dis qu’elle est la plus belle fille du monde, la meilleure cuisinière, la meilleure maîtresse, tout ce que tu apprécies chez une femme … »
« La plus gentille », dit Orsus, « la plus courageuse, la plus intelligente… »
« La plus ennuyeuse, alors. Peu importe ce qu’elle est, ça n’a pas d’importance. Tu restes un petit montagnard sans le sou, sans une monture à lui, avec un toit fuyant, une paillasse et un couteau et une fourchette que tu as taillée toi-même avec les chutes. »
« C’est vrai. »
« Et tu penses que ta fille veut ça ? » Reviens à moi – reviens parmi la bratya. Il y a de l’argent à ce faire, Orsus, mais tu ne le trouveras pas en train de couper des bûches comme un de ces idiots. » Il fit un geste vers les autres travailleurs. « Toi et moi ensemble, nous pouvons être riches, plus riches que tu ne l’as jamais rêvé. Tu pourras offrir à Lola une vraie maison, avec des assiettes en porcelaine, une robe en velours – tu imagines en velours ? En soie ? Elle devrait avoir des bijoux dans les cheveux, Orsus, et tu peux lui offrir. »
« Orsus pouvait l’imaginer – il ne le voulait pas, mais il pouvait, et il l’avait fait, et maintenant la vision imprégnait son esprit et il brûlait de la rendre réelle. Elle méritait toutes ces choses et bien plus encore, et un voyage de temps en temps à Molonochnaya, ou Telk, ou Chaktiz …
Orsus secoua la tête, et la vision s’estompa. « Non. » Il souleva sa hache et se retourna vers l’arbre. « Ce n’est pas le genre de potentiel que je veux atteindre. »
La voix d’Aleksei devint tranchante comme une lame. « Alors peut-être que tu n’e pas vraiment mieux qu’un jack. »
Orsus le regarda, comptant lentement dans sa tête, se retenant de briser le visage ricanant de l’homme. Il laissa tomber sa hache, se dirigea vers le tronc abattu, se tint au-dessus de lui, calculant. Les garçons du village ont reculé de surprise, et les autres bûcherons devinrent silencieux. Au cours des années de taquineries, Orsus n’avait jamais vraiment osé.
Il estima le poids dans sa tête, jaugea la balance, repéra où mettre ses mains. Il prit une inspiration, s’accroupit pour mette ses mains en dessous, et le souleva. L’arbre s’éleva, des copeaux de bois et des aiguilles de pin tombant en cascade alors que le tronc de six mètres s’envolait dans les airs. Il marcha prudemment, délibérément, en serrant les dents sous l’effort, s’efforçant de tenir bon, jusque ce qu’il laisse finalement tomber l’arbre, sans un mot, sur le tas avec les autres. Il le fixa, surpris même de lui-même, et retourna à sa hache.
« Oublie la bratya », déclara Aleksei. « Un homme comme toi devrait-être un chef de guerre. »
« Plus de combats », déclara Orsus.
« Mais pourquoi ? »
« Parce qu’elle ne veut pas que je le fasse. Et je ne le ferai plus jamais. »
* * *
Simonyev Blaustavya, grand vizir de Khador et premier conseiller de la Reine Ayn Vanar XI, s’agenouilla devant son trône, inclinant la tête devant la jeune souveraine. Il avait servi la famille royale pendant une grande partie de sa vie, y compris en tant que seigneur régent durant la minortié d’Ayn. La nouvelle reine – aussi inexpérimenté soit-elle, était comme une fille pour lui. Elle méritait tout de même le respect que ses ancêtres avaient, et encore plus de la même protection.
« Quarante Gardes des Glaces derrière le prisonnier », dit Simonyev » et six de nos vétérans Man-O-War pour l’entourer directement. Ils tiendront les chaînes. Nous aurons dix Crocs d’Acier en rang devant vous, ici, armée de piques pour l’empêcher de s’approcher trop près … »
« Amure Man-O-War », dit la reine, « dans la salle du trône du palais ? » Sa voix était douce, mais Simonyev crut entendre – comme il le faisait souvent ces derniers temps – un courant plus profond d’indépendance dans sa voix. Cela aurait été un signe de bienvenu chez un dirigeant plus expérimenté, mais chez une dirigeante jeune et inexpérimentée …
Non, se dit-il,
je ne dois pas avoir de telles pensées. Elle est inexpérimentée, mais elle est plus prête à assumer des responsabilités. Ce n’est plus une jeune fille, mais une reine. Je l’ai formée pour cela pendant des années.« L’armure Man-O-War est en effet non conventionnelle dans le palais, Votre Majesté et risque d’endommager le carrelage en mosaïque que votre grand-père a installé ici. Cependant, votre vie est d’une primordiale importance, et si nous devons écraser des œuvres inestimables pour vous protéger, nous écraserons des œuvres d’art inestimables. À moins que vous n’ayez reconsidéré ma suggestion de mener cet entretien depuis le balcon, le prisonnier étant attaché en toute sécurité dans la cour ? »
« Je vais m’adresser au prisonnier ici, comme je le fais avec tous les kommandeurs accusés de trahisons. C’est mon devoir, n’est-ce pas ? »
« Votre devoir exige seulement que vous vous adressiez à eux. S’adresser à eux dans la salle du trône est simplement une tradition. »
« Mais les traditions sont importantes. Je vous ai entendu le dire vous-même à plusieurs à plusieurs reprises. Nous avons une salle du trône remplie d’œuvres d’art, à la fois commandées et conquises, car elle impressionne nos visiteurs sur la richesse et la puissance de notre nation. Sûrement un warcaster formé et devenu un traître à la Mère Patrie devrait se voir rappeler ces qualités encore plus fortement que le visiteur commun.
Simonyev garda une face sereine, mais à l’intérieur, sa fierté luttait contre ses nerfs. Elle faisait montre de toute la force de caractère qu’il avait espéré voir en elle, mais cela pouvait la tuer. « C’est sage, Votre Majesté », répondit-il en s’inclinant », mais si vous voulez bien pardonner mon échec, peut-être ne vous ai-je pas complètement expliqué la nature du prisonnier auquel vous vous adresser aujourd’hui. C’est un monstre. »
« Tous les traîtres le sont. »
« Dans leurs âmes, peut-être. Cet homme est un monstre dans sa forme physique, sans âme à proprement parlé. Il mesure une tête de plus que votre plus grand garde. Sa poitrine est aussi que celle d’un ours, et ses bras et ses jambes aussi épais que des troncs d’arbres. Il est attaché avec les mêmes lourdes chaînes que les dockers employer pour soulever les warjacks sur les cargos – rien de moins ne le retiendra, et rien de moins qu’un Man-O-War ne peut tenir ces chaînes. Je vous assure, Votre Majesté, que les Man-O-War ne sont pas une force excessive, ils sont un strict minimum rendu nécessaire par la taille de cette porte. Il désigna l’entrée voûtée en pierre de la salle du trône. « Si nous étions ailleurs, si vous nous permettiez de tenir ce jugement dans n’importe quel autre lieu, je le ferais encadrer par des Juggernauts au minimum. »
La jeune reine réfléchit à cela, penchant la tête d’une manière qui rappelait celle de son défunt père.
Il aurait entendu raison, pensa Simonyev.
Morrow, sauve-nous des enfants entêtés.« Mon grand-père a aussi commandé de nombreux tapis et tapisseries », dit la reine. « Posez-les sur le sol, autant de couche que vous pouvez les empiler, et les laissez les Man-O-War marcher dessus ». Elle sourit. « Naturellement, vous allez d’abord nettoyer leurs pieds. »
Simonyev s’inclina, un geste lui permettant de fermer les yeux en signe de frustration silencieuse. « Si vous le souhaitez, Votre Majesté. »
Il commença à calculer combien de tapis il pourrait rassembler et combien de couche il pourrait poser s’il étirait un chemin depuis la salle du trône à la porte. Il pourrait y arriver, et cela pourrait même aider à préserver le sol mais certainement au détriment de tout les tapis entrant en contact direct avec la bande de roulement métallique des Man-O-War, nettoyé ou non. Et si le prisonnier tentait de s’évader ou – que Morrow l’empêche – d’agresser la reine, le sol serait tout de même ruiné et les tapis détruit par-dessus le marché.
« Nous n’avons pas encore abordé le plus grand danger », dit-il, « qui est sa compétence arcanique. Même s’il ne bouge pas, même s’il ne lève pas le petit doigt, il peut vous tuer par la pensée. »
« Il portera des chaînes imprégnées de puissance mystique, spécialement conçues pour annuler son lien avec la magie », dit Ayn « Du moins, je le suppose. Nous ne négligerons sûrement pas cet aspect de notre sécurité ».
Simonyev se permit un soupir silencieux et invisible. Bien sûr qu’elle se souvenait des chaînes. Il lui avait appris. « Bien sûr qu’il le fera, Votre Majesté. Il sera aussi incapable de pratiquer la magie que nous pourrons le faire. Cependant … si vous me permettez la question, Votre Majesté : pourquoi est-ce si important pour vous ? »
« C’est mon devoir, comme nous en avons déjà discuté, et c’est le meilleur endroit pour accomplir ce devoir ».
« Le meilleur à certains égards », déclara Simonyev, « et le pire à bien d’autres. Cet homme représente un danger trop réel pour vous, et nous ne pourrons pas vous protéger correctement à l’intérieur de votre salle du trône. Six Man-O-War juste pour tenir ses chaînes – avez-vous vraiment réfléchi à ce que cela signifie ? Six Man-O-War pour retenir un seul prisonnier. Dix piquiers Crocs d’Acier armés d’armes conçues pour abattre des warjacks lourds. Quarante Gardes des Glaces, non pas comme une garde d’honneur mais comme une véritable force de combat, dirigée par nos meilleurs kommandeurs, avec l’ordre de lui tirer dans le dos s’il se contracte. Nous aurons des tireurs embusqués Faiseurs de Veuve dans les galeries au-dessus de vous, nous aurons des soldats avec de lourds boucliers de fer de chaque côté de vous prêts à vous protéger du combat pendant que vos gardes du corps personnels vous escorterons par la porte de derrière. Le traître sera désarmé ; sans armure, et retenus avec des chaînes arcaniques, et encore ce matin, j’ai ordonné à dix autres Gardes des Glaces de marcher devant lui, uniquement comme obstacle pour le ralentir s’il essaie de se précipiter sur le trône. Et c’est la partie la plus importante : même tout ça, je ne suis pas sûr que ce soit suffisant. »
« Je devrais juger pour trahison simplement pour avoir permis de vivre cela, car c’est la solution la plus dangereuse à laquelle vous ayez jamais été – et j’espère sincèrement que vous serez jamais confrontée – dans votre vie. Une dernière fois, ma reine, je vous en supplie : adressez lui votre jugement depuis votre balcon, afin qu’il puisse rester dans la cour, enchaîné et mis en cage et surveillé par des warjacks. Il n’est pas simplement dangereux, il est le danger personnifié. Il est la mort et la violence incarnée sous la forme humaine la plus terrifiante. C’est un avatar de la guerre. »
La reine parut y réfléchir, ou peut-être ne sut-elle pas quoi répondre. Simonyev ne put le dire. Après une longue pause, elle s’exprima doucement mais pas, nota-t-il, avec contrition. « Parlez-moi encore de ses crimes. »
« Il a massacré votre peuple, Votre Majesté : un village entier et tous les soldats ayant tenté de le défendre. Certains d’entre eux sous son propre commandement. »
« La Cinquième Légion Frontalière », dit la reine.
Simonyev hocha la tête. « C’était le village de Deshevek, Votre Majesté, proche de Porte du Sanglier à la frontière ordique. Il y a des centaines de morts, dont la moitié par la propre main de cet homme. »
« Et c’étaient aussi des traîtres, n’est-ce pas ? Votre rapport mentionna des preuves qu’ils prévoyaient de faire sécession et rejoindre l’autorité ordique.
Il y a en effet de preuves de cela, Votre Majesté, mais cela ne justifie pas un massacre. On aurait dû leur donner la chance de se justifier, d’avouer ou de réfuter l’accusation. Un bon serviteur de Khador leur aurait offert un procès, pas un meurtre gratuit. »
La reine sourit – ce sourire sournois et exaspérant que son grand-père avait l’habitude d’afficher – et Simonyev réalisa trop tard qu’il avait été piégé
.
« Si les traites méritent un procès », dit-elle, « alors ce traître en aura un. Étendez vos tapis, disposez vos soldats, et amenez-moi cet homme. Je le jugerai comme la tradition et le devoir l’exigent. Si un kommandant à trahi le Khador, alors il m’a trahi, et je serai celui qui le condamnera. »
Simonyev hocha la tête, plus déterminé que jamais à ce que le prisonnier ne pose pas le bout d’un doigt sur la reine. Elle était encore plus déterminée qu’il ne le pensait, une digne héritière du royaume.
Plus de tireurs embusqués, peut-être, pensa-t-il, et
un autre Man-O-War pour se tenir à ses côtés avec un énorme bouclier-canon. Personne ne pourrait passer au travers, pas même le puissant Orsus Zoktavir.Et puis il s’arrêta, juste un instant, et se sentit pâlir. Il s’appelait Orsus Zoktavir, pensa-t-il, mais plus maintenant. Après le massacre de Porte du Sanglier, l’homme avait eu un nouveau nom, un nom chuchoté dans les couloirs et les ruelles, qui faisait froid dans le dos en Ord et en Khador.
Il n’est plus un kommandeur, plus un soldat, plus un homme.Il est un Boucher.* * *