ROYAUMES D’ACIER > Background – Histoire des Royaumes d’Acier

Nq 48 - Conversion

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elric:
HISTOIRES DES ROYAUMES D’ACIER

CONVERSION
par Will Shick

Caspia 604 AR

Thaddeus Solomon était assis, courbé sur sa chaise de bureau, le silence de la pièce uniquement brisé par le griffonnage de son stylo. Des piles de papiers et de livres ouverts étaient éparpillés aux quatre coins créaient une forteresse de papier branlante autour de l’ingénieur à la silhouette trapue. Ses cheveux noirs étaient parsemés de gris et une paire de lunettes à monture métallique reposait sur l’arête de son nez. Plusieurs lampes mékaniques offraient à la pièce une lueur chaleureuse malgré l’heure tardive.

Le bruit de la plume grattant le papier stoppa et ses sourcils se froncèrent, révélant de profondes rides sur son visages alors qu’il plongeait dans une pensée concentrée. Il posa le stylo et ramassa une boîte de casse-tête. Sans réfléchir, ses doigts firent tourner les différents engrenages, chaque tour entraînant le déplacement et la rotation d’autres pièces, l’actions et les réactions transformant la forme de la boîte dans sa main. Avec une soudaine clarté, il posa la boîte et commença à fouiller dans l’une des piles de documents de son bureau, le menton baissé pour lui permettre de regarder par-dessus la monture de ses lunettes. Sa bouche en cul-de-poule tandis qu’il ôtait soigneusement un manuscrit du bas de la tour de document, la faisant vaciller de façon précaire. Le page de couverture indiquait. « Principes sur la Condensation et l’Expansion Voltaïque – Sebastian Nemo ».

Il hocha al tête avec satisfaction, puis parcourut rapidement les pages à la recherche des informations dont il avait besoin. Au bout d’un moment, ses yeux bleu-gris revinrent aux notes qu’il avait prises sur le papier devant lui et il reprit son stylo. Des équations et des notes griffonnées couvraient la page, plusieurs grossièrement hachurées. À côté des papiers se trouvait un autre manuscrit. Sur celui-ci se trouvait un schéma délicatement rendu d’une chambre tempête. Pour un œil exercé, cependant, il était facile de voir que plusieurs des composants typiques avaient été modifiés et que des annotations étaient été écrites sur les changements avec une écriture cursive mais précise. Il passa son doigt sur l’une des notes, la lisant silencieusement tandis qu’il griffonnait une nouvelle équation sur sa feuille de travail.

Une voix douce venant de l’arrière le sortit de sa concentration. « Tu travaille dur, je vois ».
Thaddeus marqua une pause et relut les lignes qu’il venait d’écrire. Il grogna de frustration avant de barrer grossièrement son travail d’une rature sombre.

Il sentit des mains douces se poser doucement sur ses épaules avant de glisser le long de sa poitrine dans une étreinte amoureuse. Il sentit le visage de sa femme se presser contre le sien. Il prit un moment pour se délecter de la chaleur et de la sensation de sa peau contre la sienne. Inconsciemment, sa main libre se tendit vers la sienne, la serrant chaleureusement.

Le charme de son travail maintenant rompu, Thaddeus admira enfin la vue depuis la fenêtre faisant face à son bureau. La lumière bleu pâle de Calder brillait brillamment, flanquée de la luminescence plus faibles des lunes Laris et Atris. « Quelle heure est-il ? » demanda-t-il en posant son styo. Il ôta ses lunettes et se frotta l’arête du nez, se sentant soudainement très las.

« Il est temps pour toi de ranger ton travail et de t’occuper de ta femme », lui répondit-elle à l’oreille d’un ton enjoué.

Thaddeus sourit faiblement. « Qui a dit que je ne faisais pas déjà ça ? » Il ramassa le document sur lequel il travaillait et le présenta à sa femme pour qu’elle l’examine.

« Conduction et Amplification : Théories sur les Relais Voltaïques avancé et les Exponentielles Galvaniques. Par Eliza Solomon », lit-elle à haute voix. « Cette Eliza Solomon doit être un sacré esprit pour t’avoir mis dans un tel état ».

Thaddeus se tourna vers l’auteur du papier qu’il tenait, regardant ses yeux bruns profonds en disant : « Tu sais qu’elle l’est ».

Eliza sourit et se pencha, faisant tomber le médaillon de Cyriss qu’elle portait. Il le sentit se cogner contre lui tandis qu’elle l’embrassait profondément. Ses lèvres douces et pulpeuses lui envoyèrent une décharge électrique, et Thaddeus oublia les équations et les principes d’ingénierie. La seule chose sui occupait son esprit était Eliza.

Elle s’éloigna de lui et sa voix prit un ton plus clinique. « Alors, as-tu trouvé comment concilier l’augmentation de la production d’énergie voltaïque sans avoir recours à des alliages plus conducteurs mais moins durables ? »

Il fallut un moment à l’esprit de Thaddeus pour revenir à un mode intellectuel. « Ce n’est pas simplement une question de métallurgie. Le problème vient du condensateur et de l’amplificateur voltaïque. Bien qu’en théorie une telle production d’énergie soit possible, elle nécessite la fabrication de très petits composants intégrés avec des tolérances de déviation incroyablement minces. Ce n’est tout simplement pas réalisable compte tenu des paramètres du monde réel ».

L’un des sourcils d’Eliza se haussa. Thaddeus savait que c’était un signe qu’il allait se faire engueuler. « La théorie conduit à l’application pratique. À moins de tu ne dise que ma théorie est erronée ».

« Non ». Thaddeus savait à quel point Eliza pouvait se comporter lorsque son travail était contesté, et il savait qu’il n’avait pas assez d’esprit pour remporter un tel débat. « J’ai analysé tes chiffres de toutes les manières possibles. Ta théorie est solide. Mais bien sûr, la théorie dépasse toujours la capacité de fabrication ».

Thaddeus tenta de s’approcher d’elle, espérant mettre fin au débat intellectuel, mais Eliza croisa les bras, bloquant son avancée. Pour elle, la discussion n’était pas terminée. « Le problème est peut-être que tu te focalise trop sur le problème. Une vision plus large permet souvent de faire des révélations que l’on croyait impossibles. Il suffit de regarder ce que Sebastian Nemo a accompli dans le domaine de l’énergie voltaïque et galvanique. Son travail sur le projet du Foudroyant a fait voler en éclats toutes les idées reçues sur ce qu’est ou n’est pas pratique en matière de fabrication et de théorie ».

« Eh bien, je ne suis pas Sebastian Nemo ! » dit Thaddeus avec exaspération en se laissant tomber sur sa chaise. « Et même si le projet Foudroyant démontre son génie, je tiens à souligner que l’homme n’a pas encore réussi à le mener à bien ! »

Le visage d’Eliza s’adoucit immédiatement alors que la frustration de son mari faisait surface, et elle s’approcha de lui pour l’embrasser. « Je suis désolée. Je ne voulais pas insinuer que tu devais l’être ».

Thaddeus grogna. Il savait qu’elle n’était pas en colère contre lui, ni même qu’elle le jugeait sévèrement. Elle était passionnée par son travail et le défendait bec et ongles. Et il n’était pas en colère contre lui-même – il savait que les réponses étaient là, mais il n’était tout simplement pas assez capable pour les voir. Il murmura une petite prière à Morrow.

Eliza prit son visage dans ses mains. « Tu est un brillant ingénieur, Thaddeus Solomon. Si quelqu’un peut mettre mes théories en pratique, c’est bien toi ».

Il acquiesça à demi-mot. Elle se pencha vers lui et l’embrassa à nouveau, et lorsque leurs lèvres fusionnèrent, toute sa frustration disparut. « Maintenant, viens te coucher. Demain, tu pourras revenir aux équations et aux énigmes techniques. Peut-être que notre office avec la Lumière de la Patronne apportera quelques éclaircissements. Mais pour le reste de la soirée, il est temps pour toi de n’être rien d’autre que mon mari bien-aimé ».

* * *
L’atmosphère rassurante de la chapelle de la Lumière de la Patronne s’installa sur Thaddeus alors qu’il se préparait à réciter la prière cyrissiste qui débutait la prière. Ses yeux se tournèrent vers les vues familières du vieux bâtiment abandonné qui avait été secrètement récupéré pour servir de chapelle au groupe. Eliza lui avait dit, lorsqu’elle l’avait convaincu pour la première fois d’assister au service au début de leur cour, que le bâtiment avait près de trois siècles. Thaddeus n’avait pas eu pas de mal à le croire. Bien que le bâtiment ait été restauré depuis que la Lumière de la Patronne s’en était emparée il y a une centaine d’années, le groupe avait pris soin de cacher sa véritable fonction. Les parties accessibles aux étrangers étaient occupées par des bureaux administratif et des entrepôts. La petite communauté cyrissiste qui organisait des cérémonies depuis si longtemps n’avait pas pu effectuer de réparations structurelles majeures sans attirer l’attention, et la chapelle accusait son âge malgré tous ses efforts. Les supports en acajou autrefois riches étaient usés, le bois écaillé et terne. Le plafond bas présentait la même usure, s’affaissant à l’endroit où un vieux support était tombé. Certains auraient pu trouver oppressant le poids du temps qui imprégnait les lieux, mais pour Thaddeus, c’était incroyablement apaisant. Il forma les yeux alors qu’il entamait la prière avec les autres fidèles, laissant les paroles familières apaiser les pensées agitées de son esprit.

« Par la Patronne, la perfection est trouvée. Et c’est par la perfection que la Patronne est révélée. Par son équation, toute réalité est liée. Et par son équation notre conscience se manifeste. Le Sombre Vagabond ouvre la voie à la découverte de la révélation ».

La prière achevée, Thaddeus ouvrit les yeux et regarda vers le pupitre où le prêtre où était apparu le prêtre de la Patronne. Comme le reste du bâtiment, le pupitre accusait son âge.

Bien qu’un relief chromé de la Patronne soit incrusté sur sa face avant, une inspection plus poussée révélerait le symbole estompé de l’Université Royale Cygnaréenne en dessous. Comme de nombreux éléments du bâtiment, le pupitre avait été acquis lorsque l’université l’avait remplacé.

Derrière le pupitre était accroché une grande peinture représentant le plan céleste. Le tableau avait été minutieusement retranscrit à partir de cartes stellaires sur des toiles épaisses trouvées dans la bibliothèque de URC. Bien que loin des époustouflantes œuvres des ascendants qui décoraient les églises morrowéenne, la peinture céleste était néanmoins belle. Sa précision et son exactitude étaient impressionnantes en soi, mais la profondeur atteinte par l’artiste rendait cette pièce monochromatique inspirante. Thaddeus jura que le regarder était comme regarder le ciel à travers l’un des télescopes de l’université.

Alors qu’il se perdait dans le tableau, sa main trouva instinctivement celle d’Eliza. Il se pencha et lui murmura doucement à l’oreille : Chaque fois que je vois le travail de ta mère, je suis vraiment inspiré ».

Elle lui serra la main. « Elle serait heureuse de le savoir ».

Thaddeus grimaça lorsqu’un sourire triste se dessina sur les magnifiques traits d’Eliza. Il se maudit de ne pas avoir réfléchi ; la mère d’Eliza était morte six mois auparavant, une perte qu’il savait que sa femme portait toujours en elle.

Alors qu’il regardait autour de lui, ses yeux se posèrent sur un visage qu’il n’avait jamais vu auparavant. Il appartenait à une femme assise dans un coin près de la façade de la chapelle. Malgré sa position, l’angle de vue de Thaddeus lui permettait de la voir clairement. Les nouveaux membres étaient rares, et il trouva cette nouvelle venue assez curieuse. Elle portait une simple robe noire et ses cheveux auburn étaient relevés en un chignon serré. Elle n’était pas maquillée, d’après ce qu’il pouvait constater. Sa peau était si pâle qu’elle ressemblait presque à de porcelaine, offrant un contraste saisissant avec le noir de sa robe. Elle semblait légèrement mal à l’aise pendant que le prêtre faisait son sermon. À plusieurs reprises, ses sourcils se froncèrent et elle pinça les lèvres.

Thaddeus se souvint de sa propre réaction lors des premiers offices auxquels il avait assisté avec Eliza. Avec le temps, il avait commencé à se sentir réconforté par le message de Cyriss, mais au début, il avait eu du mal à concilier son éducation morrowéenne avec certains principes de la Patronne. D’un autre côté, la Lumière de la Patronne lui avait offert l’opportunité d’interagir avec certains des plus grands esprit de l’URC et de l’Académie Stratégique. Il était alors jeune chercheur en devenir, et ces opportunités eurent un impact direct sur son ascension au sein de la faculté de l’URC, portant ses travaux à l’attention de personnalités influentes. Cela et son amour intense pour Eliza l’avaient aidé à surmonter l’inconfort initial.

Perdu dans ses pensées, Thaddeus manqua complètement le signal de la bénédiction finale. Il fut tiré de sa torpeur par un coup de coude d’Eliza dans ses côtes. Légèrement gêné lorsqu’il réalisé qu’il n’avait pas entendu un mot du service, il reprit rapidement la prière.

Dès que la bénédiction fut terminée, les membres de la Lumière de la Patronne commencèrent à ses disperser. Thaddeus s’apprêtait à partir quand Eliza l’arrêta. « Thaddeus, crois-tu vraiment en la Patronne ? » Ses yeux bruns et profonds le regardaient attentivement.

Cette soudaine question lui fit tourner la tête. Elle ne lui avait jamais posé cette question auparavant ; il n’était même pas sûr de se l’être déjà posé à lui-même. Thaddeus tenta de gagner du temps. « Quoi ? »

Elle regarda la peinture céleste à l’avant de la chapelle. « Tu n’as pas été élevé dans cette foi comme je l’ai été. Tu n’as même pas trouvé la Patronne par toi-même, comme beaucoup d’entre nous le font. C’est moi qui t’ai amené ici ». Elle tourna son regard vers lui.

Son front se plissa e il remit ses lunettes sur son nez. C’était une particularité qu’il avait lorsqu’il s’interrogeait sur une équation qui lui échappait. « Je t’aime plus qu’au monde. Je suis heureux de partager tes convictions. Ma vie est plus riche grâce à elle ».

« C’est ce qui m’inquiète, Thaddeus ». Son visage prit un air sérieux. C’était le même regard qu’elle avait lorsqu’elle se mettait au travail. « Tu as fait beaucoup pour moi et je t’en serai éternellement reconnaissant. Mais tu n’as pas répondu à ma question. Crois-tu vraiment en Cyriss et en ses enseignements ? »

Thaddeus déglutit en sentant le regard de sa bien-aimée femme se poser sur lui. Depuis toutes ces années qu’ils étaient ensemble, ils avaient partagé d’intenses conversations sur de nombreux sujets, mais n’avaient jamais parlé longuement de leurs croyances religieuses depuis les premiers jours de leur fréquentation. Lorsqu’Eliza l’avait invité à la rejoindre à la chapelle et à écouter le message de Cyriss, il avait été ravi de le faire, ne serait-ce que pour mieux la comprendre. Il était clair que la foi était importante pour elle. Ils avaient participé à de tels offices un nombre incalculable de fois, mais en silence, chacun avec ses propres pensées. Elle ne lui avait jamais demandé s’il croyait, et maintenant il ne savait pas trop quoi répondre. Il considérait Cyriss comme une probabilité hautement plausible, l’existence physique du Sombre Vagabond comme un fait scientifique prouvé. Il appréciait les enseignements et les croyances de la Lumière de la Patronne – en tant qu’érudit et intellectuel, leur message lui paraissait vrai. Mais y croyait-il vraiment.

Eliza serra ses mains dans les siennes. « Tu as ce regard qui dit que tu luttes pour trouver la bonne réponse.. Mais la foi n’est pas quelque chose que l’on peut discerner. Elle est présente ou ne l’est pas ».

Thaddeus sentit une autre présence derrière lui. Il se retourna et vit la femme en robe noire qu’il avait remarqués plus tôt. Elle salua Eliza d’un signe de tête.

Eliza l’a présenta. « Voici Lycandria. Elle m’a approchée peu après la fin de ma thèse sur les exponentielles galvaniques. Je voulais que tu la rencontres. Elle m’a offert la chance de voir mon travail réalisé au service de la Patronne. Je suis enclin à accepter ».

Thaddeus essayait de comprendre ce que sa femme lui disait. « Parles-tu de quitter ton poste à l’Académie Stratégique ? » Ses yeux lui répondirent que lui ? « Pour quel genre de travail ? Je ne comprends pas ».

« Il ne s’agit pas de travail, mais de trouver une meilleure harmonie avec la déesse ».

Il balbutia : « Tu veux devenir . . . prêtresse ? »

Lycandria dit, « Pas une prêtresse, Professeur Solomon. Mon ordre compte de nombreux prêtres, mais l’intelligence d’Eliza la destine à une voie bien différente, tout aussi importante pour l’oeuvre de la Patronne ». Son ton était amical et chaleureux, mais quelque chose dans ses yeux le troubla.

Thaddeus se sentait confus et alarmé, mais il avait promis d’accepter la foi de sa femme. « Si tu souhaites quitter ton poste, c’est ton choix. Nous nous débrouillerons », dit-il à Eliza.

Elle secoua légèrement la tête et lui prit la même. « C’est plus compliqué qu’un simple changement de carrière. Si je choisis d’accepter l’offre de Lycandria, je devrai quitter Caspia, notre foyer et notre ancienne vie. Cela demande un engagement total ».

Thaddeus sentit sa gorge s’assécher au fur et à mesure que les paroles de la jeune femme s’imposaient à lui. « Tu me quitterais ? » demanda-t-il faiblement, ses genoux tremblant.

Elle secoua violemment la tête. « Non. Je ne te quitterais jamais. Pas pour ma déesse, pas pour quoi que ce soit ». Thaddeus hocha la tête, légèrement rassuré, mais sa tête tournait toujours sur le choc de l’idée de la perdre. Elle poursuivit : « Lycandria nous offre à tous les deux une place dans le cercle restreint. Ils ont également connaissance de ton travail » . Eliza entrelaça ses mains dans les siennes. « Je sais ce que c’est soudain, que je te demande beaucoup. Mais c’est notre chance, non seulement de nous rapprocher de la Patronne, mais aussi d’apprendre auprès de grands esprits. Le peuple de Lycandria mène sa vie en se consacrant à la perfection intellectuelle ».

Lycandria intervint : « Si vous entreprenez ce voyage, les énigmes du monde s’ouvriront à vous. La Patronne offre un éveil mental, mais voir le monde avec un regard neuf demande de l’engagement et des sacrifices ».

Thaddeus regarda les deux femmes. Ses pensées étaient confuses et son coeur battait toujours la chamade. Il essaya de faire le vide dans son esprit, de réfléchir, mais ce fut que l’un des rares moments de sa vie où a clarté logique lui échappa. Il était professeur et ingénieur, les activités intellectuelles étaient l’oeuvre de sa vie. Il réfléchit au génie collectif détenu par les seuls membres de la Lumière de la Patronne et se demanda ce qu’il pourrait trouver parmi ceux qui consacraient entièrement leur vie à la science et à la raison. Mais surtout, il pensa à Eliza et réalisa qu’il connaissait la solution avant même que la question ne soit posée.

Il l’attira près de lui et la serra fort dans ses bras. « Tant que nous serons ensemble, ma vie sera complète ».

* * *
Malgré la rapidité avec laquelle Thaddeus avait décidé de laisser son ancienne vie derrière lui, il fallut plusieurs mois avant qu’Eliza et lui n’entreprennent le voyage avec Lycandria jusqu’au Temple de Configuration Énumérative, qui, selon elle, se trouvait quelque part dans le centre des Montagnes du Mur du Dragon. Il était important qu’ils ne disparaissent pas dans la nuit, surtout en raison des liens étroits qu’ils entretenaient tous deux avec l’Armée Cygnaréenne ; si on pensait qu’il avaient été enlevés – circonstance inhabituelle mais pas inédite pour des érudits de haut niveau – l’armée pourrait faire usage de la force, et ils ne souhaitaient pas mettre qui que ce soit en danger. Ils mirent de l’ordre dans leurs affaires à Caspia et inventèrent une couverture pour leur départ, destinée à rassurer leurs collègues de l’Académie Stratégique en particulier. Thaddeus ne savait pas combien de temps Eliza et lui devraient rester cachés de leurs amis et de leur famille, mais il espérait que ces mesures suffiraient. La dernière chose qu’ils souhaitait était d’attirer l’attention des autorités sur les cyrissistes bien intentionnés de Caspia.

Le jour de leur départ, Thaddeus et Eliza jetèrent tous deux un dernier regard sur les imposantes murailles de Caspia alors qu’ils quittaient la ville. Thaddeus ne pouvait s’empêcher d’apprécier le symbolisme de cette vision. Quitter la sécurité de ce qu’ils avaient connu pour quelque chose de complètement inconnu. Il réalisa qu’il avait espéré qu’Eliza change d’avis. Cependant, elle s’était comporté au fils des moins comme elle le faisait toujours lorsqu’elle était complètement décidée à agir. Inébranlable et déterminée à réussir. Alors que les murailles de Caspia disparaissaient, Thaddeus souhaitait, et ce n’était pas la première fois, trouver la même conviction dans l’action.

Ils voyagèrent plusieurs jours en train avant d’arriver à la Gare Pointacier et de partir à pied. Après plusieurs jours d’un pénible voyage, le trio arriva à destination. Le Temple de Configuration Énumérative n’était guère plus qu’une étrange structure pyramidale de pierre située au pied d’une montagne assez importante. Une fois de plus, Thaddeus sentit le doute monter en lui. Il jeta un coup d’oeil à Eliza, mais son visage était empreint de la même détermination que depuis ce jour dans la chapelle de la Lumière de la Patronne. En repensant à la structure plutôt austère, il commença à se demander comment ils allaient se débrouiller avec les maigres possessions qu’ils avaient amenées avec eux. Lycandria leur avait assuré que le Convergence, comme elle appelait le cercle restreint de Cyriss pendant leur voyage, subviendrait à leurs besoins. Cet endroit ressemblait plus à un tombeau qu’à un atelier, une forge ou une bibliothèque.

Lycandria dut remarquer l’appréhension sur son visage. De sa voix basse et monotone, elle lui dit : « Vous n’avez rien à craindre. Comme la plupart des vérités de Cyriss, il y a bien plus dans ce temple qu’il n’y paraît à première vue ».

« Le Sombre Vagabond ouvre la voie à la découverte de la révélation », récita Thaddeus.

Un sourire amusé traversa le visage de Lycandria. « Oui, l’enseignement de votre chapelle ».

« Vous n’approuvez pas ? » demanda Thaddeus.

« Comme de nombreuses choses en dehors de la Convergence, c’est un pâle reflet de la vérité de Cyriss ». Lycandria fit un signe à Thaddeus et Eliza de la suivre alors qu’elle passait devant l’entrée du temple et ses dirigeait vers le flanc rugueux de la montagne en granit se trouvant derrière elle. Elle se tourna vers lui lorsqu’ils atteignirent la pente du massif montagneux. « Le véritable enseignement est le suivant : ‘Le voyage vers l’illumination est initié par l’éclat de la découverte’. Cyriss n’éclaire pas la voie ; vous devez trouver vous-même la voie qui mène à elle. Il en va de même pour toutes les connaissances ».

Lycandria leva la main et la posa sur le granit rugueux de la montagne. D’un mouvement souple, elle tordit sa main et puis poussa. Thaddeus regarda avec admiration la surface apparemment solide pivoter et s’enfoncer dans la falaise. Un profond grondement émana de la roche devant eux et la maçonnerie sans faille se fendit et bascula vers l’arrière, révélant une entrée béante dans la montagne elle-même. Au lieu de la pierre et de l’obscurité, Thaddeux put voir l’éclat du chrome poli, le métal miroitant éclairé par des lampes mékaniques à la lueur douce encastrées dans les murs. Plusieurs hommes vêtus d’étranges armures, la tête portant de grands casques en forme de dôme, se tenaient prêts avec de méchants fléaux à trois chaînes tenus à leurs flancs. Sur leur poitrines était gravée l’image de la Patronne des Mécanismes elle-même. Mais ce sont les automates flottant à leurs côtés qui coupèrent le souffle de Thaddeus. De la tête d’une tête de steamjack, ces automates mécaniques virevoltaient telle des abeilles ouvrières. Une lumière bleue et froide émanait des lentilles oculaires fixées à l’intérieur, et Thaddeus pouvait entendre un léger vrombissement des mécanismes internes lorsque les machines se déplaçaient. Sous chaque automate se trouvait un tube d’acier d’où jaillissaient de vicieux projectiles à tridenté.

Avec un sourire, Lycandria tendit un bras vers l’ouverture, indiquant leur chemin. « Bienvenue à la première découverte d’une longue série. Bienvenue dans le Temple de Configuration Énumérative ».

* * *
L’arrivée de Thaddeus et d’Eliza au temple se fit rapidement. Lycandria les conduisit rapidement à travers l’immense complexe souterrain jusqu’à leurs quartiers séparés, en passant devant plusieurs autres personnes qui semblaient aussi nouvellement arrivées qu’eux. Lycandria les informa qu’il était impératif lors de séquence d’initiation que les individus soient isolés. Le processus était intensif et différent pour chaque personne. Elle leur assura qu’ils seraient toujours autorisés à se voir pendant les périodes prévues et qu’ils seraient réunis à la fin de la séquence d’initiation. Le couple n’eut que peu de temps pour se dire au revoir.

La petite chambre de Thaddeus était peu meublée. Un bureau et une chaise métal étaient adossés à un mur, face au lit. Deux globes lumineux éclairaient la pièce, leur lueur pâle jetant d’étranges reflets sur les murs lisses et le plafond bas. Thaddeus posa son sac à côté du bureau avant de s’asseoir avec lassitude sur le lit. Le matelas était dur et fin, loin du lit en duvet qu’Eliza et lui avaient partagé dans leur maison de Caspia. Avant qu’il ait eu le temps de réfléchir davantage à sa vie passée, on frappa à sa porte.

Il ouvrit et découvrit un homme habillé simplement, dont le seul ornement était un symbole de la Patronne des Mécanismes accroché à une chaîne autour de son cou. L’homme lui sourit poliment et lui tendit un paquet de vêtements, informant Thaddeus qu’il devait l’escorter jusqu’à son initiation et qu’il l’attendrait à l’extérieur pendant qu’il se changeait. Thaddeus s’empara du paquet et ferma la porte, se sentant inquiet et nerveux. Il ne savait pas quoi s’attendre. Lorsqu’il fut vêtu d’une simple tunique et d’une culotte, il prit une profonde inspiration et sortit pour retrouver son escorte qui l’attendait. Sans un mot, l’homme le mena à travers plusieurs couloirs. Finalement, il s’arrêta devant une épaisse porte en acier ornée du visage de Cyriss gravée dans un motif de lignes abstraites, un motif esthétiquement plaisant.

L’homme fit un geste vers la porte et dit : « Tous les voyages débutent par un choix ; le vôtre vous a amené ici. Un tel voyage comporte inévitablement des obstacles. La mesure d’un penseur est la façon dont il les surmonte. La prochaine phase de votre éveil vous attend ».

Thaddeus acquiesça, reconnaissant qu’il devait s’agir d’une formalité symbolique, puis il tendit la main vers la porte pour l’ouvrir. C’est alors qu’il se rendit compte qu’il n’y avait aucun bouton ou levier qu’il pouvait voir. Lorsqu’il posa la main sur la porte et la poussa, celle-ci ne bougea pas. Il jeta un coup d’oeil à son guide, mais l’homme s’était posté près de la porte et regardait en arrière par où ils étaient venus, le visage aussi impassible que celui d’une statue. Le pouls de Thaddeus s’accéléra légèrement lorsqu’il réalisa qu’il devait s’agir d’une sorte de test. Ses yeux se plissèrent alors qu’il sentait sa détermination s’accroître. Il ne se laisserait pas décourager par porte récalcitrante.

Thaddeus se retourna vers la porte en acier lisse. Il scruta à nouveau sa surface à la recherche d’une poignée, mais n’en vit aucune. Ses sourcils se froncèrent lorsqu’il commença à examiner la porte de près. Il pensa d’abord à chercher des charnières, car elles indiqueraient au moins de quel côté la porte pouvait s’ouvrir, mais une exhaustive recherche n’en révéla aucune. Thaddeus sentit sa curiosité grandir. Il passa son doigt le long de ligne, puis sur la surface à motifs. Il recula d’un pas et se caressa le menton tandis qu’il élargissait son champ de vison et que son esprit était perplexe.

N’ayant rien d’autre sur quoi se fixer, ses yeux observèrent les motifs alambiqués à la surface de la porte. Il fronça les sourcils et recula encore, jusqu’à ce qu’il puisse voir l’ensemble de la porte d’un unique coup d’oeil. Il la fixa pendant ce qui lui sembla être une éternité, et une partie de lui se demanda s’il n’était pas trop stupide pour être ici. Sa femme avait toujours été plus brillante. Il n’y avait pas grand-chose à dire, mais les lignes l’intriguaient. Il se rendit compte qu’elles ne formaient pas du tout un schéma standard, mais quelque chose qui ressemblait à un labyrinthe ou à une version extrêmement complexe des schémas de conduits qu’il avait utilisés pour réparer des machines mékaniques. Dans de tels diagrammes, il était important qu’aucun conduit n’en croise directement un autre, et ce schéma semblait similaire.

En établissant le lien mental, il fut capable d’identifier un petit défaut dans les lignes – et il réalisa alors qu’il n’y en avait pas une, comme il l’avait d’abord pensé, mais trois espacées autour du symbole de la déesse. Il s’agissait de zones où les lignes étaient étrangement brisées et déconnectées. Les ruptures étaient très petites et subtiles, mais elles lui semblaient désormais claires.

Il s’avança et toucha l’un de ces points, et ressenti de la satisfaction en voyant une minuscule section circulaire, plus petite que le bout de son doigt, en retrait. Il tourna son doigt et la section pivota également puis se remit en place, maintenant avec les lignes alignées et connectées. Il effectua la même opération aux deux autres endroits défectueux.

Lorsqu’il eut compléta le troisième, il entendit un bruit sourd et une lumière bleue suivit le tracé de la porte, de l’extérieur vers l’intérieur. Lorsqu’elle atteignit le visage de Cyriss, la porte métallique s’enfonça et glissa sur le côté où il remarqua qu’elle était clairement montée sur un rail métallique.

La pièce à l’intérieur était bien éclairée. Une grande table de travail se trouvait au centre, avec des outils et des instruments mékaniques de toutes sortes disposés en rang serrés. Elle était surmontée d’un appareil multi-pivotant sur lequel s’étendaient plusieurs lentilles oculaires. D’autres outils étaient accrochés en rangs sur les murs. L’endroit sentait légèrement la graisse mékanique et la soudure fondue. Lycandria était assise sur un tabouret au poste de travail central. Un large sourire apparut sur son visage.

« J’espérais que vos compétences d’ingénieur vous permettraient de trouver la solution plus rapidement que la plupart des autres ».

« Je dois admettre que j’étais presque désespéré. Cela m’a semblé tout à fait déconcertant au début ».

« Pourtant, vous avez réussi à résoudre l’énigme ». Le visage de Lycandria prit un air sérieux. « Comment ? »

Thaddeus réfléchit à la question pendant une seconde. « En l’examinant de près, je n’ai trouvé aucun indice. J’ai dû prendre du recul, regarder la porte dans son ensemble, et c’est là que j’ai remarqué le motif. Une fois que je l’ai vu, il m’a semblé évident. J’ai été surpris de ne pas l’avoir vu auparavant ».

Lycandria hocha la tête comme s’il avait prononcé quelque chose de profond. « L’illumination est souvent ainsi. Très bien Thaddeus. C’était votre introduction à la Troisième Harmonique : ‘Le pouvait de la compréhension transcende l’inexplicable.’ Je peux déjà dire que votre vie antérieure vous a donné les outils nécessaires pour embrasser ce principe essentiel. Il n’y a rien qui ne puisse être compris avec la correcte application de la raison ». Elle désigna la table de travail. « Votre premier pas vers l’éveil a été accompli. Êtes-vous prêt à en accomplir un autre ? »

* * *
Pendant les premiers pas au sein du  Temple de Configuration Énumérative, Eliza et Thaddeus furent soumis à un emploi du temps rigoureux régissant chaque minute de leur vie. On attendait d’eux qu’ils accomplissent chaque tâche quotidienne exactement  à la même heure que la veille. Il voyait régulièrement des escortes du temple avec un certain nombre d’autres personnes qui semblaient subir un processus similaire. Ils n’avaient aucune chance d’interagir les uns avec les autres, à l’exception de brèves salutations polies lorsqu’ils se croisaient dans les couloirs.

Bien que Thaddeus ait été une personne méticuleuse dans sa précédente vie, le niveau attendu par Lycandria était extrême. Pas un seul aspect de la routine n’était dévié pendant cette période. Il s’habillait de la même façon, mangeait la même nourriture à la même heure et, plus frustrant encore, suivait exactement les mêmes cours. Le seul point positif de sa journée était la dernière heure avant la sommeil, lorsqu’il était autorisé à voir Eliza. Lycandria leur avait demandé à tous les deux de ne pas parler de leurs cours, car chacun avançait à son rythme. Thaddeus était cependant assez intelligent pour déduire qu’Eliza avait progressé plus vite que lui dès la deuxième semaine, lorsque sa tenue commença à varier légèrement d’un jour à l’autre.

À la cinquième semaine, sa frustration atteignit un point d’ébullition et il passa son heure avec Eliza à s’énerver contre l’inutilité de cette exaspérante routine. Bien qu’elle l’ait serré contre elle pour l’apaiser, il remarqua qu’elle ne disait rien sur la raison de sa colère. Le lendemain matin, Thaddeus s’attendait à une mesure disciplinaire pour son emportement, mais il fut accueilli par la même routine. Réalisant que sa situation pourrait bien ne pas finir, il décida de stimuler son esprit en perfectionnant chaque action de chaque tâche qu’il devait accomplir pendant la journée. Au fur et à mesure qu’il sollicitait davantage son esprit et son corps, sa frustration s’estompait. Il commença même à anticiper avec impatience la prochain obstacle. Cela lui rappelait l’enthousiasme avec lequel il était entré à l’université dans sa jeunesse, enthousiasme qui s’était estompé au cours de ses années de professorat.

Un matin, il sortit de sa chambre et ne trouva pas son escorte habituelle, mais Lycandria. Thaddeus fut surpris par le changement de structure. En souriant, elle lui dit qu’il avait enfin compris la Première Harmonique : ‘La précision est le théorème d’ouverture de la preuve de perfection.’ ». Elle lui expliqua que la perfection dans toutes les actions était la pierre angulaire de la connexion avec Cyriss, et que ce n’était qu’une fois cette leçon comprise qu’une personne pouvait espérer avancer dans son progrès spirituel.

Elle le conduisit à l’atelier où il avait subi son premier test. La table était recouverte d’un large assortiment de pièces usinées. Les engrenages, les ressorts, les tôles d’acier et les rivets côtoyaient des composant mékaniques plus avancés. Lycandira lui fit signe de s’asseoir.

Elle lui tendit un schéma usé et lui demanda de le construire. Thaddeus la regarda d’un air interrogateur mais fut heureux de relever un nouveau défi. Elle lui dit que pendant qu’il le construisait, il devait réciter le catéchisme de la Deuxième Harmonique : « Les principes mathématiques lient la réalité à la conscience ». Après son départ, Thaddeus commença à examiner les schémas qu’elle lui avait remis. Il reconnut la machine comme l’un des appareils mékaniques que la Convergence appelait serviteurs. Il s’était émerveillé devant les rares quelques-uns qu’il avait vus flotter dans les couloirs du temple. En regardant le fonctionnement interne de la machine, il fut encore plus impressionné par sa construction. Il lui fallut près d’une semaine pour achever sa mission.

Même s’il était mentalement épuisé par l’effort de déchiffrer les plans, il ressentit une bouffée de fierté alors que Lycandira examinait son travail. Elle sourit et lui demanda de démonter la machine puis de la reconstruire. Cette fois, Lycandria resta pour donner un cours sur les Neuf Harmoniques et la nature de la Convergence. Lorsqu’il eut terminé, Lycandria lui demanda de répéter toute la procédure. Cela dura encore plusieurs semaines, jusqu’à ce que Thaddeus soit capable de construire et de déconstruire le serviteur par coeur. La monotonie de la répétition ne l’agaçait plus comme elle aurait put le faire autrefois, et il s’efforçait plutôt de se rapprocher d’une compréhension parfaite de sa tâche. C’est lorsqu’il se perdit véritablement dans son traval qu’il sentit les leçons de Lycandria résonner dans son âme. Bientôt il se sentit désireux de ces moments où il se sentait proche d’une compréhension suprême.

Thaddeus et Eliza vivaient parmi les membres de la Convergence depuis près de quatre mois lorsqu’Eliza lui fit par d’un important test à l’horizon et lui annonça qu’ils ne se reverraient peut-être pas avant un temps certain. Le coeur de Thaddeus se brisa à cette nouvelle. Lycandria lui avait récemment appris qu’Eliza s’était exceptionnellement bien adaptée aux enseignements de la Convergence, et il avait espéré que ses progrès leur permettraient de passer plus de temps ensemble, et non moins. Il souhaitait faire preuve de la même aptitude, car il avait conscience qu’ils ne pourraient pas reprendre leur vie commune tant qu’ils n’auraient pas tous les deux réussi l’initiation.

Lorsqu’il revint dans sa chambre, il vit une pile de papiers sur son bureau. Une note de Lycandria y était jointe. On pouvait y lire : « C’est là que réside la vérité sur Cyriss ». Même s’il était fatigué, la curiosité de Thaddeus le poussa à parcourir brièvement les premières pages. Des lignes et des lignes d’équations complexes l’accueillirent. Curieusement, chacune d’entre elles était accompagnée d’une solution. Un examen plus approfondi révéla que certaines de ses solutions semblaient erronées. Pour quelques autres, l’entière structure de l’équation était confuse. Les erreurs étaient si étranges qu’il se retrouva assis au bureau plutôt qu’allonger pour dormir comme il l’avait prévu. Ses sourcils se froncèrent et il remonta ses lunettes sur l’arête de son nez. Après avoir parcouru quelques feuilles d’équations supplémentaires, il prit du papier et un stylo dans le tiroir de son bureau et commença à griffonner avec acharnement les notes.

* * *
Le lendemain, Thaddeus s’assit à son cours pour sa leçon avec Lycandria, les yeux larmoyants et épuisés. La nuit précédente, il était devenu tellement absorbé par la pile d’équations qu’elle lui avait laissée qu’il avait peu dormi. Elle pouvait clairement remarquer la fatigue sur son visage, mais elle commença la leçon du jour sans pause. Thaddeus, cependant, ne pouvait pas détourner ses pensées des documents. Finalement, il décida qu’il devait l’interroger à ce sujet. « Ces documents que vous avez laissés sur mon bureau hier soir, qu’est-ce que c’est ? »
Lycandria marqua une pause, comme si elle s’attendait à cette question. « Ce sont des impressions d’une ingénieuse machine à calculer connue sous le nom de Moteur à Encoder ».

Une machine à calculer ? »

Elle acquiesça. « À la base, oui. Le Moteur à Encoder a été conçu par certains des plus brillants esprits de notre ordre. Il peut calculer de manière autonome ».

Thaddeus haussa un sourcil. « Il est clair qu’il n’est pas encore tout à fait au point. Les données que vous m’avez fournies sont remplies d’incongruités ».

Un sourire complice franchit les lèvres de Lycandria. « J’espérais que vous pourriez m’aider à les déchiffrer, étant donné votre formation. Pendant votre temps libre, bien sûr ».

Thaddeus acquiesça, son esprit retournant aux étranges anomalies dans les données alors même que Lycandria reprenait son cours. Il passa les nuits suivantes à étudier les feuilles de données et d’équations. Bientôt, son bureau fut jonché de pages griffonnées par sa main et, au fil des jours et des semaines, ses pages devinrent de plus nombreuses que celles du paquet original.

Dans le même temps, les leçons de Lycandria progressaient en difficulté et en intensité, et Thaddeus se retrouvait de plus en plus en difficulté. Les tâches d’ingénierie commencèrent rapidement à dépasser les limites de ce qu’il savait possible, mais chaque fois qu’il l’exprimait, elle produisait un modèle fonctionnel de l’appareil décrit par les schémas, puis se lançait dans un enseignement sur l’une des Harmoniques.

Thaddeus avait l’impression de se heurter à un mur et craignait de ne jamais terminer la séquence d’initiation. Il avait hâte de revoir Eliza. Son esprit incisif n’aurait eu aucun mal à relever les défis auxquels il était lui-même confronté. Alors qu’il était assis à son bureau, entouré de ses notes grossièrement griffonnées et des feuilles du Moteur à Encoder, il se perdit dans ses souvenirs. Bientôt, il sentit un étrangement picotement au fond de son esprit et se força à se reconcentrer sur la page se trouvant devant lui. Une pensée le frappa soudainement tel un éclair, provoquant un électrochoc dans sa conscience. Il fouilla frénétiquement dans les piles de papier en désordre à la recherche de la page suivante du document.

Sa main tremblait légèrement d’excitation lorsqu’il la souleva pour l’inspecter. Il saisit la feuille de papier la plus proche de lui et commença à griffonner dans un coin vierge. Telle une digue cédant, l’élan de compréhension menaçait de l’emporter. Ce qu’il avait longtemps cru être des cas uniques d’erreurs de calcul étaient en réalité tous étroitement liés. Son erreur avait été de ne pas regarder l’ensemble, comme Eliza l’avait souvent réprimandé. Il s’était trop concentré sur le problème spécifique en question. Séparément, les erreurs n’étaient que cela, mais lorsqu’elles étaient prises dans leur ensemble, elles représentaient un schéma distinct et logiques. Elles constituaient elles-même un code.

Le rythme du grattement du stylo s’accéléra jusqu’à devenir un allegro furieux lorsque la clarté gagnait de Thaddeus. Page après page des équations erronées du Monteur à Encoder furent analysées puis écartées tandis qu’ils démêlait leurs messages cachés, tous plus rapidement que le précédent. En quelques heures, il avait résolu ce qui lui avait pris des semaines. Alors que la dernière page tombait de sa main, il regarda son travail et vit pour la première fois de sa vie les paroles de la de Cyriss, la Patronne des Mécanismes, qui le fixaient.

* * *
Thaddeus avait du mal à contenir son excitation. Tout son être bourdonnait de la puissance d’une soudaine révélation. Il attendait avec impatience la matinée pour révéler ses découvertes à Lycandria et souhaitait désespérément qu’Eliza soit avec lui. Il y avait tellement de choses dont il voulait discuter avec elle. Son esprit était confus.

Le matin venu, il se précipita à la recherche Lycandria. Dès qu’il la vit, les paroles jaillirent, comme de la vapeur s’échappant d’une chaudière en surpression. À chaque phrase excitée, Lycandria rayonnait davantage, même si elle ne disait rien. Quand il eut finalement fini, il chercha dans son regard une réponse enthousiaste, mais elle se contenta de le regarder avec un sourire satisfait.

Alors que son euphorie commençait à se dissiper, il prit conscience de la situation. « Vous saviez déjà tout cela, n’est-ce pas ? »

Lycandria acquiesça. « Les documents que je vous ai remis ont été traduits il y a de nombreuses années ».

Thaddeus sentit son visage se décomposer. Tout cela n’était qu’un test. « Je n’ai donc rien fait », grommela-t-il, dépité.

Pour la première fois, il entendit la voix de Lycandria quitter son ton monocorde. « Non, Thaddeus, tu as fait plus ce que beaucoup de nos fidèles pourraient espérer. Ceux qui ont la capacité mentale de discerner même le plus simple des messages de la Patronne sont peu nombreuses. Pouvoir entendre les paroles véritables de Cyriss est un immense cadeau ».

Thaddeus plongea son regard dans les yeux froids de Lycandria. « je la vois partout maintenant. Je sens sa présence en moi ».

Une fois que tu auras vu le vrai visage de la Patronne, rien ne sera plus jamais pareil. C’est à toi de révéler les mystères du monde ».

« J’aimerais pouvoir partager cela avec Eliza », dit Thaddeus, presque dans un murmure. « Pensez-vous que nous pourrions nous revoir bientôt ».

Le sourire s’effaça du visage de Lycandria. Thaddeus put la voir peser quelque chose dans son esprit. Finalement, elle dit : « Thaddeus, Eliza a rencontré des difficultés. Elle n’a pas pris goût au Harmoniques comme vous l’avez fait ». Les sourcils de Thaddeus se froncèrent. Il ne pouvait imaginer qu’Eliza ait des difficultés avec quoi que ce soit. Lycandria poursuivit : « Mais vous n’avez pas à vous inquiéter. Nous avons déjà rencontré de  telles difficultés et nous les avons surmontées. La voie vers la vérité est différent pour chaque personne ».

Il hocha la tête, mais son estomac était noué. Il remonta discrètement ses lunettes sur son nez, un signe que son professeur ne pouvait manquer. Lycandria dit : « Je suis sûr qu’elle trouvera sa voie vers Cyriss, tout comme vous. Maintenant, vous avez gagné le droit de découvrir certains des mystères les plus profonds. Commençons ».

* * *

elric:

Après avoir déchiffré le message crypté du Moteur à Encoder, la vie de Thaddeus au sein du Temple de Configuration Énumérative devint un véritable tourbillon d’activité. Bien que Lycandria soit resté son principal professeur, il avait été confié à plusieurs autres professeurs qui lui expliquèrent la compréhension avancée des mathématiques, de la physique et de l’ingénierie de la Convergence. Ces nouvelles leçons commencèrent à révéler l’impressionnante profondeur des connaissances technologiques  de la Convergence. Il découvrit leur capacité à exploiter les énergies géomantiques propres à Caen et comment cette énergie était utilisée pour alimenter presque tout ce qui se trouvait à l’intérieur du temple. Il découvrit leur maîtrise des mouvements horlogiques mékanique et leur incroyable capacité à miniaturiser des mécanismes extrêmement avancés. Il approfondit également les principes des Harmoniques et commença à explorer un relation personnelle avec la déesse, ce qu’il n’avait jamais expérimenté auparavant. Il avait l’impression de ressentir sa vigilante présence derrière chaque formule mathématique alambiquée et chaque schéma complexe.

En reconnaissance de son développement spirituel, Thaddeus se vit accorder une plus grande liberté au sein du temple. Chaque jour, il s’imprégnait davantage des mystères de la Convergence et sentait que ses limites antérieures en tant qu’intellectuel et l’ingénieur disparaissaient au fur et à mesure que sa compréhension grandissait. L’étendue des connaissances était comme une drogue pour lui, et son appétit devenait de plus en plus vorace. En dépit de sa nouvelle passion, il ressentait vivement l’absence de sa femme, qui lui maquait plus que jamais. Il souhaitait vivement partager ce nouveau développement avec Eliza. Il continuait à demander à Lycandria des nouvelles d’Eliza, mais il n’en recevait jamais.

Un mois s’écoula. Thaddeus était sur le point de se retirer pour la nuit lorsqu’il entendit frapper à sa porte. Il l’ouvrit et fut choqué de voir le visage d’Eliza. Elle le serra dans les bras, le repoussant dans a pièce par la force de son étreinte.

« Thaddeus, mon amour ! » Elle ramena sa tête en arrière et l’embrassa profondément.

« Eliza », dit Thaddeus lorsqu’il put reprendre son souffle, que fais-tu ici ? As-tu reçu une dispense pour cette visite ? »

Elle fronça des sourcils. « Une dispense ? Cela fait des mois que nous ne nous sommes pas vus et c’est ta première préoccupation ?! »

« Mon coeur bondit de te voir, mais tu ne peux pas être découverte ici ».

Eliza se recula et visita la chambre de Thaddeus. Son regard se posa sur son bureau, les papiers et documents qui s’y trouvaient étaient propres et parfaitement ordonnés. Une seule feuille de papier de travail se trouvait au centre, le stylo de Thaddeus étant précisément aligné sur le bord de la feuille. Ses sourcils se froncèrent tandis qu’elle observait les caractères parfaitement alignés sur la page.

« Quoi ? » s’enquit Thaddeus.

Elle fit une pause, réfléchit, puis dit : «  Je ne t’ai jamais connu aussi . . . ordonné ».

Thaddeus acquiesça. « La Précision est le théorème d’ouverture de la preuve de la perfection. Mon désordre était un obstacle au lien avec la vérité de Cyriss ».

Eliza le regarda. « La vie est rarement précise, Thaddeus. Elle est bordélique. Nous pouvons trouver tellement de satisfaction dans la science, cela ne changera jamais. Cela ne devrait pas non plus être le cas ».

« Non, Eliza, la Patronne des Mécanismes et ses enseignements nous offrent la capacité d’ordonner le chaos. Grâce à elle, nous pouvons rendre le monde parfait ».

« Qu’est-ce que la perfection ? Comment la définis-tu ? »

« Cyriss nous montre la voie, et nous, les membres de la Convergence, serons ceux qui la rendront manifeste. Il lui saisit ses mains pendant qu’il parlait, la regardant intensément dans les yeux. Depuis si longtemps, il aspirait à partager avec elle sa nouvelle passion pour la Patronne – à vraiment partager sa foi avec elle après tant d’années ensemble.

Le visage d’Eliza s’assombrit et elle secoua tristement la tête. « Non, Thaddeus. J’ai vu ce que souhaite la Convergence. C’est un anathème pour la Patronne que je connais. L’ordre naturel, la physique, les mathématiques - toutes ces choses sont des incarnations de Cyriss, et toutes existent dans le monde comme elle le souhaite. Ce que nous considérons comme du chaos, nous ne le comprenons tout simplement pas comme le fait la Patronne. Ce que la Convergence considère comme imparfait est un aspect de son être même ».

Thaddeus secoua la tête. « Non, non. Elle a chargé la Convergence de rectifier les imperfections. Pour rendre le monde en parfaite harmonie pour elle ».

Eliza soupira. « La Convergence est aveuglée. Ils croient que leur voie est la bonne, mais comment la Patronne peut-elle exister et pourtant son contact avec ce monde est imparfait ? Ne vois-tu pas la contradiction dans cette croyance ? »

Thaddeus se sentit abasourdi. Il avait hâte de partager sa nouvelle foi avec Eliza, et maintenant c’était elle qui était sceptique. Elle l’attira à nouveau près d’elle, l’air sérieux. « Écoute-moi bien. J’ai eu tort de nous amener ici. J’ai eu tort de croire que la Convergence était une expression plus pure de la déesse ». Elle fit un signe vers le bureau ordonné. « Ils cherchent à tout refaire. À éradiquer la vrai beauté du monde ». Sin visage prit une résolution sinistre. « Ils ne doivent pas faire ça. Je ne les laisserai pas faire ».

« Je ne comprends pas », marmonna Thaddeus, s’efforçant de saisir la portée des paroles de sa femme ».

« Nous devons fuir cet endroit, Thaddeus. C’est le seul moyen de nous sauver. Je suis désolé de ne pas l’avoir vu avant. Notre vie était déjà parfaite. Je dois retourner à l’Académie Stratégique. Les autorités doivent savoir ce qui se passe au sein d’endroits comme celui-ci. Ces gens corrompent notre foi ».

Ces paroles frappèrent Thaddeus tel un choc. Il demeura engourdi. « Tu ne peux le penser. Tu veux partir ? Revenir en arrière ? »

« Oui, c’est notre unique chance ». Elle lui tendit un papier plié. « J’ai planifié cela depuis un certain temps déjà, mais notre fenêtre d’opportunité sera courte. Les détails sont là ». Elle l’embrassa à nouveau profondément. « Je dois partir avant qu’ils ne remarquent mon absence ». Alors qu’elle se dirigeait vers la porte, elle se retourna et dit : « Je t’attendrai demain, mon amour ».

Lorsque la porte se referma, Thaddeus sentit ses genoux trembler et il s’effondra sur son lit. Ses entrailles étaient en ébullition alors qu’il essayait de comprendre ce qui se venait de se passer. Il passa en revue les paroles d’Eliza dans sa tête, essayant de les réconcilier avec les vérités qu’ils avaient apprises pendant son séjour au Temple de Configuration Énumérative. Il ramassa les feuilles de papier décrivant le plan d’évasion qu’elle avait élaboré. Même ici, il était impressionné par son génie et comprit que cela pouvait fonctionner. Avait-il eu tellement tort ? Il avait vraiment l’impression que son esprit avait été ouvert, éveillé, et la Convergence était responsable de cela. Mais il avait à peine effleuré la surface de tout ce qu’il y avait à apprendre, de tout ce qu’il y avait à savoir de la déesse. Comment pouvait-il abandonner cela ? Il pensa à une vie sans la Convergence et à une sans Eliza. Les deux lui donnèrent la nausée. Il avait l’impression qu’il allait vomir.

Il essaya désespérément de donner un sens au tumulte de ses pensées. Finalement, il se leva et se dirigea vers son bureau. Il devait faire quelque chose pour concentrer son esprit. Tel un homme se noyant, il attrapa la première chose qu’il put trouver pour maintenir sa tête hors de l’eau. Il consulta la page du Moteur à Encoder. Lycandria avait qu’elle faisait parie d’une impression très récente qui n’avait pas encore été déchiffrée. Thaddeus reporta son attention sur la page et prit son stylo. Son écriture perdit rapidement son rythme ordonné et régulier. Bientôt, la page fut couverte d’une écriture grossièrement gribouillée.

Quelques heures plus tard, Thaddeus cligna des yeux et regarda son travail, le vérifiant avec le document du Moteur à Encoder. Tremblant, il posa le stylo et expira d’une longue et lente respiration. Il savait ce qu’il devait faire. Il y avait toujours une solution.

* * *
Thaddeus se frayait un chemin rapidement et tranquillement à travers les couloirs vides du temple. Compte tenu de l’heure tardive, il y avait peu de chance de croiser qui que ce soit dans cette partie de la structure, car la majorité des gardiens du temple étaient postés plus près des entrées du temple. Il valait néanmoins mieux être aussi prudent que possible.
Il tourna au coin du couloir et inspira profondément lorsqu’il vit Eliza à l’endroit où sa note lui avait indiqué qu’elle se trouverait. Son visage s’illumina lorsqu’elle le vit et elle se précipita à sa rencontre.

« Thaddeus ! Morrow et la Patronne soient remerciés ». Elle l’attira dans ses bras.

« Eliza- » dit-il, mais elle l’interrompit.

« Nous n’avons pas le temps. Nous devons faire vite si nous voulons nous échapper de cet endroit ».

« Eliza », répéta-t-il avec plus de force. Elle ne lui accorda toujours pas plus la moindre attention et se contenta de le tirer par la main vers le couloir menant à l’une des sorties de surface du temple.

Elle n’avait pas fait plus de trois pas que deux silhouette apparut dans l’embrasure de la porte, la bloquant. Même dans la faible lumière nocturne du couloir, Thaddeus put voir l’éclat de l’acier chromé. L’emblème de la Convergence brillait d’une lueur bleue pâle sur les poitrines des silhouettes. Eliza fit un pas en arrière, effrayée, regardant frénétiquement d’un à l’autre alors qu’elle essayait de déterminer une nouvelle échappatoire.

Les silhouettes s’avancèrent vers elle et Thaddeus l’entendit haleter lorsque les deux Obstructeurs apparurent en pleine lumière. Une voix monocorde familière retentit derrière eux, obligeant Eliza à se retourner. « J’ai bien peur que ne partiez pas comme prévu, Mme Solomon ».

Eliza se tourna vers son mari, les larmes aux yeux. « Je suis vraiment désolé, Thaddeus ».

Thaddeus sentit son coeur se serrer. « Non, je suis désolé, mon amour ».

Eliza le regarda, confuse, puis elle réalisa. « Tu leur as dit ? » demanda-t-elle. La douleur était intense, mais Thaddeus se força à ne pas détourner le regard.

« Je devais le faire », dit-il. Ce n’était pas suffisant, mais il ne pouvait pas en dire plus.

Eliza s’affaissa, le regardant fixement. Elle ne prononça pas un mot, pas même pour s’en prendre à son traître. Son mari. Lorsque les mains métalliques des Obstructeurs saisirent ses épaules, mais elle ne se débattit pas. Au lieu de cela, elle était simplement devenue amorphe, et se laissa emmener.

Le corps de Thaddeus tremblait visiblement et ses tripes se tordirent douloureusement. Il avait l’impression qu’il allait s’effondrer. Il se força à repenser au message que les documents du Moteur à Encoder lui avaient révélé la nuit dernière. Même si cela faisait mal, il savait que tout cela faisait partie de la grande équation de Cyriss.

Lycandria s’approcha de lui et lui demanda : « Tu trouveras un moyen de la convaincre ? » Il pouvait entendre le désespoir dans sa propre voix. « Elle peut encore nous rejoindre, je le sais. Ce n’était qu’une erreur temporaire. Elle ne ferait jamais de mal à ce temple ».

« Nous essaierons. Mais je doute qu’elle a déjà pris sa décision. Je doute que cela fonctionne ». Elle marqua une pause, puis reprit sur le même ton monocorde : « Thaddeus, si nous échouons dans cette dernière tentative, nous ne pouvons pas la laisser partir. Tu comprends pourquoi. Si nous devions en arriver là, saches qu’elle ne ressentira aucune douleur. Nous avons déjà eu à résoudre des situations similaires ». Lycandria posa une main sur son épaule. C’était un geste rare de sa part, et il se sentit étrangement réconforté, même si le chagrin menaçait encore de le submerger. Il savait au fond de lui qu’Eliza ne changerait pas, qu’il l’avait perdue. Il était trop difficile d’espérer une meilleure issue. Puisant sa foi dans la Patronne comme source de foi, il se tourna et s’éloigna vers sa chambre où d’autres travaux l’attendait. Il savait qu’il devait trouver un moyen de repousser ses émotions. Le travail l’apaiserait.

* * *
Thaddeus était assis à son bureau, mais pas dans la même pièce que celle qu’il avait occupée en tant qu’initié. Le silence tranquille de la pièce n’était rompu que par l’efficace grattement de son stylo. Des piles de papiers et de livres bien rangés reposaient sur son bureau, créant une véritable forteresse de papier autour de lui.

Le bruit du stylo grattant le papier s’interrompit tandis s’arrêtait, plongé dans une profonde réflexion. Ses lentilles oculaires s’ajustèrent dans l’acier chromé de la plaque frontale de son corps mécanique, ce  qui provoqua un vrombissement. Sans poser le stylo, il tendit une main et ramassa la petite boite casse-tête qu’Eliza lui avait offert il y a tant d’années, la tenant dans ses deux autres mains en acier. Distraitement, ces doigts faisait tourner divers engrenages, chaque tour provoquant le déplacement et la rotation des autres, l’action et les réactions provoquant la transformation de la forme de la boîte entre ses mains, alors même qu’il reprenait l’écriture avec son autre main. Son quatrième bras commença à parcourir soigneusement l’une des piles de documents. Les choses qui étaient autrefois difficiles, voire impossible pour son corps de chair semblait désormais faciles. De même, son esprit plus avisé, plus aiguisé, un meilleur instrument.

Il s’autorisa un vrombissement de satisfaction lorsque sa main métallique trouva le bon papier. La page titre disait « Théories sur les Relais Voltaïques avancé et les Exponentielles Galvaniques. Par Eliza Solomon ».

Thaddeus, désormais connu sous le nom de Solomnus, vérifia le document en le comparant à son propre travail. Il hocha légèrement la tête en signe d’appréciation de ce qu’il voyait et prononça doucement à travers son émulateur audio : « J’ai mi la théorie en pratique, mon amour. Tu continueras à vivre grâce à l’oeuvre de la Patronne ».

elric:
Bonne lecture  :)

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