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Messages - elric

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Background – Histoire des Royaumes d’Acier / Roman - Poudrière
« le: 21 juillet 2024 à 16:47:16 »
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Caspia, Cygnar


LA CHAMBRE DU CONSEIL INTÉRIEUR de Julius Raelthorne, premier du nom, convenait au jeune roi. Son père, Vinter Raelthorne, avait rarement utilisé cette pièce, préférant tenir les réunions du conseil dans la salle du trône du Château Raelthorne. Stryker avait assisté à plusieurs d’entre elles en tant que membre de la garde royale, il y a près de quinze ans. Le fils de Vinter, quant à lui, préférait un lieu de réunion moins grandiose. La chambre se trouvait derrière la salle du trône et était autrefois réservée aux réunions privées avec d’importants dignitaires. Elle était petite et la table en forme de U en bois de fer poli occupait la majeure partie de l’espace. Les murs étaient peints en bleu royal du Cygnar et décorés de portraits des différents rois ayant régné sur la nation. Stryker nota que le portrait de Vinter avait récemment été remis à sa place sur le mur.

La table était suffisamment grande pour accueillir tous les membres du conseil, dont Stryker était membre. Bien que son inclusion par le roi ait été autorisée, au mieux, à contrecœur. La plupart des hommes qui constituaient les plus proches conseillers de Julius s’étaient engagés à soutenir le jeune roi lors de la récente guerre civile ou, dans le cas d’Orin Midwinter, étaient des criminels exilés, autre fois loyaux envers son père, qu’il avait graciés. Stryker grimaça en regardant où Midwinter était assis – Midwinter était à la droite du Haut Chancelier Leto, qui à son tour était le plus proche de Julius au centre de l’U. Autrefois inquisiteur en chef sous Vinter Raelthorne, Midwinter avait été forcé de faire profil très bas lorsque son ancien suzerain avait été chassé du trône. Il avait soutenu Vinter puis Julius en exil, et le jeune roi l’avait gracié lorsqu’il était monté sur le trône, accordant à Midwinter le titre de Conseiller aux Arcanes. L’homme était un magicien accompli, mais leurs rumeurs sur ses activités pendant et après le règne de Vinter étaient pour le moins inquiétantes.

À la gauche du roi se trouvait le Commandant en chef des Éclaireurs Bolden Rebald, un maître espion et responsable du Service de Reconnaissance Cygnaréen. L’homme suivant était à la table était le Général Maître de Guerre Kielon Ebonhart, un puissant duc que Stryker connaissait bien. Stryker s’était entraîné sous les ordres du Duc Ebonhart il y a plus de dix ans, lorsque celui-ci était à la tête des Lames-Tempête. Ebonhart avait été l’un des nobles les plus importants à soutenir Julius au cours de la guerre civile.

Les deux autre hommes du conseil assis au bras du U, étaient le Navarch Galten Sparholm III, à la tête de la marine, et Lassiter Polk, maître mékanicien et chef de l’Armurerie Cygnaréenne. Stryker avait peu fréquenté ces deux hommes, mais il les connaissait par leur réputation et ils étaient tous deux capables.

Enfin, il y avait Stryker lui-même, assis aussi loin que possible du roi. Il était Seigneur Général de l’Armée Cygnaréenne, son rang n’étant surpassé que par celui du Maître de Guerre Kielon Ebonhart. Il assistait à toutes les réunions du conseil, mais le roi faisait rarement appel à lui pour obtenir des conseils. Julius écoutant principalement son oncle Leto pour les questions d’état, son maître de guerre pour les questions militaires, et Orin Midwinter pour presque tout le reste. Depuis la bataille de Fharin, Julius semblait accorder une grande confiance à l’ancien inquisiteur. Peut-être était-ce le lien avec son père qui avait attiré Julius vers Orin. Stryker ne comprenait pas pourquoi le roi accordait autant confiance à quelqu’un qui avait fait partie d’une organisation si universellement décriée.

Stryker était un marginal, un marginal dont l’opinion n’était ni recherchée ni appréciée. Sa véritable place était sur le champ de bataille, à la tête des soldats et des warjacks. Qu’il soit membre du conseil était probablement dû à Leto. L’ancien roi et lui avaient été proches, et Stryker souffrait de voir quelqu’un d’autre sur le trône, aussi légitime que soit la prétention du jeune homme.

« Votre Majesté », dit Leto, sa voix ramenant Stryker dans la conversation, « nous avons reçu une copie du traité signé par les envoyés de Khador, et il a été officiellement enregistré ». L’ancien roi sourit. « Nous sommes en paix ».

« Bravo, bravo ! » s’écria le Maître de Guerre Ebonhart, et les applaudissements emplirent la salle. Stryker y ajouta à contrecœur.

« Mais il y a de nombreuses questions qui nécessitent encore votre attention, bien sûr, Votre Majesté », déclara Midwinter après que les applaudissements se soient calmés.

« Sans aucun doute, Midwinter », répondit Julius. « Mais il y a un sujet urgent dont nous devons d’abord discuter. Une chose que je vous ai cachée pendant un certain temps par nécessité, et vous comprendrez bientôt pourquoi. Le Commandant en chef des Éclaireurs Rebald vous informera des détails ». Le roi fit un signe de tête au commandant en chef des éclaireurs.

Rebald s’éclaircit la gorge et se redressa sur sa chaise. Une étrange expression traversa le visage du maître espion. Il avait l’air nerveux. Stryker avait travaillé en étroite collaboration avec cet homme durant des années, et il n’avait jamais vu le commandant en chef des éclaireurs aussi agité. C’était étrange de la part d’un homme ayant tiré les ficelles d’un vaste réseau d’espions et d’assassins pendant des années.

« Oui, Votre Majesté », dit Rebald en se levant. « Je ne vais pas vous faire languir. Un héritier du trône de Llael a été trouvé ».

Un silence stupéfait.

Stryker observa les visages de chaque membre du conseil. Il y avait des yeux écarquillés et des visages cendrés. Lui aussi était choqué. Un héritier du trône de Llael avait des répercussions majeures. Tout d’abord, cela annulait les prétentions de Khador sur le pays, conformément au traité qu’ils venaient de signer – en supposant que le Khador accepte cette prétention.
Stryker retrouva sa voix en premier. « Qui est cette personne ? »

« Son nom est Kaetlyn di la Martyn », déclara Rebald. « Sa mère tait l’une des maîtresses du Roi Rynnard, une femme de petite noblesse ».

« Depuis combien de temps es-tu au courant, Rebald ? » demanda Leto. Le visage de l’ancien roi était pincé par l’irritation.

Rebald jeta un coup d’oeil à Julius, le regard fuyant, tendu. Encore une fois, Stryker fut frappé par le manque de sang-froid de l’homme. Cela ne lui ressemblait absolument pas.

« Le commandant en chef des éclaireurs a localisé la jeune fille peu de temps après mon accession au trône », déclara Julius.

Deux ans ! Pensa Stryker. Cela faisait deux ans qu’ils étaient assis sur ce secret monumental, et ils avaient manoeuvré le Khador pour qu’il signe un traité qui annulerait leurs prétentions sur le Llael. C’était sournois et brillant… et incroyablement dangereux. L’impératrice est trop intelligente pour ne pas sentir l’odeur nauséabonde des manœuvres politiques, et sa réaction une fois l’héritière révélée pourrait replonger les deux nations dans la guerre.

« Rebald a découvert l’héritière en Ord », poursuivit Julius, « et il m’a immédiatement informé de sa découverte, voyant la potentielle influence qu’elle pourrait nous accorder un jour ».

« Julius, c’est un jeu dangereux et insensé auquel tu as joué », déclara Leto, Le haut chancelier avait visiblement été tenu dans l’ignorance, tout comme le reste du conseil.

Les yeux de Julius se plissèrent et la colère apparut sur son visage. Stryker vit la colère de Vinter derrière les yeux de son fils. « Mon oncle, tu t’oublies », dit Julius. « Tu ne parles plus avec la voix d’un roi ».

Leto détourna le regard. « Mes excuses, Votre Majesté », dit-il d’une voix lente et mesurée. « Mais en tant que haut chancelier, je ne peux pas vous servir correctement si vous me cachez de telles choses ».

Julius acquiesça. « Je suis d’accord, mon oncle, et je te promets qu’il s’agit d’un incident isolé ».

« Alors, nous allons asseoir cette fille sur le trône de Llael ? » demanda Stryker. « Le Khador ne reconnaîtra pas la légitimité de sa revendication ».

Leto se tourna vers Stryker. « Seigneur Général », dit-il, « le traité qu’ils ont signé est légitime, tout comme la prétention de la jeune fille au trône. Ils seront obligés de l’honorer ou de violer le traité ».

« Vous allez donc les inviter à la guerre ? » dit le Duc Ebonhart, posant la question suivante de Stryker. « Mes excuses, Votre Majesté, mais nous venons de retrouver la paix. Pourquoi la gâcher ? »

« Je comprends votre réticence, Maître de Guerre Ebonhart », dit Julius. « Et je ne m’engagerais pas dans cette voie si elle ne servait pas à rendre le Cygnar plus fort ».

« Comment une autre guerre rendra-t-elle le Cygnar plus fort, Votre Majesté ? » demanda Stryker. Cela semblait ridicule, mais si Rebald et Midwinter étaient impliqués, il y avait là un angle d’attaque, un avantage à tirer. Julius se tourna délibérément vers Stryker, le fixant de son regard sombre. Pour un homme si jeune et si peu habitué à gouverner, le roi dégageait une force indéniable. C’était le même acier que celui de son père. Stryker espérait que, pour le bien de Cygnar, il serait mieux tempéré.

« Je vais l’épouser », déclara Julius.

« Et ajoutez les prétentions de Cygnar à celles de l’héritière », reprit Rebald. « Julius et ses fils et filles dirigeront les deux nations ».

C’était une démarche agressive, que l’oncle du roi n’aurait ni acceptée ni approuvée, mais si elle réussissait, elle augmenterait considérablement la taille du royaume de Julius et ajouterait au Cygnar ce qu’il restait de la puissance militaire de Llael. Ils deviendrait la plus grande nation des Royaumes d’Acier, contrôlant plus de terres arables et de ressources que toute autre.

« Et la Résistance ? » demanda Leto. « Il peuvent avoir leurs propres idées sur ce qu’il faut faire de cette héritière ».

« S’ils souhaitent continuer à bénéficier du soutien militaire du Cygnar contre le Khador, ils nous suivront ». S’esclaffa Julius. « Je ne m’attends guère à ce qu’ils demandent l’aide des khadoréens ». C’était une attitude froide à l’égard de la Résistance assiégée et ses dirigeants. Stryker avait combattu à plusieurs reprises aux côtés des troupes et des warcasters llaelais contre les khadoréens. Leur chef militaire, Ashlynn d’Elyse, une noble et warcaster llaelaise, était une femme passionnée mais raisonnable, et son opinion pouvait influencer les autres. « Si vous parvenez à convaincre Ashlynn d’Elyse de reconnaître l’héritière, vous pourriez obtenir le soutien de la Résistance », dit Stryker. « Mais nous devons la prévenir immédiatement. Elle n’apprécierait pas d’être tenue dans l’ignorance à ce sujet ».

« Merci pour votre conseil », répondit Julius, « mais ma future femme n’a pas besoin du soutien ou de l’approbation d’Ashlynn d’Elyse. Elle exige sa loyauté, tout comme moi ».

« De plus, la Résistance a oeuvré avec le Protectorat de Menoth », dit Rebald, nommant la nation de fanatiques religieux à l’est ayant revendiqué certaines parties de Llael. « Nous devrions les considérer comme compromis ».

« Quel choix avaient-ils ? » demanda Stryker. « Ils ne peuvent pas combattre à la fois le Khador et le Protectorat ».

« Assez », dit Julius. Il n’éleva pas la voix, mais son ton fut tranchant. « Je n’ai pas réuni mon conseil intérieur pour discuter de la Résistance Llaelaise ».

Stryker se faisait gronder comme un enfant dévoyé, réduit au silence par un roi qui n’était rien d’autre qu’un bâtard en exil il y a à peine trois ans. La voix de Stryker avait toujours été entendue à la cours de Leto. Son conseil était sollicité, on se fiait à son expérience. « Comme vous le souhaitez, Votre Majesté » répondit-il, réprimant sa colère et le ressentiment qui remontaient dans sa gorge telle une marée de vomi.

Il croisa le regard de Leto, et l’expression de l’ancien roi le blessa plus que la réprimande de son neveu. Il avait souvent fait naître la fierté, la joie et même la colère sur le noble visage de Leto à de nombreuses reprises, mais jamais la pitié. C’était subtile à présent, mais elle était présente.

Stryker s’assit dans son fauteuil et laissa les autres membres du conseil détailler les plans du roi. Il écouta, mais ne reprit pas la parole. Il était clair qu’il était un marginal, et sa voix n’avait pas plus de poids qu’un cri dans un ouragan.

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Background – Histoire des Royaumes d’Acier / Roman - Poudrière
« le: 21 juillet 2024 à 16:42:05 »
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Cinq-Doigts, Ord


ASHET MAGNUS S’ASSIT À UNE TABLE BASSE, posant la lourde masse de sa prothèse de bras mékanique sur celle-ci. Autour de lui, dans cette pièce sordide mais spacieuse au bord du fleuve, se trouvait un groupe d’hommes à l’allure patibulaire, tous des mercenaires, armés et prêts à se battre et à tuer sur son ordre. Le pire de ces hommes – ou le meilleur, selon le point de vue – attendaient dans une petite pièce adjacente, en face de la table de Magnus.

« Qu’est-ce qui lui prend tant de temps ? » demanda Xavius Marlowe, un ordique décharné et ressemblant à un oiseau, qui se tenait près de l’unique fenêtre de la pièce, probablement pour échapper à la puanteur de l’armure de warcaster de Magnus. Magnus avait réglé la chaudière au minimum, mais le filet de fumée qui s’en échappait de la cheminée dans son dos emplissait la pièce d’une brume enfumée. Magnus sourit ; l’odeur de la rue du quai en contrebas ne pouvait pas être bien meilleure.

« Harrow connaît son affaire », déclara Magnus. « Laisse-le travailler ». Les lèvres de Xavius se retroussèrent d’irritation et il se retourna vers la fenêtre. Il était un ancien membre de l’Ordre du Creuset d’Or, un groupe d’alchimistes et d’arcanistes très respecté. Mais il avait fui son ordre, en grande partie à cause de son obsessions pour les poisons et les explosifs et de sa volonté de les tester sur les habitants de la ville ordique de Corbhen. Il était irritant, erratique et très, très compétent, aussi Magnus le tolérait il. En fait, la plupart des hommes dans cette pièce étaient profondément imparfaits et dangereux, le genre d’hommes qui suivaient la force et n’avaient aucune place pour la compassion ni même pour une véritable loyauté.

La porte face à Magnus s’ouvrit et Sebastian Harrow émergea. Les autres mercenaires présents dans la pièce étaient dangereux, mais Harrow était le seul véritable tueur parmi eux. Il était maigre et laid, son visage était un réseau de cicatrices d’où brillaient deux yeux bleu glacés. Il portait un pistolet lourd fixé à une hanche et un sabre à l’autre. Il essuyait ses mains avec un bout de tissu, qui en ressortit taché de cramoisi.

« Je reconnais que ces bâtards de la Section Trois sont des durs à cuire », dit-il.

« Qu’est-ce qu’il a craché ? » demanda Magnus.

Harrow sourit, montrant une bouche pleine de dents blanches et droites, une gueule de prédateur. « Le prince est mort et ils ont jeté son corps dans une forge ».

Magnus grimaça. Julius avait espéré trouver l’héritier llealais vivant et le garder ainsi, s’il était favorable au plans du jeune roi. « Sait-il pour la fille ? »

Harrow haussa les épaules. « Je n’ai pas plu lui soutirer cette information. Et crois-moi, j’ai essayé ».

L’homme le plus proche de Harrow, une ancien Tête d’Acier nommé Silus, frémit. Ils avaient tous vu Harrow interroger un prisonnier, et ses méthodes étaient brutalement efficaces.

« Penses-tu que le prince savait pour elle ? » demanda Silus. « C’était sa cousine, non ? »

« Difficile à dire », répondit Magnus. « La famille royale a été tellement fracturée. Quoi qu’il en soit, il la croyait probablement morte, ainsi que le reste de sa famille ».

« Alors je dis que nous partons de l’hypothèse qu’il savait et qu’il l’a dit aux khadoréens avant qu’ils ne le tuent », répondit Harrow.

Magnus réfléchit un instant. C’était logique. Le chef cygnaréen du SRC, le Commandant en Chef des Éclaireurs, Bolden Rebald, lui avait assuré que personne au sein du gouvernement khadoréen n’était pas au courant de l’existence de la princesse. Ce qu’il ne savait pas et ne pouvait pas savoir, c’était si quelqu’un en dehors des services de renseignement du Khador – quelqu’un ne cherchant pas un héritier llaelais – était au courant. La personne la plus susceptible de le savoir était un membre de sa famille : son cousin Lyan di la Martyn, récemment tué par des agents khadoréens. Puisque Magnus ne pouvait pas s’adresser à Lyan, il devait être d’accord avec Harrow et supposer que le mort avait donné aux khadoréens des informations sur la princesse Kaetlyn di la Martyn, qui semblait maintenant être l’unique héritière vivante du trône de Llael.

Magnus jeta un coup d’oeil dans la pièce. « Nous devons supposer que les khadoréens savent pour Kaetlyn, mais nous devons nous assurer que cette information ne quitte pas cette ville ». Ils avaient encore un problème, cependant, réalisa-t-il. Rebald avait dit qu’il y avait six agents de la Section Trois. Ils en avaient capturé un, mais où étaient les autres.

« J’ai de bonnes nouvelles », dit Harrow. « Il m’a dit où les autres se cachaient. Ils ont eu peur quand nous avons attrapé Ivan ici ». Il leva le pouce vers la pièce sombre d’où il venait de sortir. « Ils recherchent  probablement un navire pour les faire sortir ».

« Alors nous n’avons pas de temps à perdre », déclara Magnus. Il laissa sa conscience dérivers sans l’entrepôt vide en dessous d’eux, jusqu’au warjack léger qu’ils avaient amené avec eux. C’était l’un des modèles conçus par Magnus, assemblés à partir de morceaux d’autres warjacks, mais il n’en était pas moins mortel pour sa construction composite. Il pouvait sentir une petite étincelle dans l’obscurité froide de son esprit, une étincelle qu’il allait bientôt attiser en une flamme rugissante.

« S’agit-il d’une mission de capture ou de mise à mort ? » demanda Silus. Il n’avait pas l’air d’être gêné par l’une ou l’autre.

« Nous réglons les derniers détails », répondit Magnus en sortant le court fusil à mitraille de son étui au niveau de sa hanche. Il vérifia la charge et le rangea. Il plissa les yeux en direction de Silus. « Alors, qu’en penses-tu ? »

« Une mission d’anéantissement, alors », dit Harrow. « Tu n’auras à te plaindre de moi Plus simple ainsi. Et notre invité ? »

Magnus jeta un coup d’oeil par-dessus l’épaule du mercenaire vers la pièce derrière lui. Un léger gémissement ou peut-être un souffle s’échappa de l’obscurité.

« Dernier détail », dit-il.

Harrow sourit.

« Fais vite, Harrow », répondit Magnus, puis il ajouta « et sans douleur ».

Harrow dégaina son sabre. La lame émit un sifflement menaçant en raclant la gorge métallique du fourreau. « Il ne sentira rien ».

Le mercenaire entra dans la pièce derrière lui. Après un moment de silence sinistre, Magnus entendit un soudain éclat de voix khadoréen vacillant et terrifié. Il comprit la langue : l’homme plaidait pour sa vie.

Le doux bourdonnement d’une lame tranchant l’air coupa court à la supplication du khadoréen. Magnus entendit un bruit sourd, comme si quelqu’un avait laisser tomber quelque chose de lourd sur le sol. Quelques secondes plus tard, Harrow réapparut, cette fois essuyant le sang de son sabre.

« J’ai fait un joli nœud », dit-il.


* * *

LE NAVIRE S’APPELAIT Le Corbeau des Mers, et c’était un vieux navire marchand reposant au ras de l’eau. Il était amarré dans le District de la Proue du Capitaine de l’Île du Capitaine, acueillant les navires marchands. Magnus était heureux de voir que c’était le seul navire à son poste d’amarrage – ils bénéficieraient l’isolement dont ils avaient besoin. Cela ne voulait pas dire qu’ils étaient seuls ; on n’est jamais seul à Cinq-Doigts. Même en pleine nuit, sur une jetée au bout de l’Île du Capitaine, il y avait des gens vaquant à leurs occupations. Bien sûr, ces affaires, comme celle de Magnus étaient de toute façon celles qu’ils étaient préférables de mener dans le noir. Aucune des rares personnes qu’ils croiseraient ne laissa son regard s’attarder sur les quatre hommes en armure et la forme imposante du Renégat, dont la moitié supérieure était recouverte d’une toile de jute pour cacher qu’il ne s’agissait pas d’un simple laborjack. Sa scie tronçonneuse dépassait de dessus le linceul, et elle s’animait de temps en temps au fur et à mesure que l’impatience du warjack grandissait. Il voulait se battre. Magnus réprima ces pulsions;cela n’aiderait pas leur mission si le Renégat sciait un passant en deux.

« Pourquoi ce navire ? » demanda Xavius alors qu’ils s’approchaient du Corbeau des Mers. L’ancien alchimiste portait deux grenades alchimiques autour de sa poitrine, et tout le monde l’évitait à cause de cela.

« C’est un petit navire marchand », déclara Magnus. « Ce n’est pas le genre de chose que l’on recherche ».

Il arrivaient entre deux grands entrepôts, à l’abri des guetteurs – probablement des mercenaires – que les espions khadoréens avaient engagés. Ce n’était comme s’ils pouvaient simplement faire appel à un soutien militaire ; ils étaient une escouade de tueurs, intentionnellement coupé de tout soutien militaire pour défendre le déni plausible. Ils étaient acculés, et cela ne ferait que les rendre plus dangereux.

Les marins du Le Corbeau des Mers s’apprêtaient à appareiller. Il est probable que les agents restants de la Section Trois aient décidé que leur membre égaré ne reviendrait pas et qu’il était temps de fuir sans lui.

Ils étaient encore à trente verges du navire lorsqu’ils s’arrêtèrent dans l’ombre entre les bâtiments. « Je pense qu’ils doivent être dans la soute », dit Harrow. « Allons-nous frayer un chemin à travers tous ces hommes pour y arriver ? »

Magnus sourit. « Non, nous prenons une route plus directe ». Il se tourna vers Silus, qui portait un fusil à canon long, caché sous une lourde cape. « Je veux que toi et Harrow occupiez les hommes sur le pont pendant que Xavius et moi perçons un trou ».

Les yeux d’Harrow s’écarquillèrent, puis il sourit. Il avait une idée de ce que Magnus avait prévu. « Cela va faire beaucoup de bruit, et la garde, même à Cinq-Doigts, risque de le remarquer ».

« Alors, nous allons faire vite », dit Magnus.

Harrow acquiesça. « Tu es prêt, Silus ? »

L’ancien Tête d’Acier mit son fusil sur son épaule. « Il y a deux personnes sur le pont qui son manifestement des tireurs », dit-il. « Tu les vois ? »

« J’en ai un », répondit Harrow en dégainant son pistolet lourd à répétition. « Je prends celui se trouvant près du gaillard avant. Tu prends celui près du plat-bord bâbord ».

« Xavius, tu es avec moi ? » demanda Magnus en invoquant sa magie. Il se détourna du navire pour que son corps protège le cercle lumineux de runes se formant autour de sa main gauche. Les runes s’éteignirent et le Renégat devint irréel, ses contours se brouillant. Cela, l’obscurité et les capacités naturelles de Magnus et Xavius à se cacher les rendraient difficiles à repérer ou à abattre.

« Allons-y », dit Magnus, et Xavius et lui s’élancèrent d’entre les bâtiments. Magnus exhorta le Renégat à le suivre, et celui-ci jeta sa bâche et suivit avec empressement.

Ils étaient à mi-chemin du navire lorsqu’ils furent repérés, et des cris retentirent sur le pont du Le Corbeau des Mers, suivis de deux de coups de feu tirés derrière Magnus. Deux des hommes qui se trouvaient au-dessus du Renégat, tous deux armés de fusils, tressaillirent et s’effondrèrent sur le pont.

Magnus et Xavius coururent vers la jetée, parcourant la distante restante en quelques secondes. D’autres coups de feu retentirent, mais Magnus ne put dire s’ils provenaient du navire ou de ses propres hommes. Ils atteignirent le flanc du Le Corbeau des Mers, un mur de lattes de bois, et Magnus exhorta le Renégat à se rapprocher. Une balle ricocha sur sa coque et frappa le champ d’énergie généré par l’armure de warcaster de Magnus. Le mur invisible d’énergie s’embrasa en ralentissant la balle, rendant inoffensif son impact contre son plastron.

« Xavius, accroupis-toi », dit Magnus, accroupi sur la jetée, la tête baissée. L’ordique fit de même, et Magnus ordonna au Renégat d’utiliser son arme la plus puissante, la roquette oblitérateur attachée à son bras droit. Une bouffée de joie revint à travers son lien avec la machine, et il entendit le gémissement profond du lance-roquettes qui s’amorçait. Une balle frappa le champ d’énergie de Magnus, projetant des étincelles, et la balle rebondi sans danger sur la plaque de fer recouvrant son dos, privée de son énergie cinétique.
La fusée oblitérateur était prête et Magnus regarda à travers les yeux du Renégat, choisissant l’emplacement sur la coque du Le Corbeau des Mers.

Feu.

La fusée explosa avec un tonitruant rugissement et un éclair jaune vif. Une rafale d’énergie chauffée à blanc frappa Le Corbeau des Mers et fit un trou de près d’un mètre quatre-vingt de diamètre dans son flanc.

Magnus se leva d’un bond, entraînant Xavius à ses côtés. « Grenades ! »

L’alchimiste parut abasourdi, mais sa stupeur s’estompa rapidement. Il sortit deux cylindres métalliques de la bandoulière sur sa poitrine, appuya sur leurs gâchettes mécaniques et les jeta dans le trou que le Renégat avec fait.

Magnus capta un mouvement dans le ventre du vaisseau juste au moment où les deux grenades explosèrent, doubles explosions de bruit et de lumière. D’autres coups de feu retentirent derrière lui et au-dessus de lui. Magnus les ignora. Il sauta de la jetée et pénétra dans le trou pratiqué dans le flanc du navire.

Il atterrit dans un abattoir. Des corps et des morceaux de corps étaient éparpillés dans la cale et les murs avaient été peints d’un cramoisi criard. Il remarqua immédiatement deux des agents de la Section Trois, ou ce qu’il en restait.

Deux de plus.

La cale était basse de plafond, mesurant environ six mètres de large et neuf mètres de long. Les escaliers menant au pont se trouvaient à l’extrémité. C’était sombre et enfumé, mais un mouvement près des escaliers attira son attention.

Magnus dégaina son épée, la lame mékanique qu’il avait baptisé Pourfendeur, et la plaque runique qui lui conférait son pouvoir arcanique emplit la cale d’une étrange lueur bleue. Les silhouettes près des escaliers devinrent plus claires : trois hommes vêtus des vêtements sombres. Tous étaient encore sous le choc du souffle des grenades. Il ne pouvait pas leur laisser le temps de récupérer. Magnus s’éloigna du trou sur le flanc du Le Corbeau des Mers et convoqua le Renégat. Le saut du quai dans le navire était dangereux ; si le Renégat ratait son coup et tombait dans la baie, sa chaudière serait éteinte et il coulerait directement par le fond.

Le Renégat sauta, guidé par la volonté de Magnus, et atterrit à l’intérieur de la cale du navire, suffisamment fort pour faire tanguer le navire. Sa scie se mit à vrombir, un cri métallique frénétique annonciateur de destruction.

Des coups de feu éclatèrent de l’autre côté de la cale, et des projectiles frappèrent la coque du Renégat, déclenchant une vague de rage en son sein. Puis la cale s’illumina d’une lueur bleue, signe révélateur de la magie, et des runes se formèrent autour de la main tendue de l’un des hommes, qui s’était placé derrière ses compatriotes. Magnus pouvait désormais clairement voir le lanceurs de sorts : grand, aux traits marqués, avec des cheveux noirs clairsemés. Il tenait dans une main une hache de guerre lourde à un seul tranchant. Mais cet homme n’était pas simplement un agent de la Section Trois. Il était bien plus dangereux que son simple titre : c’était aussi un Seigneur Gris, l’un des tristement célèbres sorciers des glaces khadoréens et chercheurs de magie ancienne.

Le sort se déclencha avant que Magnus ne puisse s’écarter, et un souffle de givre glacial traversa la cale. La majeure partie de ce souffle frappa le Renégat, et Magnus sentit les dommages causés à certains de ses systèmes internes qui se grippèrent sous l’effet du sort de froid.

Son champ d’énergie et son armure le protégèrent du pire, mais il serra les dents de douleur quand le froid envoya ce qui ressemblait à des poignards de glace dans sa chair exposée.

« En avant », dit Magnus en serrant les dents, ordonnant au Renégat endommagé d’avancer. Il traversa la cale en trombe, sa scie hurlant dans l’obscurité. Magnus sortit son tromblon et visa l’un des hommes tentant de monter les escaliers menant au pont supérieur. Il pressa la gâchette et déversa sa volonté et sa magie dans les tirs, guidant les trajectoires des lourds projectiles. L’homme, probablement l’un des agents de la Section Trois, reçu les projectiles dans le dos et tomba à la renverse.

Le Renégat avait atteint l’autre côté de la cale. Sa scie s’humecta, déchirant le ventre et le ds d’un des hommes, aspergeant les murs de sang frais. Le Seigneur Gris recula et un autre sort se forma autour de sa main droite tandis que le Renégat dégagea son arme et se tournât vers lui.

De la glace et du givre apparurent soudainement sur la coque et les membres du Renégat, et celui-ci cessa de bouger, maintenu immobile dans une fine cage de glace.

Magnus chargea, jetant son tromblon et saisissant Pourfendeur à deux mains. Le Seigneur Gris leva sa hache. Des runes bleues apparurent sur la lame de l’arme tandis que Magnus abattait Pourfendeur d’un puissant coup.

Le Seigneur Gris était un combattant expérimenté. Il réussit à détourner l’épée de Magnus, mais la force du coup le projeta contre le mur de la cale. Il récupéra instantanément et se lança en avant, balançant la hache dans une large frappe de taille.

Il était plus rapide que Magnus l’avait prévu – il ne parvint pas à placer Pourfendeur à temps pour intercepter le coup. Dans une pluie d’étincelles, la hache, enchantée par de puissantes runes, traversa le champ d’énergie de Magnus et s’enfonça dans son plastron et la chair s’y trouvant. Il sursauta lorsque le métal glacé coupa sa peau, mais la hache s’était logée dans son armure. C’est alors que le Seigneurs Gris commit une erreur cruciale.

Il tenta de la dégager.

La fraction de seconde d’effort le laissa sans défense, et Magnus balaya le cou du Seigneur Gris avec Pourfendeur. Sa tête se détacha de son corps dans une giclée de sang, et son cadavre rejoignit les autres en basculant en arrière.

Magnus arracha la hache de son corps et un flot de sang coula le long de son armure. Il grimaça, non pas à cause de la douleur de sa blessure, mais parce que Bolden Rebald, le Commandant en chef des Éclaireurs de Cygnar, ne l’avait pas avertit que les agents de la Section Trois travaillaient avec un Seigneur Gris. Peut-être qu’il ne le savait pas – mais peut-être qu’il le savait.

Xavius était passé par le trou. L’ordique n’était pas d’une grande utilité dans un combat debout. Il tenait une liasse de papiers dans une main et regardait tour à tour les cadavres au sol. Rebald leur avait fourni des croquis des visages des agents de la Section Trois afin qu’ils puissent être facilement identifiés.

« Bon sang, celui-là n’a plus de visage », déclara-t-il. « Je pense que c’est l’un des salauds de rouges. Celui-ci, définitivement ». Il désigna un cadavre auquel il manquait les deux bras et une jambe, mais dont le visage était parfaitement intact.

« Viens ici et regarde ces deux-là », dit Magnus. « Vite ». Il reporta son attention sur le Renégat tandis que Xavius le rejoignait. Il canalisa une plus grande partie de sa magie à travers le cortex de la machine, brisant ainsi le sort qui la bloquait. La colère, chaude et féroce, reflua à travers sa connexion avec le warjack. On l’avait trompé en le privant d’une mort.

« Oui, ce sont les deux autres », déclara Xavius. « Qui est celui-ci ? » Il désigna le Seigneur Gris décapité.

« Une complication », répondit Magnus en grognant de douleur. La blessure était peut-être un peu plus profonde qu’il ne le pensait. Des coups de feu résonnaient toujours à l’extérieur de la cale. « Nous avons fini ici. Allons-y avant que Harrow ne tue ce foutu équipage ».

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Background – Histoire des Royaumes d’Acier / Roman - Poudrière
« le: 21 juillet 2024 à 16:32:15 »
- 3-
Merywyn, Llael Occupé par le Khador


STRYKER MARCHAIT À NOUVEAU en tête d’un cortège de Chevaliers-Tempête, Tews à ses côtés, son large visage sombre.

« Par Morrow, je me sens pas à ma place », dit Tews.

Stryker ne dit rien, mais il ne pouvait guère contester cette affirmation. Il menait ses Chevaliers-Tempête non pas au combat, mais à travers l’immense cour vers l’un des plus grands bâtiments de tous les Royaumes d’Acier. La Grande Cathédrale de l’Ascendant Rowan à Merywyn surpassait à peu près toutes les autres structures morrowéennes dans le monde, à l’exception de la Cathédrale de l’Archicour de Caspia, le siège du pouvoir morrowéen.

Devant la puissante cathédrale et le long la voie de pierre banche menant à son entrée, deux régiments complets de soldats étaient alignés : l’un cygnaréen, l’autre khadoréen. C’était un choquant contraste de rouge et de bleu devant le blanc immaculé de la chapelle. Chevaliers-Tempête, chevaliers de l’épée et trois warcasters se tenaient au garde-à-vous du côté cygnaréen. Le Capitaine Sloan avait voyagé avec Stryker, le troisième warcaster, le Capitaine Jeremiah Kraye, et un contingent de chevaliers de l’épée étaient venus de Port Bourne pour les rejoindre à Merywyn. Stryker ne pouvait s’empêcher de penser que si Kraye avait été avec eux sur la route, ils auraient peut-être perdu moins d’hommes dans l’embuscade du Protectorat De plus, quatre warjacks – deux Cuirassés et deux Sentinelles – se tenaient devant l’ensemble des troupes cygnaréennes. Les cortexes des warjacks formaient une présence bourdonnante à l’arrière du crâne de Stryker, l’un plus fort que tous les autres. Il sourit alors que Vî Arsouye tournait la tête vers lui. Le warjack de confiance et marqué par les combats, laissa échapper de la vapeur dans un sifflement strident en guise de salut, ce qui sursauter le contrôleur à côté du Cuirassé.

Calme-toi, mon vieil ami, pensa Stryker en regardant le warjack. L’agressivité d’Arsouye et son instinct à chercher la bataille étaient renforcés par les problèmes qu’ils avaient rencontrés sur le chemin de Merywyn. Stryker ne pouvait pas blâmer le warjack.

En face des cygnaréens, les khadoréens avaient rassemblés leur propre démonstration de force martiale. Des rangées de Man-O-War Troupes de choc, robustes soldats enfermés dans d’énormes armures à vapeur, se tenaient à côtés de rangées de Crocs de Fer à l’armure plus conventionnelle, leurs larges boucliers reposant sur le sol, les piques plantées, les pointes s’élevant vers les cieux tel un bosquet de pointes. Deux warcasters khadoréens furent reconnus par Stryker parmi les troupes. Le premier était le Kommandeur de Front Sorscha Kratikoff, une guerrière aussi froide et impitoyable sur le champ de bataille que toux ceux qu’il affrontés, grande et glacial comme un glaçon, une forme donnée et une fonction meurtrière. Parmi les khadoréens se trouvait également la Kommandeur Strakhov, à la mâchoire carrée et aux cheveux noirs, un soldat robuste, marqué par les batailles, aimé par sa nation et détesté par ses ennemis. Stryker avait affronté les deux au combat à de nombreuses reprises. Et, bien sûr, il y avait des warjacks khadoréens, des monstruosités d’acier et de fer semblant toujours primitifs à Stryker, mais il les avait affrontés au combat, et leur efficacité était incontestable.

Devant Stryker et Tews marchaient deux hommes, tous deux majestueux et royaux. Le premier était l’ancien roi de Cygnar, Leto Raelthorne, qui avait récemment abdiqué son trône au profit de son neveu et fils de son frère, le tyran Vinter Raelthorne. À dix-neuf ans, Julius Raelthorne ressemblait plus à son père qu’à son oncle. Grand et mince, avec des cheveux noir et des traits carrés et acérés, le jeune roi se déplaçait avec la grâce et l’assurance d’un guerrier. Le jeune roi dégageait une froideur de prédateur faisant frémir Stryker. Tout comme son père.

Stryker se faisait encore à l’idée du fils de Vinter Raelthorne, un tyran qu’il avait aidé à chasser du trône il y plus de quinze ans, une homme qu’il avait contribué à vaincre lors de la récente tentative de Vinter de revenir en Cygnar en tant que roi légitime. Leto avait abdiqué pour éviter une longue guerre civile qui aurait coûté cher au Cygnar, et Stryker pouvait comprendre le raisonnement de son ancien roi. Mais il y avait beaucoup de Vinter dans Julius, et contrairement à sa relation avec Leto, Stryker n’avait pas la confiance du jeune roi.

« Serrez les dents, capitaine », dit Stryker, remarquant enfin le commentaire de Tews. « Ce sera bientôt terminé, et nous pourrons rentrer chez nous ».

« Oui, monsieur ». Tews fixait les troupes khadoréennes à sa gauche, et si Stryker connaissait l’esprit de son ami comme il le pensait, Tews essayait probablement de calculer le nombre de khadoréens qu’il pourrait tuer si les choses tournaient mal.

Il y avait peu de chance que la violence éclate, cependant. Ils étaient ici à l’invitation de l’Impératrice Ayn Vanar en personne pour signer un traité qui mettrait fin aux combats entre leurs deux nations. Après une coûteuse guerre civile et avec un nouveau roi sur le trône, le Cygnar avait besoin de temps pour guérir, et la fin de la guerre de dix ans avec le Khador leur offrirait ce temps.

Sur les grandes marches de la cathédrale attendait leur hôte, l’Impératrice Ayn Vanar, une femme majestueuse aux cheveux de jais, à la peau ivoire et aux yeux sombres. Elle paraissait petite, voire fragile, mais elle avait de l’acier dans le sang, et elle dirigeait le Khador d’une main de fer depuis plus d’une décennie. À ses côtés se trouvait un homme que Stryker reconnut immédiatement. D’une beauté sombre et vêtu d’une armure cramoisie baroque, le Grand Prince Vladimir Tzepesci était un noble puissant régnant sur une vaste étendue du Khador et dont la lignée pouvait remonter jusqu’à l’antiquité ; comme Stryker, c’était un warcaster. C’était aussi un impitoyable et brillant chef militaire. Stryker avait croisé le fer avec Vlad à plusieurs reprises, et le khadoréen était à la fois habile et sournois. Sa présence ici en contribuait guère à apaiser les doutes de Stryker.

« Impératrice Ayn Vanar », prononça Julius lorsque le petit cortège de cygnaréens s’arrêta au pieds des escaliers. Il inclina la tête mais ne s’inclina pas ; après tout, il parlait à un égal. « Merci d’avoir accepté de nous rencontrer ici à la Cathédrale. C’est un magnifique bâtiment, en quelque sorte épargnée par tous les… conflits que cette ville a connus ces derniers temps ».

L’impératrice sourit, mais son sourire n’atteignit pas ses yeux. « Bien sûr, Roi Julius. Il est normal que nous nous rencontrions dans un endroit où vous seriez plus à l’aise, puisque vous avez gracieusement fait le long voyage jusqu’à notre ville ».

« Leur ville, » murmura Tews.

Stryker lança un regard de reproche au capitaine, mais il eut la même réaction à la déclaration de l’impératrice. Les khadoréens s’étaient emparés de Merywyn lorsqu’ils avaient envahis le Llael, et ils occupaient désormais une grande partie de cette nation. Le Cygnar était allié au Llael et avait aidé la Résistance Llaelaise à combattre les envahisseurs. Tout cela était désormais terminé, du moins en ce qui concerne la participation du Cygnar, même s’il était peu probable que la Résistance reconnaisse le traité que son roi s’apprêtait à signer.

« Votre Majesté, je vous présente le Grand Prince Vladimir Tzepsci », dit l’Impératrice Vanar en posant légèrement sa main sur l’épaule armurée de Vlad.

Julius inclina la tête en direction du warcaster. « Prince Tzepesci, j’ai beaucoup entendu parler de vous », dit-il. « Vous êtes un puissant ennemi pour le Cygnar, et je me réjouis de vous compter parmi nos alliés ».

« Vous m’honorez, Votre Majesté », répondit Vlad en s’inclinant. « Je suis moi aussi impatient de vous compter parmi mes amis et alliés ». Son accent était plus perceptible que celui de la reine, les consonnes plus aiguës, certains mots plus prononcés.

Stryker avait assisté à de nombreuses négociations officielles, et il connaissait assez bien le ballet des plaisanteries feintes, mais celui lui déplaisait toujours entendre le roi s’exprimer si gentiment à un homme ayant probablement massacré des centaines, voire des milliers de soldats cygnaréens.

« Je remarque que le Général Stryker vous accompagne, Votre Majesté », dit Vlad en regardant par-dessus l’épaule de Julius.

Julius jeta un coup d’œil à Stryker et à sa garde d’honneur composée de Lames-Tempête. « Bien sûr, le seigneur général est un membre apprécié de mon conseil ».

« Je n’en doute pas », répondit Vlad. « Il est bon de vous revoir, Seigneur Général, dans des circonstances… plus agréables ».

« Stryker hocha la tête. « Et vous, Prince Tzepzsci. Notre dernière rencontre fut bien moins… agréable que celui-ci ».

La tension était palpable. Des hommes qui, autrefois, s’étaient qualifiés d’ennemis acharnés ne pouvaient pas mettre leurs différends de côté aussi facilement, et ils recouraient aux armes à leur disposition : dans ce cas, des paroles acerbes et des plaisanteries forcées.

« J’ai cru comprendre que vous aviez rencontré des problèmes sur la route », dit Vlad.

« Nous avons été attaqué, oui. Une tentative d’assassinat contre notre roi par le Protectorat de Menoth ». Stryker fut surpris que Vlad soit déjà au courant de l’attaque.

« Ils craignent la force que nous tirerons tous deux de notre alliance », répondit la reine. La colère traversa son visage. « Mais attaquer un souverain de cette manière est impensable et indigne des zélotes du Protectorat ». Sryker fut impressionné par les talents d’actrice de l’impératrice. Sa sincérité en aurait trompé plus d’un, mais pas Stryker. Il se demandait à quel point elle serait en colère si Amon Ad-Raza avait réussi. Elle-même avait récemment tenté de tuer Leto. Bien sûr, tout cela avait été pardonné au nom de l’opportunisme politique.

« J’étais bien protégé, Votre Majesté », dit Julius. Le roi avait avait peu parlé de l’attaque et ne semblait guère troublé par celle-ci. « Les assassins n’étaient pas à la hauteur de Seigneur Général Stryker et de ses Chevaliers-Tempête ».

« Bien sûr », dit Vlad. « Les prouesses au combat du seigneur général sont bien connues ». La tension revint , et avant que Stryker ne puisse répondre à Vlad, le Haut Chancelier Leto l’interrompit net.

« Votre Majesté », prononça l’ancien roi, « nous avons beaucoup à faire. Peut-être devrions-nous débuter ».

Julius regarda son oncle et sourit. Quelque chose traversa son visage, une infime crispation des lèvres, un plissement à peine perceptible des sourcils. De l’irritation ? Se demanda Stryker. Puis cela passa et le jeune roi dit : « Bien sûr, mon oncle. C’est une occasion capitale et j’ai hâte de commencer ».

« S’il vous plaît, suivez-moi, Votre Majesté », déclara l’Impératrice Vanar. Les grandes portes de la cathédrale s’ouvrirent derrière elle, révélant un vestibule aux murs de pierre blanche, chaque mur portant le symbole de Morrow gravé en or dans la pierre. Au-delà se trouvait la chapelle proprement dite.

L’impératrice et Vlad pénétrèrent dans la cathédrale, suivis de Julius et Leto.

« Garde d’honneur, entrez », dit Stryker en faisant signe à la douzaine de Lames-Tempête qui constituait la garde d’honneur du roi de le suivre. L’intérieur de la cathédrale était à couper le souffle, sa majesté étant un hommage approprié à Morrow et à l’ascendant à qui elle était dédiée, l’un des onze mortels élevé par Morrow pour le servir personnellement.

La propre garde d’honneur de l’impératrice attendait dans la nef, une douzaine de Crocs d’Acier en armure rouge ciselée d’or se tenant devant le grand autel. Un piédestal en marbre avait été placé au centre de la nef et une seule feuille de parchemin était posée dessus. C’était le traité que Julius et l’impératrice signerait.

La nef était remplie de gens, pour la plupart des nobles issus des deux nations, et Stryker reconnut des hommes et des femmes de l’Assemblée Royale Cygnaréenne ainsi que des personnalités plus éminentes, telles que le Duc Kielon Ebonhart, l’un des premiers à soutenir Julius Raelthorne lorsqu’il monta sur le trône. Le calme régnait dans la cathédrale, ce silence fécond précédant souvent de grands événements.

Bien sûr, tous les détails du traité avaient été réglés depuis des semaines par les conseils internes des deux dirigeants. La signature était simplement un spectacle pour les masses, une façon pour Julius de souligner le début de son règne et de trouver la faveur de ses sujets pour mettre fin à la guerre. Stryker n’avait pas grand-chose à voir avec les termes du traité ; le nouveau roi faisait rarement appel à lui, et le présence de Stryker au conseil intérieur n’était que symbolique. L’idée de ce revirement monumental, l’un des nombreux qu’il avait subis au cours des trois dernières années, le plongeait dans le doute. Il avait été le seigneur général du Roi Leto et faisait partie intégrante de l’effort de guerre cygnaréen. L’ancien roi lui avait souvent demandé son avis et ses conseils, mais il semblait désormais qu’il n’était plus guère qu’une figure de proue.

Il avait été informé des termes du traité. La paix entre les deux nations reposait en grande partie sur le reconnaissance par le Cygnar des revendications du Khador sur les parties de Llael dont il s’était emparé, puis par le rétablissement de lignes commerciales lucratives pour soulager l’économie tendue du Khador et sur la promesse de futurs échanges commerciaux, font un passage sans encombre vers la terre exotique de Zu. Julius avait plaidé et réussi à insérer une clause restrictive dans le contrat qui stipulait que si un véritable héritier du trône de Llael se présentait, la prétention du Khador serait annulée et ils retiraient leurs troupes. Bien entendu, il y avait peu de danger à cela. Aucun des descendants du dernier monarque de Llael, le Roi Rynnard, n’avait été vu depuis plus d’une décennie, et tous étaient présumés morts. L’addendum de Julius au traité visait simplement à montrer au peuple llaelais – les alliées de Cygnar - qu’il n’avait pas été complètement abandonné. Stryker avait du mal à comprendre comment les habitants de Llael ne pouvaient pas se sentir trahis par le nouveau monarque de Cygnar.

Les autres dispositions du traité prévoyaient le retrait des troupes  du Khador des terres cygnaréennes saisies au combat, telles que le forêt du Bois d’Épines, et le rétablissement de précieuses routes commerciales sur le Fleuve Noir, une voie navigable majeure traversant le Cygnar et pénétrait dans le Llael occupé par le Khador.

Tout cela semblait trop facile à Stryker. Bien sûr, ils souhaitaient tous la fin de la guerre. Le Khador et le Cygnar s’affrontaient depuis des années, et certaines des batailles les plus sanglantes s’étaient déroulées dans la nation voisine, le Llael, depuis l’invasion du Khador. Stryker avait personnellement dirigé des milliers d’hommes et fait couler plus de sang, qu’il pouvait s’en souvenir en Llael, pour repousser les khadoréens. Il avait également été témoin de la brutale soumissions des llaelais. Alors, les laisser simplement garder leur butin de guerre l’horripilait. Le retour d’une forêt  actuellement remplie d’horreurs cryxiennes et de quelques accords commerciaux lucratifs ne semblait pas être un échange équitable.

Il avait fait part de ses inquiétudes au roi, mais avait été critiqué par d’autres membres du conseil intérieur, dont beaucoup possédaient des terres ancestrales dans les régions du Bois d’Épines saisies par le Khador. Que cela ait joué un rôle dans leurs décisions n’avait pas d’importance ; ils avaient bien plus d’influence sur Julius Raelthorne que Stryker.

Il chassa ces pensées de son esprit alors qu’ils s’approchaient du piédestal. Il leva la main, et les Chevaliers-Tempête derrière lui se déployèrent, s’alignant sur les positions de leurs homologues Crocs d’Acier.

L’impératrice attendait à la table, Vlad un pas derrière elle. Julius s’approcha, et Leto se mit en retrait, correspondant à la position de Vlad. Il y avait un cérémonial dans ces procédures, une partie de spectacle, et tout cela paraissait incroyablement creux à Stryker.

Les dirigeants des deux nations les plus puissantes des Royaumes d’Acier se regardèrent. Le sort de millions de personnes reposait sur le traits de leur plume.

Deux encriers d’argents se trouvaient à côté du traité, ainsi que deux plumes blanches. Julius prit sa plume le premier et attendit que l’impératrice fasse de même.

L’impératrice prit sa plume et les deux souverains les trempèrent dans les encriers.

« À la paix, à l’amitié et à une alliance durable », prononça Julius en griffonnant son nom au bas du traité. Stryker n’ignorait pas que l’impératrice avait attendu que le jeune roi signe en premier.

« Que Cygnar et Khador soient frères à partir de ce jour », dit l’impératrice en apposant son nom en-dessous de celui de Julius.

La cathédrale éclata sous une salve d’applaudissements et quelques acclamations éparses. Stryker n’ajouta pas sa voix au vacarme montant ; il ne pouvait s’empêcher de se demander si les désastres étaient plus souvent annoncé par des applaudissements volontaire que par les cris de douleurs des opprimés.

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Background – Histoire des Royaumes d’Acier / Roman - Poudrière
« le: 14 juillet 2024 à 14:14:10 »
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Nord de Corvis


LE SEIGNEUR GÉNÉRAL COLEMAN STRYKER marchait en tête d’un long cortège de Chevaliers-Tempête. Son visage buriné était plissé d’inquiétude, le faisant paraître plus âgé que ses trente-cinq ans. Il passa une main dans sa mèche de cheveux rouge et regarda derrière lui. Il dirigeait une force plus réduite qu’il ne l’aurait souhaité, mais il ne seraient exposés que pour un court moment.

Ils étaient en route pour Merywyn, la capitale du Llael déchirée par la guerre, où les plus féroces ennemis du Cygnar les attendaient, mais il n’y allaient pas pour poursuivre leur conflit qui durait depuis des décennies, mais pour inaugurer une nouvelle ère de paix. Il avait combattu les khadoréens pendant des années et, d’après son expérience, la paix n’était pas un concept que la nation septentrionale de Khador considérait avec beaucoup d’enthousiasme.

 Il avait quitté Corvis il y a un jour et avaient suivi le Fleuve Noir vers le nord à bord d’une petite flotte de navires remplis de soldats et de dignitaires cygnaréens, mais ils avaient maintenant une partie du fleuve connu pour être en proie aux attaques des hommes-gator venant du Marais Bloodsmeath voisin. Les sauvages humanoïdes reptiliens avaient la mauvaise habitude de couler les navires passant sur leur territoire. Ainsi, il avait été décidé que pendant que le reste du convoi cygnaréen poursuivait sa route par bateau, Stryker et une petite force de Chevaliers-Tempête escorteraient le roi par voie terrestre. Il leur suffirait de marcher seize kilomètres sur la Grande route Commerciale du Nord pour atteindre le point où la flotte cygnaréenne es récupérerait, mais cela signifiait de passer près du Bois Scintillant, une forêt située à proximité des énigmatiques iosiens, des elfes xénophobes qui voyaient d’un très mauvais œil tout humain pénétrer sur leur territoire.

« Je n’aime pas ça. Nous sommes trop exposés, et trop peu nombreux », dit Stryker au Chevalier-Tempête musclé qui marchait à ses côtés. Le Capitaine Garvin Tews avait retiré son casque, dévoilant ses traits et sa mâchoire carrée. Il approchait la cinquantaine, mais était toujours en excellente condition de combat, et le poids de sa lourde armure de Lame-Tempête et du grand glaive-tempête voltaïque qu’il portait ne semblait pas le déranger du tout.

« Vous savez que notre roi pense qu’une plus petite force sera moins visible », déclara Tews.

« Et qu’en penses-tu, capitaine ? » demanda Stryker avec un sourire las.

« Je vous demande pardon, monsieur, mais je pense que le Roi Julius devrait laisser les questions de stratégie, en particulier lorsqu’elles concernent sa propre sécurité, à ceux qui ont plus… d’expérience » dit Tews en se mordillant la lèvre.

Le sourire de Stryker s’élargit. Tews était militaire depuis près de trente ans. C’était un chevaliers, comme tous les membres des Lames-Tempête, mais il était aussi un soldat, un fantassin dans l’âme.

« Les éclaireurs sont en retard », déclara Stryker. Il avait envoyé une escouade de rangers pour voir si la route présentait de potentiels dangers.

« Pas de beaucoup », répondit Tews en haussant les épaules. « Qu’est-ce qui vous inquiète, Seigneur Général ? »

« Probablement rien, mais nous approchons du Bois Scintillant, et il est proche de la route. Nous serions coincés entre elle et le fleuve à l’ouest ».

« Avez-vous peur d’une embuscade ? » demanda Tews.

« C’est que je la tendrais », déclara Stryker.

Tews se frotta le menton. « Maintenant, vous m’inquiétiez », dit-il. « Mais par qui, Iosiens ? »
« Il a pire que les elfes au sein de cette forêt », déclara Stryker. Il avait pris sa décision. Il leva un poing armuré. « Compagnie, halte », dit-il et le cliquetis des armures et des armes résonnant derrière lui lui apprit qu’une centaine de chevaliers avaient immédiatement suivi son ordre. Il regarda les rangs des chevaliers jusqu’à ce que deux imposants Cuirassés se dressent au-dessus des humains. L’un deux était son warjack personnel, Vî Arsouye. L’autre Cuirassé était contrôlé par un autre warcaster, le Capitaine Kara Sloan, qui, avec huit membres de la garde royale, protégeait le roi. Julius montait à cheval à proximité, dominant ses chevaliers. Stryker tendit son esprit vers Arsouye, et le cerveau mékanique du warjack devint un bourdonnement sourd à l’arrière de son crâne. Arsouye était irrité, anxieux. Il voulait se battre, mais il n’y avait rien à faire. Stryker maîtrisa les émotions du ‘jack et le calma.

« Lieutenant Archer », dit Stryker à un Chevalier-Tempête se trouvant à proximité. « Informez le roi que je pense qu’il est préférable que lui et le Capitaine Sloan retent là où ils sont pendant que la moitié de notre force part en éclaireur. Dites-lui que cela nous retardera d’environ trois heures ».

« Oui, monsieur », répondit le Lieutenant Archer en se précipitant vers le centre de leur courte colonne.

« À quoi penses-tu, Coleman ? » demanda Tews en s’approchant. Stryker connaissait le capitaine Lame-Tempête depuis quinze ans ; ils avaient combattu et saigné ensemble sur d’innombrables champs de bataille. Le fait qu’il utilise le prénom de Stryker ne dérangeait pas le seigneur général le moins du monde. Ils étaient plus que des frères d’armes, ils étaient des amis.

« Je n’arrive pas à mettre le doigt dessus », répondit Stryker, « mais il y a quelque chose qui cloche ».

« Tu penses pas que les khadoréens nous attaqueraient à la veille de notre traité de paix, n’est-ce pas ? »

Stryker secoua la tête. « Non, ce serait stupide, et il y a une chose que l’Impératrice Vanar n’est pas, c’est être stupide ».

« Et bien, tes intentions signifient généralement que la violence se profile à l’horizon ». Tews posa son casque sur sa tête et leva son lourd glaive-tempête, une épée à deux mains à large lame alimentée en énergie galvanique. Dans les mains d’un homme comme Tews, une telle arme pouvait facilement trancher un homme en armure en deux. « Cela fait longtemps que nous n’avons pas eu une bonne bagarre. Et le roi n’est pas mauvais avec une lame. J’espère néanmoins qu’il ne fera rien d’irréfléchi s’il s’agit de sang ».

Stryker grimaça. « Désolé, capitaine, mais le roi ne me confie pas son humeur, ses désirs et ses projets en général. Je n’ai pas sa confiance comme j’avais celle de Leto »

Deux ans s’était écoulés depuis la coûteuse guerre civile qui avait vu Julius, le fils de l’infâme tyran Vinter Raelthorne IV, monter sur le trône de Cygnar. L’oncle de Julius, Leto, avait abdiqué pour éviter une nouvelle effusion de sang, et une nouvelle ère avait commencé en Cygnar, une ère fans laquelle Stryker était de plus en plus éloigné de son nouveau roi.

Le Lieutenant Archer revint peu de temps après. « Monsieur », dit-elle, le visage plissé d’inquiétude.

« Crache le morceau », dit Tews. « Le seigneur général n’est pas du genre à tirer sur le messager ».

« Le roi va continuer à avancer derrière vous, mais gardera une bonne distance », déclara-t-elle. « Il pense qu’un retard de trois heures ne serait pas politiquement prudent ».

« Difficile de protéger un homme qui ne vous écoute pas », déclara Stryker, « mais il est le roi. Archer, peux-tu commander un warjack ? »

Elle acquiesça. « J’ai reçu une formation de base ».

« Bien. Amène les deux Sentinelle sous le commandement du Capitaine Sloan », déclara-t-il, désignant un type de warjack léger armée d’un solide bouclier et d’une mitrailleuse à grande vitesse. « Je les veux près du roi. Arsouye va m’accompagner ».

« Oui, monsieur », répondit-elle et elle se dépêcha d’exécuter ses ordres.

Il tendit son esprit vers Arsouye et exhorta le gros warjack à le rejoindre en tête de colonne. Le cuirassé l’atteignit rapidement, laissant échapper un souffle de vapeur strident en guise de salutation. Arsouye tenait son gigantesque marteau sismique dans un poing métallique et ouvrait et fermait l’autre. Le warjack sentit l’anxiété de Stryker à travers leur connexion.

« Très bien », prononça Stryker en se tournant vers la cinquantaine de Chevaliers-Tempête formant la tête de la colonne. « Je veux que les glaives-tempête soient activés, et je veux des yeux sur la lisière des arbres. Compris ? » Un choeur de « oui, monsieur » répondit. Il sortit sa propre arme, la grande épée mékanique Vif-Argent, des fermoirs magnétiques situés à l’arrière de son armure et la balança sur une épaule. « Alors, on bouge ».
* * *
LE BOIS SCINTILLANT ÉTAIT UN ÉPAIS enchevêtrement de chênes et d’ormes noueux, s’étendant loin à l’est. C’était un endroit sauvage entre les nations de Llael et Cygnar et les étendues arides des Marches Sanglantes à l’est. Des tribus de trollkin vivaient encore dans ces bois et cette fière race guerrière avait eu une histoire apre avec le Cygnar ,mais Stryker ne s’attendait pas à une attaque de leur part. On racontait que d’autres créatures plus sauvages vivant au sein du Bois Scintillant, mais les forces de Stryker étaient trop nombreuses pour constituer une cible tentante pour une bande de tharn. Qu’est-ce qui le rendait si inquiet ? Alors qu’il s’approchait de la lisière de la forêt, il ne pouvait se défaire de l’impression que quelque chose lui échappait.

Le roi et la moitié des Chevaliers-Tempête avaient allongé la distance entre eux et la partie de la colonne de Stryker, même s’ils étaient encore trop proches au goût de stryker. S’il y avait une attaque, il voulait prendre le plus gros avant l’arrivée du reste de ses hommes. Il jeta un coup d’oeil derrière lui. Le roi se tenait au milieu d’une groupe serré de Chevaliers-Tempête. Julius portait une armure similaire, et sa couleur bleue le rendait difficile à repérer parmi ses chevaliers par un ennemi. La poignée de l’épée du père de Julius, Régicide, dépassait de l’épaule du jeune homme – il était un épéiste doué, bien que loin d’être aussi impitoyable et sauvage que son père, qui fut singulièrement terrifiant avec une lame.

La route qu’ils suivaient, en terre battue offrant une assise stable aux soldats et aux warjacks, longeait le Fleuve Noir. Elle se rétrécissait considérablement face l’envahissant présence du Bois Scintillant, comme si l’antique forêt essayait de dévorer la route.

Bientôt, ils seraient contraints de former une colonne étroite, à moins de dix mètres entre le fleuve et la lisière de la forêt. Tous les yeux étaient rivés sur la pénombre parmi les arbres, à la recherche d’un mouvement. Stryker laissa ses sens dériver vers Vî Arsouye, se donnant ainsi un meilleur point de vue à trois mètres du sol.

Il n’y avait rien… puis un éclair blanc, et les muscles de Stryker se tendirent rapidement. Le suite ne fut pas une surprise, et il invoqua rapidement sa magie pour créer un champ d’énergie protecteur autour de lui et des Chevaliers-Tempête les plus proches. La vue des runes qui se formaient autour de son corps suffit amplement à alerter ses homme de l’imminence de la bataille, mais il cria malgré tout l’ordre « Chevaliers-Tempête, formez les rangs ! »

Il y avait cinquante Chevaliers-Tempête à l’avant de la colonne et cinquante autre plus loin, protégeant le roi. Les hommes autour de lui formèrent rapidement une ligne, leurs glaives-tempête pointés vers les arbres, une haie mortelle d’énergie voltaïque. Stryker était au centre avec Arsouye à côté de lui, le gros warjack frappant son marteau dans son poing ouvert, presque tremblant d’excitation à l’idée de ce qui allait se passer.

« Stable ! » cria Tews, près de Stryker.

Soudainement la forêt s’anima d’ombres blanches et du claquement révélateur de cordes d’arbalètes frappant leur aiguillons, puis une grêle de carreaux jaillit des arbres.

Stryker s’était attendu à ce que les Chevaliers-Tempête les plus proches de lui soient protégés par son sort, mais les éclairs ne furent ni ralentis ni déviés par la magie.

Du coin de l’oeil, il vit un de ses Chevaliers-Tempête chuter. Un carreau d’arbalète avait fait mouche. Celui qui les attaquait était assez habile pour trouver les ponts faibles de l’armure d’une Lame-Tempête.

« Feu ! » cria Stryker. Ses Chevaliers-Tempête actionnèrent le bouton de tir sur les poignées de leurs glaives-tempête, et des éclairs électriques s’élancèrent vers les arbres. Ils tiraient à l’aveugle, mais Stryker entendit des cris de douleur dans la forêt.

La zone boisée, ensuite, dégorgea de dizaine de guerriers en armure blanche brandissant de larges épées tranchantes et des boucliers portant l’icône en forme de boucle et de croix du Menofix, le symbole sacré du dieu Menoth. C’étaient des chevaliers du Protectorat, la nation théocratique à l’est de Cygnar, qui s’était récemment étendue au nord de Llael. Stryker n’eut pas le temps de réfléchir à leur présence ici qu’ils percutaient sa ligne de Chevaliers-Tempête dans un fracas d’acier contre acier.

La rage est le dégoût bouillonnaient en lui. Il avait combattu ces fanatiques à de nombreuses reprises, et leur adhésion aveugle et violente à leur religion avait coûté de nombreuses vies.

Avec Vif-Argent, un rencontra un chevalier chargeant, repoussant le coupé d’épée du guerrier du Protectorat avec sa bien plus lourde arme, puis ripostant et abattant Vif-Argent en un puissant arc tranchant. La lourde lame déchira le plastron du chevalier ennemi, le fendant jusqu’au sternum. Le chevalier fut mort debout, et Stryker repoussa le corps.

Il tendit son esprit vers Arsouye et envoya le warjack charger au milieu de l’ennemi, balançant son marteau sismique en décrivant de large arcs. Il n’était pas possible de parer un tel coup, et les chevaliers du Protectorat furent écrasés, leurs armures pulvérisée, leurs corps brisés.
Stryker jeta un coup d’oeil à sa gauche et à sa droite ; ses Chevaliers-Tempête ne s’en sortaient pas bien. Les guerriers du Protectorat était habiles et leurs lames légères et rapides trouvaient les lacunes de l’armure Lame-Tempête.
Tews criait et frappait avec son glaive-tempête. Il abattit un chevalier du Protectorat puis en tua un autre en la chargeant avec avec une décharge d’électricité.
Arsouye subissait des dégâts, mais pour l’instant ils étaient légers, et les cadavres en armures s’accumulaient autour des pieds du grand warjack.
Stryker s’apprêtait à rejoindre la position de Tews lorsque deux minces panaches de fumée apparurent au-dessus de la ligne des arbres. Cela signifiait qu’une chose : des warjacks. Les ‘jacks du Protectorat surgirent de la forêt à une trentaine de verges de la position de Stryker. Ils étaient plus petits qu’Arsouye, leur blindage était peinte en blanc et rouge, et les Menofixes étaient bien visibles sur leur coque. Les deux warjacks brandissaient de longues lames tranchantes dans chaque poing et se déplaçaient rapidement et gracieusement. Pire encore, ils n’étaient pas seuls.
L’homme qui émergeait de la forêt, derrière les warjacks, portait peu d’armure, et son massif torse était nu, exposant des muscles et du tissus cicatriciels. Son visage était couvert par un masque doré et il brandissait un lourd fléau dans une main, la majeure partie de son chaîne étant enroulée autour de son bras. Stryker le connaissait : il s’appelait Amon Ad-Raza, un warcaster tout comme lui et l’un des combattants les plus meurtriers du Protectorat.
La raison de l’attaque était on ne peut plus claire. La paix entre le Cygnar et le Khador signifiait que l’une ou l’autre des nations, ou les deux, pourraient tourner leur attention vers un ennemi commun : le Protectorat de Menoth. Cela menacerait les possessions du Protectorat en Llael. Le Cygnar avait envisagé que le Protectorat réponde au traité d’une manière ou d’une autre, mais une attaque sur la route, si près de la frontière de Cygnar et contre le roi en personne, avait été la moins probable.
Stryker avait écouté son instinct, l’ayant conduit en toute sécurité à travers plus de dangers qu’il ne pouvait s’en souvenir. Julius n’était pas dans la partie avant de la colonne là ou Amon Ad-Raza avait probablement considéré qu’il se trouverait. Le warcaster avait levé la main trop tôt ce qui avait donné une chance à Stryker.

Il regarda en direction de l’endroit où était positionné le roi, à environ cinquante verges de la position de Stryker ; la garde du roi avaient formé une cercle protecteur autour de lui, un mur mortel formé de glaives-tempête. Une vague de panique traversa Stryker lorsque Julius s’éloigna de la Protection de ses gardes pour engager deux chevaliers du Protectorat ayant réussi à atteindre sa position. Pourtant, Stryker n’avait pas à s’inquiéter. La lame du roi était un être vivant, un serpent d’acier et de sang, et il maniait Régicide avec une telle vitesse qu’elle ne semblait rien peser. Julius bloqua un coup d’épée du premier chevalier, puis faucha l’ennemi d’une riposte si rapide que Stryker ne la vit pas. Le Chevalier du Protectorat était debout, l’instant d’après, il gisait en deux morceaux aux pieds du roi. Julius tua le chevalier restant d’un coup sec, faisant passer Régicide à travers le plastron de l’homme, son corps, puis son dos armuré. Julius dégagea sa lame et retourna calmement sous la protection de ses chevaliers.

Stryker concentra à nouveau son attention sur son environnement immédiat, abattit un autre chevalier ennemi chargeant sur lui et appela Arsouye à sa position. Il aurait besoin du gros Cuirassé pour s’occuper des warjacks ennemis. Il ressentit l’empressement d’Arsouye, puis les pas tonitruants du warjacks fonçant vers Stryker.

Amon Ad-Raza avait engagé les Chevaliers-Tempête les plus proches, et ses warjacks les transperçaient dans un déluge d’acier et de sang. Stryker fonça, sans se soucier des ennemis, les abattant lorsqu’ils se trouvaient sur son chemin ou laissait Arsouye les écraser.

Amon regarda dans sa direction alors que Stryker s’approchait, et des runes jaune vif se formèrent autour du poing lourd du guerrier du Protectorat. Une torride chaleur entoura Stryker lorsque le sort prit effet, et son champ d’énergie s’enflamma alors qu’il tentait de compenser. Son armure de warcaster finit par encaisser le plus gros, et l’acier chauffé  brûla la peau de ses bras et de ses jambes. Il serra les dents contre la douleur et courut, invoquant un sort de son cru. Un éclair jaillit de sa main tendue, un éventail d’énergie bleu-blanc se dirigea vers son ennemi. Amon n’était pas encombré par une armure, et son entraînement au sein de l’Ordre monastique du Poing l’avait rendu incroyablement agile. Il esquiva la foudre en bondissant, évitant les éclairs avec une facilité qui sembla enfantine.

Les Chevaliers-Tempête derrière Stryker combattaient toujours les chevaliers du Protectorat, et ceux qui les précédaient essayaient toujours de repousser les warjacks d’Amon Ad-Raza. Stryker ordonna à Arsouye de s’attaquer aux warjacks ennemis pendant qu’il poursuivait Amon. La sensation excitante du premier coup porté par le Cuirassé à l’aide de son marteau sismique fut transmise par leur lien, suivie de la satisfaction d’Arsouye lorsque la coque du premier warjacks s’écrasa.

Stryker jeta un coup d’oeil vers le reste des forces cygnaréennes et le roi. Des silhouettes en armure bleue se déplaçaient maintenant dans sa direction. Le roi était parmi eux ; il se jetterait sans doute dans la bataille aux côtés de ses hommes. Stryker ne pouvait pas permettre cela, ne pouvait pas permettre à Amon Ad-Raza de se rapprocher à ce point de Julius.

Stryker se trouvait à six mètres de son ennemi quand Amon lança son fléau en avant, la lourde balle à l’extrémité arrivant sur Stryker comme un grand météore doré. Il se tourna sur le côté et l’arme le manqua de peu. Amon ramena son bras en arrière. L’arme revint vers lui.

Stryker était maintenant assez proche pour frapper avec Vif-Argent. Il était rapide et habile, et il avait canalisé sa volonté dans le coup, mais Amon s’enfuit en dansant. Vif-Argent frappa dans le vide.

À nouveau, le fléau d’Amon se dirigea vers lui. Cette fois, Stryker tenta de le dévier avec son arme. Il y parvint – partiellement. Il écrasa la tête du fléau, mais celui-ci le frappa quand même d’un coup sec et le projeta en arrière, son plastron enfoncé au-dessus de son abdomen.

Amon observa l’endroit où le reste des forces cygnaréennes avançait sur la route. Il réalisa clairement que sa cible n’était pas là où il l’avait initialement pensé. Stryker tenta de se rapprocher à nouveau, et Amon envoya son fléau en arc de cercle dans sa direction. Cette fois, Stryker tint bon et plaça Vif-Argent devant lui. Il fit un pas de côté alors que la tête du fléau se dirigeait vers lui et il frappa la chaîne le reliant à Amon. L’acier consacré était trop solide que pour être coupé, mais le coup changea la direction de la tête du fléau qui s’enroula autour de Vif-Argent. La force du coup faillit arracher l’arme des mains de Stryker. Mais le fléau d’Amon était coincé, et le warcaster du Protectorat allait l’arracher d’une seconde à l’autre. Stryker pressa la gâchette situé à la base de la poignée de Vif-Argent, déclenchant l’explosion voltaïque. Des éclairs s’élevèrent dans les cieux et le long de la chaîne du fléau, dont le manche métallique était tenu dans la main droite d’Amon.

Le corps d’Amon se figea sous l’effet de l’énergie galvanique le traversant. L’effet ne serait pas suffisant pour tuer le warcaster ou même lui causer des dommages durables, mais cela offrit à Stryker l’ouverture dont il avait besoin. Il se dégagea du fléau d’Amon et fonça en direction de son ennemi en lui assénant un large coup de taille. Amon avait suffisamment récupéré, mais ses réactions étaient ralenties. Il essaya de s’éloigner de la lame de Stryker une fraction de seconde trop tard. La pointe de Vif-Argent mordit le flanc d’Amon. Bien qu’Amon ne portait aucune armure, le coup de Stryker rencontra comme s’il en portait une. Les étranges méthodes de l’Ordre du Poing protégeaient leurs corps des blessures. Pourtant, la lame était entrée en contact, trancha la chair et les côtes se brisèrent sous l’impact.

Amon s’éloigna en trébuchant, tirant son fléau derrière lui. Du sang coulait de son flanc, mais Stryker ne pouvait dire l’étendue de la blessure. Il prit un moment pour surveiller Arsouye. À travers les yeux du warjack, il que vit que les deux warjacks du Protectorat étaient à terre, détruits par Arsouye et les attaques concentrées des Chevaliers-Tempête restants.

Stryker se retourna vers Amon, prêt à lancer une nouvelle attaque, mais le warcaster du Protectorat inclina la tête dans sa direction.

« Ne pensez pas que c’est fini, Seigneur Général », dit-il, sa voix grave mais toujours lointaine derrière son masque. « Vous ne pouvez endiguer le flot de ceux qui suivent la Vraie Loi, quelles que soient les alliances que vous concluez ».

Avant que Stryker ne puisse répondre, Amon se retourna et courut vers le Bois Scintillant, une main serrée sur son flanc blessé. En quelques secondes, il disparut dans les ténèbre de la forêt. Amon avait confirmé la raison de l’attaque, comme Stryker l’avait soupçonné. Pourtant, il ne pouvait rien faire de plus avec ces informations, et ce qui restait des chevaliers du Protectorat reculait. Il entendit Tews ordonner de les laisser partir.

Stryker inspira profondément et laissa son corps se détendre, laissant l’adrénaline refluer. Tews le rejoignit.

« C’est grave ? » demanda Stryker au capitaine des Lames-Tempête.

Tews secoua la tête. « Difficile à dire pour l’instant. Au moins cinq morts, dix autres blessés. Je suppose que les éclaireurs que nous avons envoyés en avant son morts aussi ».

« Bon sang », prononça Stryker dans un souffle. C’était le prix du commandement. Même la victoire avait un coût.

Le reste des forces cygnaréennes les avait rejoints, avec à leur tête le Capitaine Kara Sloan. La warcaster était grande et fine, avec des cheveux blonds courts et des taches de rousseur sur le nez. Elle tenait à deux mains un fusil à canon long mékanique. Stryker avait souvent combattu aux côtés de Kara, et il savait qu’on pouvait compter sur elle pour faire des ravages avec son arme.

« Seigneur Général », dit Kara, « Le roi est en sécurité. Je lui ai conseillé de rester en arrière ».

« Merci, Capitaine Sloan », répondit-il. « Je pense que nous en avons fini ici. Amenez davantage d’hommes pour s’occuper des morts et des blessés.

« C’était Amon Ad-Raza ? » demanda-t-elle, les yeux écarquillés.

Stryker acquiesça. « Je suis aussi surpris que vous ».

« Par Morrow, que faisait-il ici ? »

Stryker lui offrit un sourire fatigué. « Échouer à tuer notre roi ».

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Background – Histoire des Royaumes d’Acier / Roman - Poudrière
« le: 14 juillet 2024 à 14:04:03 »
PARTIE I

- 1-
Cinq-Doigts, Ord, 1er Trineus, 611 AR


LE LIEUTENANT LONAN DUFF DESCENDAIT la passerelle de la frégate ordique HMS Colère de la Jouvencelle tout en respirant le désagréable parfum de Cinq-Doigts. Même si l’arôme mélangé de la fumée de charbon, des marmites et de la sueur rance des humain, n’était pas agréable, c’est ce que l’odeur représentait qui le dérangeait le plus. C’était l’odeur du rivage, là où il était le plus vulnérable.

Il était le dernier à quitter le navire ; le reste de l’équipage était parti depuis longtemps pour quelques jours de permission et les réjouissance que cela impliquait. Bientôt, ils se dirigeraient vers Zu, la mystérieuse terre située loin au sud, servant d’escorte à deux frégates de la Maison Mateu transportant des fournitures et des hommes jusqu’à leur avant-poste sur cette terre exotique.

Il faudrait deux jours pour acquérir toutes les fournitures nécessaires, et le Capitaine Vanus de la Colère de la Jouvencelle avait ordonné à son équipage de se reposer et de s’amuser. Ils resteraient en mer pendant trois mois après avoir quitté Cinq-Doigts et n’auraient pas beaucoup d’occasions de  suite.

Lonan avait fait pression sur le capitaine pour qu’il soit autorisé à rester à bord, mais Vanus n’avait rien voulu savoir. Le capitaine pensait que la réticence de Lonan à descendre à terre n’était due qu’à sa maladresse sociale et à son sens du devoir. Il ne pouvait pas avouer au capitaine le véritable raison ; que son nom n’était pas Lonan Duff, mais le Prince Lyan di la Martyn, peut-être le seul héritier vivant du trône de Llael, un pays maintenant occupé par l’Empire Khadoréen. Il ne pouvait pas dire à son capitaine que son père, le Roi Rynard di la Martyn, était mort dans de mystérieuses circonstances, que le pouvoir du roi était assumé par un gouvernement corrompu et que presque tous ceux qui prétendaient au trôné avaient été tués ou forcés de se cacher. Non, il ne pouvait dire cela à personne, alors il avait quitté la cabine du capitaine, pris son pistolet et son coutelas, et s’était forcé à descendre la passerelle vers une ville remplie de voleurs et d’assassins, une ville où des agents de l’ennemi pouvaient être embusqués dans chaque recoin sombre.

Lonan s’avança sur le quoi bruyant et animé. La ville se profilait à l’horizon, une collection apparemment infinie de bâtiments qui s’estompaient tel un tapis gris sur l’Île du Capitaine, l’une des nombreuses îles sur lesquelles Cinq-Doigts s’était répandue comme une infection. La Colère de la Jouvencelle était amarrée dans le quartier Rivergrav District, l’un des plus fréquentés de la ville. Des hommes et des laborjacks – des automates massifs animés par la vapeur – envahissaient la jetée, déplaçant des marchandises vers et depuis les nombreux navires et bateaux fluviaux qui y étaient ancrés.

Il avait appris à se perdre dans la foule et se laissa entraîner par le flot de gens qui descendaient la jetée. Le quai était un lieu de mouvement constant, les gens allaient ou sortaient, et il y avait peu de destinations à part une poignée de tavernes ou l’un des nombreux navires amarrés.

Il baissa son chapeau et remonta le col de sa veste, dissimulant ainsi son visage. Son long manteau était trop chaud pour le climat, mais il cachait la chemise en cotte de mailles qu’il portait en dessous. De nous jours, il ne quittait jamais le navire sans une forme de gilet pare-balles. Il n’avait aucune destination en tête, mais errer pouvait être dangereux. Plus il était visible longtemps, plus il était probable qu’il soit vu par quelqu’un connaissant sa véritable identité.

D’habitude, il n’était pas aussi prudent ni aussi effrayé. Après que la guerre en Llael eut atteint son paroxysme, la recherche des héritiers du Roi Rynnard n’avait guère été une préoccupation urgente. Lonan se cachait en Ord depuis la mort de son père, et la guerre avait facilité ses déplacements. Il s’était engagé dans la marine ordique sous un nom d’emprunt il y a presque dix ans, travaillant dur mais n’atteignant délibérément que le grade de sous-lieutenant. Ce grade intermédiaire cachait ses véritables capacités et son intelligence sous un manteau de maladresse feinte et d’indifférence professionnelle et lui offrait un certain anonymat tout en lui accordant suffisamment d’autorités pour éviter occasionnellement les situations dangereuses.

Il conservait encore quelques contacts en Llael, mais ils étaient restés silencieux durant des années. Il supposait qu’ils avaient été tués lors des combats ou qu’ils avaient fui le pays comme lui. Il avait donc été choqué de recevoir une missive de l’un d’entre eux lors de sa dernière escale, une lettre suggérant que la recherche des héritiers ru roi avait repris, mais pas par des agents de ce qui restait du gouvernement llaelais ni même de la Résistance qui luttait contre les envahisseurs khadoréens. La notre comportait une unique ligne, et elle l’avait glacé jusqu’à l’os. Elle disait : Khador recherche les héritiers survivants.

Les khadoréens contrôlaient des pans entiers de l’ouest de l’Immoren, dont la capitale Merywyn, et ils n’avaient aucun intérêt à voir revenir un roi llaelais. La Résistance le souhaitait peut-être, car un héritier légitime pourrait galvaniser la population, mais personne ne l’avait jamais contacté, le croyant probablement mort. Les khadoréens ne pouvaient le rechercher que pour une seule raison : l’éliminer et supprimer la possibilité qu’un fils de Rynnard s’assoie un jour sur le trône de Llael.

Il n’y avait aucun signe d’assassins dans les différents ports qu’il avait visité au cours du mois dernier, bien que sa peur augmentait à chaque fois que son navire accostait. Sa récente affectation sur la Colère de la Jouvencelle avait été une aubaine, et son voyage vers la nouvelle frontière de Zu le mènerait en haute mer pendant des moi, bien au-delà de la portée du Khador. Il devait juste survivre aux deux prochains jours à Cinq-Doigts.

Il connaissait intimement la ville, où il avait été stationné pendant près de sept ans au sein de la Marine Royale. C’était un endroit où il pouvait se cacher et se perdre dans la foule grouillante de la tentaculaire ville, un havre connu pour les pirates et les contrebandiers, mais maintenant, il semblait que c’était l’endroit idéal pour que les assassins frappent. Le seul endroit  sûr pour lui était la forteresse navale. Il pouvait y trouver une relative sécurité parmi les marins stationnés dans la garnisons de la Marine Royale.

Le seul problème était que la garnison se trouvait sur l’Île Belliqueuse, ce qui signifiait qu’il devrait traverser une bonne partie de la ville, en passant par l’Île du Poursuivant et l’Île Doleth, pour l’atteindre. Il jeta un coup d’oeil à la foule affairée sur le quai. Des centaines de marins et d’ouvriers vaquaient à leurs occupations tout autour de lui. La plupart étaient des humains, mais il y avait quelques trollkin et i pouvait apercevoir de temps en temps un imposant ogrun parmi eux.

Personne ne faisait attention à lui et il se fondait dans la foule. Lonan accéléra le pas, se déplaçant avec le flot des gens. Il lui faudrait traverser l’un des nombreux ponts reliant les îles de Cinq-Doigts pour atteindre sa destination, et le premier n’était pas très loin.

Il resta près des nombreux entrepôts qui bordaient la jetée, évitant ainsi le gros de la foule. Par la suite, il progressa bien, s’éloignant de l’immense marina pour se diriger vers la partie plus commerciale des quais. Ici, les poissonniers et autres marchands vendaient leurs marchandises, et la foule passait de marins et des matelots à un mélange plus cosmopolite. Lonan n’aimait pas ça ; son uniforme naval le distinguait.

Il se dépêcha de traverser le marché, ignorant les cris des marchands et les bruits sourds de la foule. Le pont vers l’Île du Poursuivant n’était pas très loin. Il quitta le Rivergrav pour se rendre dans l’autre partie de l’Île du Capitaine, moins peuplée. Il s’agissait du District de l’Esprit d’Outre-Tombe, le centre industriel de l’île, où de gigantesques usines crachant de la fumée dans le ciel et d’innombrables entrepôts où étaient stockés les marchandises dominaient l’horizon.

Il était plus vulnérable ici. Il n’était pas seul, mais la foule était clairsemée, et il y avait de nombreuses allées sombres et étroites entre les bâtiments pouvait facilement abriter un assassin. Il se faufila entre les personnes se trouvant sur son chemin, les observant au passage, à la recherche d’un indice lui permettant de penser qu’ils étaient autre chose que de simple visages sans la foule. Il pouvait voir le pont maintenant, une chose massive de pierre et d’acier s’élevant au-dessus du canal entre l’Île du Capitaine et celle du Poursuivant. Ce fut un soulagement. L’Île du Poursuivant était avant tout un marché, et la garde y était donc plus importante.

Il n’en resta pas moins prudent à l’approche du pont. Il y avait des gens qui allaient et venaient sur le pont, mais devant celui-ci se tenaient deux hommes vêtus de longs manteaux gris, sous lesquels on pouvait voir le renflement révélateur d’épées ou de pistolets. Ils n’avaient pas l’air à leur place, ni parce qu’ils étaient armés, ni à cause de leur tenue vestimentaire. C’est la façon dont ils observaient la foule qui le terrifia. Leurs yeux s’attardaient sur tous ceux qui passaient devant eux, un regard pénétrant et scrutateur.

Lonan s’arrêta, son coeur battant dans sa poitrine. Il était possible que les hommes ne le cherchaient pas. Ils pourraient être employés par l’un des infâmes Hauts Capitaines, de puissants criminel qui étaient le véritable pouvoir de Cinq-Doigts, et celui qui n’avait rien à voir avec un prince de Llael exilé. Il se frotta la bouche et regarda derrière lui. La voie était libre et il y avait un autre pont, moins utilisé, menant à l’Île du Poursuivant en passant par le Rivergrav. Il pouvait faire demi-tour et repartir par où il était venu.

Il jeta à nouveau un coup d’oeil vers le pont. Les deux hommes le fixaient directement. L’un d’eux fit signe de tête à l’autre et ils commencèrent à se diriger vers lui.

Il envisagea de dégainer son pistolet et d’abattre l’un deux immédiatement. Il rameuterait probablement la garde, ce qui lui assurerait une certaine sécurité, mais il repoussa rapidement l’idée. La garde était aussi corruptible que tout le reste à Cinq-Doigts. Il commença à se déplacer dans l’autre direction. Il ne courait pas. Pas encore. Il se déplaçait à contre-courant des gens sur les quais, les dépassant. Il jeta un coup d’oeil par-dessus son épaule. Les deux hommes étaient toujours derrière lui, marchant rapidement.

Lonan se rendit compte qu’il les avait vus trop facilement, comme s’ils s’étaient placés là pour le forcer à se déplacer dans l’autre sens. L’effrayer vers-

Il se cogna contre une muraille de muscles, une muraille avec une mâchoire carrée, des yeux sombres et un manteau gris. La muraille lui enfonça également une courte lame dans les côtes.

La lame traversa le manteau de Lonan, mais la cotte de maille en dessous l’empêcha de pénétrer dans sa chair. Pourtant, la force derrière la lame était immense et Lonan sursauta de douleur lorsqu’une de ses côtes se fendit. Il trébucha en arrière, et les yeux de son agresseur s’écarquillèrent de surprise – il ne s’attendait pas à une armure – et s’avancèrent vers lui. Cette fois, Lonan sortit son pistolet, un pistolet lourd à répétition pour lequel il avait dépensé près d’un mois de salaire. Il tira à bout portant, deux fois : à la poitrine, à la tête. Le sang gicla et l’homme tomba. Des cris d’alarme s’élevèrent de la foule sur les quais et les gens s’éparpillèrent. Devant lui, Lonan pouvait voir d’autres silhouettes grises se diriger vers lui. Il voulait leur tirer dessus, mais il y avait trop de monde entre lui et ses cibles. Paniqué comme il l’était, il ne voulait pas risquer de gaspiller ses balles sur des cibles inutiles.

Il regarda par-dessus son épaule. Les deux hommes derrière lui se rapprochaient. Il était en infériorité numérique et probablement moins armé. À sa gauche se trouvait l’entrée d’un immense entrepôt, et il pouvait voir des laborjacks se déplacer à l’intérieur tandis que des ouvriers se tenaient debout et le regardaient. Certains d’entre eux étaient armés. La plupart des citoyens de Cinq-Doigts avaient une bonne connaissance de la violence.
Il se retourna et couru dans l’entrepôt, dépassant deux ouvriers dont l’un lui cria quelque chose. L’intérieur de l’entrepôt était un labyrinthe de caisses et de boîtes, et il essayait de maintenir sa direction, espérant trouver une sortie de l’autre côté.

Les imposants murs de boîtes l’empêchait de voir si ses agresseurs l’avaient suivi. Qui étaient-ils ? Son contact avait déclaré que des agents khadoréens le recherchaient, mais ces hommes n’étaient pas des soldats, du moins pas dans le sens normal du terme.

Il poursuivit son chemin, transférant son pistolet dans sa main gauche et dégainant son coutelas avec sa droite. Les caisses et les cartons s’amenuisaient, et il avait des raisons d’espérer lorsque l’autre côté de l’entrepôt présentait un espace dégagé et un ensemble de grandes portes doubles menant à une large allée.

Il voulu s’élancer vers la sortie, mais il eut à nouveau le désagréable sentiment d’être suivi par un troupeau sur un chemin choisi pour lui. La perspective d’une échappatoire était trop tentante, cependant, et il se précipita vers la porte ouverte.

En sortant dans la rue, la première chose qu’il remarqua fut à quel point la rue était vide ; la suivante était le grand bâtiment en pierre juste en face de lui. Il n’eut même pas le temps de lever les yeux avant que le premier coup de feu retentisse.

Quelque chose frappa son épaule gauche et le fit tourner sur lui même. Son pistolet s’échappa de sa main et une profonde douleur brûlante lui transperça l’épaule. Il retourna en trébuchant dans l’épaule, je jetant vers la gauche alors qu’un autre projectile ricochet sur le sol en béton. Lonan courut vers la première rangée de caisse à sa gauche, les hautes piles créant un chemin  étroit semblable à une ruelle. Le sang coulait le long de son bras gauche et essayer de bouger le membre blessé ne faisait jamais qu’intensifier sa douleur jusqu’à une agonie brûlante. La balle avait traversé sa cotte de mailles sans ralentir et avait probablement enfoncé certains maillons dans sa blessure.

Il écoutait tout en bougeant, mais l’entrepôt était devenu silencieux. Seul le grondement lointain des chaudières des laborjacks perçait le silence. Il approchait de la fin de la rangée, qui s’ouvrait sur une autre rangée s’étendant de gauche à droite en forme de T. Il ne fut guère surpris lorsqu’un autre des assassins vêtus de gris apparut dans l’intersection, un long sabre courbé à la main.

Il jeta un coup d’oeil en arrière. Un autre assassin se dirigeait vers lui. Un étrange sentiment de calme s’installa en lui. Son mort était imminente ; ces hommes étaient bien assez nombreux pour l’assassiner. Il se rassura en si disant que cela mettrait fin à la fuite et à la dissimulation. Il n’avait jamais été très pieux, mais il y avait probablement une place pour lui sur Urcaen, une place qui lui offrirait un semblant de paix.

Mais il n’irait pas docilement à la mort.

« Je suis Lyan di la Martyn », cria-t-il, donnant de la voix à un nom qu’il n’avait plus prononcé depuis plus d’une décennie. « Lequel d’entre vous, bâtards, mourra le premier ? »

Il fonça vers l’assassin armé du sabre. L’homme se déplaça et se mit en garde, le bras droit tendu, la lame pointée vers le sol.

Lyan se précipita en avant puis esquiva tout en effectuant un large revers. Il avait été formé au maniement de l’épée à la cour de son père, avec les meilleurs instructeurs, et il n’avait pas perdu ses compétences au cours des dix années qui s’étaient écoulées depuis. Il était plus rapide et plus habile que son adversaire, malgré sa blessure. Sa lame heurta celle de son adversaire, et son arme était plus lourde, et son arme plus lourde écarta le sabre le temps d’un battement de coeur, assez longtemps pour qu’il puisse riposter et transformer son premier coup en une puissance entaille. Sa lame s’enfonça dans le cou de l’assassin, traversant la chair et se logeant contre la colonne vertébrale de l’homme. Le sang jaillit et Lyan libéra son arme alors que l’homme s’effondrait au sol.

Il se retourna pour faire face à l’attaquant suivant, qui ne se précipitait pas sur lui – il avait attendu calmement que Lyan en finisse avec son compatriote. La main du tueur était tendue et un anneau de runes encerclait son poing de particules d’un bleu arctique.

Il n’eut pas le temps d’éviter ce qui arrivait. Lyan leva ses bras sur son visage. Une explosion d’un froid à craquer les os suivit alors qu’il était enveloppé par le sort de l’ensorceleur khadoréen. Ses muscles se contractèrent, sa respiration se figea dans ses poumons et ce fut comme si chaque centimètre carré de sa peau exposée était assailli par une douleur engourdissante. Sa cotte de mailles n’offrait aucune protection contre cette attaque, et les anneaux d’acier fusionnèrent en une feuille de métal glacé.

Le froid surnaturel arracha la force de ses membres et Lyan tomba à genoux. Il avait tenu son épée et l’avait brandie à l’approche de l’homme. Son assassin était grand, avec des traits nets et des cheveux noirs et clairsemés. Ses yeux étaient bleus, froid et impitoyables, et ses lèvres dessinaient un sourire crispé. Dans une main, il tenait une lourde hache de guerre, dont la lame était ornée de runes brillantes.

Lyan tenta un coup maladroit sur l’arcaniste, qui s’écarta avec désinvolture, puis frappa d’un pied botté et arracha la lame de la main de Lyan.

« Vous êtes courageux, Prince Lyan », dit l’homme. Son accent khadoréen n’était pas prononcé, mais il était indubitable. « Je ne m’attendais pas à ce que vous soyez… si fougueux ».

Lyan ouvrit la bouche pour s’exprimer, mais son corps tremblait si violemment à cause du froid qu’il eut du mal à prononcer quoi que se soit. « Fais-le », dit-il. « J’en ai assez de faire semblant… de cacher qui je suis ».

L’homme acquiesça, son visage se tordant en un simulacre de sympathie. « Oui, ces jours sont révolus pour vous », dit-il, et à la surprise de Lyan, il laissa tomber la hache à côté de lui et passa sa main sous son manteau. Il en sortit une longue dague droite à la pointe méchamment aiguisée. « Mais je ne vous abattrai pas comme un vulgaire chien. Vous méritez une meilleurs mort que celle-là. Une mort noble. Pouvez-vous vous tenir debout, Prince ? Pouvez-vous mourir debout ? »

Lyan se rendit compte qu’il avait la force de se lever et qu’il ne voulait pas mourir à genoux. Il se releva, haletant, la douleur lui traversant le corps. Le froid surnaturel avait gravement endommagé ses organes internes. Sa vision se brouilla.

« Fais-le », murmura-t-il.

« Avec plaisir ». L’homme posa une main sur l’épaule de Lyan et plaça la pointe de sa dague sur son coeur. « Au revoir, Prince Lyan. Je vous promets que votre mort marquera le début d’une nouvelle ère de grandeur pour votre nation ».

Il poussa Lyan en avant, enfonçant la lame à travers sa maille et dans son coeur.

Le choc de la lame pénétrant dans son corps céda la place à une chaleur se répandant, et Lyan di la Martyn accueillit favorablement les ténèbres s’élevant pour l’engloutir.

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Background – Histoire des Royaumes d’Acier / Roman - Poudrière
« le: 14 juillet 2024 à 13:48:44 »
CHRONIQUES DES ROYAUMES D’ACIER

ACTES DE GUERRE I

POUDRIÈRE

AERYN RUDEL

PARTIE I

PARTIE II

PARTIE III

8
Bonne lecture :)

9
Bonne lecture  :)

10

Après avoir déchiffré le message crypté du Moteur à Encoder, la vie de Thaddeus au sein du Temple de Configuration Énumérative devint un véritable tourbillon d’activité. Bien que Lycandria soit resté son principal professeur, il avait été confié à plusieurs autres professeurs qui lui expliquèrent la compréhension avancée des mathématiques, de la physique et de l’ingénierie de la Convergence. Ces nouvelles leçons commencèrent à révéler l’impressionnante profondeur des connaissances technologiques  de la Convergence. Il découvrit leur capacité à exploiter les énergies géomantiques propres à Caen et comment cette énergie était utilisée pour alimenter presque tout ce qui se trouvait à l’intérieur du temple. Il découvrit leur maîtrise des mouvements horlogiques mékanique et leur incroyable capacité à miniaturiser des mécanismes extrêmement avancés. Il approfondit également les principes des Harmoniques et commença à explorer un relation personnelle avec la déesse, ce qu’il n’avait jamais expérimenté auparavant. Il avait l’impression de ressentir sa vigilante présence derrière chaque formule mathématique alambiquée et chaque schéma complexe.

En reconnaissance de son développement spirituel, Thaddeus se vit accorder une plus grande liberté au sein du temple. Chaque jour, il s’imprégnait davantage des mystères de la Convergence et sentait que ses limites antérieures en tant qu’intellectuel et l’ingénieur disparaissaient au fur et à mesure que sa compréhension grandissait. L’étendue des connaissances était comme une drogue pour lui, et son appétit devenait de plus en plus vorace. En dépit de sa nouvelle passion, il ressentait vivement l’absence de sa femme, qui lui maquait plus que jamais. Il souhaitait vivement partager ce nouveau développement avec Eliza. Il continuait à demander à Lycandria des nouvelles d’Eliza, mais il n’en recevait jamais.

Un mois s’écoula. Thaddeus était sur le point de se retirer pour la nuit lorsqu’il entendit frapper à sa porte. Il l’ouvrit et fut choqué de voir le visage d’Eliza. Elle le serra dans les bras, le repoussant dans a pièce par la force de son étreinte.

« Thaddeus, mon amour ! » Elle ramena sa tête en arrière et l’embrassa profondément.

« Eliza », dit Thaddeus lorsqu’il put reprendre son souffle, que fais-tu ici ? As-tu reçu une dispense pour cette visite ? »

Elle fronça des sourcils. « Une dispense ? Cela fait des mois que nous ne nous sommes pas vus et c’est ta première préoccupation ?! »

« Mon coeur bondit de te voir, mais tu ne peux pas être découverte ici ».

Eliza se recula et visita la chambre de Thaddeus. Son regard se posa sur son bureau, les papiers et documents qui s’y trouvaient étaient propres et parfaitement ordonnés. Une seule feuille de papier de travail se trouvait au centre, le stylo de Thaddeus étant précisément aligné sur le bord de la feuille. Ses sourcils se froncèrent tandis qu’elle observait les caractères parfaitement alignés sur la page.

« Quoi ? » s’enquit Thaddeus.

Elle fit une pause, réfléchit, puis dit : «  Je ne t’ai jamais connu aussi . . . ordonné ».

Thaddeus acquiesça. « La Précision est le théorème d’ouverture de la preuve de la perfection. Mon désordre était un obstacle au lien avec la vérité de Cyriss ».

Eliza le regarda. « La vie est rarement précise, Thaddeus. Elle est bordélique. Nous pouvons trouver tellement de satisfaction dans la science, cela ne changera jamais. Cela ne devrait pas non plus être le cas ».

« Non, Eliza, la Patronne des Mécanismes et ses enseignements nous offrent la capacité d’ordonner le chaos. Grâce à elle, nous pouvons rendre le monde parfait ».

« Qu’est-ce que la perfection ? Comment la définis-tu ? »

« Cyriss nous montre la voie, et nous, les membres de la Convergence, serons ceux qui la rendront manifeste. Il lui saisit ses mains pendant qu’il parlait, la regardant intensément dans les yeux. Depuis si longtemps, il aspirait à partager avec elle sa nouvelle passion pour la Patronne – à vraiment partager sa foi avec elle après tant d’années ensemble.

Le visage d’Eliza s’assombrit et elle secoua tristement la tête. « Non, Thaddeus. J’ai vu ce que souhaite la Convergence. C’est un anathème pour la Patronne que je connais. L’ordre naturel, la physique, les mathématiques - toutes ces choses sont des incarnations de Cyriss, et toutes existent dans le monde comme elle le souhaite. Ce que nous considérons comme du chaos, nous ne le comprenons tout simplement pas comme le fait la Patronne. Ce que la Convergence considère comme imparfait est un aspect de son être même ».

Thaddeus secoua la tête. « Non, non. Elle a chargé la Convergence de rectifier les imperfections. Pour rendre le monde en parfaite harmonie pour elle ».

Eliza soupira. « La Convergence est aveuglée. Ils croient que leur voie est la bonne, mais comment la Patronne peut-elle exister et pourtant son contact avec ce monde est imparfait ? Ne vois-tu pas la contradiction dans cette croyance ? »

Thaddeus se sentit abasourdi. Il avait hâte de partager sa nouvelle foi avec Eliza, et maintenant c’était elle qui était sceptique. Elle l’attira à nouveau près d’elle, l’air sérieux. « Écoute-moi bien. J’ai eu tort de nous amener ici. J’ai eu tort de croire que la Convergence était une expression plus pure de la déesse ». Elle fit un signe vers le bureau ordonné. « Ils cherchent à tout refaire. À éradiquer la vrai beauté du monde ». Sin visage prit une résolution sinistre. « Ils ne doivent pas faire ça. Je ne les laisserai pas faire ».

« Je ne comprends pas », marmonna Thaddeus, s’efforçant de saisir la portée des paroles de sa femme ».

« Nous devons fuir cet endroit, Thaddeus. C’est le seul moyen de nous sauver. Je suis désolé de ne pas l’avoir vu avant. Notre vie était déjà parfaite. Je dois retourner à l’Académie Stratégique. Les autorités doivent savoir ce qui se passe au sein d’endroits comme celui-ci. Ces gens corrompent notre foi ».

Ces paroles frappèrent Thaddeus tel un choc. Il demeura engourdi. « Tu ne peux le penser. Tu veux partir ? Revenir en arrière ? »

« Oui, c’est notre unique chance ». Elle lui tendit un papier plié. « J’ai planifié cela depuis un certain temps déjà, mais notre fenêtre d’opportunité sera courte. Les détails sont là ». Elle l’embrassa à nouveau profondément. « Je dois partir avant qu’ils ne remarquent mon absence ». Alors qu’elle se dirigeait vers la porte, elle se retourna et dit : « Je t’attendrai demain, mon amour ».

Lorsque la porte se referma, Thaddeus sentit ses genoux trembler et il s’effondra sur son lit. Ses entrailles étaient en ébullition alors qu’il essayait de comprendre ce qui se venait de se passer. Il passa en revue les paroles d’Eliza dans sa tête, essayant de les réconcilier avec les vérités qu’ils avaient apprises pendant son séjour au Temple de Configuration Énumérative. Il ramassa les feuilles de papier décrivant le plan d’évasion qu’elle avait élaboré. Même ici, il était impressionné par son génie et comprit que cela pouvait fonctionner. Avait-il eu tellement tort ? Il avait vraiment l’impression que son esprit avait été ouvert, éveillé, et la Convergence était responsable de cela. Mais il avait à peine effleuré la surface de tout ce qu’il y avait à apprendre, de tout ce qu’il y avait à savoir de la déesse. Comment pouvait-il abandonner cela ? Il pensa à une vie sans la Convergence et à une sans Eliza. Les deux lui donnèrent la nausée. Il avait l’impression qu’il allait vomir.

Il essaya désespérément de donner un sens au tumulte de ses pensées. Finalement, il se leva et se dirigea vers son bureau. Il devait faire quelque chose pour concentrer son esprit. Tel un homme se noyant, il attrapa la première chose qu’il put trouver pour maintenir sa tête hors de l’eau. Il consulta la page du Moteur à Encoder. Lycandria avait qu’elle faisait parie d’une impression très récente qui n’avait pas encore été déchiffrée. Thaddeus reporta son attention sur la page et prit son stylo. Son écriture perdit rapidement son rythme ordonné et régulier. Bientôt, la page fut couverte d’une écriture grossièrement gribouillée.

Quelques heures plus tard, Thaddeus cligna des yeux et regarda son travail, le vérifiant avec le document du Moteur à Encoder. Tremblant, il posa le stylo et expira d’une longue et lente respiration. Il savait ce qu’il devait faire. Il y avait toujours une solution.

* * *

Thaddeus se frayait un chemin rapidement et tranquillement à travers les couloirs vides du temple. Compte tenu de l’heure tardive, il y avait peu de chance de croiser qui que ce soit dans cette partie de la structure, car la majorité des gardiens du temple étaient postés plus près des entrées du temple. Il valait néanmoins mieux être aussi prudent que possible.
Il tourna au coin du couloir et inspira profondément lorsqu’il vit Eliza à l’endroit où sa note lui avait indiqué qu’elle se trouverait. Son visage s’illumina lorsqu’elle le vit et elle se précipita à sa rencontre.

« Thaddeus ! Morrow et la Patronne soient remerciés ». Elle l’attira dans ses bras.

« Eliza- » dit-il, mais elle l’interrompit.

« Nous n’avons pas le temps. Nous devons faire vite si nous voulons nous échapper de cet endroit ».

« Eliza », répéta-t-il avec plus de force. Elle ne lui accorda toujours pas plus la moindre attention et se contenta de le tirer par la main vers le couloir menant à l’une des sorties de surface du temple.

Elle n’avait pas fait plus de trois pas que deux silhouette apparut dans l’embrasure de la porte, la bloquant. Même dans la faible lumière nocturne du couloir, Thaddeus put voir l’éclat de l’acier chromé. L’emblème de la Convergence brillait d’une lueur bleue pâle sur les poitrines des silhouettes. Eliza fit un pas en arrière, effrayée, regardant frénétiquement d’un à l’autre alors qu’elle essayait de déterminer une nouvelle échappatoire.

Les silhouettes s’avancèrent vers elle et Thaddeus l’entendit haleter lorsque les deux Obstructeurs apparurent en pleine lumière. Une voix monocorde familière retentit derrière eux, obligeant Eliza à se retourner. « J’ai bien peur que ne partiez pas comme prévu, Mme Solomon ».

Eliza se tourna vers son mari, les larmes aux yeux. « Je suis vraiment désolé, Thaddeus ».

Thaddeus sentit son coeur se serrer. « Non, je suis désolé, mon amour ».

Eliza le regarda, confuse, puis elle réalisa. « Tu leur as dit ? » demanda-t-elle. La douleur était intense, mais Thaddeus se força à ne pas détourner le regard.

« Je devais le faire », dit-il. Ce n’était pas suffisant, mais il ne pouvait pas en dire plus.

Eliza s’affaissa, le regardant fixement. Elle ne prononça pas un mot, pas même pour s’en prendre à son traître. Son mari. Lorsque les mains métalliques des Obstructeurs saisirent ses épaules, mais elle ne se débattit pas. Au lieu de cela, elle était simplement devenue amorphe, et se laissa emmener.

Le corps de Thaddeus tremblait visiblement et ses tripes se tordirent douloureusement. Il avait l’impression qu’il allait s’effondrer. Il se força à repenser au message que les documents du Moteur à Encoder lui avaient révélé la nuit dernière. Même si cela faisait mal, il savait que tout cela faisait partie de la grande équation de Cyriss.

Lycandria s’approcha de lui et lui demanda : « Tu trouveras un moyen de la convaincre ? » Il pouvait entendre le désespoir dans sa propre voix. « Elle peut encore nous rejoindre, je le sais. Ce n’était qu’une erreur temporaire. Elle ne ferait jamais de mal à ce temple ».

« Nous essaierons. Mais je doute qu’elle a déjà pris sa décision. Je doute que cela fonctionne ». Elle marqua une pause, puis reprit sur le même ton monocorde : « Thaddeus, si nous échouons dans cette dernière tentative, nous ne pouvons pas la laisser partir. Tu comprends pourquoi. Si nous devions en arriver là, saches qu’elle ne ressentira aucune douleur. Nous avons déjà eu à résoudre des situations similaires ». Lycandria posa une main sur son épaule. C’était un geste rare de sa part, et il se sentit étrangement réconforté, même si le chagrin menaçait encore de le submerger. Il savait au fond de lui qu’Eliza ne changerait pas, qu’il l’avait perdue. Il était trop difficile d’espérer une meilleure issue. Puisant sa foi dans la Patronne comme source de foi, il se tourna et s’éloigna vers sa chambre où d’autres travaux l’attendait. Il savait qu’il devait trouver un moyen de repousser ses émotions. Le travail l’apaiserait.

* * *

Thaddeus était assis à son bureau, mais pas dans la même pièce que celle qu’il avait occupée en tant qu’initié. Le silence tranquille de la pièce n’était rompu que par l’efficace grattement de son stylo. Des piles de papiers et de livres bien rangés reposaient sur son bureau, créant une véritable forteresse de papier autour de lui.

Le bruit du stylo grattant le papier s’interrompit tandis s’arrêtait, plongé dans une profonde réflexion. Ses lentilles oculaires s’ajustèrent dans l’acier chromé de la plaque frontale de son corps mécanique, ce  qui provoqua un vrombissement. Sans poser le stylo, il tendit une main et ramassa la petite boite casse-tête qu’Eliza lui avait offert il y a tant d’années, la tenant dans ses deux autres mains en acier. Distraitement, ces doigts faisait tourner divers engrenages, chaque tour provoquant le déplacement et la rotation des autres, l’action et les réactions provoquant la transformation de la forme de la boîte entre ses mains, alors même qu’il reprenait l’écriture avec son autre main. Son quatrième bras commença à parcourir soigneusement l’une des piles de documents. Les choses qui étaient autrefois difficiles, voire impossible pour son corps de chair semblait désormais faciles. De même, son esprit plus avisé, plus aiguisé, un meilleur instrument.

Il s’autorisa un vrombissement de satisfaction lorsque sa main métallique trouva le bon papier. La page titre disait « Théories sur les Relais Voltaïques avancé et les Exponentielles Galvaniques. Par Eliza Solomon ».

Thaddeus, désormais connu sous le nom de Solomnus, vérifia le document en le comparant à son propre travail. Il hocha légèrement la tête en signe d’appréciation de ce qu’il voyait et prononça doucement à travers son émulateur audio : « J’ai mi la théorie en pratique, mon amour. Tu continueras à vivre grâce à l’oeuvre de la Patronne ».

11
HISTOIRES DES ROYAUMES D’ACIER

CONVERSION

Caspia 604 AR

Thaddeus Solomon était assis, courbé sur sa chaise de bureau, le silence de la pièce uniquement brisé par le griffonnage de son stylo. Des piles de papiers et de livres ouverts étaient éparpillés aux quatre coins créaient une forteresse de papier branlante autour de l’ingénieur à la silhouette trapue. Ses cheveux noirs étaient parsemés de gris et une paire de lunettes à monture métallique reposait sur l’arête de son nez. Plusieurs lampes mékaniques offraient à la pièce une lueur chaleureuse malgré l’heure tardive.

Le bruit de la plume grattant le papier stoppa et ses sourcils se froncèrent, révélant de profondes rides sur son visages alors qu’il plongeait dans une pensée concentrée. Il posa le stylo et ramassa une boîte de casse-tête. Sans réfléchir, ses doigts firent tourner les différents engrenages, chaque tour entraînant le déplacement et la rotation d’autres pièces, l’actions et les réactions transformant la forme de la boîte dans sa main. Avec une soudaine clarté, il posa la boîte et commença à fouiller dans l’une des piles de documents de son bureau, le menton baissé pour lui permettre de regarder par-dessus la monture de ses lunettes. Sa bouche en cul-de-poule tandis qu’il ôtait soigneusement un manuscrit du bas de la tour de document, la faisant vaciller de façon précaire. Le page de couverture indiquait. « Principes sur la Condensation et l’Expansion Voltaïque – Sebastian Nemo ».

Il hocha al tête avec satisfaction, puis parcourut rapidement les pages à la recherche des informations dont il avait besoin. Au bout d’un moment, ses yeux bleu-gris revinrent aux notes qu’il avait prises sur le papier devant lui et il reprit son stylo. Des équations et des notes griffonnées couvraient la page, plusieurs grossièrement hachurées. À côté des papiers se trouvait un autre manuscrit. Sur celui-ci se trouvait un schéma délicatement rendu d’une chambre tempête. Pour un œil exercé, cependant, il était facile de voir que plusieurs des composants typiques avaient été modifiés et que des annotations étaient été écrites sur les changements avec une écriture cursive mais précise. Il passa son doigt sur l’une des notes, la lisant silencieusement tandis qu’il griffonnait une nouvelle équation sur sa feuille de travail.

Une voix douce venant de l’arrière le sortit de sa concentration. « Tu travaille dur, je vois ».
Thaddeus marqua une pause et relut les lignes qu’il venait d’écrire. Il grogna de frustration avant de barrer grossièrement son travail d’une rature sombre.

Il sentit des mains douces se poser doucement sur ses épaules avant de glisser le long de sa poitrine dans une étreinte amoureuse. Il sentit le visage de sa femme se presser contre le sien. Il prit un moment pour se délecter de la chaleur et de la sensation de sa peau contre la sienne. Inconsciemment, sa main libre se tendit vers la sienne, la serrant chaleureusement.

Le charme de son travail maintenant rompu, Thaddeus admira enfin la vue depuis la fenêtre faisant face à son bureau. La lumière bleu pâle de Calder brillait brillamment, flanquée de la luminescence plus faibles des lunes Laris et Atris. « Quelle heure est-il ? » demanda-t-il en posant son styo. Il ôta ses lunettes et se frotta l’arête du nez, se sentant soudainement très las.

« Il est temps pour toi de ranger ton travail et de t’occuper de ta femme », lui répondit-elle à l’oreille d’un ton enjoué.

Thaddeus sourit faiblement. « Qui a dit que je ne faisais pas déjà ça ? » Il ramassa le document sur lequel il travaillait et le présenta à sa femme pour qu’elle l’examine.

« 
Conduction et Amplification : Théories sur les Relais Voltaïques avancé et les Exponentielles Galvaniques.
Par Eliza Solomon », lit-elle à haute voix. « Cette Eliza Solomon doit être un sacré esprit pour t’avoir mis dans un tel état ».

Thaddeus se tourna vers l’auteur du papier qu’il tenait, regardant ses yeux bruns profonds en disant : « Tu sais qu’elle l’est ».

Eliza sourit et se pencha, faisant tomber le médaillon de Cyriss qu’elle portait. Il le sentit se cogner contre lui tandis qu’elle l’embrassait profondément. Ses lèvres douces et pulpeuses lui envoyèrent une décharge électrique, et Thaddeus oublia les équations et les principes d’ingénierie. La seule chose sui occupait son esprit était Eliza.

Elle s’éloigna de lui et sa voix prit un ton plus clinique. « Alors, as-tu trouvé comment concilier l’augmentation de la production d’énergie voltaïque sans avoir recours à des alliages plus conducteurs mais moins durables ? »

Il fallut un moment à l’esprit de Thaddeus pour revenir à un mode intellectuel. « Ce n’est pas simplement une question de métallurgie. Le problème vient du condensateur et de l’amplificateur voltaïque. Bien qu’en théorie une telle production d’énergie soit possible, elle nécessite la fabrication de très petits composants intégrés avec des tolérances de déviation incroyablement minces. Ce n’est tout simplement pas réalisable compte tenu des paramètres du monde réel ».

L’un des sourcils d’Eliza se haussa. Thaddeus savait que c’était un signe qu’il allait se faire engueuler. « La théorie conduit à l’application pratique. À moins de tu ne dise que ma théorie est erronée ».

« Non ». Thaddeus savait à quel point Eliza pouvait se comporter lorsque son travail était contesté, et il savait qu’il n’avait pas assez d’esprit pour remporter un tel débat. « J’ai analysé tes chiffres de toutes les manières possibles. Ta théorie est solide. Mais bien sûr, la théorie dépasse toujours la capacité de fabrication ».

Thaddeus tenta de s’approcher d’elle, espérant mettre fin au débat intellectuel, mais Eliza croisa les bras, bloquant son avancée. Pour elle, la discussion n’était pas terminée. « Le problème est peut-être que tu te focalise trop sur le problème. Une vision plus large permet souvent de faire des révélations que l’on croyait impossibles. Il suffit de regarder ce que Sebastian Nemo a accompli dans le domaine de l’énergie voltaïque et galvanique. Son travail sur le projet du Foudroyant a fait voler en éclats toutes les idées reçues sur ce qu’est ou n’est pas pratique en matière de fabrication et de théorie ».

« Eh bien, je ne suis pas Sebastian Nemo ! » dit Thaddeus avec exaspération en se laissant tomber sur sa chaise. « Et même si le projet Foudroyant démontre son génie, je tiens à souligner que l’homme n’a pas encore réussi à le mener à bien ! »

Le visage d’Eliza s’adoucit immédiatement alors que la frustration de son mari faisait surface, et elle s’approcha de lui pour l’embrasser. « Je suis désolée. Je ne voulais pas insinuer que tu devais l’être ».

Thaddeus grogna. Il savait qu’elle n’était pas en colère contre lui, ni même qu’elle le jugeait sévèrement. Elle était passionnée par son travail et le défendait bec et ongles. Et il n’était pas en colère contre lui-même – il savait que les réponses étaient là, mais il n’était tout simplement pas assez capable pour les voir. Il murmura une petite prière à Morrow.

Eliza prit son visage dans ses mains. « Tu est un brillant ingénieur, Thaddeus Solomon. Si quelqu’un peut mettre mes théories en pratique, c’est bien toi ».

Il acquiesça à demi-mot. Elle se pencha vers lui et l’embrassa à nouveau, et lorsque leurs lèvres fusionnèrent, toute sa frustration disparut. « Maintenant, viens te coucher. Demain, tu pourras revenir aux équations et aux énigmes techniques. Peut-être que notre office avec la Lumière de la Patronne apportera quelques éclaircissements. Mais pour le reste de la soirée, il est temps pour toi de n’être rien d’autre que mon mari bien-aimé ».

* * *

L’atmosphère rassurante de la chapelle de la Lumière de la Patronne s’installa sur Thaddeus alors qu’il se préparait à réciter la prière cyrissiste qui débutait la prière. Ses yeux se tournèrent vers les vues familières du vieux bâtiment abandonné qui avait été secrètement récupéré pour servir de chapelle au groupe. Eliza lui avait dit, lorsqu’elle l’avait convaincu pour la première fois d’assister au service au début de leur cour, que le bâtiment avait près de trois siècles. Thaddeus n’avait pas eu pas de mal à le croire. Bien que le bâtiment ait été restauré depuis que la Lumière de la Patronne s’en était emparée il y a une centaine d’années, le groupe avait pris soin de cacher sa véritable fonction. Les parties accessibles aux étrangers étaient occupées par des bureaux administratif et des entrepôts. La petite communauté cyrissiste qui organisait des cérémonies depuis si longtemps n’avait pas pu effectuer de réparations structurelles majeures sans attirer l’attention, et la chapelle accusait son âge malgré tous ses efforts. Les supports en acajou autrefois riches étaient usés, le bois écaillé et terne. Le plafond bas présentait la même usure, s’affaissant à l’endroit où un vieux support était tombé. Certains auraient pu trouver oppressant le poids du temps qui imprégnait les lieux, mais pour Thaddeus, c’était incroyablement apaisant. Il forma les yeux alors qu’il entamait la prière avec les autres fidèles, laissant les paroles familières apaiser les pensées agitées de son esprit.

« Par la Patronne, la perfection est trouvée. Et c’est par la perfection que la Patronne est révélée. Par son équation, toute réalité est liée. Et par son équation notre conscience se manifeste. Le Sombre Vagabond ouvre la voie à la découverte de la révélation ».

La prière achevée, Thaddeus ouvrit les yeux et regarda vers le pupitre où le prêtre où était apparu le prêtre de la Patronne. Comme le reste du bâtiment, le pupitre accusait son âge.

Bien qu’un relief chromé de la Patronne soit incrusté sur sa face avant, une inspection plus poussée révélerait le symbole estompé de l’Université Royale Cygnaréenne en dessous. Comme de nombreux éléments du bâtiment, le pupitre avait été acquis lorsque l’université l’avait remplacé.

Derrière le pupitre était accroché une grande peinture représentant le plan céleste. Le tableau avait été minutieusement retranscrit à partir de cartes stellaires sur des toiles épaisses trouvées dans la bibliothèque de URC. Bien que loin des époustouflantes œuvres des ascendants qui décoraient les églises morrowéenne, la peinture céleste était néanmoins belle. Sa précision et son exactitude étaient impressionnantes en soi, mais la profondeur atteinte par l’artiste rendait cette pièce monochromatique inspirante. Thaddeus jura que le regarder était comme regarder le ciel à travers l’un des télescopes de l’université.

Alors qu’il se perdait dans le tableau, sa main trouva instinctivement celle d’Eliza. Il se pencha et lui murmura doucement à l’oreille : Chaque fois que je vois le travail de ta mère, je suis vraiment inspiré ».

Elle lui serra la main. « Elle serait heureuse de le savoir ».

Thaddeus grimaça lorsqu’un sourire triste se dessina sur les magnifiques traits d’Eliza. Il se maudit de ne pas avoir réfléchi ; la mère d’Eliza était morte six mois auparavant, une perte qu’il savait que sa femme portait toujours en elle.

Alors qu’il regardait autour de lui, ses yeux se posèrent sur un visage qu’il n’avait jamais vu auparavant. Il appartenait à une femme assise dans un coin près de la façade de la chapelle. Malgré sa position, l’angle de vue de Thaddeus lui permettait de la voir clairement. Les nouveaux membres étaient rares, et il trouva cette nouvelle venue assez curieuse. Elle portait une simple robe noire et ses cheveux auburn étaient relevés en un chignon serré. Elle n’était pas maquillée, d’après ce qu’il pouvait constater. Sa peau était si pâle qu’elle ressemblait presque à de porcelaine, offrant un contraste saisissant avec le noir de sa robe. Elle semblait légèrement mal à l’aise pendant que le prêtre faisait son sermon. À plusieurs reprises, ses sourcils se froncèrent et elle pinça les lèvres.

Thaddeus se souvint de sa propre réaction lors des premiers offices auxquels il avait assisté avec Eliza. Avec le temps, il avait commencé à se sentir réconforté par le message de Cyriss, mais au début, il avait eu du mal à concilier son éducation morrowéenne avec certains principes de la Patronne. D’un autre côté, la Lumière de la Patronne lui avait offert l’opportunité d’interagir avec certains des plus grands esprit de l’URC et de l’Académie Stratégique. Il était alors jeune chercheur en devenir, et ces opportunités eurent un impact direct sur son ascension au sein de la faculté de l’URC, portant ses travaux à l’attention de personnalités influentes. Cela et son amour intense pour Eliza l’avaient aidé à surmonter l’inconfort initial.

Perdu dans ses pensées, Thaddeus manqua complètement le signal de la bénédiction finale. Il fut tiré de sa torpeur par un coup de coude d’Eliza dans ses côtes. Légèrement gêné lorsqu’il réalisé qu’il n’avait pas entendu un mot du service, il reprit rapidement la prière.

Dès que la bénédiction fut terminée, les membres de la Lumière de la Patronne commencèrent à ses disperser. Thaddeus s’apprêtait à partir quand Eliza l’arrêta. « Thaddeus, crois-tu vraiment en la Patronne ? » Ses yeux bruns et profonds le regardaient attentivement.

Cette soudaine question lui fit tourner la tête. Elle ne lui avait jamais posé cette question auparavant ; il n’était même pas sûr de se l’être déjà posé à lui-même. Thaddeus tenta de gagner du temps. « Quoi ? »

Elle regarda la peinture céleste à l’avant de la chapelle. « Tu n’as pas été élevé dans cette foi comme je l’ai été. Tu n’as même pas trouvé la Patronne par toi-même, comme beaucoup d’entre nous le font. C’est moi qui t’ai amené ici ». Elle tourna son regard vers lui.

Son front se plissa e il remit ses lunettes sur son nez. C’était une particularité qu’il avait lorsqu’il s’interrogeait sur une équation qui lui échappait. « Je t’aime plus qu’au monde. Je suis heureux de partager tes convictions. Ma vie est plus riche grâce à elle ».

« C’est ce qui m’inquiète, Thaddeus ». Son visage prit un air sérieux. C’était le même regard qu’elle avait lorsqu’elle se mettait au travail. « Tu as fait beaucoup pour moi et je t’en serai éternellement reconnaissant. Mais tu n’as pas répondu à ma question. Crois-tu vraiment en Cyriss et en ses enseignements ? »

Thaddeus déglutit en sentant le regard de sa bien-aimée femme se poser sur lui. Depuis toutes ces années qu’ils étaient ensemble, ils avaient partagé d’intenses conversations sur de nombreux sujets, mais n’avaient jamais parlé longuement de leurs croyances religieuses depuis les premiers jours de leur fréquentation. Lorsqu’Eliza l’avait invité à la rejoindre à la chapelle et à écouter le message de Cyriss, il avait été ravi de le faire, ne serait-ce que pour mieux la comprendre. Il était clair que la foi était importante pour elle. Ils avaient participé à de tels offices un nombre incalculable de fois, mais en silence, chacun avec ses propres pensées. Elle ne lui avait jamais demandé s’il croyait, et maintenant il ne savait pas trop quoi répondre. Il considérait Cyriss comme une probabilité hautement plausible, l’existence physique du Sombre Vagabond comme un fait scientifique prouvé. Il appréciait les enseignements et les croyances de la Lumière de la Patronne – en tant qu’érudit et intellectuel, leur message lui paraissait vrai. Mais y croyait-il vraiment.

Eliza serra ses mains dans les siennes. « Tu as ce regard qui dit que tu luttes pour trouver la bonne réponse.. Mais la foi n’est pas quelque chose que l’on peut discerner. Elle est présente ou ne l’est pas ».

Thaddeus sentit une autre présence derrière lui. Il se retourna et vit la femme en robe noire qu’il avait remarqués plus tôt. Elle salua Eliza d’un signe de tête.

Eliza l’a présenta. « Voici Lycandria. Elle m’a approchée peu après la fin de ma thèse sur les exponentielles galvaniques. Je voulais que tu la rencontres. Elle m’a offert la chance de voir mon travail réalisé au service de la Patronne. Je suis enclin à accepter ».

Thaddeus essayait de comprendre ce que sa femme lui disait. « Parles-tu de quitter ton poste à l’Académie Stratégique ? » Ses yeux lui répondirent que lui ? « Pour quel genre de travail ? Je ne comprends pas ».

« Il ne s’agit pas de travail, mais de trouver une meilleure harmonie avec la déesse ».

Il balbutia : « Tu veux devenir . . . prêtresse ? »

Lycandria dit, « Pas une prêtresse, Professeur Solomon. Mon ordre compte de nombreux prêtres, mais l’intelligence d’Eliza la destine à une voie bien différente, tout aussi importante pour l’oeuvre de la Patronne ». Son ton était amical et chaleureux, mais quelque chose dans ses yeux le troubla.

Thaddeus se sentait confus et alarmé, mais il avait promis d’accepter la foi de sa femme. « Si tu souhaites quitter ton poste, c’est ton choix. Nous nous débrouillerons », dit-il à Eliza.

Elle secoua légèrement la tête et lui prit la même. « C’est plus compliqué qu’un simple changement de carrière. Si je choisis d’accepter l’offre de Lycandria, je devrai quitter Caspia, notre foyer et notre ancienne vie. Cela demande un engagement total ».

Thaddeus sentit sa gorge s’assécher au fur et à mesure que les paroles de la jeune femme s’imposaient à lui. « Tu me quitterais ? » demanda-t-il faiblement, ses genoux tremblant.

Elle secoua violemment la tête. « Non. Je ne te quitterais jamais. Pas pour ma déesse, pas pour quoi que ce soit ». Thaddeus hocha la tête, légèrement rassuré, mais sa tête tournait toujours sur le choc de l’idée de la perdre. Elle poursuivit : « Lycandria nous offre à tous les deux une place dans le cercle restreint. Ils ont également connaissance de ton travail » . Eliza entrelaça ses mains dans les siennes. « Je sais ce que c’est soudain, que je te demande beaucoup. Mais c’est notre chance, non seulement de nous rapprocher de la Patronne, mais aussi d’apprendre auprès de grands esprits. Le peuple de Lycandria mène sa vie en se consacrant à la perfection intellectuelle ».

Lycandria intervint : « Si vous entreprenez ce voyage, les énigmes du monde s’ouvriront à vous. La Patronne offre un éveil mental, mais voir le monde avec un regard neuf demande de l’engagement et des sacrifices ».

Thaddeus regarda les deux femmes. Ses pensées étaient confuses et son coeur battait toujours la chamade. Il essaya de faire le vide dans son esprit, de réfléchir, mais ce fut que l’un des rares moments de sa vie où a clarté logique lui échappa. Il était professeur et ingénieur, les activités intellectuelles étaient l’oeuvre de sa vie. Il réfléchit au génie collectif détenu par les seuls membres de la Lumière de la Patronne et se demanda ce qu’il pourrait trouver parmi ceux qui consacraient entièrement leur vie à la science et à la raison. Mais surtout, il pensa à Eliza et réalisa qu’il connaissait la solution avant même que la question ne soit posée.

Il l’attira près de lui et la serra fort dans ses bras. « Tant que nous serons ensemble, ma vie sera complète ».

* * *

Malgré la rapidité avec laquelle Thaddeus avait décidé de laisser son ancienne vie derrière lui, il fallut plusieurs mois avant qu’Eliza et lui n’entreprennent le voyage avec Lycandria jusqu’au Temple de Configuration Énumérative, qui, selon elle, se trouvait quelque part dans le centre des Montagnes du Mur du Dragon. Il était important qu’ils ne disparaissent pas dans la nuit, surtout en raison des liens étroits qu’ils entretenaient tous deux avec l’Armée Cygnaréenne ; si on pensait qu’il avaient été enlevés – circonstance inhabituelle mais pas inédite pour des érudits de haut niveau – l’armée pourrait faire usage de la force, et ils ne souhaitaient pas mettre qui que ce soit en danger. Ils mirent de l’ordre dans leurs affaires à Caspia et inventèrent une couverture pour leur départ, destinée à rassurer leurs collègues de l’Académie Stratégique en particulier. Thaddeus ne savait pas combien de temps Eliza et lui devraient rester cachés de leurs amis et de leur famille, mais il espérait que ces mesures suffiraient. La dernière chose qu’ils souhaitait était d’attirer l’attention des autorités sur les cyrissistes bien intentionnés de Caspia.

Le jour de leur départ, Thaddeus et Eliza jetèrent tous deux un dernier regard sur les imposantes murailles de Caspia alors qu’ils quittaient la ville. Thaddeus ne pouvait s’empêcher d’apprécier le symbolisme de cette vision. Quitter la sécurité de ce qu’ils avaient connu pour quelque chose de complètement inconnu. Il réalisa qu’il avait espéré qu’Eliza change d’avis. Cependant, elle s’était comporté au fils des moins comme elle le faisait toujours lorsqu’elle était complètement décidée à agir. Inébranlable et déterminée à réussir. Alors que les murailles de Caspia disparaissaient, Thaddeus souhaitait, et ce n’était pas la première fois, trouver la même conviction dans l’action.

Ils voyagèrent plusieurs jours en train avant d’arriver à la Gare Pointacier et de partir à pied. Après plusieurs jours d’un pénible voyage, le trio arriva à destination. Le Temple de Configuration Énumérative n’était guère plus qu’une étrange structure pyramidale de pierre située au pied d’une montagne assez importante. Une fois de plus, Thaddeus sentit le doute monter en lui. Il jeta un coup d’oeil à Eliza, mais son visage était empreint de la même détermination que depuis ce jour dans la chapelle de la Lumière de la Patronne. En repensant à la structure plutôt austère, il commença à se demander comment ils allaient se débrouiller avec les maigres possessions qu’ils avaient amenées avec eux. Lycandria leur avait assuré que le Convergence, comme elle appelait le cercle restreint de Cyriss pendant leur voyage, subviendrait à leurs besoins. Cet endroit ressemblait plus à un tombeau qu’à un atelier, une forge ou une bibliothèque.

Lycandria dut remarquer l’appréhension sur son visage. De sa voix basse et monotone, elle lui dit : « Vous n’avez rien à craindre. Comme la plupart des vérités de Cyriss, il y a bien plus dans ce temple qu’il n’y paraît à première vue ».

« Le Sombre Vagabond ouvre la voie à la découverte de la révélation », récita Thaddeus.

Un sourire amusé traversa le visage de Lycandria. « Oui, l’enseignement de votre chapelle ».

« Vous n’approuvez pas ? » demanda Thaddeus.

« Comme de nombreuses choses en dehors de la Convergence, c’est un pâle reflet de la vérité de Cyriss ». Lycandria fit un signe à Thaddeus et Eliza de la suivre alors qu’elle passait devant l’entrée du temple et ses dirigeait vers le flanc rugueux de la montagne en granit se trouvant derrière elle. Elle se tourna vers lui lorsqu’ils atteignirent la pente du massif montagneux. « Le véritable enseignement est le suivant : ‘Le voyage vers l’illumination est initié par l’éclat de la découverte’. Cyriss n’éclaire pas la voie ; vous devez trouver vous-même la voie qui mène à elle. Il en va de même pour toutes les connaissances ».

Lycandria leva la main et la posa sur le granit rugueux de la montagne. D’un mouvement souple, elle tordit sa main et puis poussa. Thaddeus regarda avec admiration la surface apparemment solide pivoter et s’enfoncer dans la falaise. Un profond grondement émana de la roche devant eux et la maçonnerie sans faille se fendit et bascula vers l’arrière, révélant une entrée béante dans la montagne elle-même. Au lieu de la pierre et de l’obscurité, Thaddeux put voir l’éclat du chrome poli, le métal miroitant éclairé par des lampes mékaniques à la lueur douce encastrées dans les murs. Plusieurs hommes vêtus d’étranges armures, la tête portant de grands casques en forme de dôme, se tenaient prêts avec de méchants fléaux à trois chaînes tenus à leurs flancs. Sur leur poitrines était gravée l’image de la Patronne des Mécanismes elle-même. Mais ce sont les automates flottant à leurs côtés qui coupèrent le souffle de Thaddeus. De la tête d’une tête de steamjack, ces automates mécaniques virevoltaient telle des abeilles ouvrières. Une lumière bleue et froide émanait des lentilles oculaires fixées à l’intérieur, et Thaddeus pouvait entendre un léger vrombissement des mécanismes internes lorsque les machines se déplaçaient. Sous chaque automate se trouvait un tube d’acier d’où jaillissaient de vicieux projectiles à tridenté.

Avec un sourire, Lycandria tendit un bras vers l’ouverture, indiquant leur chemin. « Bienvenue à la première découverte d’une longue série. Bienvenue dans le Temple de Configuration Énumérative ».

* * *

L’arrivée de Thaddeus et d’Eliza au temple se fit rapidement. Lycandria les conduisit rapidement à travers l’immense complexe souterrain jusqu’à leurs quartiers séparés, en passant devant plusieurs autres personnes qui semblaient aussi nouvellement arrivées qu’eux. Lycandria les informa qu’il était impératif lors de séquence d’initiation que les individus soient isolés. Le processus était intensif et différent pour chaque personne. Elle leur assura qu’ils seraient toujours autorisés à se voir pendant les périodes prévues et qu’ils seraient réunis à la fin de la séquence d’initiation. Le couple n’eut que peu de temps pour se dire au revoir.

La petite chambre de Thaddeus était peu meublée. Un bureau et une chaise métal étaient adossés à un mur, face au lit. Deux globes lumineux éclairaient la pièce, leur lueur pâle jetant d’étranges reflets sur les murs lisses et le plafond bas. Thaddeus posa son sac à côté du bureau avant de s’asseoir avec lassitude sur le lit. Le matelas était dur et fin, loin du lit en duvet qu’Eliza et lui avaient partagé dans leur maison de Caspia. Avant qu’il ait eu le temps de réfléchir davantage à sa vie passée, on frappa à sa porte.

Il ouvrit et découvrit un homme habillé simplement, dont le seul ornement était un symbole de la Patronne des Mécanismes accroché à une chaîne autour de son cou. L’homme lui sourit poliment et lui tendit un paquet de vêtements, informant Thaddeus qu’il devait l’escorter jusqu’à son initiation et qu’il l’attendrait à l’extérieur pendant qu’il se changeait. Thaddeus s’empara du paquet et ferma la porte, se sentant inquiet et nerveux. Il ne savait pas quoi s’attendre. Lorsqu’il fut vêtu d’une simple tunique et d’une culotte, il prit une profonde inspiration et sortit pour retrouver son escorte qui l’attendait. Sans un mot, l’homme le mena à travers plusieurs couloirs. Finalement, il s’arrêta devant une épaisse porte en acier ornée du visage de Cyriss gravée dans un motif de lignes abstraites, un motif esthétiquement plaisant.

L’homme fit un geste vers la porte et dit : « Tous les voyages débutent par un choix ; le vôtre vous a amené ici. Un tel voyage comporte inévitablement des obstacles. La mesure d’un penseur est la façon dont il les surmonte. La prochaine phase de votre éveil vous attend ».

Thaddeus acquiesça, reconnaissant qu’il devait s’agir d’une formalité symbolique, puis il tendit la main vers la porte pour l’ouvrir. C’est alors qu’il se rendit compte qu’il n’y avait aucun bouton ou levier qu’il pouvait voir. Lorsqu’il posa la main sur la porte et la poussa, celle-ci ne bougea pas. Il jeta un coup d’oeil à son guide, mais l’homme s’était posté près de la porte et regardait en arrière par où ils étaient venus, le visage aussi impassible que celui d’une statue. Le pouls de Thaddeus s’accéléra légèrement lorsqu’il réalisa qu’il devait s’agir d’une sorte de test. Ses yeux se plissèrent alors qu’il sentait sa détermination s’accroître. Il ne se laisserait pas décourager par porte récalcitrante.

Thaddeus se retourna vers la porte en acier lisse. Il scruta à nouveau sa surface à la recherche d’une poignée, mais n’en vit aucune. Ses sourcils se froncèrent lorsqu’il commença à examiner la porte de près. Il pensa d’abord à chercher des charnières, car elles indiqueraient au moins de quel côté la porte pouvait s’ouvrir, mais une exhaustive recherche n’en révéla aucune. Thaddeus sentit sa curiosité grandir. Il passa son doigt le long de ligne, puis sur la surface à motifs. Il recula d’un pas et se caressa le menton tandis qu’il élargissait son champ de vison et que son esprit était perplexe.

N’ayant rien d’autre sur quoi se fixer, ses yeux observèrent les motifs alambiqués à la surface de la porte. Il fronça les sourcils et recula encore, jusqu’à ce qu’il puisse voir l’ensemble de la porte d’un unique coup d’oeil. Il la fixa pendant ce qui lui sembla être une éternité, et une partie de lui se demanda s’il n’était pas trop stupide pour être ici. Sa femme avait toujours été plus brillante. Il n’y avait pas grand-chose à dire, mais les lignes l’intriguaient. Il se rendit compte qu’elles ne formaient pas du tout un schéma standard, mais quelque chose qui ressemblait à un labyrinthe ou à une version extrêmement complexe des schémas de conduits qu’il avait utilisés pour réparer des machines mékaniques. Dans de tels diagrammes, il était important qu’aucun conduit n’en croise directement un autre, et ce schéma semblait similaire.

En établissant le lien mental, il fut capable d’identifier un petit défaut dans les lignes – et il réalisa alors qu’il n’y en avait pas une, comme il l’avait d’abord pensé, mais trois espacées autour du symbole de la déesse. Il s’agissait de zones où les lignes étaient étrangement brisées et déconnectées. Les ruptures étaient très petites et subtiles, mais elles lui semblaient désormais claires.

Il s’avança et toucha l’un de ces points, et ressenti de la satisfaction en voyant une minuscule section circulaire, plus petite que le bout de son doigt, en retrait. Il tourna son doigt et la section pivota également puis se remit en place, maintenant avec les lignes alignées et connectées. Il effectua la même opération aux deux autres endroits défectueux.

Lorsqu’il eut compléta le troisième, il entendit un bruit sourd et une lumière bleue suivit le tracé de la porte, de l’extérieur vers l’intérieur. Lorsqu’elle atteignit le visage de Cyriss, la porte métallique s’enfonça et glissa sur le côté où il remarqua qu’elle était clairement montée sur un rail métallique.

La pièce à l’intérieur était bien éclairée. Une grande table de travail se trouvait au centre, avec des outils et des instruments mékaniques de toutes sortes disposés en rang serrés. Elle était surmontée d’un appareil multi-pivotant sur lequel s’étendaient plusieurs lentilles oculaires. D’autres outils étaient accrochés en rangs sur les murs. L’endroit sentait légèrement la graisse mékanique et la soudure fondue. Lycandria était assise sur un tabouret au poste de travail central. Un large sourire apparut sur son visage.

« J’espérais que vos compétences d’ingénieur vous permettraient de trouver la solution plus rapidement que la plupart des autres ».

« Je dois admettre que j’étais presque désespéré. Cela m’a semblé tout à fait déconcertant au début ».

« Pourtant, vous avez réussi à résoudre l’énigme ». Le visage de Lycandria prit un air sérieux. « Comment ? »

Thaddeus réfléchit à la question pendant une seconde. « En l’examinant de près, je n’ai trouvé aucun indice. J’ai dû prendre du recul, regarder la porte dans son ensemble, et c’est là que j’ai remarqué le motif. Une fois que je l’ai vu, il m’a semblé évident. J’ai été surpris de ne pas l’avoir vu auparavant ».

Lycandria hocha la tête comme s’il avait prononcé quelque chose de profond. « L’illumination est souvent ainsi. Très bien Thaddeus. C’était votre introduction à la Troisième Harmonique : ‘Le pouvait de la compréhension transcende l’inexplicable.’ Je peux déjà dire que votre vie antérieure vous a donné les outils nécessaires pour embrasser ce principe essentiel. Il n’y a rien qui ne puisse être compris avec la correcte application de la raison ». Elle désigna la table de travail. « Votre premier pas vers l’éveil a été accompli. Êtes-vous prêt à en accomplir un autre ? »

* * *

Pendant les premiers pas au sein du  Temple de Configuration Énumérative, Eliza et Thaddeus furent soumis à un emploi du temps rigoureux régissant chaque minute de leur vie. On attendait d’eux qu’ils accomplissent chaque tâche quotidienne exactement  à la même heure que la veille. Il voyait régulièrement des escortes du temple avec un certain nombre d’autres personnes qui semblaient subir un processus similaire. Ils n’avaient aucune chance d’interagir les uns avec les autres, à l’exception de brèves salutations polies lorsqu’ils se croisaient dans les couloirs.

Bien que Thaddeus ait été une personne méticuleuse dans sa précédente vie, le niveau attendu par Lycandria était extrême. Pas un seul aspect de la routine n’était dévié pendant cette période. Il s’habillait de la même façon, mangeait la même nourriture à la même heure et, plus frustrant encore, suivait exactement les mêmes cours. Le seul point positif de sa journée était la dernière heure avant la sommeil, lorsqu’il était autorisé à voir Eliza. Lycandria leur avait demandé à tous les deux de ne pas parler de leurs cours, car chacun avançait à son rythme. Thaddeus était cependant assez intelligent pour déduire qu’Eliza avait progressé plus vite que lui dès la deuxième semaine, lorsque sa tenue commença à varier légèrement d’un jour à l’autre.

À la cinquième semaine, sa frustration atteignit un point d’ébullition et il passa son heure avec Eliza à s’énerver contre l’inutilité de cette exaspérante routine. Bien qu’elle l’ait serré contre elle pour l’apaiser, il remarqua qu’elle ne disait rien sur la raison de sa colère. Le lendemain matin, Thaddeus s’attendait à une mesure disciplinaire pour son emportement, mais il fut accueilli par la même routine. Réalisant que sa situation pourrait bien ne pas finir, il décida de stimuler son esprit en perfectionnant chaque action de chaque tâche qu’il devait accomplir pendant la journée. Au fur et à mesure qu’il sollicitait davantage son esprit et son corps, sa frustration s’estompait. Il commença même à anticiper avec impatience la prochain obstacle. Cela lui rappelait l’enthousiasme avec lequel il était entré à l’université dans sa jeunesse, enthousiasme qui s’était estompé au cours de ses années de professorat.

Un matin, il sortit de sa chambre et ne trouva pas son escorte habituelle, mais Lycandria. Thaddeus fut surpris par le changement de structure. En souriant, elle lui dit qu’il avait enfin compris la Première Harmonique : ‘La précision est le théorème d’ouverture de la preuve de perfection.’ ». Elle lui expliqua que la perfection dans toutes les actions était la pierre angulaire de la connexion avec Cyriss, et que ce n’était qu’une fois cette leçon comprise qu’une personne pouvait espérer avancer dans son progrès spirituel.

Elle le conduisit à l’atelier où il avait subi son premier test. La table était recouverte d’un large assortiment de pièces usinées. Les engrenages, les ressorts, les tôles d’acier et les rivets côtoyaient des composant mékaniques plus avancés. Lycandira lui fit signe de s’asseoir.

Elle lui tendit un schéma usé et lui demanda de le construire. Thaddeus la regarda d’un air interrogateur mais fut heureux de relever un nouveau défi. Elle lui dit que pendant qu’il le construisait, il devait réciter le catéchisme de la Deuxième Harmonique : « Les principes mathématiques lient la réalité à la conscience ». Après son départ, Thaddeus commença à examiner les schémas qu’elle lui avait remis. Il reconnut la machine comme l’un des appareils mékaniques que la Convergence appelait serviteurs. Il s’était émerveillé devant les rares quelques-uns qu’il avait vus flotter dans les couloirs du temple. En regardant le fonctionnement interne de la machine, il fut encore plus impressionné par sa construction. Il lui fallut près d’une semaine pour achever sa mission.

Même s’il était mentalement épuisé par l’effort de déchiffrer les plans, il ressentit une bouffée de fierté alors que Lycandira examinait son travail. Elle sourit et lui demanda de démonter la machine puis de la reconstruire. Cette fois, Lycandria resta pour donner un cours sur les Neuf Harmoniques et la nature de la Convergence. Lorsqu’il eut terminé, Lycandria lui demanda de répéter toute la procédure. Cela dura encore plusieurs semaines, jusqu’à ce que Thaddeus soit capable de construire et de déconstruire le serviteur par coeur. La monotonie de la répétition ne l’agaçait plus comme elle aurait put le faire autrefois, et il s’efforçait plutôt de se rapprocher d’une compréhension parfaite de sa tâche. C’est lorsqu’il se perdit véritablement dans son traval qu’il sentit les leçons de Lycandria résonner dans son âme. Bientôt il se sentit désireux de ces moments où il se sentait proche d’une compréhension suprême.

Thaddeus et Eliza vivaient parmi les membres de la Convergence depuis près de quatre mois lorsqu’Eliza lui fit par d’un important test à l’horizon et lui annonça qu’ils ne se reverraient peut-être pas avant un temps certain. Le coeur de Thaddeus se brisa à cette nouvelle. Lycandria lui avait récemment appris qu’Eliza s’était exceptionnellement bien adaptée aux enseignements de la Convergence, et il avait espéré que ses progrès leur permettraient de passer plus de temps ensemble, et non moins. Il souhaitait faire preuve de la même aptitude, car il avait conscience qu’ils ne pourraient pas reprendre leur vie commune tant qu’ils n’auraient pas tous les deux réussi l’initiation.

Lorsqu’il revint dans sa chambre, il vit une pile de papiers sur son bureau. Une note de Lycandria y était jointe. On pouvait y lire : « C’est là que réside la vérité sur Cyriss ». Même s’il était fatigué, la curiosité de Thaddeus le poussa à parcourir brièvement les premières pages. Des lignes et des lignes d’équations complexes l’accueillirent. Curieusement, chacune d’entre elles était accompagnée d’une solution. Un examen plus approfondi révéla que certaines de ses solutions semblaient erronées. Pour quelques autres, l’entière structure de l’équation était confuse. Les erreurs étaient si étranges qu’il se retrouva assis au bureau plutôt qu’allonger pour dormir comme il l’avait prévu. Ses sourcils se froncèrent et il remonta ses lunettes sur l’arête de son nez. Après avoir parcouru quelques feuilles d’équations supplémentaires, il prit du papier et un stylo dans le tiroir de son bureau et commença à griffonner avec acharnement les notes.

* * *

Le lendemain, Thaddeus s’assit à son cours pour sa leçon avec Lycandria, les yeux larmoyants et épuisés. La nuit précédente, il était devenu tellement absorbé par la pile d’équations qu’elle lui avait laissée qu’il avait peu dormi. Elle pouvait clairement remarquer la fatigue sur son visage, mais elle commença la leçon du jour sans pause. Thaddeus, cependant, ne pouvait pas détourner ses pensées des documents. Finalement, il décida qu’il devait l’interroger à ce sujet. « Ces documents que vous avez laissés sur mon bureau hier soir, qu’est-ce que c’est ? »
Lycandria marqua une pause, comme si elle s’attendait à cette question. « Ce sont des impressions d’une ingénieuse machine à calculer connue sous le nom de Moteur à Encoder ».

Une machine à calculer ? »

Elle acquiesça. « À la base, oui. Le Moteur à Encoder a été conçu par certains des plus brillants esprits de notre ordre. Il peut calculer de manière autonome ».

Thaddeus haussa un sourcil. « Il est clair qu’il n’est pas encore tout à fait au point. Les données que vous m’avez fournies sont remplies d’incongruités ».

Un sourire complice franchit les lèvres de Lycandria. « J’espérais que vous pourriez m’aider à les déchiffrer, étant donné votre formation. Pendant votre temps libre, bien sûr ».

Thaddeus acquiesça, son esprit retournant aux étranges anomalies dans les données alors même que Lycandria reprenait son cours. Il passa les nuits suivantes à étudier les feuilles de données et d’équations. Bientôt, son bureau fut jonché de pages griffonnées par sa main et, au fil des jours et des semaines, ses pages devinrent de plus nombreuses que celles du paquet original.

Dans le même temps, les leçons de Lycandria progressaient en difficulté et en intensité, et Thaddeus se retrouvait de plus en plus en difficulté. Les tâches d’ingénierie commencèrent rapidement à dépasser les limites de ce qu’il savait possible, mais chaque fois qu’il l’exprimait, elle produisait un modèle fonctionnel de l’appareil décrit par les schémas, puis se lançait dans un enseignement sur l’une des Harmoniques.

Thaddeus avait l’impression de se heurter à un mur et craignait de ne jamais terminer la séquence d’initiation. Il avait hâte de revoir Eliza. Son esprit incisif n’aurait eu aucun mal à relever les défis auxquels il était lui-même confronté. Alors qu’il était assis à son bureau, entouré de ses notes grossièrement griffonnées et des feuilles du Moteur à Encoder, il se perdit dans ses souvenirs. Bientôt, il sentit un étrangement picotement au fond de son esprit et se força à se reconcentrer sur la page se trouvant devant lui. Une pensée le frappa soudainement tel un éclair, provoquant un électrochoc dans sa conscience. Il fouilla frénétiquement dans les piles de papier en désordre à la recherche de la page suivante du document.

Sa main tremblait légèrement d’excitation lorsqu’il la souleva pour l’inspecter. Il saisit la feuille de papier la plus proche de lui et commença à griffonner dans un coin vierge. Telle une digue cédant, l’élan de compréhension menaçait de l’emporter. Ce qu’il avait longtemps cru être des cas uniques d’erreurs de calcul étaient en réalité tous étroitement liés. Son erreur avait été de ne pas regarder l’ensemble, comme Eliza l’avait souvent réprimandé. Il s’était trop concentré sur le problème spécifique en question. Séparément, les erreurs n’étaient que cela, mais lorsqu’elles étaient prises dans leur ensemble, elles représentaient un schéma distinct et logiques. Elles constituaient elles-même un code.

Le rythme du grattement du stylo s’accéléra jusqu’à devenir un allegro furieux lorsque la clarté gagnait de Thaddeus. Page après page des équations erronées du Monteur à Encoder furent analysées puis écartées tandis qu’ils démêlait leurs messages cachés, tous plus rapidement que le précédent. En quelques heures, il avait résolu ce qui lui avait pris des semaines. Alors que la dernière page tombait de sa main, il regarda son travail et vit pour la première fois de sa vie les paroles de la de Cyriss, la Patronne des Mécanismes, qui le fixaient.

* * *

Thaddeus avait du mal à contenir son excitation. Tout son être bourdonnait de la puissance d’une soudaine révélation. Il attendait avec impatience la matinée pour révéler ses découvertes à Lycandria et souhaitait désespérément qu’Eliza soit avec lui. Il y avait tellement de choses dont il voulait discuter avec elle. Son esprit était confus.

Le matin venu, il se précipita à la recherche Lycandria. Dès qu’il la vit, les paroles jaillirent, comme de la vapeur s’échappant d’une chaudière en surpression. À chaque phrase excitée, Lycandria rayonnait davantage, même si elle ne disait rien. Quand il eut finalement fini, il chercha dans son regard une réponse enthousiaste, mais elle se contenta de le regarder avec un sourire satisfait.

Alors que son euphorie commençait à se dissiper, il prit conscience de la situation. « Vous saviez déjà tout cela, n’est-ce pas ? »

Lycandria acquiesça. « Les documents que je vous ai remis ont été traduits il y a de nombreuses années ».

Thaddeus sentit son visage se décomposer. Tout cela n’était qu’un test. « Je n’ai donc rien fait », grommela-t-il, dépité.

Pour la première fois, il entendit la voix de Lycandria quitter son ton monocorde. « Non, Thaddeus, tu as fait plus ce que beaucoup de nos fidèles pourraient espérer. Ceux qui ont la capacité mentale de discerner même le plus simple des messages de la Patronne sont peu nombreuses. Pouvoir entendre les paroles véritables de Cyriss est un immense cadeau ».

Thaddeus plongea son regard dans les yeux froids de Lycandria. « je la vois partout maintenant. Je sens sa présence en moi ».

Une fois que tu auras vu le vrai visage de la Patronne, rien ne sera plus jamais pareil. C’est à toi de révéler les mystères du monde ».

« J’aimerais pouvoir partager cela avec Eliza », dit Thaddeus, presque dans un murmure. « Pensez-vous que nous pourrions nous revoir bientôt ».

Le sourire s’effaça du visage de Lycandria. Thaddeus put la voir peser quelque chose dans son esprit. Finalement, elle dit : « Thaddeus, Eliza a rencontré des difficultés. Elle n’a pas pris goût au Harmoniques comme vous l’avez fait ». Les sourcils de Thaddeus se froncèrent. Il ne pouvait imaginer qu’Eliza ait des difficultés avec quoi que ce soit. Lycandria poursuivit : « Mais vous n’avez pas à vous inquiéter. Nous avons déjà rencontré de  telles difficultés et nous les avons surmontées. La voie vers la vérité est différent pour chaque personne ».

Il hocha la tête, mais son estomac était noué. Il remonta discrètement ses lunettes sur son nez, un signe que son professeur ne pouvait manquer. Lycandria dit : « Je suis sûr qu’elle trouvera sa voie vers Cyriss, tout comme vous. Maintenant, vous avez gagné le droit de découvrir certains des mystères les plus profonds. Commençons ».

* * *

12
RESTES IMMORTELS

Histoire de Douglas Seacat

KALLUS, la Colère d’Everblight, ne dormais jamais. Après l’assaut du warlock skorne alors que son corps tremblait et que son sang se répandait sur le sable, il se demanda s’il était sur le point de connaître quelque chose comme le sommeil. Il le sentit alors que son corps luttait pour rester en vie et que ses organes lâchaient. Son cœur battait à la chamade dans sa poitrine, puis il eut un spasme irrégulier et se bloqua. Il ne ressentit aucune panique, comme pourrait le faire un être vivant, mais sa bouche s’ouvrit et il haleta pour respirer. Les dernières secondes furent les plus douloureuses. Ses tissus hurlaient tandis que ses poumons ne parvenaient pas à leur fournir l’air dont ils avaient besoin. Finalement, il siffla et émit un râle d’agonie. Ses synapses émirent leurs derniers signaux et son corps devint de la viande. Il ne pouvait plus percevoir le monde à travers ses sens vivants. C’était son premier décès.

Une fois sa confusion passée, le calme l’envahit. Sa conscience ne résidait pas dans son cerveau organique. Il n’existait que pour réguler ses organes et coordonner ses sens Son essence était intacte, nichée dans l’éclat cristallin d’athanc enfoui dans son cœur silencieux. Son esprit trouva un parallèle avec les expériences d'Everblight lorsque le dragon avait été privé de corps pour la première fois après avoir été tué de mille coups d’épingle par les armées de l’armée iosienne, bien que Kallus se sentit décontenancé par l’impertinence de comparer son expérience à celle du dragon responsable de sa création.

Avec un peu d’effort, Kallus découvrit que les énergies corrompues qui irradiaient de son cœur lui permettaient d’étendre son esprit et sa volonté sur une courte distance. Il pouvait voir et entendre un mystique skorne parler à un warlock, le même skorne qui l’avait tué. La sensation n’était pas différente de celle qui éprouvait lorsqu’il scrutait l’esprit de ses rejetons draconiques, bien qu’elle soit plus floue et sans direction. Empruntant la facilité d’Everblight avec les langues il entendit le mystique nommer le warlock « Seigneur Arbitre Hexeris ». Hexeris ordonnait au mystique de ramener les cadavres dans sa forteresse, et la chair refroidie de Kallus fut empilée avec celles de rejetons draconiques tués sur un chariot pour être transportée.

Dans cet état, il se sentait étrangement indifférent au passage du temps. Il regarda le mortitheurge chargé de veiller sur son cadavre, percevant ses pensées fugaces comme des chuchotements. Il découvrit qu’il pouvait exercer une pression sur elles et les modeler comme de l’argile. C’était un travail lent et insidieux, mais lorsqu’ils arrivèrent à une forteresse skorne trapue et furent autorisés à franchir ses portes, Kallus était devenu un expert dans l’art d’envoyer des filaments de volontés dans l’esprit du skorne, se faufilant à travers des couches éparses et floues de pensées extérieures.

Ils traversèrent la cour extérieure et empruntèrent un étroit hall faiblement éclairé par de rares torches. Deux skorne de rang inférieur aidèrent à décharger les cadavres dans une chambre froide et stérile. Le mortitheurge ferma et verrouilla la lourde porte derrière lui, puis se mit au travail, dépouillant Kallus de son armure avant de s’efforcer de placer le cadavre sur une dalle de métal Les autres rejetons draconiques récupérés lors de la bataille se trouvaient ailleurs, et ils n’étaient pas les seuls cadavres en évidence. Plusieurs autres corps, d’espèces diverses, étaient conservés dans divers états de dissection. Des organes et des tissus conservés dans des bocaux s’alignaient sur de nombreuses étagères.

Le mortitheurge était seul, et la porte verrouillée indiquait qu’aucune intrusion extérieure n’était attendue. Kallus abandonna donc la subtilité et plongea sa volonté dans l’esprit du skorne. Il s’enfonça profondément et força le skorne à faire un pas vers lui, les yeux de l’autre s’écarquillant alors que son corps semblait agir de son propre chef.

Kallus resserra son emprise, ignorant les tentatives faibles et désespérées de l’esprit plus frêle pour reprendre le contrôle, l’agitation mentale qui ressemblait à celle d’un homme étranglé. Le mortitheurge se précipita maladroitement vers le cadavre de Kallus, puis enfonça des ongles affilés dans la poitrine en décomposition. Il saisit l’éclat d’athanc, la véritable essence de Kallus, et hurla de douleur tandis que la peau de sa main brûlait et gelait à la fois. L’instinct du mortitheurge exigeait qu’il desserre sa main et le lâche, mais Kallus ne renonça pas à son contrôle. Le mortitheurge horrifié prit l’éclat à deux mains et l’enfonça profondément dans sa propre poitrine comme s’il s’agissait d’un poignard. Les énergies corrompues s’écoulèrent comme une marée noire à travers sa chair frémissante.

Le corps s’affala sur le sol en pierre, convulsant et se tortillant alors que les os se cassaient et se remodelaient. Il s’agissait de l’imposition d’un modèle exigeant inscrit dans la perfection autrement immuable que l’éclat d’athanc, une empreinte conforme au vaisseau physique de l’entité nommée Kallus. Son vieux corps gisait à proximité, le trou dans la poitrine béant rouge. Finalement, Kallus ouvrit les yeux dans une nouvelle chair qui ne portait aucun trace d’avoir été skorne. Il serra les doigts et sourit, remarquant qu’il se sentait un peu faible, légèrement diminué par rapport à avant. La plupart des skorne était grands et bien bâtis, mais celui-ci était plus petit et relativement frêle. Kallus retrouverait bientôt toute sa force et sa vitalité, mais il savait qu’il ne pouvait attendre ; il devait s’échapper de la forteresse pour reprendre sa mission. Vayl s’attendait à ce qu’il échoue, mais il lui prouverait le contraire. Il retrouverait les ossements de Pyromalfique et les ramènerait.

* * *

Deux prétoriens marchaient dans les couloirs, leurs pas synchronisés par d’innombrables heures de répétition. Celui de droite s’arrêta et leva une main, inclinant la tête et fronçant les sourcils. Son camarade s’arrêtant également, sa main droite se portant à la poignée de l’une des deux épées qui pendaient à sa ceinture. Lui aussi avait entendu quelque chose, un son étranglé, comme un signe de douleur.

Les salles inférieures étaient largement inoccupées, car cette partie du donjon était réservée à l’usage du seigneur arbitre et de ceux qui le servaient. Aucun des gardiens du donjon ne prétendait comprendre le travail ésotérique d’Hexeris et de ses subordonnés. Ils craignaient et respectaient le seigneur tyran, qui était autant un guerrier qu’un mystique, mais ils avaient beaucoup mois de respect pour les autres mortitheurges, qui n’étaient que des érudits en robe ayant peu de connaissances en matière d’armes ou de l’hoksune. Pourtant, même l’arcaniste le plus faible n’était pas enclin à crier de douleur sans raison.

Le son semblait provenir de la chambre la plus proche. En essayant d’ouvrir la porte, l’aîné des deux hommes découvrit qu’elle était verrouillée. « Il s’est probablement blessé d’une manière ou d’une autre », grommela le prétorien supérieur. Il frappa rudement sur la porte et cria : « Mortitheurge Rukaash ? Es-tu blessé ? Ouvre la porte ! »

Ils entendirent des pas s’approcher précipitamment du bout du couloir et le jeune épéiste se tourna et dégaina ses lames. Il se détendit lorsqu’il vit l’un des assistants occultes à la robe épaisse leur faire signe de stopper. L’homme implora : « Le mortitheurge ne doit pas être dérangé lorsque la porte est scellée ! »

Les deux prétoriens s’étaient tournés vers l’assistant pour lui jeter un regard noir, si bien que le seul avertissement fut un léger écarquillement des yeux lorsqu’il regarda derrière eux. La porte s’ouvrit d’un coup sec de l’intérieur et un personnage en armure argentée jaillit derrière eux, une large épée à deux mains brandie devant lui. Le prétorien supérieur n’eut que le temps de dégainer à moitié une de ses lames avant que l’arme de l’intrus ne s’enfonce directement dans son cou et sa clavicule. Le fil anormalement tranchant transperça l’armure, la chair et les os. Alors même que l’intrus extrayait d’un coup sec l’épée dégoulinante, celle-ci scintilla dangereusement et une explosion de flamme jaillirent, mettant le feu au skorne restants. Alors qu’il brûlait, le prétorien s’élança vers lui, mais sa lame heurta le chambranle de la porte tandis que l’ennemi s’écartait de lui et lui assénait un coup au visage. Le mortitheurge reculait en chancelant, criant tandis que les flammes le consumait.

* * *

Kallus grinça des dents, réalisant qu’il n’avait pas géré cet affrontement aussi discrètement qu’il aurait dû. Il espérait qu’ils étaient suffisamment enfoncés dans la forteresse pour que le bruit de l’altercation soit absorbé. Il jeta Brandon Infernal sur son dos et saisit les corps des prétoriens, les ramenant dans la chambre où gisait toujours son ancien cadavre. Il récupéra ensuite les restes fumants du mortitheurge, sans se soucier de faire roussir alors qu’ils s’enfonçaient dans la viande carbonisée. Il jeta le corps sans ménagement sur les autres.

Il travailla rapidement, sachant qu’il n’avait pas le luxe du temps. Au milieu des instruments du laboratoire de science occulte skorne, il trouva un couteau aiguisé ainsi qu’une grande marmite en fer probablement utilisée pour faire bouillir la chair des os. À l’aide de la pointe du couteau, il grava l’intérieur de la marmite de runes, s’appuyant sur les vastes connaissances du dragon pour guider ses actions à la place de l’expérience. Sa vie ne remontait qu’à une poignée de mois. Cela n’avait pas d’importance, il apprenait vite. Il pouvait sentir la vigilance de Thagrosh et d’Everblight sur lui, même s’il avait conscience qu’il ne l’aiderait pas activement à traverser cette épreuve. Toute la valeur de Kallus reposait sur ce qu’il avait parviendrait à cours des heures qui venaient.

Après avoir retiré l’un de ses protège-bras, il se fit une large entaille tout le long de l’avant-bras pour se vider de son sang dans le chaudron. Son cœur battait à la chamade, faisant couler le sang, déjà transsubstantié en sang draconique à travers l’éclat d’athanc. Le sang corrompu activa les runes et s’accumula au fond du chaudron, où il servirait de source de transformation. S’il avait voulu, il aurait pu créer des rejetons à partir de son seul sang, sans aucune sorte de creuset de corruption, mais il se sentait affaibli par sa renaissance et souhaitait conserver autant que possible son fluide vital. D’un autre côté, ce qu’il avait créé n’avait pas l’élégance raffinée d’un vrai creuset de corruption, qui n’aurait nécessité qu’une infime partie de son sang et se serait davantage appuyé sur la chair des morts. C’était une simple question d’efficacité et de priorités.

Une fois le récipient de fortune amorcé, Kallus découpa grossièrement les trois skorne morts et les jeta dans dans le chaudron. La flaque de sang draconique au fond bondit et s’agitât comme si elle était affamée. Le chaos atteignit son paroxysme lorsque le sang, les os et les tissus fondirent en une soupe indéterminée. Il s'en dégageait une puanteur de charnier qui aurait pu provoquer des haut-le-cœur chez les non-initiés, mais Kallus n'était pas affecté.

IL N'AVAIT PLUS SON GRAND REJETON DRACONIQUE POUR TRANSPORTER LE CRÂNE, MAIS POURRAIT S’ATTELER À CE CASSES-TÊTE UNE FOIS QU'IL AURAIT LOCALISÉ LES RESTES.

Une pellicule semblable à de la peau se figea à la surface, puis elle s'étira comme qu'un crâne poussait contre elle, comme s'il luttait pour naître. Avec une nouvelle poussée, un frêle vorace émergea - une de ces créatures qu'on avait appelées akriel en Morrdh, l'un des créatures mineures du grand dragon. Kallus pouvait ressentir son énorme faim comme si elle était la sienne, car ce rejeton avait été façonné par Everblight pour augmenter rapidement leur masse musculaire en se gavant. Il le lâcha sur les autres cadavres dans la chambre de dissection, car les voraces pouvaient digérer même la viande la plus gâtée. Une telle chair était inutile pour le chaudron, mais nourrirait la créature maintenant. Ils n'avaient pas besoin de beaucoup de nourriture pour rester en vie, mais pour combattre avec une efficacité maximale, il leur fallait plus de masse. Il lui ordonna de laisser son précédent corps sur la dalle, car il semblait qu'il pourrait utile pour Hexeris de le penser mort et d'être perplexe quant au sort de ses subordonnés.

En regardant dans le chaudron, Kallus réalisa que le sang restant à l'intérieur pourrait suffire à engendrer une autre bête si on le complétait. Il prit le sang de verser du sang supplémentaire au fond. Cette fois, il fit émerger un harceleur ailé. L'harceleur se joignit au vorace pour dévorer les restes autre fois bien ordonné disposés sur des dalles avant de s'attaquer aux nombreux bocaux de tissus conservés disposés sur des étagères au mur de la chambre. au début, le vorace mordait l'harceleur lorsqu'il s'approchait trop près, mais bientôt, ils festoieraient amicalement côte à côte. Kallus pouvait facilement les contrôler, car ils étaient nés de son sang et l'avait reconnu instantanément comme leur maître.

Bientôt, ils eurent vidé la chambre de tout ce qui était un tant soit peu comestible et semblaient plus forts, leurs mouvements moins maladroits. Kallus se sentait légèrement étourdis, mais il savait que son sang se rétablirait avec le temps. Il ne pouvait pas prendre plus de risques; créer d'autres rejetons l'obligerait à se reposer pour récupérer. Il regarda son bras et vit que l'entaille avait disparu. Son éclat d'athanc chercher continuellement à la garder entier, à préserver le modèle imprimer dans son essence.

Il se sentait moins seul à présent, mais il avait conscience que deux rejetons draconiques ne lui apporteraient qu'un soutien minimal au combat - rien à voir avec l'angelius et le carnivéen qu'il avait amenés avec lui dans les Marches Sanglantes ou avec les dizaines de légionnaires, d'archers et d'épéistes qui l'avaient accompagné. Une partie de lui murmurait qu'il devrait être prudent, se faufiler dans les collines voisines et se cacher dans une grotte. Là, il pourrait reprendre des forces à loisir et, au fil des jours ou des semaines, créer d'autres rejetons pour remplacer ceux qu'il avait perdus. Il avait été créé pour être le général d'Everblight, pas pour être un voleur. Même s'il espérait faire mentir les prévisions de Vayl quant à son échec, il n'était, en vérité, pas adapté pour cette tâche.

Il ne fallut qu'un instant à Kallus pour décider qu'il ne pouvait pas se permettre le luxe d'une retraite prolongée pour se regrouper et se renforcer. La plupart des skorne étaient distraits par la conquête qui les avait menés au Lac Scarleforth. Il devait profiter du fait qu'il restait peu de personnes sur place. Il n'avait pas eu l'intention d'être tué par Hexeris, de perdre ses forces et d'être amené jusqu'au donjon, mais il était plus proche que jamais de son objectif. Sa meilleure chance de réussite était de rester en mouvement et d'utiliser les distraction pour éviter ou tuer ceux qui voudraient le contrecarrer. Il n'avait plus son grand dragon pour transporter le crâne, mais il pourrait s'atteler à ce casses-tête une fois qu'il aurait localiser les restes.

Poussant la porte de la chambre, Kallus ne remarqua aucune trace de patrouilles supplémentaires. Il savait que la disparition des soldats et du morthiteurge ne passerait inaperçue longtemps. Il était également parfaitement conscient du bruit de son armure alors qu'il remontait le couloir en pente en direction de la cour. Son vorace le suivait de près, ses pattes griffues raclant le sol en pierre. L'harceleur était plus inhibé par l'étroitesse du couloir, s'attardant derrière lui puis se lançant en avant en battant des ailes pour rattraper son retard. Il savait qu'il serait plus à l'aise une fois qu'ils auraient débouché à l'air libre où il pourrait s'envoler.

Il s'arrêta momentanément dans l'ombre près de l'entrée de la cour, écoutant. Il pouvait entendre le bruit des pas approchant le long su mur de la cour intérieure. Il fit reculer son rejeton et s'abrita dans  une alcôve sombre pour observer le passage de la patrouille. Lorsqu'ils furent à plusieurs verges de lui, il s'avança pour regarder dans la cour. Le soleil s'était couché depuis peu, et il savait que le crépuscule ne durerait pas longtemps dans cette région vallonnée. C'était rassurant. Aucun des souvenir d'Everblight n'indiquait que les skorne possédait une vision nocturne fine, alors que Kallus pouvait utiliser les sens de son harceleur et de son vorace pour voir parfaitement.

De l'autre côté de la cour, la porte principale de la forteresse était hermétiquement fermée. Il scruta les murs et repéra une petite poterne à mi-chemin du mur sur sa gauche, juste en bas d'une volée de marches. Deux karax Prétoriens armés de piques et de boucliers se tenaient sous la porte principale, tandis que les épéistes qui venaient de passer devant lui arpentaient le périmètre de la cour. Il vit au moins quatre Venators armés d'écorcheurs au sommet de la tour trapue surplombant la porte, leur attention étant principalement dirigée vers l'extérieur, et d'autres positionnés ailleurs sur les remparts. Il était peu probable qu'il puisse éviter d'être repéré en essayant d'atteindre la porte de la poterne.

Kallus avait à peine pris sa décision que l'harceleur s'élançait dans les airs derrière lui, se dirigeant avec une inébranlable concentration vers la tour de garde surélevée. Alors même qu'il le dépassait, il étendit sa volonté pour augmenter sa force de combat. Il puisa dans le vorace derrière lui pour transmettre l'essence de sa ténacité et de ses réflexes au rejeton volant, tandis que, par son pouvoir, les serres de ses pattes crochues dégoulinaient de flammes.

Le rapide harceleur était presque sur les skorne au sommet de la porte avant qu'ils ne réalisent l du danger qui les guettait. L'un des gardes dans la cour poussa un cri d'alarme, attirant l'attention des autres. L'harceleur, frappa, laissant échapper un cri perçant lorsque ses serres déchirèrent la gorge du skorne le plus proche, et dans une frénésie de griffes et de battements d'ailes deux autres furent abattus. L'un pris feu et chuta dans la cour. Les deux karax situés sous la porte poussèrent un cri et se précipitèrent dans les escaliers les plus proches de la tour, tandis que les épéistes en patrouille se précipitaient également dans cette direction.

Kallus ne perdit pas de temps et ne pensa plus à la créature, même si elle se déplaçait avec des réactions si rapides que les lames ennemies ne pouvaient pas porter de coup décisif. Il se concentra sur atteindre la porte de la poterne pendant que les skorne étaient distraits. Il savait que les survivants seraient dans un état de vigilance accrue après cette attaque, mais cela n'avait aucune importance tant qu'ils n'avaient aucune évidente piste à suivre ni aucune raison de le poursuivre.

Heureusement, ils étaient encore occupés à essayer d'abattre l'harceleur tandis que Kallus lançait un lourd projectile sur la poterne et l'ouvrait d'un coup de pied. Il laissa le vorace. Il laissa le vorace passer et emprunter le chemin tandis qu'il refermait la porte derrière eux, puis dévala les marches grossières taillées dans le flanc de la colline escarpée, reconnaissant pour l'obscurité qui s'épaississait. D'un ordre mental, il exhorta l'harceleur à se désengager après avoir éliminer le skorne le plus proche et à s'envoler dans la direction opposée dans l'espoir que les défenseur restants de la forteresse le poursuivraient. Il doutait qu'il parvienne à le rejoindre.

Il était maintenant suffisamment proche pour sentir les os du dragon, situés tout près ruines centrales du Château des Clefs, où ma Légion s'était battue pour atteindre Pyromalfique. Il soupçonnait que sa perception des os était due à la volonté d'Everblight qui empiétait sur la sienne. Sentait-il réellement les émanations corrompues d'un autre dragon ou seulement une main qui le guidait vers le site où cette bataille s'était déroulée.

Les skorne avaient bâtit leur tour et leur forteresse au sommet des ruines qui bordaient cette colline depuis les temps anciens, ignorant tout d'abord qu'un dragon sommeillait au sein des cavernes en contrebas. Le bataille qui s'ensuivit avait amplifié le pouvoir d'Everblight mais avait exigé de lui qu'il prenne de grands risques. Ses warlocks y avaient affrontés les skorne et le Cercle Orboros pour s'emparer de l'athanc de son frère, l'affaibli Pyromalfique. Ils avaient atteint leur but, mais la Légion avait perdu d'innombrables rejetons et de centaines de nyss corrompus. Ils avaient été contraints de fuir vers le nord, laissant le temps à Thagrosh et Everblight d'intégrer dans son essence, un processus rendu plus difficile par son état divisé. Kallus n'avait pas assisté à tout cela, ce qui, il le savait, avait contribué à ce que Vayl le renvoies. Pourtant, il partageait leurs triomphes en explorant des souvenirs qui n'étaient pas les siens.

De même, il savait que les skorne, têtus comme des fourmis, avaient reconstruit sur le même terrain après cette bataille. La Légion avait été contrainte d'abandonner le cadavre de Pyromalfique pour qu'ils le pillent et le dépouiller. Les mystiques skorne ignoraient le véritable pouvoir de la corruption et ne pouvaient la façonner comme le faisaient les élus d'Everblight, mais il sentait le pouvoir dans ces os, et à leur manière grossière, avaient essayé de s'en servir. Cet acte profane avait attiré l'attention d'autres membre de la puissante progéniture de Toruk, qui avaient volé vers le sud depuis les étendues glacées du nord pour répondre à la convocation de Blighterghast. Scaefang était arrivé sur ces collines et, en un seul passage avait renversé tout ce que les skorne avaient construit. Everblight était certain que Scaefang cherchait des preuves de son existence, du dragon qui avait tué Pyromalfique, mais ces preuves n'existaient pas. Ses frères et sœurs ne comprenaient pas qu'Everblight était sans corps et avait choisi d'étendre sa volonté à travers ses warlocks. Le dragon s'était envolé, laissant derrière lui la destruction et l'effondrement derrière lui avec les os que Kallus cherchait maintenant.

Il évita une patrouille qu'il observa de loin alors qu'il traversait une étroite vallée et gravissait la plus haute colline de l'autre côté. La nuit était tombée, ce qui permettait d'échapper plus facilement à l'attention. Il avança prudemment sur la sinueuse route et repéra des campements au pied de la tour qui occupait le plus haut sommet. Lui et son vorace se glissèrent vers les décombres. Le bruit des pioches, des pelles et des ordres criés masquait le bruit de son armure alors qu'il se déplaçait.

Malgré l'arrivée de la nuit, des esclaves et des ouvriers skorne travaillaient dur près d'un passage béant menant aux chambres situées sous les anciennes fortifications skorne. En s'approchant, Kallus vit des travailleurs émerger occasionnellement de l'ouverture éclairée par des torches, tandis que des maîtres d’œuvres munis de fouets les observaient et leur donnaient des coups de fouet pour les motiver selon les besoins. Il put s'approcher suffisamment pour écouter, en s'appuyant sur les compétences linguistiques d'Everblight pour traduire. Ils essayaient de récupérer des objets dans une chambre située sous l'ancienne forteresse.

Son pouls s'accéléra lorsqu'il entendit parler d'os et qu'on ordonnait de les manipuler avec précaution. Il prit le risque d'envoyer son vorace en avant, de le faire ramper au ras du sol et de gravir la pente au-dessus de la route pour avoir un meilleur point de vue. Kallus était mieux à même d'entendre un ouvrier skorne expliquer à son maître d’œuvre que l'endroit était devenu instable à mesure que les ruines au-dessus se déplaçaient; un autre ouvrier avait déjà été tué dans un effondrement partiel. L'ouvrier essayait de convaincre le contremaître qu'il fallait suspendre les fouilles jusqu'à ce que la structure soit correctement renforcée.

Le contremaître mit fin à cette discussion d'un coup rapide à l'oreille de l'ouvrier, le jetant à terre en criant : « Travaillez-plus vite ! Nous devons récupérer le crâne pour le prophète du vide ! Retourne-y immédiatement et apporte-moi tous les os que vous avez récupérés. Dis aux autres qu’ils seront écorchés s’ils échouent ! » Bien intimidé, l’ouvrier retourna rapidement dans la grotte. Le contremaître se tourna vers les esclaves qui empilaient des caisses et renforçaient l’ouverture de la grotte avec des poutres en bois.

La confirmation de la présence des os de dragon fit accélérer le pouls de Kallus, même si le rapport d’instabilité l’inquiétait. Il s’était préparé à abandonner son objectif initial de récupérer le crâne du dragon, car il serait trop lourd à déplacer sans un plus grand rejeton. Mais si le site était instable, tous les os étaient en danger. Il ne pouvait pas compter sur la possibilité d’amener des teraphin ou des bêtes similaires pour fouiller le site plus tard si celui-ci s’effondrait, étant donné que la zone serait bientôt remplie de milliers de skorne.

Bien que pressé d’agir rapidement, Kallus observa attentivement les mouvements des ouvriers. Au bout de quelques minutes, il vit l’occasion s’offrant à lui. Lorsque ceux qui renforçaient l’entrée de la grotte s’éloignèrent pour ramasser du bois, il se précipita en avant. Il tenait en laisse mental sur le Vorace, car celle-ci observait l’esclave le plus proche avec une faim galopante. Il l’envoya dans le tunnel et le suivit. Il n’entendit aucun changement dans le ton des ordres criés derrière lui alors qu’ils descendait plus profondément dans les profondeurs.

Kallus était dans l’esprit du rejeton qui, au détour d’un rudimentaire tunnel, se retrouva face à un humain décharné et enchaîné qui transportait une caisse vers l’entrée. Ses yeux s’écarquillèrent de stupeur en voyant la créature. Il inspira une bouffée d’air pour crier, mais Kallus avait déjà envoyé l’ordre mental de frapper. Dans un élan de vitesse surnaturelle, le vorace bondit en avant, et enfonça ses crocs dans la gorge de l’esclave, lui arrachant presque la tête de ses épaules. L’esclave fut réduit au silence avant d’émettre un son, et son sang cuivré inonda la gueule du vorace.

Kallus ne laissa pas au rejeton le luxe de festoyer, mais lui ordonna mentalement d’avancer alors qu’il avalait ce qu’il avait déjà arraché. Il se pencha et ouvrit la caisse que l’esclave avait transportée et vit à l’intérieur diverses appareils métalliques inconnus. Rien de tout cela ne l’intéressait, et comme il n’avait aucun moyen d’effacer les traces du carnage, il enjamba le corps et continua. Il n’avait jamais espérer passer indéfiniment inaperçu, et l’effusion de sang était inévitable. Il n’éprouvait ni méchanceté ni sympathie pour l’esclave : l’homme avait simplement été un obstacle.

Lorsque le tunnel d’accès rejoignit les chambres inférieures d’un bâtiment plus ancien, les murs devinrent plus réguliers et bâtît en pierre enduit en mortier. Les débris provenant du récent effondrement remplissaient les passages latéraux. Des poutres avaient été placées pour soutenir les parties fissurées et enfoncées du plafond, et de la poussière s’échappait de plusieurs brèches. L’air était vicié et froid. Il finit par apercevoir de la lumière devant lui, où le couloir menait à l’entrée voûtée d’une plus grande chambre, partiellement dégagée et grouillant d’activités. Il entendit les skorne et leurs esclaves travailler avant de les voir. Une demi-douzaine d’entre eux travaillaient avec des pioches et d’autres outils.

Les yeux de Kallus s’écarquillèrent lorsqu’il aperçut le crâne de Pyromalfique à travers les sens corrompus du vorace. Pour le rejeton, les os du dragon flamboyaient d’énergie, comme si chacun d’eux était un fer chauffé à blanc dans une forge. Le crâne était à moitié enterré à l’autre bout de la chambre, ou des ouvriers s’affairaient à dégager les gravats qui l’entouraient. Il lui manquait la mâchoire inférieure, mais il n’avait pas l’air endommagé. Les skorne avaient minutieusement décoré sa surface, inscrivant des lettres argentées de leur alphabet. Le vue du crâne fit revivre à Kallus un flot de souvenir empruntés alors qu’il revivait la bataille où Pyromalfique s’était battu contre les rejetons draconiques d’Everblight, les tuant par dizaine à chaque coup et souffle incendiaire, jusqu’à ce qu’il soit finalement vaincu.

Kallus savait que le crâne serait imposant et il le semblait encore plus au milieu des décombres de cette chambre à moitié effondrée. L’ouvrier qu’il avait argumenter avec le contremaître de l’entrée était maintenant au centre de la chambre, empilant de toute urgence des os plus petits dans une caisse. D’après leur forme, Kallus en déduit qu’il devait s’agir de dents extraites, chacune étant également gravée d’une écriture argentée.De toute évidence, l’ouvrier avait transmis les menaces du contremaître, car les ouvriers s’efforçaient tous de dégager le crâne aussi vite que possible, l’expression tendue et effrayée. Sur le mur le plus proche, on pouvait remarquer les traces d’un effondrement récent – une pile de roches fraîchement remuées s’était répandue autour des restes déchiquetés d’une poutre brisée.

IL SENTIT SES OS CRAQUER ET SE BRISER, TANT AU NIVEAU DES JAMBES QUE SES OS. FINALEMENT, IL S’ARRÊTA AVEC UNE EXPLOSION DE DOULEUR DANS LA MOELLE ÉPINIÈRE.

Un grondement inquiétant remplit la chambre. Un jet de poussière et de petites cailloux provinrent d’en haut. Les ouvriers poussèrent des cris d’alarme et reculèrent. Kallus prit cela comme le signal d’attaque. Il s’élança dans la lumière des torches, armure d’acier annonciatrice de la mort. Le vorace fonça pour bondir sur l’un des ouvriers tandis que Kallus ne faisant qu’une bouché des autres avec Brandon Infernal. Ce fut un massacre. Un seul eut l’intelligence et le réflexe d’interposer sa pioche pour se protéger. La lame de Kallus traversa sans effort la manche pour s’enfoncer dans la poitrine de ce skorne.

Un morceau de pierre particulièrement gros tomba avec un bruit sourd suivi d’un craquement fort et aigu. Kallus trébucha alors que le sol sous ses pied s’effondrait soudainement de plusieurs pieds. Il se débattit pour trouver un point d’appui alors qu’il remarquait un réseau de fissures s’élargir. Son regard se tourna vers la caisse remplie de dents du dragon, qui glissait tandis qu’une autre section du sol s’enfonçait dans l’autre direction Il laissa tomber Brandon Infernal en se précipitant vers la caisse, et la saisit à deux mains. L’instant d’après, le sol cédait et il glissa dans l’obscurité. Au milieu du vacarme, il entendit un sifflement effrayé lorsque le vorace perdit pied et le suivit.

* * *

Sa chute dans les ténèbres  dura ce qui semblait long, la chute étant interrompue par plusieurs violents et douloureux impacts. Des morceaux de son armure s’enfoncèrent profondément dans ses côtes et ses jambes alors qu’il heurtait des surfaces dures en descendant. Il se sentit ses os craquer et se briser, tant au niveau des jambes que des os. Finalement, il s’arrêta avec une explosion de douleur dans la moelle épinière. Le sang coula de ses lèvres et il faillit s’étouffer lorsque la poussière et les pierres dégringolèrent d’en haut. Il leva faiblement un bras pour se protéger la tête, déviant plusieurs gros morceaux de pierre tranchante sur son canon d’avant-bras et sa main gantée.

Il essaya de se relever, mais une douleur fulgurante parcourut ses jambes pour l’informer qu’elles étaient brisées en de multiples endroits. Tombant à la renverse et haletant, il resta immobile, essayant d’être patient pendant que sa chair se refermait d’elle-même. Une énergie corrompue circulait à travers son corps sous forme d’impulsion périodiques provenant de son athanc. Il ressentit une douleur tout à fait différente mais non moins intense tandis que ses os se réalignaient et se ressoudait, que ses muscles déchirés se réassemblaient et d’innombrables sanglantes lacérations se refermaient.

À proximité, il pouvait sentir son vorace et savait qu’il était vivant, même s’il était gravement blessé. Il lui prêta un peu de son pouvoir pour également que sa chair guérisse. Il ne savait pas vraiment à quel point cela lui serait utile maintenant, mais il ne pouvait pas se résoudre à le laisser périr ; c’était son unique compagnon tangible, et ses sens lui permettraient d’affronter les traîtresses ténèbres.

Une fois qu’il se sentit rétabli et qu’il put penser au-delà des douleurs de son corps, il se leva en tremblant et regarda ce qui l’entourait, ce qui pourrait tout aussi bien être un tombeau. Il tait évident qu’il ne s’échapperait pas par le chemin par lequel il était venu, car au-dessus de lui il n’y avait que de la roche, coincés dans la cheminée par lequel il était tombé. De toute évidence, le crâne du dragon était une fois de plus bien enterré.

Sous son impulsion, le vorace passa devant pour explorer les lieux. Grâce à ses sens, il s’aperçut qu’il se trouvait dans une grotte naturelle étroite qui se ramifiait devant et derrière lui, serpentant dans plusieurs directions. Il pouvait entendre un lointain goutte-à-goutte de l’eau. À ses pieds se trouvaient les dents du dragon, déversées de leur caisse. Il remplit la caisse et la souleva. Au milieu d’autres pierres tombées, il finit par trouver Brandon Infernal, intact, bien que marquée de plusieurs longues éraflures le long de sa surface.

Kallus regarda dans les deux direction, essayant sans succès de jauger les grottes qui l’entouraient. Il ressentait une profonde incertitude. Il parcourut les souvenirs d’Everblight concernant ces grottes, mais ne trouva rien ; le dragon et ses warlocks n’étaient jamais venu ici. Kallus était déjà tellement habitué à trouver réponses à ses questions qu’il se sentit perdu. Les tunnels autour de lui pouvaient mener nulle part ou plus profondément sous terre. Il se rendit compte qu’il était confronté à la possibilité d’une réel échec. Il pouvait imaginer la satisfaction de Vayl et la déception de Thagrosh. Peut-être récupéreraient-ils sont athanc à temps. Everblight l’absorberait-il à nouveau et effacerait-il le schéma qui constituait son identité ? Il était certain qu’il disparaîtrait bien plus facilement et rapidement que Pyromalfique.

Il serra la mâchoire contre cette pensée et se rappela qu’il avait les dents de dragon. Ce n’était pas le crâne, mais c’était quelque chose. Tout ce qu’il pouvait faire était de choisir une direction et de s’y tenir, et il finirait par trouver une sortie. Il ne permettrait pas que Vayl méprise ses capacités.

Alors qu’il atteignait le premier embranchement de la grotte, le vorace hésita et renifla dans les deux sens, les narines dilatées. Kallus se rendit compte qu’il percevait une légère odeur de pourriture. Cela indiquait que quelque chose était mort depuis longtemps, et non les skorne qu’il venait de tuer, qui avait certainement été piégé dans l’effondrement. Les récentes blessures du vorace, combinées sa jeunesse, lui donnaient l’envie de festoyer ; les créatures étaient extrêmement efficaces et pouvaient se nourrir même de vieux os. Kallus lui donna l’exemple et le suivit, le laissant humer l’air vicié à chaque tournant. À plusieurs endroits il dut se laisser tomber dans des trous difficiles ou se tordre dans d’étroits passages, une fois il coinça presque son armure. Il commençait à avoir des doutes sur les capacités olfactives de son rejeton.

Il rampait dans une section particulièrement étroite du tunnel lorsque le vorace s’élança en avant. Il déboucha dans un espace plus large et fut surpris de trouver autour de lui un couloir ouvragé, ses murs lisses et sans joints témoignaient d’une qualité d’élaboration bien supérieure à celle de la structure skorne située au-dessus. Le vorace  s’attaqua à un cadavre desséché à une intersection devant lui et arracha un fragile fémur pour le mâcher. Kallus le poussa pour mieux voir le corps.

Bien qu’il n’ait aucun moyen d’estimer depuis combien de temps il était mort, le cadavre était très vieux. Il portait une armure qu’il reconnut immédiatement comme étant iosienne, le plastron et les épaulières étant réalisées dans un style qu’Everblight avait observé chez les défenseurs d’Issyrah. Plus fascinant encore, les os présentaient d’indéniables signes de corruption draconique – des barbes acérées sortaient des épaules et des coudes, et les crâne était allongé.

Quelque chose de sombre gisait contre les vertèbres du cou du cadavre, au sommet de la cage thoracique creuse. Il se pencha et détacha une chaîne brisée d’où pendait un médaillon frappé d’un étrange symbole. Kallus se rendit compte qu’il pouvait ressentir Everblight, Thagrosh et Vayl se presser en périphérie de son esprit. Il pouvait sentir l’intérêt grandissant du dragon.

Le symbole lui était familier, et en cherchant dans les connaissances du dragon concernant Ios, il se rendit compte qu’il était proche du sceau utilisé par les nobles de la Maison Vyre, l’une des hallytyrs d’Ios et une maison réputée pour ses connaissances et ses recherches occultes. Au revers se trouvait une forme serpentine grossièrement gravée, manifestement ajoutée au médaillon bien après qu’il était été estampillé. « Le Culte de Pyromalfique », souffla Kallus à voix haute, revivant presque les souvenirs de la rencontre presque fatale de Lylyth avec les gardien iosien du dragon et les batailles ultérieures contre les membres de ce culte qui protégeaient les passages près de l’antre de Pyromalfique. Ils portaient des symboles serpentins similaires, mais aucun de ceux que la Légion avait combattus ne portait la marque de la Maison Vyre. Ce cadavre était mort depuis des décennies au moment de la bataille du Château des Clefs. Peut-être que le culte du dragon était autrefois plus important et plus divers et que ces salles avaient été oubliées.

Le vorace finit de broyer et d’avaler les fragments d’os et fut distrait par une autre odeur. Kallus le suivit au-delà de l’intersection jusqu’à un large ensemble de doubles portes cintrées, leurs surfaces métalliques en relief recouvertes d’une couche de poussière sous laquelle se trouvait un motif complexe de lignes courbes et entrelacées. Le vorace se recroquevilla, ses griffes avant crispées alors qu’il grognait. Même s’il était encore liée à son esprit, Kallus ne pouvait pas comprendre ce qui l’avait mis en colère jusqu’à ce qu’il entende un léger raclement dans la pièce.

Il posa la caisse de dents de dragon sur le sol et prit Brandon Infernal dans sa main gauche tout en attrapant le grand anneau métallique servant de poignée à la porte gauche. L’anneau était couvert de vert-de-gris et de poussière, mais lorsqu’il tira, la porte s’ouvrit en douceur. Il recula, la lame prête, mais la pièce était silencieuse et calme. Le vorace demeurait agité, mais Kallus le pressa de rester en retrait alors qu’il entrait dans la pièce parfaitement hexagonale. Le pression d’Everblight dans son esprit devint d’une force qu’il n’avait jamais ressentie. Le dragon se taisait mais voyait tout.

À l’intérieur se trouvait une sorte de tombe élaborée. Au centre des six murs se trouvait une bière basse en pierre soutenait un petit cadavre semblable à celui d’un enfant. Le corps était partiellement enveloppé dans de fines et claires bandes de cuir qui semblait être faites de chair iosienne, chaque bande portant les maques d’innombrables sceaux. Le long des cinq autres pans de mur, à hauteur de taille, se trouvaient des bières similaires mais moins élaborées, sur lesquels reposait une silhouette d’enfant enveloppée d’un linceul. Kallus s’approcha du plus proche et écarta le linceul pour révéler la forme ratatinée d’un jeune iosien, la peau de sa poitrine ouverte et ses côtes écartées pour exposer une cavité où des organes avaient été prélevés. Une liasse de notes et de diagrammes serrés sur des parchemins déchiquetés reposait à proximité, écrits en Shyr, la langue d’Ios, mais avec une variété de sceaux inconnus même d’Everblight. Au-dessus des bières, le long des murs de la chambre, se trouvaient des dizaines de petits loculi carrés, des étagères profondes contenant d’autres corps squelettiques ainsi que divers objets, notamment des urnes en porcelaine,des boîtes en os poli, de lourdes jarres scellées et des étuis à parchemins.

De l’une des chambres, situées sur le mur d’en face, jaillissait une énergie corrompue semblable à celle qu’il avait observé émanant des os du dragon, sous la forme d’une lumière scintillante. Elle s’infiltrait à travers plusieurs flacons de verre élancés et teintés foncé. Kallus se sentit obligé d’examiner l’un d’entre eux et réalisa qu’il répondait l’impératif d’Everblight. En en soulevant un et en brisant le sceau, Kallus découvrit un fluide épais et visqueux à l’arôme âcre.

Il ne doutait pas qu’il contenait du sang de dragon, probablement de Pyromalfique. Peut-être avait-il été conservé comme libation sacrée, tout comme le plus grand prêtre de Toruk livrait ses fluides vitaux en quantités infimes à sa prêtrise ou comme Thagrosh avait utilisé son sang pour lier les nyss à Everblight dans les premiers jours de la Légion. Cependant, ce n’était pas uniquement du sang de dragon ; il avait été modifié d’une manière ou d’une autre. Plusieurs des étagères carrées les plus proches étaient remplies instruments alchimiques. La curiosité d’Everblight l’emporta.

Everblight était tellement avec lui que Kallus ne réagit presque pas lorsque son Vorace lui envoya un avertissement mental. Il perçut le bruire de quelque chose se mouvant et se retourna pour voir le cadavre sur la bière centrale. Simultanément, une douzaines de torches installées aux murs supérieurs de la chambre hexagonale s’enflammèrent d’une brillante lumière argentée, l’aveuglant. Sur ses rétines persista l’image rémanente d’un enfant iosien dont la chair morte était lisse comme l’albâtre là où elle apparaissait entre les bande de cuir. Le personnage semblait avoir trois yeux, dont un au milieu du front, chacun était un fosse vide de noirceur. Une double rangée de dents tranchantes bordait sa bouche béante. Ses mains fines se tendaient vers lui, chaque doigt se terminant par de longues griffes noires.

Kallus réagit instinctivement, s’appuyant sur le pouvoir d'Everblight pour anéantir l’abomination. Il ouvrit sa main gauche alors qu’il invoquait des runes dotées du pouvoir de corruption pour manifester une explosion qui aurait probablement incinéré toute la chambre. Il n’avait été créé pour hésiter. Le pouvoir se rassembla et aurait dû exploser, détruisant la créature. Au lieu de cela, Kallus ressentit un étrange vide lorsque son invocation fut arrachée, comme si elle avait été projetée dans un profond gouffre. D’Everblight, le terme « sans-âme » lui vint à l’esprit, alors qu’une main griffue s’emparait de son poignet, là où il tenait Brandon Infernal. Malgré la petite taille de la créature, sa poignée fut comme un étau, et le froid s’infiltrât dans la main et le bras de Kallus, les engourdissant et insensibilisant.

Le vorace n’avait pas été déconcerté par la lumière vive. À la demande de Kallus, il devint enragé et se précipita pour mordre l’arrière des jambes de la créatures. Il arracha des morceaux de chair morte d’un simplement mouvement de tête et mordit à nouveau, affamé et plein de méchanceté. La chose morte chancela et son emprise se relâcha. Il frappa avec sa main libre pour labourer le vorace avec une surprenante force, l’envoyant voler contre le mur du fond et brisant plusieurs urnes.

Kallus donna un coup de pied dans la poitrine de l’entité pour la faire reculer, se libérant ainsi de son emprise. Il saisit Brandon Infernal de sa main droite alors que son bras droit pendait à ses côtés, comme une chose sans vie. Avec un hurlement, il fit pivoter Brandon Infernal sur le côté pour frapper le flanc de la chose, trouvant une chair dure et résistante, mais pas inaltérable. Elle passa ses griffes sur son armure, ce qui lui procura une sensation de froid dans la poitrine. Il frappa encore et encore, et après trois fois, la créature s’effondra au sol et resta immobile, laissant s’écouler un liquide noir et huileux de ses blessures. Il sentit le regret d’Everblight de devoir détruire la créature avant qu’elle ne soit comprise.

Enfin, la sensation revint dans la main gauche de Kallus. Après avoir vérifié le reste des bières pour s’assurer que ces cadavres n’étaient pas susceptibles de reprendre vie, il remit son épée dans son dos. Sous l’impulsion d’Everblight, il se tourna vers les autres objets qui intriguaient le plus le dragon : les piles de notes et les parchemins en vélin, ainsi que les instruments alchimique. Vayl l’accompagnait également, tout aussi curieuse que son maître d’apprendre ce qu’il avait trouvé. Elle lui demanda d’examiner les parchemins rassemblés dont plusieurs portaient le sceau altéré de la Maison Vyre. Il feuilleta et parcourut le contenu voyant les diagrammes abstraits et des croquis anatomiques. Il n’essaya même pas d’assimiler les mots, mais laissa les personnes qui l’accompagnaient assimiler l’information à travers ses yeux.

Vayl était clairement fascinée par sa découverte, mais Kallus sentait également une hostilité persistante de sa part. Il se sentit obligé de lui envoyer directement une pensée. « Ai-je failli à ma tâche, Consul ? Je n’ai cherché qu’à accomplir ce que vous souhaitiez ».

Il y eut une longue pause avant qu’elle ne réponde. « Apporte ce que tu as récupéré. J’aurais préféré le crâne, mais les dents peuvent suffire ». Ses paroles furent prononcées à contrecœur, mais le désir qu’elle avait de le réprimander fut émoussé par la conscience de l’intérêt évident d’Everblight pour sa découverte. Finalement, elle admis : « Tu t’es bien débrouillé. Tu peux revenir ».

« Merci, Consul », répondit Kallus, ressentant un palpable soulagement. « Je vis pour servir ».

Il perdit le compte des jours qu’il passa au sein de ces chambres obscures, pressés de découvrir chaque détail. D’autres événements urgents avaient retenu l’attention immédiate du dragon, et Kallus fut tenu à l’écart des autres, même de Vayl. Finalement, Everblight reconnut qu’il avait appris tout ce qu’il pouvait et lui demanda de revenir et d’apporter autant d’écrits de la secte qu’il put en trouver et en transporter. Kallus remplit la boîte de dents de dragon de ces tomes et parchemins et commença à chercher une issue, son vorace à ses côtés.

Kallus finit par découvrir une sortie cachée de la crypte. Alors qu’il s’avançait, le soleil lui parut d’une inhabituelle luminosité à ses yeux. Il n’y avait pas skorne visible, et il tituba vers le nord, sachant qu’il aurait besoin de trouver de la nourriture et de l’eau avant d’aller plus loin. Pour l’instant, il était soutenu par la certitude que ses actes avaient été approuvés par Thagrosh et Everblight. Plus que jamais, il désirait reprendre sa place au sein de la Légion et mener ses soldats dans les batailles à venir.

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Bonne lecture à toutes et tous  8)

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À PROPOS DE L’AUTEUR

Larry Correia est l’auteur à succès du New York Times de la série Monster Hunter International, de la trilogie Grimnoir Chronicles et des thrillers militaires Dead Six et Swords of Exodus. Il a été finaliste pour le prix Campbell, le prix Julia Verlanger et a remporté un prix Audie pour Hard Magic. Il est publié par Bean Books. Ancien comptable, fournisseur militaire, instructeur militaire, instructeur d’armes à feu et marchand de mitrailleuses, Larry vit aujourd’hui dans les montagnes du nord de l’Utah avec sa femme et ses enfants, où il y a des élans dans son jardin.

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INDEX SKORNE

Gardien Ancestral : Un ancêtre exalté dont la pierre sacrée est placée au sein d’une statue qu’il peut animer pour entrer dans la bataille aux côtés des guerriers skorne. Il utilise des pierres pierres sacrals vide pour récupérer les morts en tant que compagnons vénérés.

Archdominar/Dominar : Rang réservé au dirigeant skorne contrôlant plusieurs maisons dans le pré-Empire skorne. l’Archdomina est une femme, l’Archdominar est un homme.

Arcuarii : Les Acuarii sont des cataphractes maniant une arme ancienne appelée arcus.

Arcus : Une arme combinant un lanceur de harpon et une arme de poing utilisée par les Arcuarii.

Balaash : L’une des plus grandes maisons skorne avant l’unification de l’Empire Skorne, qui a ensuite régné sur l’empire sous l’autorité de l’Archdomina Suprême Makeda, qui s’en emparé de cette position en renversant Vinter Raelthorne.

Bashek : Maison dont on se souvient principalement pour le Laudateur Suprême Norvaak, qui appartenait à cette maison et l’a menée à la ruine après avoir commis une hérésie.

Coureur de Sang : Branche des doloristes axée sur le combat et l’assassinat, plus proche de la caste  des guerriers et connue pour utiliser la mortitheurgie comme moyen de déplacement et de diversion surnaturel.

Cataphracte : Caste supérieure de guerriers très respectée chez les skorne, composée d’une minorité extrêmement compétente et physiquement capable qui apprend à maîtriser les armures lourdes et les formations de combat spéciales. Il existe plusieurs traditions de cataphractes, chacune utilisant des armes et des formations de combat différentes.

Cetrati : Les cetrati sont un type de cataphractes maniant des lances de guerre et des boucliers, et qui sont entraînées au combat en formation rapprochée.

Cohorte : L’un des plus grands ajouts fondamentaux de l’armée skorne. Pour de nombreuses maisons, une cohorte représente toute son armée et est dirigée par le tyran ou le seigneur tyran. Les maisons particulièrement grandes regroupent plusieurs cohortes en un sabaoth

Dakar : Grade d’officier skorne, utilisé par ceux qui dirigent soit un datha, soit un taberna de soldats. Les sous-dakar sont chargés de diriger un datha, tandis que les dakar supérieurs sont chargés de commander un taberna.

Datha : Petite escouade de guerriers, généralement au nombre de six à dix dirigée par un dakar.

Decurium : Important groupe de soldats au service d’une maison ou d’une armée, composée de dix taberna ou de 200 à 500 guerriers, dirigé par un primus.

Domina/Dominar : Rang supérieur à celui de Seigneur Tyran et inférieur à celui d’Archdominar, réservé au dirigeant d’une maison importante. La Domina est une femme, le Dominar est un homme

Laudateur : Caste spirituelle très respectée responsable des rites funéraires, y compris la préservation des skorne les plus honorables dans des pierres sacrales après la mort. Les laudateurs sont compétents en mortitheurgie mais pratiquent cet art pour préserver, honorer et communiquer avec les ancêtres exaltés. Les laudateurs remplacent un œil par un oculus de cristal pour percevoir l’essence spirituelle.

Exalté : Les ancêtres honorés décédés mais préservés sur Caen au sein de pierres sacrales sont considérés comme exaltés, l’état d’être que chaque skorne aspire à atteindre par des actes de vaillance. Très peu de skorne deviennent exaltés, et généralement seuls les membres renommés de la caste des guerriers. Les exaltés peuvent occasionnellement être contactés par des laudateurs.

Ferox : Terme dérivé de mortels carnivores à longs crocs utilisés comme montures par les prétoriens skorne, appliqués à la fois à l’animal lui-même et à ceux qui les chevauchent. Les ferox ne sont jamais entièrement apprivoisés et leur emploi est toujours risqué pour le cavalier.

Grand Cataclysme : Vaste catastrophe survenue il y a des milliers d’années ayant transformé l’Immoren par une vaste explosion surnaturelle, ouvrant l’Abyme et créant les Terres des Orages. Cela entraîna la destruction de l’Empire de Lyoss et força les nomades skorne à chercher refuge dans les Massifs des Brumes, fondant Malphas et lançant la civilisation skorne.

Halaak : La plus grande ville skorne, devenue la capitale de l’Empire Skorne après l’Unification.

Harakith : Le plus grand fleuve au nord du Massif des Brumes, se jetant dans la Mer de Mizrah.

Havaati : Langue principale skorne.

Hestatiens : Une caste de guerriers inférieurs utilisée principalement comme garnisons urbaines et milice rurale, ainsi que comme la moins qualifiée de toutes les forces guerrières de maison. Ils sont souvent utilisés comme réserves ou chair à canon lors de grandes batailles.

Hezaat : Le plus grand fleuve de l’Empire Skorne, s’écoulant du Lac Melhaas jusqu’à l’océan près de Kademe.

Hokar : Une « pâte » explosive découverte par les chimistes skorne (alchimiste) pouvant être utilisée dans les canons. Ne fonctionne pas bien en petites quantités (et donc avec les armes légères).

Hoksune : Le Code Hoksune est le credo philosophique le plus important de la caste des guerriers skorne, initialement établi par Vuxoris le Premier Exalté. Cela souligne que l’on n’est vraiment vivant qu’au combat que dans la bataille. L’honneur réside dans le fait de se battre parfaitement et sans peur face à une mort certaine, une fatalité qu’il faut à la fois accepter et défier.

Immortels : Les soldats préservés par les gardiens ancestraux pour devenir des compagnons révérés voient souvent leurs pierres sacrales serties au sein de statues armées pour le combat, connues sous le nom d’immortels, qui combattent en unités aux côtés des soldats vivants d’une maison.

Jakaar : Cette grande maison prend le dessus sur la Maison Lushon peu de temps après l’invention des armes à feu écorcheurs. Cette maison crée les premiers venators organisés et entraînés.

Kadamesh : La plus grande ethnie skorne, composée principalement de skorne du sud-est vivant le long du fleuve fertile Hezaat et ainsi que ceux vivant dans la ville de Kademe. Ces skorne ont émigré dans tout l’Empire et sont présent dans toutes les régions.

Kademe : Deuxième plus grande ville skorne, la seule véritable « ville portuaire » de l’Empire Skorne.

Kadesh : Langue skorne parlée principalement dans le sud-est.

Kahzek : Influente maison dans la ville de Kademe, connue pour le Seigneur Tyran Hyvlaarik ayant défié les maisons de Halaak mais ayant été éliminée lors de a Batailles des Maisons Fluviales.

Kajar : Considérés comme faisant partie de l’ethnie régionale kadamesh, les kajar sont en fait une minorité distincte descendant des skorne méridionaux n’ayant pas cherché refuge à Malphas après le Grand Cataclysme.

Kalos : Remarquable colonie skorne, proche du Désert Dévasté.

Karax : Discipline de combat des prétoriens employant des piques et des boucliers en formation pour servir de soldats robustes.

Kasortaan : Petite ethnie skorne des skorne les plus septentrionaux, y compris ceux qui vivent au-delà du Massif des Brumes.

Océan Kolrathe : Océan situé au nord-est d’Immoren.

Kovaas : « Fantôme enragé », ce qui arrive à un ancêtre exalté dont la pierre sacrale est brisée, libérant son âme sous la forme d’un esprit fou et courroucé.

Seigneur Tyran : Rang supérieur à celui de Tyran et inférieur à celui de Dominar, utilisé dans l’Armée de l’Extrême Occident pour ceux qui dirigent une ou plusieurs cohortes majeures. Traditionnellement, c’est aussi un titre utilisé par les seigneurs de maison alliés et subordonnés à une maison plus puissante mais contrôlant des maisons plus petites.

Makeda : Elle est devenue l’Archdomina Suprême de l’Empire Skorne après avoir renversé le Conquérant, qu’elle avait auparavant servi en tant qu’Archdomina de l’Armée de l’Extrême Occident et dirigeant de la Maison Balaash, le plus grand dirigeant de cette maison depuis Vaactash, son grand-père. Soeur d’Akkad, fille cadette de Telkesh.

Malphas : Première ville skorne, située au pied d’une falaise dans le Massif des Brumes. Elle est l’origine de la civilisation skorne.

Malzash : Minorité skorne située principalement à Malphas et Halaak, ils se considèrent comme les descendants des maisons les plus estimées de l’antique Malphas.

Maître : Maître peut-être employé comme grade honorifique pour de nombreux différents rôles au sein de la société skorne, principalement ceux de la caste des travailleurs, en particulier les castes nécessitant des compétences spécialisées ou des connaissances avancées.

Maître Tourmenteur : Rang honorifique attribué aux doloristes au sommet de leur caste et qui ne sont pas considéré comme subordonnés à d’autres pairs. Les Maîtres Tourmenteurs sont nominalement les dirigeants de leur caste, bien qu’actuellement subordonnés au Seigneur Assassin Morghoul.

Lac Melhaas : Le plus petit des trois grands lacs au sud des Brumes.

Mirketh : Le Lac Mirketh est en réalité une mer intérieure, la plus grande étendue d’eau de l’Immoren Oriental

Mokkar : Le Mokkar – un grand désert occupant une part importante du territoire méridional skorne. Une partie de cette zone est habitée, mais la plupart des colonies skorne se trouvent à la périphérie ou à proximité d’oasis cartographiées.

Morghoul : Seigneur Assassin au service de l’Empire Skorne en tant que dirigeant des doloristes, dont la maison a été érigée sous son commandement par l’Archdomina Suprême Makeda. À joué une un rôle clé dans Seconde Unification, dans de nombreuses bataille de l’Armée de l’Extrême Occident, et a assuré le respect de Halaak pour Makeda.

Morkaash : Antique guerrier-philosophe et ascète s’étant concentré sur l’apprentissage de l’anatomie et sur l’infliction et l’endurance à la douleur et à l’agonie comme méthode d’illumination. Personnage clé dans le développement des doloristes, qui a également fait progresser la mortitheurgie et dont les philosophies ont également influencés les nihilateurs.

Mortitheurge : Celui qui pratique la mortitheurgie comme activité principale et qui n’est pas un laudateur, un doloriste ou un leader de maison. Maître mortitheurge est un titre de respect significatif pour les personnes ayant d’exceptionnelles compétences dans ce domaine, et peut être adopté comme titre honorifique par les dirigeants de maison ayant des connaissances suffisamment approfondies.

Mortitheurgie : Vaste domaine d’étude des arcanes skorne enraciné au sein des énergies de la chair, des os et de l’essence spirituelle. Le mortitheurgie permet à certains skorne de devenir des warlocks. Ses pouvois sont essentiels non seulement aux mortitheurges, mais aussi aux doloristes et aux laudateurs. Un certain degré de maîtrise de cette étude est requi de la part de tous les dirigeants de maison skorne ;

Nihilateurs : Culte extrême de guerriers-ascètes recherchant l’exaltation par des actes de courage extrême et d’autodestruction sur le champ de bataille. Ils recherchent la clarté spirituelle et le pouvoir surnaturelle en s’infligeant des souffrances.

Doloriste : Caste polyvalente d’assassins, d’espions, de dresseurs et d’interrogateurs. Une antique tradition enracinée au sein des philosophies fondamentales des skorne établies par Morkaash. Les doloristes les plus compétents appliquent les principes de la mortitheurgie à leurs arts. Actuellement dirigée par le Seigneur Assassin Morghoul et traitée comme une maison sous son autorité.

Prétorien : Considérés comme l’épine dorsae de la caste des guerriers, ces soldats pratiquent plusieurs disciplines de combat et servent leur maison en respectant le code hoksune. La plupart des prétoriens pratiquent la maîtrise de l’épée, mais d’autres emploient des armes d’hast et des boucliers, d’autres soumettent et contrôlent des destriers ferox pour servir de cavalerie.

Primus : Titre d’officier chez les skorne, utilisé par les personnes qui dirigent un decurium, la plus grande division d’une cohorte.

Écorcheur : Type d’arme à feu skorne utilisant un gaz explosif comrprimé pour projeter des projectiles en forme d’aiguilles  avec une grande force et une longue portée.

Compagnons vénérés : Les compagnons vénérés sont ceux qui sont préservés après la mort, mais qui se situe juste en dessous des véritables exaltés en termes d’estime. Cet état est réservé aux soldats mourants lors de grandes batailles à proximité de gardiens ancestraux ou d’exaltés qui les préservent dans des pierres sacrales. Nombres d’entre eux deviennent immortels et continuent à se battre pour leur maison.

Sabaoth : Grande armée skorne comprenant de multiples cohortes.

Pierre Sacrale : Morceau d’obsidienne spéciale ayant été enchanté par des rites mortitheurgiques spéciaux connus des laudateurs pour attirer et préserver une âme avant qu’elle ne passe au-delà de Caen. C’est le mécanisme de l’exaltation. Les pierres sacrales ou les morceaux de pierres sacrales contiennent un grand pouvoir pouvant être exploité par des armes et des armures.

Massif des Brumes : Grande chaîne d’imposantes montagnes dans le nord de l’Empire Skorne, servant de principale barrière géographique entre les parties nord et sud de l’Immoren oriental.

Soresh : Dialecte Havaati au sein des skorne nomades des plaines et des marges.

Sortaan : Plaines de Sortaan, la plus grande étendue herbeuse aride à l’ouest d’Halaak.

Sortaani : Seconde plus grande ethnie skorne, comprend la plupart des skorne occidentaux ceux des plaines et de nombreuses petites colonies.

Taberna : Groupe de soldats au service d’une maison ou d’une armée, littéralement une « tente » de guerriers, composée de plusieurs datha, généralement au nombre de 20 à 50, dirigés par un dakar de haut rang.

Tourmenteur :
Rang de doloristes expérimentés, l’équivalent d’un grade d’officier dans leur caste.

Tyran : Grade habituellement réservé au chef de l’armée de maison ou la maison elle-même, s’il s’agit d’une maison mineure. Au sein d’une plus importante armée skorne, ce titre peut représenter uniquement le contrôle d’une cohorte sans autorité sur une maison. Quoi qu’il en soit, chaque tyran aura une cohorte qui lui répondra.

Vaactesh : Archdominar notoire de la Maison Balaash, père de Telkesh, grand-père de Makeda et d’Akkad.

Venateurs : Les Vénateurs sont considérés comme des memebres de la caste des guerriers, mais d’un rang nettement inférieur à celui des prétoriens ou des cataphractes, en raison de l’importance qu’ils accordent au combat à distance grâce à l’utilisation des écorcheurs et d’autres armes similaires une invention relativement moderne. Ce mode de combat, bien qu’essentiel à la guerre moderne, est moins honorable selon l’hoksune.

Venhokar : Gaz explosif utilisé dans les écorcheurs et les armes similaires, dérivés d’un dangereux processus consistant à verser de puissants acide sur le fer et à recueillir le gaz se formant à la suite de cette interaction.

Verskone : Ville côtière au sud du Mokkar, isolée du reste de l’Empire par le désert.

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Alors que la bataille de la Maison Balaash débutait, des centaines d’enthousiastes laudateurs regardaient la scène, cherchant ceux qui méritaient d’être exaltés.

Tous les vétérans présents sur le terrain savaient qu’au moment où le soleil atteindrait le milieu du ciel, des milliers de guerriers de la Maison Baalash seraient morts.

Les catapultes des Venators lançaient des boules bourrés d’explosifs et d’éclats d’acier dans les airs se précipiter dans les rangs adverses. Le gémissements mécanique de millions d’aiguilles remplissait les plaines tandis que des milliers d’écorcheurs tiraient simultanément. Le bêtes mugissaient et hurlaient, poussées à la frénésie par les dresseurs, avant d’être lâchées sur les voies de la destruction.

Et malgré ce grand conflit, l’armée de Makeda continuaiet de se battre, ignorant que son chef n’était pas là.

* * *

Si seulement je pouvais combiner ton adhésion à l’hoksune avec le pragmatisme ambitieux de ton frère, alors que la Maison Balaash serait inarrêtable. L’esprit est ébranlé par les possibilités.

Les paroles de Vaactash lui apportaient de l’espoir. La main de Makeda reposait sur la poignée de l’une des Épées de Balaash. Si la victoire l’obligeait à être pragmatique, elle le ferait, même si elle cela lui faisait mal. Elle savait que son grand-père veillait sur elle, mais elle ne pouvait qu’espérer qu’il approuvait ses décisions.

L’esclave Kutsheth maniaient les rames et la petite barque progressait régulièrement le long des rives du Lac Mirketh. Le brouillard matinal ne s’était pas encore dissipé et offrait encore une certaine couverture.

Makeda ne pouvait pas voir la bataille débuter, mais elle pouvait l’entendre. Le choc des épées et des lances, les gémissements des écorcheurs, le bruits sourd des catapultes, les cris alors que l’acide mangeait la chair et le tonnerre lorsque les warbeasts s’affrontaient. C’était le bruit de deux forces se testant mutuellement. Bientôt la mêlée deviendrait générale. Son armée se battrait et mourrait sans elle pour la diriger. Makeda maudit le destin et supplia ses ancêtres de lui pardonner son manquement au devoir.

Elle portait une grossière cape en poils tressés, miteuse et sale. Ses vêtements d’esclave dissimulaient son armure. Sa bannière, portant le noble glyphe de la Maison Balaash, avait été laissée en plan avec l’armée qu’elle avait abandonnée. Ce n’était pas l’indignité de tout cela qui l’a dérangeait, mais le fait qu’on lui volait sa chance de mener ses guerriers dans de glorieux combats. Peut-être que si elle avait de la chance, l’une des grandes bêtes sous-marines du Lac Mirketh rendrait service à tout le monde, émergerait des profondeurs et la dévorait pour cacher le déshonneur.

Makeda n’avait jamais vraiment détesté Akkad auparavant. Elle avait simplement fait son devoir, comme le voulait l’honneur. Elle était de la caste des guerriers et vivant pour apporter la gloire à sa maison. Cependant, maintenant que la grande bataille débutait sans elle, Makeda comprenait ce qu’était la haine. Elle méprisait Akkasd.

Mais elle le plaignait aussi. À quel point une vie serait-elle vide sans hoksune pour la combler ?

« Nous y sommes presque », dit Kuthsheth « Les quais ne sont pas- » grimaça-t-il alors qu’une passait au-dessus de sa tête. Le massif battement des ailes en cuir secoua la petite embarcation avec des rafales de vent, puis l’Archidon s’éloignat. La warbeast volante n’avait prêté aucune attention à leur bateau. Il avait été convoqué au combat par un puissant mortitheurge. Il rugit et piqua, plongeant hors de vue derrière les dunes le long du rivage.

Bien sûr. Les plus capables se retrouveraient dans la bataille. Aucun guerrier compétent ne se porterait volontaire pour garder un quai lorsqu’une telle opportunité d’exaltation se présenterait. Au pire, ils seraient confronté à des hestatiens, guère plus que des milices. « Le problème sera la garde personnelle d’Akkad.Ce sont tous des vétérans cataphractes ».

« Et aussi les coureurs de sang qui rôdent dans les couloirs », dit Kuthsheth, et il parut surpris lorsque Makeda ne parut pas comprendre de quoi il parlait. « Le noble Telkesh en a gardé quelques-uns à son service pour surveiller les tentatives d’assassinat contre ses héritiers. Il rôdent autour de la maison, ne répondant que Tourmenteur Abaish ».

« Je n’étais pas au courant de leur existence ».

« C’est parce qu’ils sont très doués pour rôder... »

Makeda avait appris qu’il y avait beaucoup de choses qu’elle ignorait sur le fonctionnement interne de sa maison. Il y avait un monde sous la surface, peuplé d’ouvriers, d’esclaves et de serviteurs, des membres des castes inférieures qu’elle n’avait jamais pris la peine de remarquer. Les guerriers et les chefs d’une grande maison ne souhaitait pas voir leurs inférieurs toute la journée, et ils demeuraient donc cachés pendant accomplissaient leur mission.

Kuthsheth peinait contre les rames mais il faisait de son mieux pour se ressaisir. « Une fois que je vous aurez introduit dans le donjon central, je crois que je pourrai distraire les coureurs de sang. Ils ne prêtent aucune attention aux esclaves domestiques. Je les ai entendu parler de ce qu’ils perçoivent comme des faiblesses. Une fois que vous serez dans les tunnels de serviteurs, je provoquerai une perturbation dans le laboratoire d’Abaish. Cela devrait attirer les coureurs de sang comme un papillon nocturne vers une flamme ».

« Que comptez-vous faire ? »

« Faire beaucoup de flammes ».

« Attirer l’attention des coureurs de sang, c’est mourir. Pourquoi faites-vous cela ? »

« Parce qu’autrefois j’étais un guerrier – un épéiste Prétorien – bien avant la prise de mon village. Comme nous en avons l’habitude, j’ai perdu ma caste et j’ai été placé parmi les esclaves de la Maison Balaash. Parce que Telkesh a été un maître honorable, mes enfants auront la chance de devenir des guerriers. Si ce n’est pas eux, alors leurs enfants, ou les enfants de leur enfants, auront une chance d’atteindre l’exaltation. C’est la voie ».

C’est cet esclave qui lui avait soumis cette idée d’espionnage pendant leur marche vers le sud. Il l’avait entendue parler avec ses officiers et avait ensuite abordé le sujet de ce passage peu connu à travers la grande forteresse qu’était la Maison Balaash. Au début, l’impertinence de Kuthsheth l’avait agacée, mais plus elle y avait réfléchit, plus elle y avait vu les possibilités. Si Akkad essayait d’éviter leur duel, alors elle amènerait le duel à Akkad.

Une explosion retentit au loin. Makeda se retourna pour voir une boule de feu monter dans le ciel. La bataille était engagée.

« Nous y sommes presque. Ne vous inquiétez pas, Archdomina ».

Makeda ne corrigea pas l’esclave.

* * *

Le dernier guerrier mourant tomba dans le Lac Mirketh avec fracas. L’eau se teinta de rouge autour de lui, puis il disparut de la vue. Makeda abaissa les Épées de Balaash et les fit disparaître sous le manteau de l’esclave. Les quais étaient dégagés. Elle avait éliminé tous les gardes avant que l’alarme puisse être donnée. « Viens, Kuthsheth. Montrez-moi les tunnels ».

L’esclave finit de rouler le dernier cadavre dans le lac, avant de se précipiter devant elle, ses sandales claquant contre le bois usé par les intempéries. Ils passèrent devant des barils de poisson salé et des sacs de grain. Depuis le temps qu’il vivait ici, Makeda n’avait jamais vu cette partie de sa grande maison. Kuthsheth ouvrit une porte et la conduisit à l’intérieur.

Il y avait là quelques esclaves qui travaillaient, coupaient du poisson avec des hachoirs, ignorant superbement qu’ils étaient envahis. Qu’importait à un esclave d’être envahi ? Le travail se poursuivrait quel que soit leur maître demain.

Kuthsheth savait où se rendre et elle le suivit en gardant la tête basse et le visage couvert. Il prit une lanterne sur le mur pour éclairer leur chemin. Ils montèrent un escalier, descendirent un long tunnel, puis montèrent un autre escalier circulaire. Kuthsheth lui fit traverser une multitude de passages et d’alcôves. La grande maison s’était agrandi depuis vingt générations, jusqu’à ce que l’intérieur devienne un dédale qui confondrait tout envahisseur, mais son guide connaissait bien ces passages. La pierre autour d’elle commença à lui paraître familière et confortable. L’huile de la lanterne sentait la maison.

Ils pénétrèrent dans un hall que Makeda connaissait. Elle avait regardé depuis ces fenêtres, admiré ces œuvre d’art. Ses chambres n’étaient pas loin. C’était une sensation étrange que d’être un envahisseur de sa main. « Nous sommes presque arrivés ». Kuthsheth tourna à un coin et disparut de la vue.

« Toi, esclave ! Où vas-tu ? » demanda une voix. « N’as-tu pas écouté ton surveillant ? »

« Pardonnez-moi, Prétorien. Je ne voulais pas- »

« Silence ! » On entendit le bruit d’un gantelet frappant la chair. « Cette zone est interdite d’accès pendant que le conseil se réunit ».

Makeda passa le coin. Un épéiste se tenait au-dessus de Kuthsheth à terre. Il leva les yeux vers
Makeda et grogna. « Vous, les esclaves, vous recevrez le fouet pour- » puis sa tête rebondit dans le couloir. Makeda eut le temps d’essuyer son épée avec la cape d’esclave avant que le corps ne se rendent compte qu’il était mort et ne tombe, déversant son sang sur le sol poli. Elle fronça les sourcils. Tuer un honorable Prétorien était un tel gâchis…

Kuthsheth se leva, frottant le bleu qui s’étendait sur sa joue. « Merci, Archdomina ». Il montra une tapisserie à proximité détaillant la vie de Vuxoris. « Derrière se trouve un passage qui vous mènera à la salle du conseil. S’il vous plaît, accordez-moi quelques minutes pour bouter le feu au laboratoire d’Abaish, sinon vous rencontrerez sûrement des coureurs de sang en chemin ».

« Un instant, Kuthsheth. Si vous devez mourir pour moi, alors vous devez le faire en tant que membre de la caste dans laquelle vous êtes né. Le Prétorien décapité saignait sur ses bottes. Makeda se baissa et ramassa les épées du guerrier mort. Elle les présenta à l’esclave, poignée en avant. « Par la présente, je vous proclame membre de la caste des guerriers de la Maison Balaash. Voici tes épées, Prétorien ».

« Ma dame, je… je… » Il avait les yeux écarquillés, la bouche ouverte.

« Maniez-les en mon nom ».

Kuthsheth s’empara des épées les mains tremblantes. « Je le ferai ». Désormais armée, Kuthsheth se déplaçait tel un skorne transformé. Avec une détermination renouvelée, il souleva rapidement la tapisserie, révélant le passage. « Il y a une alcôve au premier coin. Vous devriez pourvoir voir quand les Coureurs de sang partiront, mais ils ne devraient pas vous voir. Continuez ensuite tout droit, montez trois niveaux d’escaliers et vous arriverez près de la salle du conseil ».

Makeda avait passé de nombreuses heures dans la salle du conseil, observant et apprenant comment son grand-père, puis son père, avaient gouverné leur maison. Ce serait l’endroit idéal pour affronter Akkad.

« Je suis l’esclave de votre famille depuis deux générations. Je sais que l’âme de Vaactash vous favorise. Kuthsheth, encore sous le choc de la générosité de Makeda, s’inclina avec humilité. « Puisse-t-il guider votre acier ».

Makeda jeta le manteau d’esclave et entra dans le passage.

* * *

Il y avait six gardes dans le hall menant à la salle du conseil, mais cela n’avait pas d’importance. Le dernier d’entre eux s’était écrasé contre les doubles portes de la salle du conseil et dévalé les escaliers dans un bruit sourd et sanglant.

Les dirigeants de la Maison Balaash se levèrent d’un bond et saisirent leurs armes. Akkad se tenait devant la grande fenêtre donnant sur l’ouest, observant la bataille au loin. Il se retourna pour voir le garde déverser le reste de sa vie sur les escaliers de marbres. « Qu’est-ce que cela veut dire ? »

Makeda s’arrêta sur le seuil et examina la salle du conseil. La pièce lui avait toujours rappelé l’arène, sauf que ce sol en contrebas était destiné à être occupé par les dirigeants de la maison plutôt que par les gladiateurs, et les bancs de pierre étaient occupés par des personnes qui adressaient des requêtes au conseil plutôt que par des spectateurs assoiffés de sang.

Une trentaine de personnes étaient présente, des chefs de la Maison Balaash et de ses maisons vassales, ainsi que des représentants d’autres castes, comme le laudateur Shuruppak, le misérable qui avait renié l’exaltation à son père et bien sûr, Abaish, qui représentait les doloristes, puis de nombreux scribes et érudits. Toutes les personnes présentent poussèrent des jurons ou des soupirs. La garde personnelle d’Akkad abaissa ses lances et se précipita en avant, formant une masse blindée bruyante, pour se placer entre leur seigneur et la menace.

Makeda se tourna lentement, regardant toutes les personnes présentes dans les yeux. Beaucoup se dérobèrent et détournèrent le regard, d’autres le croisèrent, sachant que le moment était de venu de faire les comptes. Ceux-là étaient déchirés entre l’honneur et le devoir. Ils conservaient une partie de son respect. Excellent. Elle avait besoin de témoins. Elles tuerait tous les autres plus tard, et elle nota soigneusement qui tombait dans chaque camp.

« Je suis Makeda de la Maison Balaash ». Elle garda une voix froide et neutre. « Seconde Née de Telkesh assassiné, petite-fille du puissant Vaactash, et je suis venu reprendre ce qui m’appartient ».

Akkad sembla sans voix, mais le Tourmenteur Abaish, assis à sa gauche, se leva. « Comment oses-tu entrer dans cette maison ? Tu es une paria, une criminelle ! Tu as été exilée ! »

« Ainsi donc, le serviteur chuchotant retrouve sa voix ? Ne t’inquiète pas, doloriste. Je t’aurai », déclara Makeda. Abaish laissa tomber se épaule et baissa les yeux tout en essayant de se cacher derrière son frère. « Alors, Akkad, pouquoi prendre la peine de porter ton armure si tu es trop lâche pour diriger ton armée ? »

Les lèvres de son frère se retroussèrent en un rictus. « Je n’ai peur de personne ».

« Tu devrais être... »

« Tuez le traître ! » cria Abaish. « Tuez-la ! »

La garde d’élite de Cataphracte d’Akkad hésita. L’ordre n’était pas venu de leur archdominar, et Makeda lui en fut reconnaissant. Elle ne serait pas capable de combattre un datha entier de Cataphracte. « Seul un lâche enverrait ses guerriers faire quelque chose qu’il n’a pas eu le courage de faire lui-même ». Elle pointa les Épées de Balaash vers le coeur d’Akkad. « Akkad a assassiné l’Archdominar Telkesh avec du poison, le privant ainsi de la mort d’un guerrier digne de ce nom. Akkad est un lâche et un usurpateur. Son comportement déshonorant a fait honte à la Maison Balaash. Shuruppak, de la caste des laudateurs, est un hérétique, refusant à Telkesh assassiné son exaltation légitime afin de cacher les crimes d’Akkad ».
« Mensonges ! » Abaish était désespéré. Même si Makeda devait être tuée, les mots avaient été prononcés, l’accusation portée, et elle ne pourrait jamais être retirée. « Finis les mensonges ».

« Cherchez dans vos coeurs et sachez que je dis la vérité ». Makeda observa la foule en descendant les marches. « Vous êtes les chef de la Maison Balaash. Je suis dégoûtée de voir que les quelques honorables d’entre vous tolèrent cette ordure parmi vous. Voudriez-vous qu’un lâche prenne place dans notre Salles des Ancêtres ?

D’autres regards se détournèrent. Makeda se promit que ces derniers pleureraient d’amères et repentantes larmes avant la fin de cette journée.

Akkad se glissa entre ses cataphractes, les repoussant brutalement. « Vous osez menacer l’archdominar avec les lames de sa familles ? » L’un des ses serviteurs s’avança et présenta à l’archdominar sa lance de guerre personnelle. Il s’agissait d’une puissante arme qui portait également des parcelles des âmes de leurs ancêtres, et sa lame brillait d’une lumière pâle. « Je ne tolérerai pas cette insolence. Rends les épées de ma famille et je te ferai exécuter sans douleur. Résiste et tu souffriras... »

Makeda rit. « Tu penses me menacer de douleur, mon frère ? Je connais la douleur ».

« Tu ne sais rien ! » souffla Akkad.

« J’ai survécu au même poison que tu as utilisé pour tuer Père. Alors dois-moi ce que je ne sais pas, frère, parce que j’aimerais comprendre ta trahison avant de t’envoyer dans le Néant ».

« Tu me menaces ? Pendant une demi-génération, je me suis battu pour Vaactash. J’ai gagné bataille après bataille en son nom. J’ai écrasé nos ennemis et je les ai chassé devant moi J’ai incendiés des villes et me suis emparé de centaines d’esclaves. Pourtant, ils ne m’ont jamais écouté. Pendant un an, je me suis battu pour mon père, mais il t’a préféré. J’étais héritier ! Moi ! Tu es une enfante. Tu joues à la guerre. Tu parles de leçons qui n’ont plus d’importance et d’histoires de héros morts, mais ce ont pas tes paroles. Tu ne les as pas méritées ! Tu es faible, pathétique, minuscule ! »

« Mon seigneur ! N’en dites pas plus, s’il vous plaît » s’écria Abaish.

Elle continua à descendre lentement les escaliers jusqu’à ce qu’elle atteigne le sol en contrebas. « C’est tout ? Parce que pendant que tu parle, notre armée entre-tue. Pense à l’avenir de notre maison ».

« Tu ne comprends pas que ça n’a pas d’importance. Tout comme Telkesh, tu manques de vision ».

« Ça suffit », ordonna Makeda. La salle du conseil devint soudainement mortellement silencieuse. « Elle ordonna aux Cataphractes de s’écarter, ce qu’ils firent.

Désormais, il n’y avait plus que le frère et la sœur, rien d’autre entre eux que deux philosophies qui ne pourraient jamais être réconciliées Le glyphe de la Maison Balaash avait été profondément gravé dans le marbre sous leurs pieds. Akkad se tenait au sommet. Makeda se tenait à la base.

« Tu parles de nouvelles voies dangereuses. Elles ne sont pas les nôtres. Démontre ta conviction, Akkad. Je te défie dans un combat singulier ».

« À mort ». Akkad souleva la lance de guerre et la fit tourner sans effort. « Viens, ma sœur. Finissons-en ».

Ils se rencontrèrent au centre du glyphe.

La lance de guerre sifflait dans les airs. Makeda la bloqua d’un coup d’épée. L’impact projeta de l’électricité dans ses articulations. Elle frappa avec l’autre épée, mais Akkad tournoya et l’écarta avec la hampe. Des points de lumière, telle des grains de poussières, flottaient alors que les deux armes magiques s’entrechoquaient.

Akkad se déplaçait à une vitesse effrayante, il était plus grand, plus fort, et Makeda esquiva sur le côté alors que la lance de guerre arrachait un morceau de pierre du sol. Il s’élança, poignardant, et Makeda roula sur le côté au dernier instant. La lance transperça la poitrine d’un scribe. Akkad souleva le travailleur hurlant et jeta de la lame. Les membres des castes inférieures reculèrent, se bousculant pour atteindre les sièges les plus élevés. Des guerriers méprisants les écartèrent pour mieux observer le duel.

Makeda attaqua, déchaînée, ses lames s’abaissèrent, tranchant l’une après l’autre. L’une frappait tandis que l’autre s’élevait dans une pluie continue d’acier durci par les âmes. Akkad, souplement, reculait, sa massive lance de guerre détournant chacune des attaques. Il recula contre le mur du fond, puis posa une botte contre celui-ci et se propulsa sir elle.

Elle évita la lame, mais son épaule armurée la frappa à la poitrine et la projeta en arrière. Ses côtes craquèrent. Akkad balança sa lance de guerre sur le sol, mais elle parvint à sauter par-dessus. Akkad la suivit en tendant une main et en la pointant du doigt. Makeda n’était pas préparée à l’éclair de puissance qui sauta entre eux. Cela la frappa au flanc. Une énergie nauséabonde crépita à travers ses os, provoquant une douloureuse contraction de ses muscles. Elle fut repoussée, mais parvient à rester debout. Sa mortitheurgie est puissante.

Akkad se précipita en avant, désireux d’en finir avec elle, mais Makeda se concentra malgré la douleur crépitante et força ses bras à réagir. Les forces obscures furent rassemblées à travers son corps, canalisées et repoussées. Akkad sursauta lorsque son sort fut brisé. Makeda contre-attaqua prestement. Une épée détourna sa lance, tandis que l’autre frappait l’armure, puis la chair et enfin les os.

Ils se séparèrent, toute la longueur du glyphe de Balaash entre eux. Akkad jeta un coup à la sangle tranchée qui pendait sous sa spalière, puis du sang qui commençait à s’écouler lentement le long de son armure. Il pressa une main contre le blessure et grimaça en sondant la plaie. Ce n’était pas fatal, loin s’en faut, mais le message avait été envoyé, et Akkad avant ressenti la piqûre de l’acier Balaash.

Makeda se tenait debout, attendant, son plastron armuré brûlé et fumant. L’attaque d’Akkad l’avait blessée, mais cette douleur n’était rien.

Maintenant méfiant, Akkad retira sa main ensanglantée de la blessure et la plaça sur le manche de sa lance. Il se déplaça lentement, ses bottes glissant sur le marbre alors qu’il se plaçait en position, la pointe de sa lance inclinée vers le sol, prête à balayer et à éviscérer. Makeda leva ses épées, l’un protectrice devant elle, l’autre en position basse et prête à son flanc, une position que lui avait enseignée le Primus Zabalam il y a longtemps.

Ils attendirent, immobile, s’étudiant l’un l’autre, guettant le moindre signe de faiblesse, la moindre occasion de frapper. Deux guerriers, tous deux maîtres de leurs traditions martiales respectives, prêts.

Une minute s’écoula. Une autre.

Personne dans la salle du conseil ne faisait le moindre bruit. Tous étaient conscient qu’un seul mouvement mettrait fin au duel et déciderait du sort de la Maison Balaash.

Le bruit de plus fort dans la pièce était le ploc ploc ploc du sang d’Akkad décorant lentement le sol.

C’était ce crépitement de vie qui forcerait Akkad à agir en premier. Tel était le danger d’avoir une telle compréhension de l’anatomie et du pouvoir qui l’habitait. Le temps n’était plus de son côté, et chaque battement de coeur l’affaiblissait un peu plus. Makeda se déplaça, très légèrement et sa prise se resserra sur son épée. Un petit sourire se dessina sur son visage.

Le frère et la sœur frappèrent.

Ils se regardèrent dans les yeux. Cela aurait dû être l’un de ces moments d’illumination parfaite dont parle le code, réalisable uniquement à ce moment précis entre la vie et la mort, mais lorsque Makeda vit l’âme d’Akkad, elle ne vit que la tourmente, le manque de conviction, le doute dans les véritables voies de leur peuple, de leur famille…

Elle le jugea indigne.

La lame de la lance l’avait effleurée, détournée de justesse par une épée alors qu’elle s’était avancée à la portée de son frère. La pointe de son autre épée était dans le cou d’Akkad.

Makeda s’adressa lentement à son frère mourant : « Je t’aurai suivi. C’était à toi de gouverner. J’aurais fait tout ce que le devoir exigeait de moi. Je t’aurais suivi dans le Néant si nécessaire ».

Akkad tenta de parler, mais le sang qui coulait dans sa gorge ne lui permis pas d’émettre un son. Elle put voir qui comprenait encore ses paroles, et c’était ce qui comptait.

« Mais tu me croyais faible, malléable comme toi. Tu m’as mal jugée. Maintenant, tu dois te rendre seul dans le Néant ». Makeda tourna l’épée et l’enfonça dans le cerveau d’Akkad.

La véritable héritière de la Maison Balaash avait déjà gagné.

La nouvelle archdomina de la Maison Balaash retira son épée du crâne de son frère et s’éloigna du cadavre qui tomba. Akkad s’effondra et git, en un tas froissé, privé de toute sa gloire, son sang colorant lentement les interstices du glyphe de la maison gravé dans le sol.

Makeda leva les yeux du corps et fit le tour de la salle du conseil. Personne n’osa poser de question. Elle s’occuperait des traîtres bien assez tôt, mais il y avait des choses plus urgentes à faire. Elle se tourna vers l’officier le plus proche : « Ordonne aux cohortes de se retirer. Dis-leur que Makeda règne désormais sur la Maison Balaash et qu’elle déclare cette bataille terminée. Plus aucun des soldats ne sera gaspillé aujourd’hui ». Plusieurs guerriers montèrent les escaliers en courant pour faire passer le message. L’un des cataphractes ouvrit la grande fenêtre à l’ouest, tandis qu’un autre sortit un drapeau de signalisation vert, couleur qui ordonnait un arrêt complet. Il commença à l’agiter d’un côté à l’autre.

Le Laudateur Shuruppak rassembla ses volumineuses robes et dévala les marches en toute hâte, attrapant une pierre sacrale vide à sa ceinture. Makeda regarda le laudateur avec une légère incrédulité alors qu’il s’agenouillait à côté d’Akkad. « Que faites-vous ? »

« Akkad était l’un des plus grands guerriers de sa génération. Je dois préserver son âme- »

« Silence ». En se baissant, Makeda rassembla une poignée de la robe du laudateur. « Tu trahirais les idéaux de ta caste ? » Elle tira Shuruppak brutalement à ses pieds. Makeda éleva la voix, mais elle ne s’adressait plus au laudateur. « Que le nom déshonorant d’Akkad ne soit plus jamais prononcé dans les couloirs de la Maison Balaash ».

« Mais Akkad était- »

« Je n’ai pas dû être assez claire ». Makeda traîna le laudateur devant le cataphracte avec le drapeau de signalisation et jeta Shuruppak par la fenêtre. On entendit son cri durant quelques secondes, mais ils étaient trop haut pour entendre l’impact.

Se retournant vers le conseil, Makeda éleva la voix. « Le nom de mon frère sera rayé de toutes les histoires ». Plusieurs scribes ouvrirent immédiatement leurs parchemins, encrèrent leurs plumes et commencèrent à furieusement effacer des noms. « Et quand à ses camarades conspirateurs... » Makeda jeta un coup d’oeil à Abaish, qui était accroupi sur un banc de pierre, semblant envisager de sauter de sa propre initiative par la fenêtre. « Allez chercher mes tourmenteurs. Allez chercher tous mes tourmenteurs. Ils vont être occupés ».

Makeda se dirigea vers la fenêtre. Au loin, des cornes retentissaient. Le drapeau vert avait été aperçu. Les combats cesseraient, et, avec un peu de chance, avant que le sang des Balaash n’ait été versé pour les affaiblir devant les autres grandes maisons.

La fumée s’élevait en colonnes sur champ de bataille. À cette grande distance, les individus n’étaient rien de plus que de minuscules points en mouvement, seules les puissantes bêtes de guerre pouvaient être distinguées pour ce qu’elles étaient réellement. Ce n’étaient rien d’autre qu’une masse tourbillonnante de couleurs, de rouge et d’or, de mort et de vie, le tout sous une tour noire s’étendant.

Elle regarda la fumée monter dans le ciel clair et se demanda si elle pouvait voir comme le faisait les laudateurs avec leurs yeux de cristal, si le flux d’âmes dans le Néant ressemblerait à cette fumée dérivant vers rien ? Lorsque la caste ouvrière raffinait les impuretés du métal, elle devait le torturer par le feu. La faiblesse avait été brûlée et ce qui restait était raffiné.

Sauvé.

« C’est pour cela que je me bats », prononça à voix haute l’Archdomina de la Maison Balaash.

Grand-père disait qu’un guerrier ne promettait rien. La Maison Balaash ne chuterait pas aujourd’hui, et elle ne chuterait pas non plus tant qu’elle vivrait, et aussi longtemps que la Maison Balaash demeurerait la plus grande de toutes les maisons, les skorne continueraient d’être d’incessants instruments de guerre.

* * *

L’Archdominar Vaactash avait transmis une grande sagesse à Makeda enfant cette nuit-là dans la salle des ancêtres. Il lui avait enseigné, l’avait même félicitée pour son dévouement envers l’hoksune et l’avait mise en garde quant à sa place dans la hiérarchie de leur maison. Cela avait été une soirée bénie, dont elle se souviendrait toujours, et maintenant elle avait été renvoyée.

Makeda se tenait parfaitement immobile, incertaine, fixant l’immense Vaactash et la statue encore plus grande que lui qui se trouvait derrière lui. Elle n’était pas tout à fait prête à se frayer un chemin dans l’obscurité de la salle des ancêtres, et il restait une chose que l’archdominar avait mentionnée et qu’elle s’était toujours demandée. Elle prit son courage à deux mains pour parler. « Grand-père, j’ai une question à te poser ».

Vaactash se détourna de la grande statue qui abriterait un jour son âme et se tourna vers elle, curieux de savoir pourquoi elle ne s’était pas enfuie lorsqu’on lui en avait donné l’occasion. « Oui, je vais autoriser cette question. Parle ».

« Parlez-moi des dieux que nous n’avons pas ? »

Le plus grand guerrier de leur peuple croisa les bras. « Tu pose des questions difficiles, mon enfant ».

« Oui ».

« Lyoss avait des dieux... » Vaactash caressa son long menton tout en réfléchissant à sa réponse. « Il y a des terres au-delà de l’Abîme, au-delà des Terres des Orages, et même des terres au-delà des lieux où habitent les géants. Nous vivons dans un pays sans ingérence des dieux, mais y a-t-il encore des dieux dans ces autres terres obscures ? Je l’ignore Et s’il y a des dieux là-bas, y a-t-il encore des gens qui les vénèrent ? »

« Seuls les exilés sont allés au-delà des ces lieux, grand-père. Ils sont un mystère pour nous ». C’était une pensée assez étrange, mais elle était assez intelligente pour en tirer une conclusion logique. « Mais s’il y en a d’autres, et qu’ils ont encore leurs propres dieux, alors ils doivent être tendres, probablement habitués à compter sur l’aide divine. Pas du tout comme les skorne ».

« En effet. Réfléchis donc à cela, mon enfant. Nous devons toujours faire la guerre parce que notre salut en dépend… Mais si l’occasion se présentait, et si nous pouvions faire la guerre à quelqu’un d’autre ? »

Makeda y réfléchit, et la réponse soudaine la frappa comme une lance de guerre en plein coeur. « S’il y avait une maison étrangère, nous pourrions avoir un tout nouvel adversaire. Nos peuples n’auraient pas besoin de se faire la guerre. Faire la guerre à un nouvel ennemi offrirait sûrement des opportunités d’exaltation à toutes nos maison ! » Cette idée lui coupa presque le souffle.

« Cette idée n’est qu’une fantaisie, mais imagine-la avec moi, Makeda. Tous les skorne, toute la caste des guerriers, toutes les maisons, unis dans une glorieuse conquête. C’est magnifique… Que tes rêves soient de guerre, Makeda ».

« Que tes rêves soient de guerre, grand-père ».

* * *

Deux générations s’étaient écoulées, mais les leçons de Vaactash ne la quitteraient jamais. Ses paroles étaient aussi ancrée dans Makeda que le code lui-même. Dix ans s’étaient écoulés depuis la mort de son grand-père sous les défenses d’une grand bête des plaines, mais elle se retrouvait toujours à faire appel à sa sagesse dans les moments de lutte. Elle était désormais l’archdomina et avait mené sa maison à travers d’innombrables batailles. Les Épées de Balaash étaient rangées à ses côtés. Des éclats de la pierre sacral de son grand-père faisaient partie des éléments qui renforçaient les puissantes lames. Bien que seul un laudateur puisse entrer en contact avec les morts exaltés, Makeda avait toujours l’impression que Vaactash était là pour la guider avec sa sagesse.

« Archdomina, je crains que les nouvelles ne soient pas bonnes. Trois autres maisons occidentales sont tombées devant l’envahisseur venu de l’ouest. Deux des maisons méridionales ont plié le genou et offert leur fidélité plutôt que de se battre. Les rang de l’armée de l’envahisseur se sont étoffées ».

« L’envahisseur ne ressemble à rien de ce que nous avons vu auparavant. Il a écrasé toutes les cohortes qui se sont dressées sur son chemin ».

La salle du conseil de la Maison Balaash demeura silencieuse à mesure que ces paroles étaient prononcées. Makeda s’éloigna de ses conseillers et traversa le glyphe Balaash ornant le sol. La tache avait été nettoyée il y a plus d’une génération, mais elle pouvait encore sentir un frisson à l’endroit où son anonyme de frère était mort il y a si longtemps.

Les nouvelles en provenance des tors occidentaux avaient été troublantes, mais cette nouvelles informations était encore pire. Les maisons divisées étaient systématiquement conquises. C’était ce dont Vaactash avait parlé il y a si longtemps. Il y avait des terres au-delà de la leur et maintenant un guerrier d’une puissance incompréhensible était venu de ces terres, soumettant systématiquement son peuple.

« Nous sommes la dernière grande maison se dressant sur son chemin... » dit l’un de ses tyrans.

Et si nous chutons, tout notre peuple sera dominé.

« Quel est le nom de ce conquérant ? »

« On dit qu’il s’appelle Vinter Raelthorne ».

Se déplaçant lentement, Makeda se dirigea vers la fenêtre et regarda vers l’ouest. Des nuages menaçant s’étaient accumulés au-dessus des plaines. L’honneur de la Maison Balaash – l’honneur de tous les skorne – pesait sur ses épaules. C’étaient des moment comme celui-ci que le dévouement d’un guerrier au code étais mis à l’épreuve.

Grand-père, que voulez-vous que je fasse ?

* * *

17
PARTIE TROIS

Les Épées jumelles de Balaash avaient été placées avec respect sur le sol de pierre devant elle, tandis que Makeda s’agenouillait pour méditer. Parfois, elle enviait les laudateurs et leur capacité à communier avec les morts exaltés, car les épées étaient silencieuses à ses oreilles. Les heures avaient passé, mais les réponses lui échappaient toujours. Si seulement elle pouvait vraiment connaître la sagesse de ses ancêtres, peut-être que le choix entre les exigences de l’honneur et le potentiel avenir de sa maison ne serait peut-être pas si difficile.

Ils étaient au sommet du Massif des Brumes et l’air de la chambre la plus haute de la plus haute tour de la forteresse semblait en permanence glacial. La respiration mesurée de Makeda laissait des nuages de vapeur dans l’air. Le soleil se lèverait bientôt, et quand il se lèverait, son armée aurait besoin d’être dirigée.

Elle entendit un bruit derrière elle, une respiration traînante et sifflante dans les escaliers. Makeda n’eut pas besoin de regarder pour savoir qu’il s’agissait de l’Aptimus Haradum. Le vieille laudatrice avait pris l’habitude de venir la voir. « Archdomina Makeda ? » appela-t-elle.

« Ce n’est pas mon titre, Haradum ».

« Vos guerriers semblent penser que c’est le cas ».

Makeda fixa ses épées. « Ils croient que je suis plus que je ne le suis ».

Haradum souffla et se dirigea vers la chambre. « Il y a tellement d’escaliers et il fait si froid ici. Cet endroit à dû être construits par des nihilateurs  désireux de souffrir. J’ai de la chance que notre jeune dakar avec l’écorcheur m’ait permis de passer. Je crois qu’il s’est désigner pour être votre garde personnelle ».

« Urkesh ? » demanda Makeda. Elle ne savait pas que le Venator l’avait suivie.

« Oui, oui. Il prend le dernier ordre du Primus Zabalam très au sérieux. J’ai d’ailleurs récupéré l’âme de Zabalam. Il a tué vingt guerriers avant de se prendre une lance dans la gorge ». Elle tapota une pierre brillante enchaînée à son tablier. « Il fera un excellent compagnon vénéré pour Vaactash ».

Makeda fut surprise par la soudaine oppression de sa poitrine. Elle dissimula cette réaction physique et hocha la tête en signe d’approbation. « C’est un choix judicieux ».

« Quant au jeune Venator, après que vous ayez été empoisonnée, il a perdu le contrôle du ferox. Les bêtes rusées n’ont aucune patience envers les maîtres non entraînés. Il vous a porté sur son dos pendants des kilomètres jusqu’à atteindre votre decurium. Il ne vous a jamais quitté pendant tout le temps où vous étiez rongée par la fièvre.

« Je n’étais pas au courant ». L’engagement d’Urkesh envers sont devoir était louable. Peut-être était-il possible d’honorer l’hoksune sans regarder les yeux d’un guerrier quand on le tue.

« Qu’est-ce qui vous préoccupe, Makeda ? »

« J’ai une décision à prendre, mais le code ne m’apporte pas de clarté sur cette question. Je n’aime pas être incertaine ».

« Vous avez toujours eu le sens de la clarté. Comme le disait Vaactash, quand un titan te poursuit, ne tergiverse pas, choisis une direction et cours ! »

Cela ne ressemblait pas du tout à ce que son grand-père aurait dit. « Je voudrais te demander une faveur, Aptimus ».

« Je suis conscient de ce que vous cherchez et j’ai déjà une réponse pour vous. Pendant que vous luttiez contre la fièvre, j’ai tenté de communiquer avec l’essence de l’esprit de votre grand-père au sein de vos épées. Une telle tâche est pénible et difficile, et parfois nos ancêtres exaltés ne daignent pas répondre. Parfois, ils savent que les vivants doivent chercher la sagesse par eux-mêmes. Il n’y en qu’une brève communication ».

« Qu’a-t-il dit ? »

« Le véritable héritier de la Maison Balaash a déjà gagné ».

Makeda ne fut pas surprise. Ce n’était pas le genre de Vaactash d’offrir une issue facile. « Akkad est l’aîné, c’est donc son droit légitime de régner ». Cependant, si un héritier est jugé inapte, et je crois que ses meurtres déshonorants et lâches... »

« N’oubliez pas le blasphème ! »

« Bien sûr ». Makeda réprima un petit sourire. « Cela aussi. Ces choses prouvent qu’il est indigne de diriger la Maison Balaash. C’est donc à moi de lancer un défi. Il est de mon devoir de le vaincre en combat singulier et d’assumer le rôle d’archdomina ».

« En supposant bien sûr que vous puissiez vaincre le meilleur guerrier de sa génération en duel, mais cela n’a plus d’importance maintenant, n’est-cepas ? »

« Akkad ignora mon défi et me fera tuer. Quelqu’un d’aussi déshonorant ne risquera pas son trône. Akkad m’a déclaré paria. Officiellement, mon statut est inférieur à celui d’un esclave ».

« La plupart des esclaves n’ont pas leur propre armée ».

« Oui. Et si je fais marcher cette armée vers le sud, quelque part dans les plaines au nord de Halaak, nous affronterons le reste de la Maison Balaash. Des milliers et des milliers de personnes mourront ».

« Ce sera glorieux ». Haradum  brandit l’un de ses poings osseux en l’air. « À la guerre ! À la guerre ! Le sang coulera à flots ! »

Makeda soupira. « Le problème d’une guerre civile, c’est que quel que soit le vainqueur, la Maison Balaash perd. Le vainqueur n’a aucune importance. Nous régnerons sur une maison affaiblie et prête à être conquise par nos voisins. La Maison Balaash a trop d’ennemis pour que nous puissions détruire notre armées et espérer survivre ».

« Oui, oui ». Haradum hocha la tête. « Peut-être devriez-vous accepter votre titre de paria et errer dans les déserts pour le reste de vos jours. J’ai entendu dire que l’Abime est tout à fait fascinant à voir ». Le rire d’Haradum résonna telle des os secoués dans un sac en cuir sec.

« Mon sort m’importe pas, Aptimus, mais seulement celui de ma maison. Est-il préférable qu’un démon blasphémateur règne plutôt que je déclenche une guerre qui mettra fin à la Maison Balaash ? Ma maison va-t-elle pourrir sous le règne d’un archdominar déshonorant ? J’appartiens à la caste des guerriers. Je dois me battre pour le bien de ma maison ».

« C’est pour cela que vous vous battez ? »

Makeda marqua une pause. C’était une question simple avec une réponse compliquée Pourquoi se battait-elle ? Pourquoi les skorne devraient-ils se battre ? Elle repensa au moment où elle avait compris le raisonnement derrière cette question, dans une salle remplie d’ancêtres silencieux…

Et puis Makeda eu sa réponse. Merci, Grand-père.

« Sais-tu quel est le mot le plus grossier de tous, Haradum ? »

« Sûrement quelque chose concernant les rhinodons. Ce sont des choses odieuses avec des habitudes de reproduction dégoûtantes ! »

« Le mot le plus grossier est paix ». Makeda s’empara de ses épées et se leva. « Viens. Je dois préparer les guerriers. Nous marchons ».

La vieille laudatrice poussa un cri de joie. « Beaucoup seront exaltés, j’en suis sûr ! » Haradum gloussa et tapota l’une des nombreuses pierres sacrées vides qu’elle portait comme des bijoux, sachant qu’elle serait bientôt remplie. « À la guerre ! À la guerre ! »

* * *

Durant le voyage vers le sud, le corps de Makeda guérit, mais son esprit était en ébullition. La nuit, le sommeil ne venait pas, et quand il venir, il apportait d’inquiétants rêves d’ancêtres désapprobateurs et de la Maison Balaash en flammes.

Sa cohorte s’agrandissait. De nouveaux guerriers la rejoignaient de jour en jour. Des simples hestatiens des plaines portant des armures cousues à partir de peaux de titans, des Cataphractaires bardés d’acier de la taille des gardiens ancestraux, des nihilateurs avec des crochets de douleurs barbelés enfoncés dans leur chair, des Venators armés de frondes et de fioles remplies d’acide corrosif, de riches et puissants tyrans possédant des écuries de warbeasts.

Des vétérans s’agenouillaient devant elle. De grands chefs lui présentaient leurs épées ou leur mortitheurgie et juraient de se battre en son nom. Elle formait de nouveaux datha et taberna, promouvait des guerriers pour les diriger, donnait des ordres de bataille et veillait à leurs besoins logistiques. Ils se déplaçaient rapidement et avec peu de moyens, se contentant de leur endurance innée plutôt que de rations suffisantes. Le jour, Makeda apprenait à équilibrer la politiques, les querelles et les petites ambitions des guerriers en compétition, et la nuit, elle rêvait de guerre.

Les guerriers venaient pour diverses raisons. Certains par loyauté envers Telkesh, ou par croyance au code, ou par dégoût du déshonneur de perdre un archdominar à cause d’un poison, ou de vassaux ayant décidé de soutenir un héritier plutôt qu’un autre, d’autres qui souhaitaient simplement une bataille digne de leurs compétences. Mais quelle que soit la raison, ils continuaient à se joindre, et plus ils se dirigeaient vers le sud, plus son armée devenait forte.

Une semaine après avoir quitté les Brumes, son armée était devenue suffisamment nombreuse pour constituer une réelle menace pour les forces d’Akkad. Elle estimait que près d’un quart du sabaoth total de la maison Balaash était son commandement. Une armée si nombreuse, en fait, que si elle devait s’avouer vaincue, la bataille serait suffisamment importante pour détruire toute l’armée de la Maison Balaash.

Pour l’une de seules fois de sa vie, Makeda comprit ce qu’était la peur.

Elle ne craignait pas pour elle-même. Si elle était prise en défaut, qu’elle soit jetée dans le Néant avec le reste des échecs. Cela n’avait pas d’importance. Makeda craignait pour l’avenir de sa maison.

Ancêtres si je dois être vaincue, que ce soit rapidement, afin que ma maison soit épargnée.

Chaque nuit, elle consultait ses officiers et écoutait les tacticiens élaborer leurs plans. Trop de ces projets se soldaient par un massacre qui aurait conduit à la destruction de sa maison. Elle s’entretint avec chacun de officiers individuellement, cherchant des idées qui lui permettraient d’accomplir sa mission tout en laissant la grande armée de Balaash relativement intacte.

Pourtant, ce ne fut pas l’un des puissants chefs de guerre qui proposa une solution possible à son dilemme.

Ce fut un esclave.

* * *

« Je ne vois pas la bannière personnelle d’Akkad parmi la horde », déclara Urkesh en déplaçant son regard d’un côté à l’autre, cherchant soigneusement des cibles. « Il n’a pas pris la peine de venir en personne ».

Le Venator s’était avéré avoir la vision la plus perçante de tous ses officiers, alors Makeda était encline à le croire. « Je ne devrais pas être surprise ». Il lui était difficile de ne pas laisser transparaître le dégoût dans sa voix. « Mais je suis déçu ».

La brume matinale s’était levée du lac et un faible brouillard planait sur les plaines. Makeda avait passé la majeure partie de sa vie dans cette région. Elle le savait bien. D’ici quelques heures, le soleil se lèverait suffisamment pour percer le brouillard, mais d’ici là, l’air serait immobile. À l’est, une mer infinie de rouge et d’or traversait la grisaille. La majeure partie de la grande armée de la Maison Balaash était déployée devant elle, fortes de millier d’hommes. À quelques kilomètres derrière cette armée, elle pouvait voir la Maison Balaash en personne, autrefois sa maison et maintenant son objectif. Derrière elle se trouvait une plus petite armée composée de guerriers croyant que l’honneur signifiait quelque chose. Au nord s’étendait la longue étendue bleu cristal du Lac Mirketh. Au sud, des plaines ouvertes s’étendaient ur des kilomètres avant d’atteindre la grande ville d’Halaak.

C’était un endroit idéal pour une guerre civile.

Makeda et Urkesh s’étaient arrêté au sommet d’une petite colline pour observer l’opposition. Le reste de son était-major gravissait la colline pour tenir un conseil avant le début de la bataille. Il lui avait fallu un mois pour se déplacer vers le sud depuis le Massifs des Brumes. Pendant ce temps, ils avaient rencontrés quelques petites cohortes de loyalistes à Akkad, mais n’avaient pas eu à combattre sérieusement. À en juger par la grande force qui les attendait, cela était sur le point de changer.

Cela n’avait pas d’importance. Makeda avait considéré ces officiers et les avait jugés dignes. Les guerriers de la Maison Balaash qui croyaient au hoksune et aux traditions de leurs ancêtres avaient afflué versa sa bannière. Malgré une infériorité numérique de trois contre un, la victoire lui appartiendrait. La véritable question était de savoir si la Maison Balaash survivrait longtemps après le massacre nécessaire pour remporter une telle victoire.

La potentielle chute de sa maison l’avait empêchée de dormir chaque nuit pendant le voyage. « Je le craignait. J’avais espéré qu’il se montrerait. Maudit soit Akkad. Cela complique les choses, Urkesh ».

« Je comprends ».

« Vous comprenez ? » Makeda jeta un coup d’oeil à son subordonné. Le Venaor l’avait à peine quittée depuis le début de leur marche. « Vous supposez beaucoup, Dakar. Je sais ce que je dois faire, mais pour réussir, je crains de devoir me comporter de manière aussi déshonorante que mon frère ».

« Un Vénator passe tellement de temps à regarder des cibles au loin qu’il lui arrive souvent de ne pas se concentrer sur ce qui est proche ». Urkesh l’étudia un instant. « Je sais ce qui vous contrarie. Le fardeau se lit sur votre visage, Archdomina ».

« Ce titre n’est pas encore mien ».

« Il ne m’appartient pas de vous contredire, mais si c’était le cas, je dirais que vous avez tord. Vous n’avez rien à voir avec votre frère. Il brûlerait votre maison pour la gouverner, mais vous vous suicideriez pour la sauver. Cette armée vous suit parce que vous incarner le code de l’hoksune. Vous êtes la véritable héritière de la Maison Balaash, bien plus que votre frère ne pourrait l’espèrer, et ces guerriers le savent ».

Sa caste n’affichait pas ouvertement ses émotions, alors Makeda fit un petit signe de tête respectueux au Venator. « Ils me suivent parce qu’ils respectent le code. Alors pourquoi êtes-vous ici, Urkesh ? »

Il haussa les épaules. « Le code a différentes significations selon les guerriers. Ce n’est pas parce que je ne suis pas doué que je n’y crois pas ».

« Vous êtes plus sage que vous en avez l’air ».

« Merci, Archdomina ». Urkesh retourna surveiller l’armée adverse. « Où te caches-tu Une Oreille ? » Urkesh la regarda et sourit. « Je ne pense pas que cela vous dérange que je l’appelle ainsi maintenant ».

Makeda soupira. « Ne me tentez pas. Vous décapitez pourrait encore remonter le moral ».

L’incorrigible Venator gloussa. Les autres officiers les ayant rejoints, Urkesh cacha un léger sourire par une subtile toux. « Puisque Akkad dit à tout le monde que notre armée n’est qu’une rébellion mineure, il a apparemment décidé que nous ne méritons pas son attention. Akkad ne nous gratifie pas de sa présence ».

Ses officiers observèrent la grande horde qui les attendait. « Mener depuis l’arrière ? Ce n’est pas ainsi qu’Akkad a été éduqué », murmura le Primus Tushhan des Cataphractes. « J’ai servi Telkesh et Vactaash avant lui. Ils n’auraient jamais fait une chose aussi lâche ».

L’Aptimus Haradum avait grimpé la colline avec les officiers. « Pas lâche, rusé », ajouta-t-elle. « Akkad est un homme rué. Il sait que sa sœur prendra la voie le plus direct et le plus honorable. Son absence est le choix politique le plus opportun ». Parfois, Makeda soupçonnait que la vieille laudatrice n’était pas aussi folle qu’elle voulait que tout le monde le pense, mais Haradum se mit à glousser de joie, levant tout doute. « La Maison Balaash sera vidée de son sang avant que vous ne le fassiez sortir de sa coquille. Les laudateurs se seront rassemblés de partout dans le pays ! Tant de gens vont mourir ! Tout le monde va mourir ! Ce sera glorieux ! »

Makeda ignora la laudatrice folle et s’adressa à ses officiers. « Je ne peux pas défier Akkad s’il n’est pas présent. S’il était ici, il devrait accepter et risquer une éventuelle défaite, ou refuser et être déshonoré. J’espérais qu’il aurait assez d’honneur pour venir m’affronter ».

Le jeune et gigantesque Cataphracte de la maison vassale Kophar eut un rire profond et chaleureux. « Faîtes attention à ce que vous souhaitez. Je me suis entraîné contre Akkad. C’est un puissant guerrier, le meilleur de notre génération. Je ne veux pas remettre en question vos compétences avec les lames et ne pas vous offenser, mais sachez qu’Akkad est l’un des plus grands combattants que j’ai jamais vu ».

Tous les officiers ayant combattu aux côtés d’Akkad acquiescèrent solennellement. Même ses guerriers les plus loyaux comprenaient que l’honneur seul ne lui permettrait pas de survivre à ce duel mais ils la suivaient quand même.

« Non pas que je n’apprécierais pas de vous voir vous battre en duel, mais je ne suis pas venu d’Halaak pour repartir sans une véritable bataille ». Seul un petit contingent de volontiers de la Maison Kophar avait rejoint ses forces, mais ils étaient réputés pour leur taille, férocité et force.

« Ne vous inquiétez pas, Premier Né Xerxis. Vous aurez votre combat, mais il vaut mieux verser mon propre sang que de laisser notre maison sans armée pour la défendre. J’ai l’intention d’en finir rapidement ». Le moment était venu de faire part de son plan. Il serait controversé, mais il était nécessaire. « Dites-moi, noble cataphracte. Votre maison parle-t-elle encore de la façon dont mon grand-père vous a conquis ? »

Xerxis fronça les sourcils, n’aimant pas avoir à admettre que sa famille avait déjà été battue. « Bien sûr qui oui. Chacun d’entre nous étudie les batailles dans les moindres détails ». Il croisa ses épais bras. « Il n’y a pas de déshonneur à perdre contre le plus grand tacticien de tous les temps ».

« Bien sûr que non. Lorsque Vaactash est parti en guerre contre la Mason Kophar, vos guerriers l’ont impressionné, à tel point qu’il a décidé que c’était du gâchis de les tuer. Je me souviens qu’il m’a raconté l’histoire : pourquoi tuer ces guerriers qui pourraient si bien se battre en mon nom ? Vaactash a donc concentré ses forces sur votre dominar, l’a vaincu et a ajouté les fiers Cataphractes de Kophar à sa propre armée, nous renforçant tous ».

Cela sembla apaiser l’héritier de Kophar. Le reste de ses officiers hochèrent la tête. « Que proposez-vous alors ? » demanda Xerxis.

« Ce que Vaactash a fait à la Maison Kophar fut d’une grande sagesse. Je ne veux pas que la Maison Balaash soit détruite. Je ne satisferai pas mon honneur pour voir la Maison Muzkaar ou Telarr s’asseoir sur notre trône d’ici un an. Comme Vaactash l’a dit, pourquoi tuer ceux qui seraient capables de se battre avant tant d’habilité en mon nom ? Oui, vous combattrez ici aujourd’hui, mais recherchez rapidement votre exaltation, car vous ne combattrez que le temps nécessaire pour que j’atteigne Akkad ».

« Il y une très grande armée se tenant entre vous deux », fit remarquer Tushhan.

« En effet, mais Haradum a dit la vérité. Akkad s’attendra de moi que je fasse ce qui est honorable et direct. Il sait que l’honneur exige ma place ici, à la tête de cette cohorte. Pourtant, je me souviens des leçons de mon maître d’épée. Montrez une larme à votre ennemi et tuez-le avec l’autre. Makeda regarda vers les eaux du Lac Mirketh. « Aujourd’hui, vous serez la première épée. Je serai la seconde ».

* * *

18
La douleur débutait dans ses côtes et se propageait à partir de là. Ce fut d’abord un picotements dans les nerfs, puis une crispation de muscles, et enfin un éclair dans les veines et les artères. Sa mortitheurgie identifia rapidement la cause. Les dagues des coureurs de sang avaient été traitées avec un puissant poison, mais elle fut submergée si rapidement qu’elle ne put rien faire d’autre que crier.

Chaque mouvement du ferox envoyait des onde de douleur à travers son corps. Chaque secousse et chaque rebond faisait grincer ses articulations comme si elles étaient remplies de verre brisé. L’air dans ses poumons bouillonnait comme de l’acide, rongeant sa chair.

Les plaines nocturnes s’évanouirent dans l’obscurité alors qu’on l’a privait de la vue. Elle ne pouvait plus contrôler leur monture. Ses membres ne répondaient pas à ses ordres, et chaque effort pour les mouvoir augmentait la douleur.

C’était plus qu’un poison. C’était un être vivant, né causer pour de la souffrance.

À un moment donné, elle glissa de la selle et s’écrasa par terre. Elle eut l’impression d’être amortie par rapport à la douleur qui cascadait sans son corps, mais même là, le poison découvrit ce petit soulagement et l’éteignit. Le sol sembla devenir plus chaud jusqu’à ce que chaque parcelle de terre se cramponnant brûle telle de la lave. Urkesh la souleva sur le ferox. Il dit quelque chose à propos de ses poursuivants, mais ce fut trop difficile à entendre à cause de l’ouragan dans ses oreilles. La douleur la faisait halluciner et ses doigts lui transperçaient la peau telle les aiguilles de son écorcheur.

La douleur n’en finissait pas. Le temps perdit tout signification. La réalité avait été remplacée par un monde qui n’était qu’agonie, et d’une certaine manière, Makeda savait qu’elle ne tenait qu’à un fil au-dessus du Néant. Tout ce qu’elle avait à faire était de trancher ce minuscule fil de vie et elle pourrait plonger dans le Néant. Il faisait froid dans le Néant, mais le froid éteindrait le feu qui la consumait. Elle pouvait voir son père dans le Néant. Le poison, la chose maléfique et sentiente, lui avait fait subir le même sort, jusqu’à ce qu’il coupe le fil et accueille le vide.

D’une manière ou d’une autre, la douleur s’était aggravée et, malgré tout cela, l’unique morceau du monde réel qui lui restait était la présence des Épées de Balash et le petit éclat de l’esprit de son grand-père les alimentant. Malgré l’agonie, ses ancêtres exaltés étaient toujours présent. Ils l’aidaient à comprendre.

Ce poison avait été conçu pour tuer les mortitheurges, préparé pour défaire les corps, corrompre les volontés et briser les esprits. Le poison normal était inutile contre quelqu’un pouvant retarder la mort ou manipuler le sang et les tissus. Comment pouvait-elle combattre un tel ennemi. Elle s’approcha de son Pouvoir, mais celui-ci fut balayé par les vagues d’agonies s’abattant sur elle. Plus elle essayait, plus il lui infligeait de la douleur en punition. Il chuchota que seul le froid du Néant pouvait la sauver.

Soudain, une gigantesque statue de pierre noire la surplomba, lui offrant un chemin pour s’éloigner du Néant. Le visage stylisé de Vaactash ne bougea pas tandis qu’une pensée lui parvenait à l’esprit. « Qu’est ce que tu murmures, mon enfant, quand la douleur devient trop forte ? »

Et puis les paroles virent.

La souffrance nettoie la faiblesse de mon être. Adhère au code et je deviendrai digne.

La souffrance était la clé. Elle ne pouvait pas atteindre son Pouvoir parce qu’elle était faible.

Son Pouvoir était toujours là, toujours prêt à être employé, elle avait seulement besoin d’être assez forte pour s’en emparer. Elle devait passer par la douleur, par l’effritement de l’âme et de l’esprit. Laisser la mort venir. Que son coeur s’arrête, mais pendant ce court laps de temps, alors qu’elle se précipiterait vers le Néant, elle prendrait ce qui lui revenait de droit.

Makeda accueillit le poison et lui dit de faire le pire, car elle était skorne et jamais elle ne se briserait.

* * *

La douleur avait disparu. Il ne restait que le souvenir de celle-ci.

Où suis-je !?

Les murs étaient faits de roches, ébréchés et ciselés jusqu’à ressembler à une pièce. Une seule lanterne était suspendue à un crochet en laiton encastré dans le mur, la majeure partie de l’espace demeurant caché dans l’obscurité.

Est-ce un donjon ? Ai-je été capturé ?

Pourtant, lorsqu’elle bougea, elle découvrit qu’elle n’était pas enchaînée. Elle sentit la pierre froide sous sa paume avant de réaliser que son corps reposait sur un tas de fourrures sombres. Son armure manquait et elle ne portait qu’une fine robe grise. Elle remarqua un tissu taché de sang à proximité, sur lequel reposait une multitude d’outils, de minuscules lames, des pinces, des crochets et des pointes, des aiguilles et du fil, des bouteilles de potions et des sacs d’herbes. Bien que similaires, il ne s’agissait pas des outils d’un tourmenteur causant des blessures, mais plutôt ceux d’un chirurgien qui les soignait. Les bandages tirèrent alors qu’essayait de s’asseoir. Quelqu’un avait soigné ses nombreuses blessures.

Où sont mes épées ? Il y eut un bref éclair de panique avant qu’elle ne les aperçoive, rengainées et appuyées contre le mur. Makeda poussa soupir de soulagement. La mort était de loin préférable à la perte de ses épées familiales. Merci aux ancêtres. Quelque chose s’agita dans l’obscurité. Il y avait une silhouette, et il fallut un moment à Makeda pour distinguer celle d’un skorne portant l’armure légère des Venator, avec un écorcheur posé sur ses genoux.

Sa gorge lui faisait mal. « Où suis-je ? » Les paroles étaient si rauques que Makeda ne reconnut pas sa propre voix. Elle n’avait pas l’impression d’être sous l’emprise du fouet, mais plutôt que sa gorge était à vif et desséchée, comme si elle avait crié pendant des heures.

Le guerrier dans l’ombre se leva rapidement. « Elle s’est réveillée », dit-il à voix haute, sa voix semblant résonner dans la chambre. « Makeda est vivante ».

« Je suis fatiguée d’entendre dire cela comme si c’était une sorte de surprise ». Parler faisait mal. Elle se réjouit de cette petite douleur qui l’aidait à chasser le sommeil de son esprit. Elle avait vécu une véritable agonie, désormais, mes douleurs mineures ne seraient qu’un outil de plus. « Que c’est-il passé ? » Makeda se redressa, mais l’effort lui fit perdre la tête.

Le silhouette dans l’obscurité était Urkesh, et il se précipita à ses côtés. « Ne luttez pas ». Il l’attrapa par les épaules et la reposa sur les fourrures. C’était une insulte que quelqu’un d’une caste inférieure la touche sans autorisation, mais il était évident qu’il ne s’agissait pas d’une intention offensante. « Les lames de ces assassins étaient empoisonnées. Vous avez failli mourir ».

Poison… une arme de lâches et de traîtres. « Akkad. Il a empoisonné Telkesh ».

D’autres voix se firent entendre dans la caverne. Des pas d’armures résonnèrent. D’autres silhouettes apparurent. Elle aurait dû les reconnaître, mais sa vision se brouillait. Cependant, elles portaient les couleurs de la Maison Balaash. Certaines d’entre elles portaient leurs propres lanternes, et elle put maintenant voir que la pièce était bien plus grande que prévu, avec des fenêtres recouvertes d’épais rideaux marron. Une petite silhouette voûtée se déplaçait entre les skorne, beaucoup plus grand. « Ils en sont conscients. Je leur ai dit. La plupart y ont même cru ».

Haradum ? « Alors, vous avez survécu aux assassins, enseignante doyenne. Bien ».

« J’ai suivi votre cohorte pendant des jours, même après que les loyalistes d’Akkad aient abandonné la poursuite ».

« Jours ? » Son corps était faible, mais elle n’avait pas l’impression d’avoir dormi depuis des jours. « Depuis combien de temps suis-je malade ? »

« Dix jours et dix nuits. Je crois que c’est le même poison qui a abattu le puissant Telkesh. Les autres pensaient que vous étiez mort. La vieille laudatrice s’approcha et posa une main froide sur le front de Makeda. L’oculus de cristal la fixait. « Mais j’ai pu voir que votre essence n’avait pas encore quitté. Vous ne laisseriez pas la mort s’emparer de vous… Il semble que la fièvre soit passée. Vous devez vous reposer. La chair a besoin de temps pour guérir ».

« La chair fera ce que je lui dirai de faire ». Makeda se frotta les yeux. Sa vision s’améliorât. Elle pouvait maintenant reconnaître plusieurs des autres personnes comme étant des officiers de l’armée de son père. Leurs visages étaient graves, leurs yeux blancs se reflétaient dans la lueur des lanternes. « Où suis-je ? »

Dans le Massif des Brumes », répondit Urkesh. « Nous fuyons l’armée d’Akkad et avions besoin d’une endroit pour nous cacher ».

« C’est une ancienne forteresse. Les cols de montagne sont extrêmement difficiles à franchir », déclara l’un des guerriers, que Makeda reconnu comme vétéran Cataphracte de la cohorte de son père. « Votre armée est en sécurité ici jusqu’à ce que vous décidiez qu’il est temps pour nous de nous mobiliser ».

Mon armée ? De sa petite cohorte, il ne restait quelques tarberna malmenés et de nombreux blessés. Cette fois, Makeda se concentra malgré les vertiges et se força à s’asseoir. Urkesh était là, prêt à l’aider, mais elle l’ignora. Elle posa ses mains sur la pierre et se força à se redresser. Se genoux faillirent se dérober, mais elle ne ferait pas montre de faiblesse devant ces guerriers. « De quelle armée parlez-vous ? »

Le Cataphracte hocha la tête sur le côté. Un des soldats se précipita vers le rideau le plus proche et le tira. L’air froid de la nuit envahi la pièce. « Pendant que vous étiez pris de fièvre, ils se sont rassemblés ».

Bien que curieuse, Makeda se dirigea vers le mur et récupéra les Épées de Balaash. Les fourreaux lui firent du bien dans les mains. C’est alors qu’elle se dirigea vers la fenêtre. Ses pas étaient lents, instables. Ses muscles frémissaient de faiblesse, mais elle ne voulait pas le montrer. L’air froid traversa ses fines robes et elle commença à frisonner de manière incontrôlable. Elle avait perdu du poids et savait qu’elle devait ressembler à un esprit échappé du Néant.

Devant la fenêtre se trouvait la cour en ruine d’un vieux grand château. Le château était si haut dans le massif que les nuages étaient descendus et s’étaient rassembler autour des tours telle du brouillard. Ces nuages brillaient, reflétant la lumière vacillante de centaines de feux de camp.

« Je ne comprends pas... » murmura Makeda.

« Au début, il n’y avait que votre cohorte et une poignée d’esclaves », répondit Urkesh. « Mais la nouvelle de votre maladie s’est répandue. D’autres sont venus vous voir ».

« Au début, ils furent peu nombreux », déclara le vétéran Cataphracte. « Des guerriers fidèles à Telkesh et Vaactash, puis des cultistes fous de Xaavaax, et même des soldats de fières maisons vassales comme Bashek et Kophar. Akkad en a exécuté beaucoup pour l’exemple, mais bientôt de taberna entières et même des decurium ont déserté pour venir ici et veiller sur vous. Il y en avait de plus en plus de jour en jour ».

Makeda fut stupéfaite, ses esprit incapable d’estimer le nombre de troupes rassemblées ici. Même s’il n’y avait qu’un seul datha autour de chacun de ses feux, cela devait représenter une puissante armée, sûrement plus de guerriers que la plupart des maisons pouvaient s’enorgueillir, peut-être même assez pour rivaliser avec les sabaoth combinés Balaash.

L’un des guerriers la remarqua debout à la fenêtre. Il y eut un cri, puis un autre, et encore un autre, jusqu’à ce que tout le camp éclate en un long incompréhensible rugissement. C’était un cri de guerre.

« Elle était presque vaincue. « Mais j’avais de la fièvre. J’étais impuissante. Les événements du campement lui revinrent en mémoire. « J’ai été chassée de ma maison et déclarée traîtresse. Pourquoi auraient-ils tout risqué pour suivre une cheffe aussi faible ? »

« C’était tous sauf de la faiblesse » Ce fut un nouvel arrivant qui répondit. Makeda se tourna vers un jeune doloriste qu’elle n’avait jamais rencontré auparavant. « Quand j’ai entendu parler de ces événements, il fallu que je vienne voir par moi-même. Ce poison est une invention extraordinaire, un fléau qui ferait la fierté du grand Morkaash. C’est une merveille de l’art des doloristes. Jamais je n’avais vu de mélange capable de provoquer une telle agonie et une telle souffrance. Il a même rendu fou le grand Telkesh et l’a abattu en une journée. Même aussi fort qu’il était, sa chair ne put résister à ce niveau de purification avant que cela ne lui brise l’esprit ».

La douleur. Elle ne s’en souvenait qu’à moitié, comme un mauvais rêve. Pourtant, elle n’avait pas été brisée. Elle n’avait pas suivi la voie des doloristes et n’avait donc pas l’impression d’avoir atteint une quelconque illumination, mais elle avait enduré. C’est ce qui comptait.

« Votre cohorte a parlé à d’autres de cette terrible agonie que vous viviez », dit Haradum. « Il fallait qu’ils viennent l’entendre de leurs propres oreilles ».

« Entre quoi, enseignante doyenne ? » grogna Makeda. « M’entendre sombrer dans la folie ? »

« Non », répondit le doloriste. « Bien que vous ayez été déchirée par la plus délicieuse des agonies, vous vous êtes élevé au-dessus de tout cela. Alors que votre corps était en proie à une insondable douleur et à des convulsions, vous avez transcendé tout cela. Ces guerriers sont venus entendre la voie de l’illumination ».

Haradum prit un air révérencieux : « Chaque jour pendant dix jours et chaque nuit pendant dix nuits, vous avez récité l’intégralité du code de l’hoksune ».

Comme s’il s’agissait d’un seul et même esprit, tous les guerriers de la pièce s’agenouillèrent et s’inclinèrent.

19
PARTIE DEUX

Le Halle des Ancêtre était un lieu sacré, et le seul bruit était celui de leurs pas sue la pierre. À cette heure tardive, les tailleurs de pierre de la caste ouvrière étaient partis et seuls quelques laudateurs se déplaçaient dans l’ombre. L’Archdominar Vaactash éclaira leurs chemin à la seule lueur d’une lanterne. La lumière pâle éclairait les rangées de statues sur leur passage. Makeda pensa que les Gardiens Ancestraux la dominaient, tout comme son grand-père.

« Ne recula pas devant eux, mon enfant. Ce sont tes ancêtres exaltés et leurs compagnons vénérés. Ils ont vécu pour la Maison Balaash. Nous sommes l’aboutissement de leurs grandes œuvres », prononça doucement Vaactash. « Chacun d’eux a une histoire ».

« Oui. Père a ordonné aux domestiques de nous donner des résumés », répondit Makeda.

« Et bien sûr, quand les résumés ne suffisent pas, on lit tout dans la bibliothèque... » Ce n’était pas une question.

Makeda se sentit soudaine nerveuse. Était-ce pour cela qu’elle avait été convoquée au Hall ? Dans une société basée sur la force et née dans une caste élevée pour la guerre, les activités universitaires étaient mal vies. Le temps consacrés à des arts mineurs aurait pu être consacré à des choses plus importantes. Pourtant, on ne pouvait pas en désaccord avec l’archdominar. La demi-oreille manquante d’Akkad en était un rappel constant de ce fait. « Oui, Grand-père. J’ai lu les histoires. En vérité, je les trouve... » elle s’interrompit.

Vaactash fit une pause. La lanterne projetait des ombres prononcées autour de ses traits décharnés, ses yeux n’était rien de plus que des points blancs au sein d’un trou noir. « Achève ta phrase ».

« j’ai lu toutes les histoire de mes ancêtres et elles m’inspirent ».

« Comment ? »

« Je souhaite imiter leurs succès... » Elle jeta un coup d’oeil aux statues. Au sein de chacune d’entre elles se trouvait une pierre sacrale, et dans chacune de ses pierres reposait l’essence spirituelle d’un héros tombé pour l’honneur de la Maison BalaasH. Elle ne voulait pas offenser, mais la vérité s’imposait. « Mais évitez leurs erreurs ».

Vaactash hocha la tête une fois, l’expression indéchiffrable. « Cette réponse est acceptable ». Puis la lumière s’éteignit et le vieux guerrier poursuivit son chemin dans le couloir. Malgré une vieille blessure qui avait laissé Vaactash boiter, Makeda dû se dépêcher pour suivre avec ses
petites jambes.

Un peu plus tard, ils atteignirent le centre de la salle. Vaactash s’arrêta devant la plus grande statue. Il se retourna vers elle, la lanterne projetant à nouveau des ombres bizarres sur ses traits. « Sais-tu pourquoi cette statue est spéciale ? »

Makeda acquiesça. « C’est parce qu’elle ne contient pas encore d’essence ». Les tailleurs de pierre travaillaient dur sur ce projet depuis des années, pendant ce qui semblait être la majeure partie de sa courte vie. C’était le plus bel exemple du savoir-faire de la caste des artisans au sein de tout le Hall. C’était une représentation stylisée de son grand-père, mais en beaucoup plus jeune, une version qu’elle n’avait jamais vue en personne et qu’elle avait franchement du mal à imaginer. « Ce sera votre lieu de repos exalté, Grand-père ».

Vaactash se retourna vers la statue et la regarda longuement. Makeda demeura silencieuse, ne sachant pas pourquoi elle avait été convoquée au milieu de la nuit. « Nous sommes toujours aussi dévots dans notre culte... » Vaactash parla lentement, pesant chacune de ses paroles avec soin, « pour un peuple qui n’a pas de dieux ».

Makeda savait ce que disaient les enseignements ancestraux à ce sujet. « Les skorne n’ont pas besoin de dieux. À travers les épreuves, nous avons forgé notre propre voie. Seuls les faibles ont besoin de dieux ».

« Ainsi est-il écrit… Là où il n’y avait qu’une terre en friche, nous avons bâtit notre monde. Nous avons forcé les cultures à sortir du sable, subjugué les bêtes des plaines et appris le pouvoir résidant au sein du sang et de la douleur ». Le plus grand guerrier vivant demeura fixé sur sa statue. « Et qu’arrive-t-il à ceux d’entre nous qui meurent sans atteindre l’exaltation ? »

La testait-on ? « Il n’y a que le Néant ». C’était un lieu d’une infinie noirceur, une éternelle souffrance sans limite que même le plus créatif des doloristes ne pourrait jamais espérer imiter. À l’exception des rares exaltés ou de leurs compagnons vénérés, tous les skorne étaient voués à un éternel tourment.

« Il y a bien longtemps, l’exaltation n’existait pas...Nous étions tous envoyés dans le Néant. Ce n’est que grâce à la sagesse de Voskune, Ishoul et Kaleed que nous avons appris préserver notre essence, nos esprits pouvaient être conservés en sécurité dans une pierre sacrale. Notre sagesse pourrait être conservés pour être partagée avec nos descendants et, en cas de besoin urgent, nos honorables ancêtres pourraient même revenir se battre pour leur Maison ».

« C’est une grande bénédiction », reconnu Makeda.

« Pourtant, même après la révélation, très peu de personnes peuvent être sauvées. Il fallait faire des choix. Qui survivrait et que serait voué à une mort éternelle ? Il fallait mettre de l’ordre. C’est le Dominar Vuxoris qui devint le premier Exalté. Ce sont ses enseignements qui deviendront l’hoksune, le code régissant la conduite de tous les guerriers. Il fut donc déclaré que seule l’adhésion aux principes nous permettrait de prouver notre valeur. Seul le plus grand des guerriers peut mériter l’exaltation. Pour tous les autres, il y a le Néant ».

« Mais, Grand-père, vous avez gagné votre place parmi nos ancêtres. Avec le temps, mon père Telkesh, le fera aussi. Je vais faire la même chose ».

« Quand j’ai appris que vous négligiez ta mortitheurgie pour lire les histoires, j’ai été en colère – la sang de Balaash n’est pas le sang d’un érudit- mais je peux maintenant voir que ce n’était pas nécessaire. Il y a une place pour une telle connaissance parmi la caste des guerriers.

Makeda se sentit soulagée de savoir pourquoi elle avait été convoquée, et plus encore de savoir qu’elle avait réussi le test de l’archdominar. « Mes ancêtres me guideront que je vaincrai les ennemi de notre maison ».

« Et il doit toujours y avoir des ennemis… Je ne pense pas que tu comprennes le fardeau de la caste des guerriers. Tu as assez grande maintenant. Je vais te raconter une histoire. Vaactash s’appuya contre sa statue, soulageant sa jambe infirme dans une rare démonstration de faiblesse.
« Il y a deux générations, j’ai visité les îles au sud de Kademe. Ce fut la première fois que je vis la mer. Elle est bien plus grande que le Lac Mirketh. Elle semble s’étendre plus loin que ce que l’oeil peut voir, plus loin même que les déserts.

Une telle quantité d’eau semblait inconcevable, mais Makeda n’osa pas remettre en question la véracité de l’archdominar. Elle préférait avoir des oreilles bien formées et pointues, et non mutilées par du tissu cicatriciel.

« De puissants prédateurs vivent sous le mer. Ceux qui pêchaient dans les eaux profondes parlaient d’une bête redoutable mangeant tout sur son passage, alors j’ai contacté l’un des dresseurs locaux pour en savoir plus.

Makeda hocha la tête. Bien sûr, toute personne habile dans l’art de la mortitheurgie serait intéressée par une nouvelle fascinante bête. Celles qui pourraient être brisées pourraient être des armes ou des outils utiles, et celles qui ne pouvant pas pourraient fournir des leçons d’anatomie.

« Le dresseurs m’a beaucoup parlé de ce puissant poisson. Il avait plus de dents qu’un ferox et était le tueur ultime de son royaume. Il pouvait sentir le sang couler à des kilomètres de distances et n’hésitait jamais à détruire les faibles ».

Cela semble merveilleux ».

« En effet. Pourtant, ce n’est pas ce qui m’a le plus fasciné. Vois-tu, cette bête maritime doit être constamment en mouvement, chassant, à la recherche d’une proie, sinon, elle va mourir. On ne peut pas le restreindre, car s’arrêter de bouger, c’est périr. Ce n’est pas sa force, ni sa sauvagerie qui m’ont impressionné. Non… C’est ce besoin constant de lutte qui m’a rappelé la caste des guerriers ».

« je ne comprends pas, Grand-père ».

« Tout comme le prédateur marin doit perpétuellement chasser, nous devons avoir perpétuellement des conflits. Nous sommes des instruments de guerre. Ce n’est que par la guerre que nous pourrons atteindre l’exaltation. Si cette opportunité nous est supprimée, alors nous cessons d’être skorne ».

« Les maisons ne cesseraient jamais de se battre ! Ce serait de la folie ».

Vaactash rit. « Peut-être… Peut-être que je ne suis qu’un vieux guerrier décrépi et que mon esprit à tendance à vagabonder vers des pensées abstraite. Tu as appris comment nos ancêtres se battaient, mais maintenant tu dois vraiment comprendre pourquoi ». Sa voix devint dangereusement basse. « Ce n’est que par le conflit que nous pouvons devenir purs, et seuls les purs peuvent être exaltés. C’est pourquoi nous devons toujours nous battre. Les conflits sont notre seule opportunité d’éviter d’être jeté dans le Néant. Toute notre société est basée sur cela ».

Makeda s’inclina, reconnaissant pour la sagesse que l’archdominar avait partagée.

« Sais-tu quelle est l’idée la plus immonde et la plus mauvaise au monde, Makeda ? »

Elle secoua la tête. « Paix ». Vaactash cracha le mot, comme s’il avait un mauvais goût sur sa langue.

Elle connaissait le mot, mais la paix était pour elle un concept difficile et abstrait pour elle. « Ce n’est pas notre façon de faire ».

« C’est exact, mais c’est tentant. Je sais que tu ne le comprend pas actuellement, mais tu le comprendras que tu seras plus âgée. Ceux des castes inférieures peuvent rarement atteindre l’exaltation, c’est pourquoi l’idéal séduit beaucoup d’entre eux. Parfois, l’idée de paix peut même corrompre certains membres de notre propre caste ».

« Je ne peux pas concevoir cela ».

« Bien sûr, il y a des moments où une maison ne fait pas la guerre. Il y a les réconforts après la conquête, ou lorsqu’une maison attend son heure en attendant une occasion de frapper, et pendant cela il y a un manque de conflit, mais ce n’est certainement pas la paix. Non, il y a toujours une autre puissante montante, ou un chef fort qui s’affaiblit et doit être renversé, ou même le vieux renversé par le jeune. Tu vois, notre caste doit avoir quelque chose contre quoi lutter. Cela nous améliore. Cela nous complète. Il faut accepter les conflits ».

Il ne s’était jamais exprimé aussi librement auparavant, et Makeda faisait de son mieux pour absorber la sagesse de son grand-père.

« Pour chaque maison sur laquelle j’ai imposé ma domination, je dois constamment prouver ma valeur, sinon je serai remplacé par quelqu’un de plus digne. En fin de compte, il est possible pour un conquérant d’unir toute notre caste sous une seule bannière. Même dans se cas, il y aurait des conflits au sein de notre caste, car nous sommes comme la grande bête marine, et cesser de lutter, c’est périr ».

« Je comprends, grand-père ».

« Et toi, Makeda ? Les imbéciles confondent souvent ce concept tentant de paix avec le concept similaire de reddition. Il voudraient vivre sans conflit. Nombreux sont ceux qui pensent que naître dans la caste des guerriers devrait suffire à mériter l’exaltation. Ils verraient la fin de la guerre afin de pouvoir devenir gros et mou, tout en échappant d’une manière ou d’une autre au Néant. Si peu d’entre nous peuvent être exaltés, il est vital que seuls les plus grands y parviennent ».

« C’est ce que dicte le code. Il ne serait pas juste que quelqu’un atteigne l’exaltation sans avoir suffisamment lutté ». Cette idée blasphématoire choqua et la remplit de colère. « Pourquoi, alors les faibles seraient sauvés tandis que les guerriers de qualités seraient jetés dans le Néant ! »

« En effet. Tu dois réfléchir à ces choses ». Vaactash la regarda solennellement. « Les pensées d’un guerrier doivent rester ouvertes aux idées qui vont au-delà de qu’on lui a enseigné. Akkad est rusé et son esprit est vif, mais il est dangereux d’envisager de nouvelles idées sans les soumettre aux principes de l’honneur. Si seulement je pouvais combiner ton adhésion à l’hoksune avec le pragmatisme ambitieux de ton frère, alors la Maison Balaash serait inarrêtable. Les possibilités qui s’offrent à moi me font frémir ».

« Je servira la Maison Balaash telle le dicte le code et quand Akkad sera l’archdominar, je le servirai. Je le promets ».

« Un guerrier n’a pas besoin de promettre, Makeda. Le simple fait de dire une chose sera faite signifie qu’elle le sera. Pour notre caste, l’acte de dire et l’acte de faire sont identiques. Je n’ai aucun doute quant à ta loyauté envers notre maison et pour cela, je suis heureux que tu sois la Seconde Née ». Vaactash sourit. C’était une expression rare. « Assez de divagations d’un vieux guerrier. Ce sera tout ». Il se retourna et se remit à admirer son futur tombeau. « Tu peux disposer ».

* * *

« Vous êtes congédié ».

Makeda s’inclina profondément. « Oui, Archdominar Akkad ».

Elle se leva. Seuls quelques-uns des guerrier  rassemblés dans la grande tente croisèrent son regard, et ce fut les guerriers avec lesquels elle s’était entraînée ou ayant servi sous les ordres de son grand-père. Il y avait trop de nouveaux visages parmi les dirigeants de la Maison Balaash. Makeda se tourna et marcha rapidement vers le rabat. Plus que tout, elle voulait être dehors, les des chuchotements du nid de vers rasoirs. Son frère semblait satisfait de cette démonstration de soumission, mais Makeda remarqua qu’Abaish des doloristes lui chuchotait des secret à l’oreille avant même qu’elle ne soit sortie.

Makeda inspira profondément l’air frais de la nuit et savoura d’être en vie.

Grand-père, que veux-tu que je fasse ?

Les survivants de son propre decurium n’étaient pas encore arrivés. Il leur faudrait des heures pour rattraper l’agile ferox qui l’avait transportée jusqu’ici. Malgré leur grande victoire, elle savait déjà qu’ils ne seraient pas accueillis en conquérants. Ils avaient été suffisamment sacrifiés que pour éviter les soupçons, car pourquoi une archdominar sacrifierait ses troupes ? Akkad avait sûrement voulu qu’elle et son armée symbolique meurent dans les plaines, tuées des mains des Muzkaar et non pas sa traîtrise.

Son corps souffrait encore de la bataille de la journée. Bien qu’elle ait réussi à éviter les blessures graves en les confiant à son cyclope, la douleur persistait. Makeda se souvint de son entraînement et accepta la douleur. Morkaash, le premier des doloristes, avait appris que la souffrance pouvait mener à l’illumination. Elle avait accepté cette vérité. Une fois la douleur comprise, voire accueillie, elle pouvait donner une clarté à la pensée.

En ce moment précis, Makeda avait besoin de clarté.

Avec des milliers de guerriers présents, le campement semblait anormalement calme. La mort soudaine et déshonorante de Telkesh flottait tel un brouillard sur les guerriers. L’unique bruit provenait des enclos voisins, où les warbeasts asservies paissaient, grognaient et se nourrissaient. Ce campement avait été mis en place pendant qu’elle se déplaçait vers son exécution prévue, il lui fallu donc quelques minutes pour trouver la tente de Telkesh. Le bannières de l’archdominar manquaient, sûrement pour orner celles d’Akkad. La tente de Telkesh était sombre.

Quelques-uns des esclaves de longue date de son père demeuraient à l’extérieur, agenouillés dans le sable, pleurant et grinçant des dents à la perte de leur maître. Makeda contourna leurs formes prostatiques. Il y avait un grand de tas de cendres là où ils avaient incinéré Telkesh et quelques-uns de ses serviteurs dans imposant bûcher funéraire.

« C’est déjà fait ? » murmura Makeda.

L’un des esclaves leva les yeux au son de sa voix. Il plissa les yeux dans la pénombre. « Makeda vit ? »

« C’est moi ». Elle reconnu l’esclave mais n’avais jamais pris la peine d’apprendre le nom d’une personne appartenant à une caste aussi basse. « Pourquoi mon père a-t-il été incinéré si vite ? » demanda-t-elle.

L’esclave détourna le regard, effrayé. « Le nouvel archdominar a déclaré que la maladie pouvait se propager à travers le camp ».

Makeda serra les dents. C’était une insulte supplémentaire à la mémoire de son père. « Parle-moi de cette mystérieuses maladie. Quels étaient les symptômes ? »

« Ce fut aussi soudain que la foudre frappant les terres arides. Nous venions de lever la camp et de nous mettre en route pour la journée de marche lorsque le maître ressentit une douleur au ventre. Elle irradiait jusqu’à ses membres et il se plaignait de picotements et de faiblesse. Bientôt, il fut incapable de marcher ni même de rester en selle. Il fut pris de fièvre, puis de folie et de convulsions. J’étais là. Il avait de tels convulsions que je n’arrivais même pas à lui faire boire de l’eau ».

Cette description rappela à Makeda quelque chose qu’elle avait lu dans les histoires familiales… « Et les chirurgiens ? »

L’esclave montra un tas de pierre à proximité qu’elle n’avait pas remarqué. C’était une forme d’exécution acceptée. Placez le condamné sous une planche, puis empilez lentement des pierres dessus toute la journée jusqu’à ce qu’ils soient écrasés. C’était une méthode d’exécution lente et douloureuse, et donc l’une des préférées de son peuple. « Le Tourmenteur Abaish était mécontent de leur échec ».

« Je vois. Les chirurgiens ont-ils parlé à quelqu’un avant leur exécution ? Ont-ils parlé à l’un des serviteurs de mon père ? »

« À part Abaish et le nouvel archdominar ? » l’esclave secoua la tête. « Quelques-uns, mais tous ont eu l’honneur d’aller dans le brasier pour accompagner Telkesh dans sont voyage vers le Néant ». Il tremblait de peur. Makeda réalisa qu’elle avait inconsciemment posé la main sur son épée, comme si elle s’apprêtait à la dégainer ». Elle lâcha la poignée.

« Quel est ton nom, esclave ? »

« Kuthsheth, serviteur personnel de Telkesh et de Vaactash avant lui ».

« Amène-moi les serviteurs ayant préparé le repas de Telkesh ce matin-là ».

« Je suis désolé. Je ne peux pas. Eux aussi ont été jetés dans le feu ».

Les poings de Makeda se serrèrent. Elle se souvint maintenant de ce qu’elle avait lu il y a des années dans les histoires familiales à propos d’un ancêtre particulièrement déshonorant, un tyran qui avait utilisé du poison pour écarter les menaces contre son règne.

Le meurtre n’était pas inconnu au sein de sa caste, mais il était mal vu. Être surpris en flagrant délit de meurtre jetait l’opprobre sur votre maison, mais cela ne signifiait pas qu’il n’y en avait pas. Un peuple vivant dans un état de guerre constant devait trouver un équilibre entre l’honneur et les questions plus pragmatiques de la politique de la maison, mais même dans ce cas, le seigneur de la maison méritait de mourir par la lame. Il était possible qu’Akkad ait été impatient d’assumer son rôle et qu’il ait empoisonné leur père. Cependant, Telkesh appartenait à la caste des guerriers et avait fait ses preuves en tant que puissant cataphractaire au sain des armées de Vaactash. Le poison était destiné aux animaux malades et aux esclaves ayant cessé d’être utiles, pas aux seigneurs de la maison. Le poison était une façon terrible et honteuse de mourir, et la façon la plus déshonorante de tuer.

Makeda avait une dernière question, mais on ne pouvait pas y répondre ici.

« Je parle à contretemps, mais votre père nous manquera », dit Kusthsheth. « J’étais soldat autrefois. Lorsque Telkesh a vaincu mon village et que j’ai été fait prisonnier, j’ai cru que ma vie était finie, mais Telkesh fut un maître honorable. Je suis condamné au sort que vous voulez me réserver, mais je suis reconnaissant que mes enfants aient l’opportunité d’accéder à une caste supérieure dans la plus grande maison de toutes, Balaash ».

Telkesh était un fervent adepte du code d’hoksune. Il avait sûrement prouvé sa valeur, alors pourquoi avait-il été privé de son Exaltation ? N’ayant aucun doute sur le fait qu’elle était surveillée par les espions d’Akkad, Makeda s’agenouilla comme si elle rendait hommage au tas de cendres. Elle garda la voix basse. « Kuthsheth, j’ai deux tâches à te confier. Tu vas transmettre un message à ma cohorte. Cherche le Primus Zabalam. Dis-lui que mes ordres sont de s’arrêter là où ils sont. Ils ne doivent pas entrer dans ce campement. Mais d’abord, tu iras trouver en secret le laudateur Haradum. Dis-lui, et à elle seule, que j’ai besoin d’elle et qu’elle ne doit en parler à personne. Elle doit me rencontrer... » Makeda avait besoin d’un endroit dans le camp où elle ne serait pas facilement repérable ou entendue. « Dis-lui d’être aux enclos des bêtes à minuit ».

* * *

Les titans étaient nerveux.

Il y avait quelque chose dans l’air, et ce n’était pas seulement la puanteur des énormes warbeasts.

Makeda était assise dans l’ombre, enveloppée dans une cape. Les enclos des bêtes du campement étaient un assemblage précipité de planches et de fils barbelés, en aucun cas suffisants pour contenir un titan excité. Mais ces bêtes avaient été soumises et brisées. Elles feraient ce que les fouets barbelés des dresseurs. Les clôtures les empêchaient seulement de s’éloigner trop loin. Les titans étaient des animaux relativement intelligents, mais ils restaient des animaux.

Les herbivores broutaient le long du défilé, mais il était trop dangereux de les laisser brouter dans les plaines ouvertes en territoire ennemi. Un titan représentait un considérable investissement dans les ressources d’une maison, c’est pourquoi la nuit, ils étaient gardés à l’intérieur des campements. Les esclaves avaient apporté des tonnes de nourriture pour les bêtes, et Makeda s’était cachée entre une meule de foin et la clôture.

Ils n’avaient pas l’air si dangereux sans leur armure, mais Makeda savait qu’il n’en était rien. Au loin, l’unique dos de bronze du camp se grattait contre un poteau voisin. La poteau était épais et avait été profondément enfoncé dans le sol par des esclaves juste à cet effet. La peau grise et rugueuse du titan alpha réduisit le poteau en éclats en quelques minutes. Né à l’état sauvage, il n’existait pas de dos de bronze apprivoisé, mais seulement un dos de bronze temporairement docile à la suite d’une exhaustif régime d’abus soigneusement réglementés. Il y avait encore des doloristes qui le surveillaient, car un seul dos de bronze enragé pouvait causer d’indescriptibles dégâts.

Au matin, les bêtes seraient revêtues d’une armure et de crochets en conformité à la douleur seraient enfoncés dans les parties les plus sensibles de leur chair, tout cela afin d’en faire des armes les plus efficaces et des réserves d’énergie mortitheurgique. Mais pour ce soir, la démangeaison enfin apaisée, cette bête spéciale se coucha pour dormir, sûrement pour rêver d’herbe et de femelles.

Makeda tendit son esprit et toucha celui du grand dos de bronze. « Dors bien, mon grand. Demain, la Maison Balaash aura peut-être besoin de ta puissance ».

Un gémissement strident fit frémir Makeda. Les titans relevèrent leurs yeux de leur mastication. Un Agoniseur à proximité avait commencé à émettre de pitoyables vagissements. Heureusement, le silence se fit après quelques instants et le titans retournèrent à leur foin. Ce fut une chance. Personne ne voulait écouter un Agoniseur toute la nuit. Elle continua à rechercher des menaces, mais ne vit rien. Un garde passait de temps en temps, mais elle restait cachée.

Makeda était entrée dans la tente de Telkesh et avait trouvé un manteau sombre. Elle s’était ensuite glissée par l’arrière. Espérons que si Akkad la faisait surveiller, les espions surveillaient toujours la tente. La caste des guerriers ne perdait pas de temps à pleurer, mais il n’était pas rare de passer du temps à méditer sur les actes du défunt.

Cependant, Makeda devait se concentrer sur les problèmes du présent, et non s’attarder sur le passé.

Son estomac gronda. Cela faisait un bon moment qu’elle n’avait pas mangé, mais les guerriers étaient habitués à jeûner. Makeda l’ignora et retourna à sa veillée. Elle repéra une forme voûtée entrant dans la zone des bêtes peu de temps après. Une petite lueur sortait de sous la capuche, signe certain du regard de cristal du laudateur. Haradum était arrivé. Makeda savait qu’il viendrait, car c’était le vieil Haradum qui lui avait enseigné les traditions de leur peuple depuis que Makeda n’était qu’une petite fille.

La castes des laudateurs était censée se tenir à l’écart et être distincte de la politique des maisons. Il étaient les gardiens isolés de l’Exaltation et les seuls à pouvoir communiquer avec les défunts. Haradum était totalement dévoué à la voie des Laudateurs, et Makeda ne doutait pas de son honnêteté, mais même dans ce cas, Makeda resta un moment à l’affût de tout signe de piège. Lorsqu’elle fut certaine qu’Haradum était seul, elle se leva.

L’Aptimus Haradum s’approcha immédiatement. Bien sûr, elle avait remarqué Makeda se cacher dans l’obscurité. L’oeil de cristal pouvait discerner l’essence se trouvant à l’intérieur de tous les êtres vivants. C’était une ancienne, vivante depuis au moins six génération, ont le visage était un amas de ride et de plis se balançant librement sur un crâne. La seule partie lisse d’Haradum était le cristal qui avait remplacé son œil droit.

« Seconde Née, Makeda. Je suis ravie de découvrir que tu es toujours parmi nous », souffla la laudatrice. « Je me réjouis de cette bonne fortune ».

« Le temps est compté, ancienne ». Makeda garda la voix basse. Personne ne pourrait les entendre malgré la lourde respirations des titans à proximité. « Je dois savoir. Pourquoi l’esprit de Telkesh n’a-t-il pas été préservé ».

Haradum ne sembla pas émue par l’intensité de Makeda. « Une difficile décision. Ce n’était pas à moi de le faire. Shuruppak était le laudateur présent au lit de mort de Telkesh. Je ne l’ai appris que plus tard. J’étais occupée à travailler sur mes recherches. Savais-tu que les scarabées ont aussi une essence spirituelle ? »

Shuruppak avait été élevé comme un guerrier et avait été un compagnon d’Akkad avant de décider de s’arracher un œil pour rejoindre la caste des laudateurs.

« De minuscules, minuscules, petites choses... » Haradum joignit ses main osseuses au niveau des poignets et remuait rapidement ses doigts d’avant en arrière, comme des jambes s’enfuyant. « Oui, mais leur essence ne pas dans le Néant, non. Y-a-t-il donc des dieux scarabées, je me le demande ».

L’esprit d’Haradum s’était-il enfin brisé ? Cela arrivait parfois aux rares membres de leur peuple qui parvenaient à mourir de vieillesse. « Telkesh a tué des centaines de personnes au combat. Comme Vaactash avant lui, Telkesh représentait tout ce que signifie être skorne. Mon père a vécu selon le code. Tout cela ne peut pas être effacé par une seule journée de folie fiévreuse. Pourquoi Shuruppak aurait-il choisi de ne pas le sauver ? »

L’oeil mortel de la vieille laudatrice se rétrécit et elle se pencha d’un air conspirateur. « Lorsqu’un esprit est entraîné, en hurlant, dans le Néant, il ne peut pas raconter d’histoire. Tant de connaissances se perdent ainsi ».

« Réponds-moi, Haradum ».

Haradum sourit. Elle n’avait plus de dents. « Je viens de le faire ».

Quelles histoires Telkesh aurait-il pu raconter je me le demande ? Aurait-il pu parler decomplots et des mensonges ? Aurait-il pu parler de conspirations entre les maisons ? Peut-être d’allégeances entre des castes censées rester neutres ? »

« Raconte-moi ces histoire, aînée ».

« Je ne saurais pas. Je ne suis rien. Je souhaite seulement qu’on me laisse tranquille pour continuer mes recherches. Pourtant, un laudateur entend des choses… Oui, oui, nous le savons. Il est parfois facile d’oublier que nous sommes là, toujours à regarder, toujours à juger. Telkesh a également jugé. Il a jugé avec sagesse. Lorsque ses conseillers lui présentaient deux voies, il choisissait toujours la voie du guerrier, jamais celle du comploteur. Peut-être que ces conseillers en ont-ils eu assez d’êtres rejetés ? Peut-être ont-ils décidé qu’ils avaient besoin d’un nouvel archdominar, quelqu’un prêt à écouter leurs nouvelles idées étranges, quelqu’un qui ne soit pas aussi attaché aux antiques traditions. Akkad serait un tel archdominar, n’est-ce pas ? »

« Il le ferait », approuva Makeda. Akkad se souciait bien plus de sa gloire personnelle que de la tradition.

« Ces mêmes comploteurs, après avoir décidé d’aller si loin, ne prendraient pas le risque de voir un autre honorable guerrier de Balaash à deux doigts de devenir archdominar. Une fois que cette descendante aurait découvert la vérité, elle lèverait une armée composée de tous les honorables guerriers de sa maison et ferait la guerre au conspirateurs ».

Il y avait donc eu un complot visant à tuer Telkesh et à le remplacer par son frère. Les actions d’Akkad étaient lâches et priver Telkesh de l’Exaltation était un blasphème. « Merci, aînée. Mais aucune armée ne sera levée. Je n’affaiblirai pas maison par une guerre civile ». Makeda posa une main sur l’épaule d’Haradum. Elle fut surprise de voir à quel point la laudatrice était fragile sous ses robes. « Même si Akkad a assassiné mon père… Il est l’archdominar de la Maison Balaash. Le code déclare qu’il doit gouverner. C’est à moi de servir, à moins que je pense qu’il représente un danger pour la maison et alors je devrai officiellement le défier ».

« Nous savons tous les deux que tu n’es pas de taille à affronter Akkad en combat singulier. Tu mourras sûrement ».

« Je ne peux pas aller à l’encontre des traditions de ma caste, aînée ».

Le rire d’Haradum ressembla au bruissement d’un papier poussiéreux. « Enfant, ceux qui sont sans honneur supposent que tout le monde est comme eux. Il n’acceptera en aucun cas une contestation formelle de son pouvoir. Il enverra des assassins pour toi ».

« Comment sais-tu cela, Haradum ? »

L’oeil de cristal parcourut les enclos des bêtes. « Parce qu’ils sont déjà là ».

Makeda se retourna à temps pour voir des silhouettes courir entre les meules de foin. Il y eut un éclair de pourpre et d’acier et quelqu’un sauta sans effort par-dessus une clôture barbelée pour disparaître dans l’obscurité. Coureurs de sang !

Les coureurs de sang étaient l’élite des tueurs de la caste des doloristes, étudiants de la magie libérée au moment de la mort. Leur présence confirmait la récit de la laudatrice. « Fuis, Haradum ». Les Épées de Balaash apparurent entre les mains de Makeda. « Retourne à tes scarabées ».

Un titan sursauta et renifla alors quelque chose effleurait l’un de ses pattes de la taille d’une colonne. Il y eut un mouvement tout autour d’eux, un seul négligent pas sur le gravier, le sifflement d’un poignard sortant de son fourreau, puis les coureurs de sang attaquèrent.

Le premier sorti apparemment de nulle part, tenant un lame incurvée. Makeda dévia l’attaque d’un coup d’épée, tournoya et enfonça la seconde dans les entrailles de l’attaquant. Celui-ci sursauta lorsqu’elle arracha l’épée, mais ne cria pas. Elle s’émerveilla de la maîtrise de la douleur, mais seulement un instant, car elle se battit ensuite pour sa vie.

Une femme lui poignarda la gorge, mais Makeda esquiva et trancha, coupant la coureuse de sang presque en deux. Ils étaient tous armés d’étranges dagues, crochues et dentelées, des outils conçus pour incapaciter et torturer. Makeda repoussa une autre attaque, puis une autre. Ce coureur de sang avait été trop lent, et une Épée de Balaash lui préleva le bras au niveau du coude. Celui-ci ne poussa aucun son, il se contenta de s’écarter, luttant pour stopper le flux de sang.

Les assassins étaient tout autour d’elle, leurs lames bourdonnant dans les airs. Le bruit de l’acier contre l’acier réveilla les titans les plus proche et le fit grogner. Ceux en train de manger levèrent les yeux de leur foin, confus et se demandant si l’heure de la bataille avait sonné.

Une poignée de sable lui fut jetée dans les yeux, mais elle se détourna juste à temps. Un autre lança un nuage de paille entre eux, et feinta, tout cela dans le but de la distraire d’un autre coureur de sang qui essayait de la poignarder dans le dos. Ces assassins ne suivaient pas l’hoksune, mais Makeda se réjouit d’un nouveau défi. Elle fit tourner une épée, inversa sa prise et poignarda derrière elle, enfonçant la pointe à travers le torse légèrement armuré d’un coureur de sang. « Qui t’a envoyé ? » Elle esquiva et en abattit un autre au sol. Le sang versé alimentait sa force. « Qui ? »

Ils ne répondirent pas. D’autres assassins sortirent de l’ombre. Makeda esquiva avant d’être encerclée. Le terrain n’était pas à son avantage. « Akkad ? » Un poignard taillada le bord de son armure. Cela piqua et elle sentit la chaleur du sang s’écouler. Makeda tourna autour de la meule de foin la plus proche. « Abaish ? Qui ? »

Crac. Il y eut un éclair de douleur lorsque quelque chose la frappa dans le dos. Elle se retourna pour voir un autre coureur de sang levant un long fouet hérissé d’os pour porter un nouveau coup. Makeda fit volte face, se débarrassant de sa cape. Crac. Le fouet traversa le fouet et s’y emmêla. Avec un grognement de frustration, le coureur de sang secoua son fouet, essayant de le libérer.

Deux autres attaques laissèrent Makeda avec deux autres petites coupures et deux autres coureurs de sang mourants. Ils étaient les maîtres de la précision anatomique, guidant leurs attaques par-delà son armure. Il y avait au moins une douzaine d’assassins supplémentaires circulant dans les enclos, et elle se viderait de son sang bien avant de les avoir tous tués. Elle frappa les genoux d’un autre coureur de sang et il chuta, s’empalant sur sa propre lame. Je dois m’échapper.

L’une des fourches à foin d’un esclave vola vers elle depuis les ombres. Elle la dévia, se retourna et sauta par-dessus la clôture de l’enclos des titans. Ses bottes glissèrent dans la boue, mais elle ne tomba pas. Deux coureurs de sang étaient juste derrière elle. L’un d’eux plongea entre les fils, roula et e releva. L’autre sauta simplement par-dessus dans un froufroutement de tissu. Elle les frappa simultanément, mais ils parèrent tous les deux avec leurs dagues.

Agité, le titan le plus proche ouvrit la bouche et hurla un défi, du foin volant partout. Makeda s’était entraînée toute sa vie, apprenant à maîtriser les warbeasts et à les forcer à obéir à sa volonté, et elle reconnut une opportunité lorsqu’elle se présentait. Cela prendrait une seconde de concentration, mais le risque en valait la peine. Je suis ton maître. Obéis-moi.

Les deux coureurs de sang poursuivirent leur attaquent tandis que leurs frères les suivirent. Celui qui tenait le fouet semblait être le chef. Il communiquait silencieusement par une série de gestes rapides avec les coureurs de sang encore cachés dans l’ombre. Une corne d’alarme retentit lorsque les gardes Balaash qui surveillaient les enclos se rendirent compte que quelque chose n’allait pas.

Obéis !

Le titan cligna stupidement des yeux pendant un instant, puis ses petits yeux se rétrécirent en signe de compréhension.

Détruit.

Makeda para une autre attaque et donna un violent coup de pied dans l’estomac du coureur de sang. Sous son masque, sa bouche se tordit, mais il resta concentré sur sa mission. Cela n’eut d’importance qu’une fraction de seconde, car le poing du titan le frappa si fort qu’il laissa un nuage rose en suspension dans l’air.

Le titan se dressa de toute sa hauteur et poussa un cri de guerre. Si la corne d’alarme n’avait pas déjà retenti, cela aurait certainement réveillé tout le camp. Le second coureur de sang se retourna de surprise, alors Makeda profita de l’occasion pour lui trancher la tête. Il atterri à ses pieds dans la boue, et Makeda la lança vers les autres coureurs de sang restants. « Balaash ! »

Les coureurs de sang tentèrent d’éviter le titan, mais il était trop tard. L’un deux s’était coincé dans le grillage et le titan referma ses mains autour de l’assassin. Ce fut le premier à perdre son sang-froid et il se mit à crier. Cela sembla agacer le titan, qui se contenta de soulever le coureur de sang au-dessus de sa tête et de le projeter dans la nuit en hurlant.

Elle était encore entourée de coureurs de sang, mais ils semblèrent retourner dans l’obscurité, conscients que leur mission d’assassinat discret avait échoué Le titan piétina facilement la clôture et les poursuivit. La lumière et les ombres rebondissaient le long des poteaux de la clôture à proximité tandis que les gardes accouraient.

CRAC !

Makeda faillit s’évanouir alors que quelque chose s’enroulait autour de son cou. Elle fut tirée d’un coup sec et atterrit dans la boue.

Celui qui tenait le fouet n’avait pas encore abandonné.

Son armure lui avait sauvé la vie, mais des éclats d’os lui avaient transpercé le cou. Le fouet fut tiré et le nœud coulant se resserra. Les coupures s’aggravèrent, mais elle resta calme. Aucune artère n’avait été sectionnée… Pour l’instant.

Un rapide coup d’épée trancha le fouet en deux. La pression cessa et elle put respirer à nouveau. Les gardes se rapprochaient et elle pouvait entendre leurs cris de colère par-dessus le bourdonnement de ses oreilles.

« Capturez la traîtresse, Makeda ! »

« L’archdominar a dit que sa sœur nous a trahis ! »

Maudit sois-tu, Akkad. Elle n’avait pas besoin d’être une mortitheurge pour savoir qu’elle perdait beaucoup trop de sang. Elle ne pourrait pas affronter les gardes. Elle serait capturée et exécutée comme traîtresse. Son nom serait rayé des histoires.

Le dernier coureur de sang, cependant, ne se contenta pas de la laisser mourir sous une planche et un tas de pierres. Il avait l’intention de faire le travail en personne et avait laissé tomber son fouet en ruine pour dégainer la lame d’un doloriste. Il fonça à travers l’enclos, et Makeda savait qu’elle ne serait pas en mesure de rester debout à temps.

Il fut sur elle, le poignard levé, la bouche tordue en un grognement, mais ensuite le doloriste sembla s’effondrer. Il sursauta et eut des spasmes alors que le sang volait dans les airs, puis tomba face contre terre, son élan le faisant glisser dans la boue pour s’arrêter aux pieds de Makeda, son dos si déchiqueté qu’elle pouvait voir les os de sa colonne vertébrale. Il était mort avant même que Makeda ait entendu le gémissement de l’écorcheur.

Un ferox atterrit à côté d’elle en l’éclaboussant. Elle leva les yeux et vit le prédateur se débattre sous deux cavaliers. Le Primus Zabalam et le Dakar Urkesh mirent tous deux pied à terre. Elle essaya de parler, mais aucun son ne parvint à se former dans sa gorge endommagée. « Makeda ! » Zabalam l’attrapa par l’armure et la souleva avec une surprenante force pendant qu’Urkesh chargeait un nouveau cône d’aiguille sur son écorcheur.

« Vous devez fuir, Makeda », lui souffla Zabalam. « Akkad vous a déclaré paria. Votre vie est perdue. Allez-vous en. Votre cohorte vous attend ». Les gardes étaient presque sur eux. Le titan qu’elle avait rendu furieux poursuivait les coureurs de sang et écrasait les tentes sous ses pieds. Il n’y avait plus de temps à perdre. Zabalam avait raison. Elle tenta de se hisser sur la selle, mais elle était plus faible qu’elle ne le pensait et lutta pour y parvenir. Zabalam la poussa brutalement vers le haut Le ferox s’agita sous elle, mais compris que ce n’était pas le moment de se battre contre ses maîtres.

Un horrible gémissement retentit tandis qu’Urkesh repéra un autre coureur de sang et le coupa en morceaux. Zabalam l’attrapa par le bras. « Va avec Makeda. Je te charge de la protéger. Il dégaina ses épées ».

« Que fais-tu ? » cria Urkesh.

« Ce ferox ne peut pas courir assez vite pour s’enfouir si nous sommes trois dessus. Je vais vous faire gagner du temps. Protège-là de ta vie. C’est elle l’avenir de la Maison Balaash, pas ce misérable belek déshonorant d’Akkad ». Zabalam regarda Makeda, la moitié de son visage abîmé qui fonctionnait encore affichant un sourire. « Je m’excuse d’avoir insulté ta famille ».

Makeda ne pouvait toujours pas parler. Elle posa une main ensanglantée sur la tête de Zabalam. Elle laissa une empreinte rouge une fois qu’elle l’eut retirée. Urkesh grimpa derrière elle.

« Tu as toujours été ma meilleure élève. Vas y ? Il frappa la croupe du ferox avec la garde d’une épée. Le prédateur s’éloigna dans une course maladroite.

Makeda se retourna pour voir Zabalam se diriger vers la foule des gardes, les bras tendus, montrant fièrement ses épées. « Je suis le Primus Zabalam des Prétoriens, maître d’armes de la Maison Balaash, élève de l’exalté Vaactash, et je me bats pour défendre Makeda, la véritable héritière de Telkesh ! Qui parmi vous est assez stupide pour m’affronter ? »

Environ la moitié des gardes se figèrent, partagés et incertains, mais l’autre moitié attaqua.

« Venez donc ! » Il y eut un tourbillon de mouvements alors que Zabalam, contre toute attente, ripostait.

C’était un moment parfait de tout ce que signifiait suivre le code de l’hoksune, mais ensuite le ferox contourna une tente et Zabalam disparut de la vue de Makeda.

« Cours !  Par là ». Urkesh pointa son écorcheur. Le Venator n’avait visiblement jamais chevauché de ferox auparavant et faisait de son mieux pour tenir le coup. Maakeda donna un coup de pied dans les flancs du prédateur et le fit pivoter avec ses genoux. Il y eut un énorme fracas lorsque le titan enragé traversa une tente et apparut devant eux, un coureur de sang accroché à l’une de ses défenses. Urkesh poussa un cri de surprise juste à son oreille. Le ferox contourna le titan en deux bonds, évitant les dresseurs qui tentaient de le maîtriser.

D’autres cornes retentirent. Des officiers se tenaient aux coins, agitant des torches et répétant la proclamation d’Akkad selon laquelle Makeda était une traîtresse à la Maison Balaash et devait êtr capturé. Pourtant, alors que le ferox traversait le camp, de nombreux soldats l’aperçurent, mais ne firent rien pour l’intercepter. Cependant, suffisamment d’autre le firent pour que leur évasion ne semble pas envisageable.

Des cataphractes s’avancèrent devant eux, lances de guerre brandies. Elle frappa le ferox qui se retourna, glissant dans l’herbe, à quelques secondes d’être empalé sur un mur de lances. Un bref sprint et un autre virage leur firent rencontrer d’autres épéistes. L’un deux tenta de poignarder le ferox, mais celui-ci s’élança vers l’avant, planta ses énormes dents dans une épaule et le secoua jusqu’à ce que mort s’ensuive. Un autre soldat arriva par derrière, mais Urkesh le déchiqueta d’une rafale d’écorcheur.

Les soldats fidèles à Akakd se déplaçaient à travers le camp, réclamant le sang de la traîtresse Makeda. « Nous n’y arriverons pas », déclara Urkesh.

Makeda savait que le Venator avait raison. Ils seraient encerclés, isolés et abattus. À moins que…

Le titan avec lequel elle s’était liée était occupé, alors Makeda s’approcha de l’esprit du grand titan dos de bronze avec lequel elle s’était si brièvement connectée plus tôt. Il était toujours là, ronflant paisiblement dans le pandémonium qui engloutissait désormais le campement. Les petits jeux skorne n’avaient pas d’importance pour le puissant dos de bronze. Il n’existait que pour le prochain défi ou la prochaine femelle. Makeda puisa dans on pouvoir et tira le dos de bronze de son sommeil. Se lier à une bête aussi puissante, surtout après un contact aussi éphémère, serait un grand défi. Il lui fallut tous ses efforts, mais Makeda poussa fort contre l’esprit de l’animal. Son esprit était grand, mais simple, et elle réveilla sa rage naturelle, en fait, elle l’enflamma et la libéra.

Un terrible rugissement secoua tout le campement. Tous les skorne, sur des kilomètres, regardèrent tous dans la même direction au même moment. Le ferox s’arrêta en tremblant. « Au nom des ancêtres, qu’est-ce que c’était ? »

Notre évasion, pensa Makeda, mais il lui était trop difficile de parler.

Le dos de bronze fit savoir ce qu’il pensait en ramassant un autre titan et en le lançant à travers le campement. L’immense animal effaça un instant l’une des trois lunes en passant au-dessus de sa tête. L’atterrissage du titan ébranla les fondations du monde et faillit renverser leur monture. Makeda n’eut pas besoin de donner un coup de pied au ferox pour le faire courir cette fois.

Ils dépassèrent les soldats d’Akkad, renversant une cataphracte distrait, tandis que le dos de bronze se déchaînait dans le camp. Ensuite, ils se retrouvèrent das les plaines et fuirent vers l’inconnu.

* * *

20
Ils n’avaient pas l’air d’une force victorieuse alors qu’ils se déplaçaient le long de la route vers le nord. Il n’y avait pas de défilé d’esclaves, pas de train de bagages remplis de trésors pillés, pas de têtes de trophées dressées sur des poteaux. Non pensa Makeda, ils ressemblaient davantage à des perdants. Seul un tiers de ses guerriers avaient survécu et nombre d’entre eux étaient blessés. Ils boitaient sur la route, empestant la mort, couverts de sang séchés et de bandages. Ils n’avaient pas de warbeasts. Ils avaient été forcés de laisser leurs morts derrière eux sans cérémonie. Leurs armes et leurs armures, en grandes parties brisées, étaient empilées sur un chariot.

Pourtant, seul son decurium avait vaincu la puissance combinée de la cohorte d’une grande maison.

Il ne s’agissait cependant pas d’une victoire pure et simple. Normalement, lorsqu’un tyran est renversé et qu’une maison est conquise, cette maison est absorbée par les vainqueurs. Cela n’avait pas été une option ici. Makeda se sentait à la fois soulagée et amer face aux résultats. L’armée de Muzkaar les avait totalement encerclés et ses survivants en lambeaux n’auraient eu aucune chance. Akkad et ses renforts n’étaient jamais arrivés. S’ils l’avaient fait, toute la Maison Muskaar aurait été enchaînée.

Au lieu de cela, elle avait reçu un message de l’héritier successeur de Naram. On y lisait simplement : Comme vous avez épargné l’essence de mon père, je vous épargnerai.

Le rouge et boursouflé soleil se couchait sur les plaines dorées. Seuls deux de ses officiers avaient survécu à la bataille. Le Dakar Urkesh, qui empestait les gaz caustiques employés pour propulser ses écorcheurs, et le Primus Zabalam, apparemment imbattable, marchaient à ses côtés. Le Darkar Barkal avait péri, comme la majorité de ses karax.

« Dis-moi, Zabalam... » C’était un signe de faiblesse, mais elle s’efforça de ne pas laisser transparaître la lassitude dans sa voix. « C’était la première bataille que je commandais. La victoire a-t-elle toujours un goût aussi amer ? »

« Parfois... » Son visage abîmé était inexpressif. « Ce fut une grande victoire. La gloire retombera sur votre nom lorsque la nouvelle parviendra à notre Maison ».

Elle ne savait pas si Zabalam était capable de sarcasme. « Tu te moques de moi, Primus ? »

« Je suis incapable de me moquer. Si vous croyez que je le fais, dites-le et je m’arracherai le coeur et je vous le remettrai en guise d’excuses ». Il la regarda dans les yeux. « L’amertume vient uniquement du fait que l’on vous a refusé le butin que vous revenait de droit ».

« Nous aurions dû écraser tout les Muzkaar et piller Kalos, si seulement Akkad avait amené sa cohorte comme il était censé le faire », cracha Urkesh.

« C’est ce qui me trouble », déclara Zabalam.

Une armée entière n’avait pas troublé Zabalam plus tôt, pourquoi l’absence d’une armée ? « Qu’est-ce qui te perturbe, Primus ? »

« Juste un sentiment. Pardonnez à un vieux épéiste ses nerds ». Zabalam regarda ses pieds, ne voulant pas croiser son regard. « Je suis sûr que ce n’est rien ».

« Où était Une Oreille de toute façon ? » marmonna Urkesh.

Makeda donna un revers dans la bouche du Venator. L’acier de son gantelet lui fendit la lèvre. Urkesh s’écrasa par terre, et avant qu’il puisse se redresser, elle appuya la pointe de sa lame sur sa gorge. Makeda tordit légèrement la garde, laissant le tranchant de l’Épée de Balaash s’appuyer sur l’artère.

Elle pouvait sentir son pouls à travers l’acier. Il lui suffisait de détendre un muscle et il mourrait.

Urkesh détourna les yeux et ne parla pas. Ce fut le fait de ne parler qui lui sauva la vie.

« Écoute mes paroles, Urkesh » siffla Makeda. « Tu as tué beaucoup de personne aujourd’hui. T taberna a été essentielle pour remporter la victoire. Tu pourrais m’être utile à nouveau. Pour cette raison, et cette raison seulement, j’épargnerai ta vie. Cependant, tu ne diras plus jamais de mal de quelqu’un qui est au-dessus de ta caste, ou je demanderai aux doloriste de t’écorcher. Tu comprends ? »

« Oui, Seconde Née ».

« Tu ne comprends pas vraiment l’hoksune. Tu tues à distance. Tu n’as jamais regardé dans les yeux d’un guerrier qui se noie dans son propre sang. L’hoksune n’est pas aussi réelle pour toi que pour Akkad, qui a subi mille morts entre ses mains. Restes là, honteux, et réfléchis à ta transgression ». Elle rengaina l’épée d’un geste rapide et s’éloigna. « Viens avec moi, Zabalam ».

Le vieux Prétorien laissa le jeune Venator sur la route et suivit son commandement. « Que voulez-vous de moi ? »

Makeda n’avait pas besoin de déférence, elle avait besoin d’honnêteté. « Je n’ai pas la patience pour exprimer la vérité. Je ne l’ai jamais eu ».

Zabalam acquiesça. « C’est pourquoi j’ai demandé à être affecté à votre cohorte plutôt qu’à celle de votre frère ».

« Alors parle franchement, maître aîné, et dis-moi ce qui te préoccupe ».

« Notre manque de renforts est suspect. Nous devrions être morts ».

Zabalam prit son temps et choisit ses mots avec soin. « Akkad a toujours aspiré à la gloire. Vous abandonnez au cours d’une bataille est un meurtre aussi sûr qu’un couteau dans le dos, et il n’est pas rare que des frères et sœurs s’entretuent pour diriger une maison ».

Makeda secoua la tête. « Mais Akkad est l’aîné. Il est déjà l’héritier de Telkesh. L’antique tradition veut que l’aîné gouverne ». Malgré toutes ses opinions personnelles sur son frère, elle n’irait jamais à l’encontre des traditions de sa caste, le contraire provoquerait le chaos et affaiblirait leur maison. « L’ordre de succession a été décrété. Telkesh règne et l’a déclaré ainsi. Si j’estimais qu’Akkad n’est pas apte à diriger, je déclarerais un défi. Toute autre décision serait déshonorante ».

« Ah, Makeda, tout le monde ne partage pas votre dévotion. Ils ne suivent pas les antiques méthodes de si près. Ils se contentent d’en parler, mais leur coeur n’est pas dévoué. Ils pensent que tout le monde est comme eux. Alors ils chuchotent et parlent. Ils ne sont pas comme nous. Ils se cachent dans l’ombre et font de la politique avec leur droit d’aînesse ». Zabalam cracha sur le sol. « Leurs paroles sont un poison, et je ne serais pas surpris que l’un d’entre eux susurre à l’oreil de votre frère que vous êtes une menace pour son éventuel règne ».

Il devait y avoir une autre explication. Elle savait qu’Akkad était ambitieux, et c’était un excellent guerrier. Elle ne doutait pas qu’il ferait un bon archdominar le moment venu. Violer les souhaits de leur père, Telkesh, était inimaginable, et elle ne savait pas quelle idée elle trouvait la plus dérangeante, que son frère la laisserait mourir, ou que quiconque douterait autant de son honneur.

« Courriers en approche ! » cria-t-on le long de la colonne. « Ils portent les couleurs de Balaash ».

Des éclaireurs pour l’armée. Ils seraient bientôt réunis. « Ne t’inquiète pas, Zabalam. Je parlerai à mon père des événements d’aujourd’hui. Je suis sûr qu’il y a une explication au retard d’Akkad ».

« Comme vous le souhaitez ». Le Primus s’inclina.

Elle pouvait voir la cavalerie maintenant. Les éclaireurs dévalèrent la route, se dirigeant droit ver s la bannière en lambeaux de Makeda. Le premier cavalier s’approcha de Makeda, monté sur un ferox, l’un des prédateurs les plus rapides des plaines La messagère portait les insignes d’un Dakar, et sa monture écumait à cause du voyage. La créature grogna envers Makeda, et la cavalière lui donna un coup de poing à l’arrière du crane. L’animal fit un volte-face et claqua sa mâchoire proche de ses jambes avec ses longues dents tranchantes, mais elle le frappa à nouveau plus fort. La domination établie, ce coup de poing finalement régla le problème.

« Seconde Née Makeda », la messagère baissa son casque. C’était aussi proche que possible d’une inclination alors qu’elle se trouvait sur le dos d’un ferox enragé. « Vous êtes en vie ? »

« Évidemment », répondit-elle. « Où est l’armée ? »

Campée à quelques kilomètres au nord », la cavalière semblait stupéfaite. « On dit que votre cohorte a été détruite par le Tyran Naram ».

« Il a essayé. Ce fut une excellente bataille, mais Naram fut celui a été détruit. Qui colporte de tels mensonges ? »

« Pardonne-moi. Ça cours dans le camp. Ancêtre ! Vous n’avez pas entendu ? »

« Crache le morceau, Prétorien ! »

La cavalière était manifestement terrifiée. Sa monture sentit cette peur inhabituelle et se retourna curieux et reniflant. « Votre père, l’Archdominar Telkesh, est mort ».

* * *

Le ferox fut incroyablement rapide. La bête, puissamment musclée, se déplaçait par grands bonds, ses griffes arrachant des touffes d’herbes et de terre au fur et à mesure qu’elle se déplaçait dans la plaine. Un soudain plongeon dans un ravin força Makeda à placer une main contre la peau reptilienne devant sa selle. Elle fut plus douce que prévu. Le ferox tourna un œil curieux vers elle. S’il s’était agi d’une autre cavalière inconnue, la chose vicieuses aurait peut-être  tenté quelque chose, mais elle pouvait sentir le danger en Makeda et faisait simplement ce qu’on lui demandait.

Sa monture s’élança dans les airs, les amenant à franchir le bord du ravin et pénétra dans le crépuscule. Un vaste campement s’étendait devant eux, composé de centaines de tentes, toutes arborant la fière bannière de la Maison Balaash. Abritant des milliers de soldats, des milliers d’esclaves et des dizaines et de bêtes, c’était plus une ville mobile qu’un campement. Makeda donna un coup de genoux dans les flancs du ferox et le dirigeant vers les lanternes les plus proches.

Les gardes se levèrent immédiatement pour sommer son approche. Ce n’est pas parce qu’elle arborait la bannière des Balaash qu’elle était une alliée, surtout ici en pays Muzkaar.

« Qui va là ? »

« Makedan Seconde Née de Telkesh ».

Le garde le plus proche changea la prise de sa lance. « Makeda est morte ».
Makeda se releva et retira son casque tandis que le ferox s’approchait de la lumière de la lanterne. Le vent soudain lui parut frais sur le cuir chevelu. « Silence, imbécile. Emmène-moi auprès de mon père ».

Les gardes semblèrent stupéfaits. « Elle est vivante ! » L’un de soldat fit un signe en sa direction. Le ferox s’élança vers lui, et ses dents en forme de poignard manquèrent son poignet de moins d’un doigt.

Un garde plus intelligent pointa de sa lance. « Pardonnez-nous. La tente de l’archdominar est là-bas ».

Makeda regarda la tente. Ce n’était pas celle de son père. C’était celle d’Akkad. Elle ressentit une douleur soudaine dans son coeur, une sensation inconnue. « Ha ! » Elle donna un grand coup de talon au ferox. Il atteignit la tente d’Akkad en trois bond. Makeda descendit de la selle et entra rapidement. Les soldats s’inclinèrent immédiatement et s’écartèrent de son chemin.

Bien qu’il s’agisse d’une énorme affaire nécessitant plusieurs de ses propres bêtes de somme pour se déplacer n’importe où, l’intérieur de la tente d’Akkad était rempli de guerriers de tous rangs et de toutes lignées. Makeda reconnut de nombreux conseillers et officiers de son père. Ils arboraient tous une expression solennelle qui se transforma en choc lorsqu’ils la virent. Des chuchotements se firent entendre tandis que tous les regards se tournaient vers elle.

« Où est mon père ? » demanda Makeda, tout en connaissant déjà la réponse.

Les têtes se baissèrent. Des pieds furent étudiés. Un scribe se précipita vers l’arrière de la tente et disparut sous un rabat dans les dortoirs.

Abaish fut le premier à prendre la parole. Il appartenait à la caste des doloriste, mais était l’un des plus proches conseillers de son père. Seul son étroit menton était visible sous le masque traditionnel porté par tous les doloristes. « Pardonnez notre surprise, Tyran Makeda. On nous avait dit que votre cohorte avait péri au combat aujourd’hui ».

« Pas aujourd’hui. Peut-être la prochaine fois. Maintenant, où est mon père ? »

Abaish secoua la tête avec un chagrin exagéré. « Je crains que le puissant Telkesh ne soit mort ».

Le genoux de Makeda se transformèrent en eau. Elle essaya de ne pas laisser transparaître ses émotions. Telkesh était un archodiminar depuis peu. Vaactash n’était mort que depuis un an. C’était inconcevable. « Comment ? »

« Une maladie soudaine », répondit l’un des cataphractaires. « Il a été pris de fièvre ».

Il semblait impossible qu’un mortitheurge expérimenté, un chef de maison maîtrisant les énergies contrôlant la choir ou pouvait résister à la mort, soit emporté par une simple fièvre.

« Les chirurgiens n’ont pas pu trouver de remède à temps », ajouta Abaish en s’excusant. « Pour cet échec, Akkad les a fait exécuter.

Comme si prononcer son nom l’avait appelé, mais s’agissant très probablement du scribe, car le même volet s’ouvrit et Akkad entra. Grand, large et puissant, ses traits étaient marqués et forts, ses yeux étroits et intelligents. Lorsque la caste des artisans tentait de capturer la perfection skorne dans une œuvre de sculpture, celle-ci ressemblait généralement à Akkad, à l’exception bien du seul moignon d’oreille esquinté.

Il scruta la salle avec impatience. Tous les officiers et fonctionnaires rassemblés s’agenouillèrent et baissèrent la tête. Cet acte n’aurait pas dû la surprendre. Après tout, Akkad était désormais l’archdominar de la Maison Balaash.

« Ma soeur », Akkad semblait aussi surpris de la voir vivante qu’elle l’avait été de découvrir que leur peut était mort. Cependant, il savait mieux cacher ses émotions. Le doloriste Abaish se releva et se plaça à la droite d’Akkad. Le sourire d’Akkad semblait forcé. « C’est un plaisir de te voir. Mes éclaireurs m’avait dit que ta cohorte avait été encerclé et anéantie dans les plaines. Il est bon de voir que tu as échappé à Naram ».

« Je n’ai pas échappé au Tyran Naram, je l’ai tué ». Des murmures enthousiastes emplirent la tente, certain plus incrédules que d’autres. Elle ne put entendre les paroles, mais elle put les imaginer. Comment cette inexpérimentée jeune fille avait-elle pu vaincre le grand Naram ? Elle s’en occuperait plus tard. Pourtant, de nombreux membres de la caste des guerriers semblaient plutôt satisfaits. Cette nouvelle parut bouleverser Akkad, mais elle ne pouvait s’y attarder. « S’il te plaît, mon frère, parle-moi de mon père ».

« Oui. Pauvre père. Il est tombé malade pendant notre marche. Le puissant Telkash a été terrassé par une maladie hier. Je me suis précipité à ses côtés dès que j’ai appris la nouvelle. J’étais avec lui quand le fièvre l’a consumé ».

« Une tragédie », acquiesça Abaish.

« En effet. Il souffrait terriblement. On lui a volé sa dignité. Une mort qui ne fut en aucun cas appropriée... »

« Attends ! » Makeda ne put s’en empêcher. Elle regarda en direction du laudateur du conseil. Tous l’observaient. Tous leurs les membres de leur castes spécialisée avaient cérémonieusement arraché un de leurs yeux mortels et l’avaient remplacé par un cristal qui leur permettait de voir dans le royaume des esprits. Son reflet était visible dans l’oculus de cristal du laudateur. « Il n’est pas mort au combat… Vous voulez dire que son essence n’a pas été préservée ? »

Le laudateur secoua tristement la tête.

Makeda sursauté. « Non ». Teleksh n’avait pas eu l’occasion de prouver sa valeur. Son père avait été relégué dans le Néant.

Akkad croisa les bras tout en étudiant son conseil. Abaish se pencha et chuchota à la bonne oreille d’Akkad, ce qui lui rappela le Primus Zabalam et sa mise en garde contre ceux qui se cachaient dans l’ombre. Akkad fronça les sourcils. « Pourquoi ne t’inclines-tu pas devant ton archdomina, Makeda ? As-tu l’intention de me manquer de respect ? »

Makeda fut tirée de ses pensées par cette accusation. « Pourquoi- »

Tu ne t’agenouilles pas. Pourquoi manques-tu de respect à la Maison Balaash en n’honorant pas ton archdominar ? »

Et à ce moment-là, Makeda sut…

Akkad avait su que son père allait mourir ce matin. Il avant abandonné toute sa cohorte, sachant que Naram les tuerait.

Elle put lire la vérité sur les visages de nombreux guerriers dans la pièce. Ils l’avaient comrpis eux aussi.

« Agenouille-toi », ordonna Akkad.

Son frère l’avait condamné à mort. Pourquoi ? La considérait-il vraiment comme une menace pour son règne ? Son esprit était encore fatigué par le combat. Beaucoup de guerriers la regardaient avec attente. Elle sentait la colère monter en elle, pourtant les traditions de leurs caste étaient claires à ce sujet. C’était la responsabilité de l’aîné de gouverner. Makeda refoula sa colère, puis s’agenouilla et baissa la tête ». Je suis désolé… archdominar ».

Akkad n’avait aucune idée que son sens de l’honneur venait de lui sauver la vie.

21
PARTIE UNE

« Qu’est-ce que tu murmures, mon enfant, quand la douleur devient trop forte ? »

Makeda essuya le sang de sa lèvre fendue. Sa tête lui tournait et son corps lui faisait mal à cause des coups sauvages. « Je récite le code ».

« Pourquoi un guerrier doit-il réciter le code hoksune ? » demanda l’archdominar Vaactash d’un ton rhétorique.

« Le code me montre la voie de l’exaltation. Ce n’est que par le combat que l’on peut comprendre la voie ». Elle étudia le sang sur le dos de sa main tremblante tout en s’exprimant. Tout cela lui appartenait… jusqu’à présent. Il faudrait qu’elle y remédie. Akkad l’avait battue sans pitié, mais Makeda pouvait toujours combattre. Les tremblements ralentirent puis s’arrêtèrent. « La souffrance nettoie la faiblesse de mon être. Adhérez au code et je deviendrai digne ».
« C’est exact. Tu as beaucoup appris pour quelqu’un de jeune », déclara son grand-père sans aucune inflexion. C’était le compliment le plus proche que l’archdominar lui avait fait. « Récupère tes épées, Makeda de la Maison Balaash. Te leçons ne sont pas encore terminés aujourd’hui ».

Les épées d’entraînement gisaient dans le sable, près de l’endroit où elles avaient été projetées. Elles étaient faite de bois dur, les bords étaient bosselées et fissurées par des centaines d’impacts, les poignées étaient usées par la sueur et les callosités. Elle avait commencé à apprendre à s’en servir dès qu’elle avait assez forte pour les soulever. Elle n’était peut-être qu’une enfant, mais elle était skorne, et donc elle ne se posait pas de questions, elle endurait. Makeda tendit la main et s’empara de la paire d’épées en bois. Elles étaient confortables dans ses mains, imitant le poids et l’équilibre des véritables lames prétoriennes.

« Relève-toi », ordonna Vaactash.

Makeda se leva péniblement, les muscles endoloris par les protestations. Son armure lamellaire avait été conçue pour un adulte et était trop grande pour son mince corps, mais elle l’avait gardée intact lors du dernier impitoyable d’Akkad. Elle n’avait pas encore commencé à étudier l’art de la morthitheurgie, mais elle n’avait pas besoin d’être une maîtresse lectrice de l’énergie qui résidait dans le sang et les tendons pour comprendre que son corps risquait de lui faire défaut. Son adversaire était tout simplement trop fort.

Akkad attendait qu’elle se lève, visiblement excité à l’idée de prouver à leur grand-père. Il n’y avait que trois personnes présentes dans la gigantesque arène d’entraînement de la Maison Balaash, mais l’une d’entre elles était l’archdominar Vaactash en personne, maître de leur maison et guerrier si grand qu’il s’était déjà assuré l’exaltation pour ses exploit. Peu importait que les gradins soient vide, car l’avis de Vaactash seul comptait plus que les acclamations  des plusieurs cohortes de soldats.

« Quelle leçon voudriez-vous que je lui enseigne ensuite, Archdominar ? » demanda Akkad. En tant qu’aîné des deux enfants  de Telkesh, premier fils et héritier du puissant Vaactash, Akkad dirigeaient un jour la Maison Balaash. L’hoksune dictait que l’aîné, à moins qu’il ne soit pas apte à la guerre, devait diriger. Il était vital qu’Akkad démontre sa supériorité martiale devant son grand-père, et jusqu’à présent, il le faisait. « Elle n’est encore qu’une toute petite chose ».

L’expression de Vaactash devint indéchiffrable. « Alors pourquoi as-tu dû travailler si dur pour la vaincre ? »

Makeda prit un certain plaisir à voir la colère apparaître sur le visage d’Akkad alors qu’il balbutiait une réponse. « Je voulais simplement vous offrir un spectacle amusant ».

« Regarder un doloriste écorcher un ennemi capturé est amusant ». lança Vaactash. « Je suis ici pour m’assurer que mes petits-enfants soient correctement préparés à apporter la gloire à ma maison. Démontrez-moi que vous êtes prêt à combattre au nom de Balaash ;

Akkad baissa la tête avec soumission. « Bien sûr ». De dix ans son aîné, son frère était plus grand et avait déjà reçu un entraînement avancé sous la tutelle d’un vétéran cataphractaire de leur père. Akakd se dirigea vers le râtelier d’armes le plus proche et en sortit une lance de guerre, la lourde arme d’hast des Cetrati. Elle était plus grande que Makeda, et même si la lame avait été remplacée par un bloc de bois façonné, elle savait qu’elle frappait toujours comme une défense de titan. Akkad testa l’équilibre de la lourde arme avant de pousser un grognement d’approbation. Il la fit tourner sans effort avant de la pointer vers la poitrine de Makeda. « Je vais l’achever rapidement cette fois-ci ».

« Veille à ce que tu le fasses. Ne cache rien. Démontre ta conviction ».

Pour les skorne, la vie consistait à faire la guerre ou à s’y préparer. C’était une existence dure, brutale et inflexible. C’était particulièrement vrai pour ceux qui avait la chance de naître au sein de la Maison Balaash, la plus grande de toutes les maisons. Il ne faisait aucun doute qu’ils se battraient de toutes leurs forces jusqu’à ce qu’ils soient physiquement incapables de continuer ou que leur supérieur leur ordonne d’arrêter. D’autres maisons, moins importantes, auraient pu agir différemment, peut-être sans risquer la vie de leurs héritiers de manière aussi flagrante, mais c’était pour cela qu’elles étaient faibles et que la Maison Balaash était puissante.

Makeda releva le défi. Elle croisa ses épées et salua son frère.

Leur grand-père étudiait attentivement les combattants, ses yeux blancs ne clignant pas. Même si sa silhouette était déformée par l’âge, sa simple présence semblait remplir l’arène. C’était un guerrier qui avait mené des dizaines de milliers de personnes au combat et conquis plus de maisons que n’importe quel autre dominar en plusieurs générations, ce qui lui avait valu le titre extrêmement rare d’archdominar. C’était un maître mortitheurge capable de commander les bêtes les plus puissantes et d’arracher une magie incroyable à la chair. Makeda aurait aimé avoir une fraction de sa compréhension, mais elle s’était promis qu’un jour elle y parviendrait. Vaactash était la quintessence de ce que signifiait être skorne.

Après un long moment de réflexion, Vaactash s’écarta, rassembla ses robes rouges et pris place au premier étage de l’arène d’entraînement. Il fit un geste dédaigneux. « Poursuivez ».

« Viens, ma sœur. Finissons-en ».

Akkad balança la lance dans un large arc de cercle. Makeda leva les deux lames pour l’intercepter, mais l’impact fut si violent qu’il faillit les arracher de ses mains. Ses bras étaient déjà épuisés et tremblants. Elle grimaça et repoussa, mais ses bottes glissèrent sur le sable de l’arène alors qu’Akkad la dominait. Le pression se relâcha, le lourd manche recula et Makeda alors qu’Akkad la poignardait. Il la suivit, sans relâche, les yeux plissés, cherchant une opportunité d’en finir avec elle.

Il était plus fort, mais elle était plus rapide. Face à la menace, Makeda frappa le visage d’Akkad avec sa droite. Montre une lame à ton ennemi. Tue-le avec l’autre. Elle le poignarda avec son épée gauche et toucha le bord de son plastron. Akkad ne sembla pas le remarquer. La lance bourdonna à nouveau dans les airs, et cette fois Makeda fut incapable de l’arrêter.

Elle s’écrasa violemment contre le mur de l’arène.

Le code de l’hoksune stipulait que l’aîné était l’héritier par défaut, mais que chaque enfant de la caste la plus élevée était un atout de guerre précieux, et ne devait donc pas être gaspillé de manière frivole. Pourtant, lorsque Makeda croisa le regard fou d’Akkad, elle se demanda si son frère avait vraiment l’intention de la tuer. Elle roula de justesse sur le côté alors que mur était pulvérisé en éclats. Vaactash ne dit rien.

Son frère revenait sans cesse. La lance de guerre couvrait de vastes étendues de l’arène à chaque attaque. Les muscles des bras de Makeda se contractèrent de douleur alors que ses épées d’entraînement rebondissaient sans danger. La sueur coulait à l’intérieur de sa maudite et encombrante armure. Elle avait été touchée aux côtes, puis à la jambe. La chair meurtrie et enflée, Makeda continuait à se battre. Elle se battrait jusqu’à ce que son archdominar dise qu’il était temps d’arrêter ou qu’elle soit morte, car tel était le code. Un autre massif coup projeta une de ses lames. Elle tournoya dans les airs et atterrit dans les gradins avec fracas.

Makeda savait qu’elle perdait, mais les mots du code lui traversèrent l’esprit. Ce n’est que par le conflit que le code peut être compris. Acceptez votre souffrance et gagnez en clarté.

Le temps sembla ralentir. Ses mouvements étaient trop féroces, trop incontrôlables. Il avait estimé sa détermination. Akkad leva sa lance au-dessus de sa tête avant de l’abattre en un percutant arc de cercle. Makeda s’écarta à peine à temps. Le puissant coup projeta un nuage de sable dans les airs, mais avant qu’Akkad ne puisse à nouveau soulever la lance de guerre, Makeda planta une botte sur la lame de la lance de guerre. Malgré son tour de passe-passe, le poids supplémentaire fut suffisant pour faire glisser sa prise alors qu’il essayait de retirer la lance. La surprise momentanée fut juste suffisante pour permettre à Makeda un coup franc.

« Balaash ! » s’écria-t-elle.

La pointe de son épée d’entraînement frappa Akkad sur le côté de sa tête. Le sang coula alors que le peau se fendait. La lance fut retirée de sous sa botte et frère et sœur s’éloignèrent l’un de l’autre.

Makeda se ressaisit, mais ce n’était qu’une accalmie dans le combat. Akkad la regardait comme s’il était abasourdi, un gantelet pressé sur sa tête pour étouffer le flot de sang. Elle l’avait durement frappé. Son oreille était mutilée, le lobe ne tenant qu’à un petit bout de peau. Il l’avait certainement sentie.

« J’en ai assez vu ».

Haletant, à peine capable de se tenir debout, Makeda observa leur archdominar. Vaactash acquiesça une fois. Son coeur se gonfla.

« Vous vous êtes tous deux améliorés depuis la dernière fois que je vous ai vu vous entraîner. Cela me fait plaisir que le sang de la Maison Balaash ne soit pas épuisé dans cette génération. Un jour, je mourrai et ton père, Telkesh, dirigera ma maison, et tu le serviras. En temps voulu, Akkad, tu prendras sa place. Lorsque tu auras appris à modérer tes ambitions par la sagesse, tu apporteras un grand honneur à notre maison. Ta sœur fera un bon tyran à ton service, et je ne doute pas que des multitudes seront conquises pour alimenter nos fosses à esclaves. D’ici là, tu as beaucoup à apprendre.

« Oui, archdominar ».

« Plus tu saignes à l’entraînement, moins tu saigneras à la guerre. Apprends à chaque combat, Akkad. Sais-tu pourquoi Makeda t’a vaincu cette fois ? »

« Elle ne m’a pas vaincu ! » grogna Akkad.

« Silence ! » L’arène entière sembla fléchir sous l’effet du mécontentement de Vaactash. Cette seule parole sévère fit tomber Akkad à genoux et s’incliner. « Ne soit jamais en désaccord avec le dirigeant de ta maison. Si cela avait été une véritable lame prétorienne, le contenu de ton épais crâne se serait répandu sur le sable. Idiot. Comment oses-tu remettre en question mon jugement ? »

Le frère et la sœur reculèrent. Le légendaire tempérament de l’archdominar n’était évoqué qu’à voix basse.

« Pour cela, cette blessure ne sera pas soignée. On en coupera l’extrémité et on la cautérisera. Tu porteras cette cicatrice en souvenir de ton impertinence ».

« Oui, archdominar ». Akkad garda le tête baissée tandis que les gouttelettes de sang dessinaient un motif dans le sable. Il essayait de ne paraître renfrogné. « Ce sera comme vous l’ordonnez ».

« Encore une fois, sais-tu pourquoi un petit enfant capable de se cacher dans ton ombre à réussi à te battre ? »

« Pardonnez mon ignorance. Je… je ne connais pas la réponse, grand-père ». Akkad risque un rapide coup d’oeil vers Makeda. Elle put ressentir la méchanceté dans son regard. Makeda ne jubilait pas. Elle avait simplement fais de son mieux, comme il se devait. « S’il vous plaît, éclairez-moi ».

« Vous ne comprenez que le concept de victoire. Makeda ne comprend pas le concept de défaite ».

* * *

Une génération était passée, mais les leçons de Vaactash ne l’avaient jamais quittées. Ses paroles étaient aussi ancrées en Makeda que le code de l’hoksune lui-même. Une année s’était écoulée depuis la mort de son grand-père sous les défenses d’un grand animal des plaines, mais elle faisait toujours appel à sa sagesse lors des moments difficiles. Désormais, elle était une guerrière mature, mais n’ayant pas encore fait ses preuves. Les Épées de Balaash étaient rengainées à ses côtés. Des éclats de pierre sacrée de son grand-père se trouvaient parmi ceux qui renforçaient les puissantes lames, et bien que seul un laudateur puisse entrer en contact avec les morts exaltés, Makeda avait toujours l’impression que Vaactash était là pour la guider de sa sagesse.

Makeda aurait besoin de cette sagesse si elle voulait survivre à cette journée.

L’atmosphère à l’intérieur de la tente de commandement était aussi torride que la sécheresse qui ravageait les plaines. Les officiers de son decurium étaient en désaccord sur la marche à suvre.

« Tyran Makeda, les forces de la Maison Muzkaar sont presque sur nous ».

« Les renforts d’Akkad ne sont pas encore arrivés. Nous sommes largement en infériorité numérique. Si nous ne reculons pas maintenant, nous mourrons ici. Urkesh était le dakar de sa taberna de Venators. Bien sûr, un guerrier spécialisé dans l’engagement de l’ennemi à distance à l’aide d’écorcheurs choisira une approche pragmatique bien qu’un peu lâche.

« On nous a ordonné de tenir cette colline ! Alors on s’enterre et on tient ! » Le Dakar Barkal était le chef de son karax de Prétorien. Bien sûr, les karax choisiraient de mourir ainsi, en formation xenka parfaite, chacun de leurs grands boucliers se protégeant et les prétoriens à leurs côtés tandis qu’ils empalaient leurs ennemis sur de longues piques. « L’honneur l’exige ».

Muzkaar est cinq fois plus nombreux que nous », insista Urkesh. « Votre honneur n’y suffira pas ».
« Mettez-vous en doute la force du karax ? » cria Barkal.

Makeda les laissa débattre. Elle savait qu’ils suivraient sa décision finale, qui qu’il arrive. Peut-être qu’en attendant, l’un d’entre eux la surprendrait avec une solution.
Vos puissants boucliers ne serviront à rien quand un mur de titans s’abattra sur vous », répondit Urkesh.

Les Venators étaient les plus bas de la caste des guerriers, mais Urkesh était jeune et plein d’entrain. Makeda doutait qu’il se rende compte à quel point il était proche de se faire frapper par Barkal sous l’effet de la colère. « Nous ne pouvons rien tenir si nous sommes morts et si nous hurlons dans le Néant. Je dis que nous devons nous retirer de ce piège et nous diriger vers les plaines, où nous pourrons manoeuvrer et harceler ces chiens de Muzkaar jusqu’à l’arrivée des forces d’Akkad ».

Barkal regarda Makeda, son mince visage blême de rage. Elle avait besoin de tous les guerriers, même d’un Venator dont la dévotion à mourir selon le code hoksune était pour le mieux discutable. Makeda secoua la tête. Elle n’approuverait aucun duel pour atteinte à l’honneur avant la fin de la bataille. Elle ne pouvait épargner aucun guerrier. Privé de sa chance d’étriper Urkesh pour son insolence, Barkal se remit à défendre sa position. « Notre devoir exige que nous tenions bon », grogna-t-il.

Plongée dans ses pensées, Makeda écoutait les paroles de ses subordonnés se disputant. Elle était heureuse qu’aucun d’entre eux ne craigne la mort, seulement le possibilité d’un échec. Le skorne vivait pour servir et mourir, mais il n’y avait aucun honneur à mourir inutilement. C’était son premier commandement, et elle le changerait pas facilement.

Le Primus Zabalam s’avança et plaça son corps entre les deux guerriers criants. Le deux dakars s’écartèrent par respect pour leur officier supérieur. « Quelle que soit la meilleur décision, nous devons donner l’ordre rapidement. Les bêtes du Tyran Naram nous couperont la route d’ici une heure, et l’une ou l’autre décision n’aura plus d’importance ». C’était la première fois que le chef vétéran de ses épéistes Prétoriens prenait la parole. Zabalam était le guerrier le plus âgé présent et avait servi comme l’un des gardes personnels de Vaactash. Il parlait avec la sagesse acquise au cours d’innombrables batailles. « Notre commandant doit faire son choix maintenant, ou la décision sera prise pour elle ».

La carte était ouverte sur la table, mais elle la parcourait du regard plutôt que de la fixer. La carte n’avait aucune importance. Elle avait déjà mémorisé chaque coup de pinceau et chaque ligne d’encre. Ne pas respecter à leurs ordres, battre en retraite et vivre pour rejoindre le reste de l’armée, ou tenir bon dans le vain espoir que son frère arriverait à temps, et plus que probablement mourir comme rien de plus qu’une temporaire distraction… En fin de compte, c’était à elle de choisir.

La situation était désastreuse. L’honneur de la Maison Balaash reposait sur ses épaules. C’était dans des moment comme celui-ci que le dévouement d’un guerrier au code était mis à l’épreuve.

Grand-père, que voulez-vous que je fasse ?

Ayant récemment atteint l’âge suffisant pour passer les rites de passage de la caste des guerriers, c’était la première fois que Makeda menait une cohorte au combat au nom de la Maison Balaash. L’archdominar Telkesh lui avait ordonné de tenir cette position, une petite collines dans les plaines au sud de Kalos, mais personne n’avait prédit ce niveau de résistance. Leurs espions avaient signalé que le gros de l’ennemi avait campé beaucoup plus près de la ville, loin d’ici. L’armée principale de la Maison Balaash marchait sans opposition tandis que la cohorte de Makeda était en infériorité numérique face à l’ensemble des forces de la Maison Muzkaar.

Si d’une manière ou d’une autre elle survivait à cette journée, Makaeda avait l’intention de faire torturer ces espions pendant longtemps.

Cela résolvait toutefois pas son dilemme actuel. L’armée ennemie était commandée par Naran, un tyran légendaire à la fois pour son habilité avec les bêtes et la cruauté dont il faisait preuve pour les briser. Elle avait appris tout ce qu’elle pouvait des exploits de Naram et le respectait pour ses victoires brutales et sans faille. C’était un adversaire digne de son père et de sa puissante armée, mais un ennemi loin d’être aussi approprié pour un commandant inexpérimenté et une petite cohorte. Pourtant, les ancêtres avaient placé Naram contre elle, et non contre son père. Cette bataille était la sienne.

Makeda savait que ce n’était pas ses compétences croissantes dans l’art de la mortitheurgie, ni son talent naturel avec la lame qui la rendait précieuse pour sa maison. C’était sa certitude quand de la véracité du code de l’hoksune. Son grand-père l’avait reconnu. Alors, comme elle le faisait toujours, Makeda chercha une réponse dans le code.

Le combat favorise l’agresseur. Il y a un temps pour la défense et la mobilité, mais chaque tactique n’était qu’un outil permettant l’inévitable attaque. S’allier à son ennemi et le tuer est le véritable chemin vers l’exaltation.

Elle remercia silencieusement les éclats de l’essence de son grand-père reposant dans ses épées.

Makeda leva une main, faisant taire ses officiers. « Nous ne battrons pas en retraite... » Qu’ils soient d’accord ou non, ils commencèrent à se déplacer pour faire passer le message. « Nous ne conservons pas non plus cette position ».

Les hommes se figèrent, incertains. Ils se regardèrent, d’aucun n’osant interroger à nouveau leur commandant. Même si elle était la plus jeune de la pièce, elle était leur supérieure, tant par sa naissance que par sa nomination. Finalement, Barkal, des karax, osa s’exprimer. « Que voudriez-vous que nous fassions alors, Seconde Née ? »

Makeda sourit. « Nous attaquons ».

* * *

Le bruits des tirs des écorcheurs rappelait à Makeda un essaim d’insectes bourdonnants, sauf que cet essaim était composé de milliers de projectiles tranchants comme des lames de rasoir. Un titan de la Maison Muzkaar poussa un mugissement d’agonie lorsque ces projectiles déchiquetèrent sa peau. La gigantesque bête de guerre fit quelques pas hésitants, ruisselant d’un sang éclatant provenant d’une pléthore de blessures. Plusieurs dresseurs Muzkaar fouettèrent la chose, la poussant à avancer à travers le nuage d’acier. Rendu fou par la douleur, le titan poursuivit son chemin.

« Recharger ! » cria Urkesh à ses Venators. Il n’y avait qu’un seul datha de dix porteurs d’armes, mais ils agissaient rapidement, dévissant les bouteilles de gaz épuisées de leurs armes. Makeda mesurait les distances. Les porteurs d’arme étaient rapides, mais pas assez rapide. Le titan piétinerait les guerriers d’Urkash et elle perdrait l’avantage du combat à distance.

La Maison Muzkaar n’avait apporté aucune capacité à distance, et des dizaines de cadavres de Muzkaar jonchaient la route depuis qu’ils avait été fauchés par ses Venators alors qu’ils tentaient de traverser. Makeda ne voulait pas renoncer à cet avantage.
Makeda n’avait que peu de warbeasts à sa disposition. Comme sa cohorte s’était rapidement déplacée pour s’emparer de leur objectif, elle n’avait reçu que deux cyclopes sauvages Les bêtes les coriaces, mais les plus lentes avaient été laissées à Akkad. Elle étendit son esprit, employa ses pouvoirs de mortitheurge pour trouver le cyclope le plus proche, une boule de muscles et de haine. Elle s’empara de son esprit et le dirigea vers le titan ennemi.

Le cyclope brandit sa grande épée et s’élança en avant, dépassant de plusieurs têtes les guerriers les plus grands sur son passages. Ce qui manquait d’intelligence aux cyclopes était compensé par une violente ruse. L’unique œil de la bête allait et venait, voyant le champ de bataille comme seul un cyclope pouvait le faire, quelques secondes dans le futur, et Makeda se demanda si le cyclope pouvait voir sa propre mort arriver.

La terre trembla tandis que le titan blessé chargeait. Chaque pas ressemblait à un tremblement de terre. Aussi grand que soit le cyclope, il était éclipsé par le titan. Les défenses armurées s’écrasèrent sur l’armure du cyclope avec une bruit qui put être entendre par-dessus tout le chaos de la bataille. Le cyclope roula au loin et le titan blessé le suivit, balançant sauvagement ses massifs gantelets. L’instinct poussait le cyclope à fuir, et il poussa un cri de protestation lorsque Makeda prit le dessus sur son esprit et le força à tenir bon.

Leurs armes prêtes, Urkesh cria à sa taberna. « Concentrez vos tirs sur ce titan ! » Les Venators sortirent du fossé dans lequel ils s’étaient abrités, visèrent et lâchèrent un flot d’aiguilles rasoirs. Des centaines de projectiles ricochèrent sur des plaques de blindages et des défenses en ivoire, gémissant au loin, mais des centaines d’autres trouvèrent leur cible. La peau se plissa et saigna tandis que le titan rugissait et s’écrasait dans la poussière.

D’une manière ou d’une autre, son cyclope avait survécu à la puissante charge. À peine vivant, il luttait pour se rester debout, utilisant son épée pour se redresser. Makeda utilisa sa magie, sentier le précieux sang s’écouler du corps endommagé du cyclope, puis elle atteignit les profondeur de la bête et poussa sa furie vers de nouveaux sommets. La colère nouvelle offrit à sa bête une force surnaturelle, et avant que l’ennemi puisse récupérer, le cyclope de Makeda trancha l’un des quatre bras du titan au niveau de l’épaule.

Le mugissement mortel du titan fut comme une musique à travers les plaines. Ses souffrances seraient probablement entendues jusqu’à la ville de Kalos. C’était vraiment un grand jour pour la Maison Balaash.

Les dresseurs Muzkaar qui poussaient ce titan s’enfuirent à travers un ravin. « Urkesk ». La voix de Makeda fut calme. « Assure-toi que c’est la dernière fois que ces dresseurs m’ennuient ».

L’ordre fut donné et le gémissement des aiguilles tranchantes, et Makeda s’était déjà déplacée pour surveiller la suite de la bataille.

La Maison Muzkaar ne s’était pas attendue à sa furieuse attaque, et Makeda avait empilé leurs cadavres en profondeur. L’armée du Tyran Naram était confiante dans sa victoire, mais Makeda avait frappé si fort et si vite que le Maison Muzkaar avait été plongée dans le désarroi. Une charge sauvage de ses épéistes et de ses karax avait ensanglanté Muzkaar. Ils avaient repoussés, mais de façon désorganisée et paniquée, et ce n’est que grâce à leur supériorité numérique que Muzkaar avait pu survivre. Elle avait éloignée la plupart de ses troupes mêlée, laissant ses karax établir une ligne de défensive, laissant à ses Venators le temps de saigner l’ennemi. Les fiers épéistes étaient impatient de retrouver la gloire, mais elle leur ordonna d’être patients. Laissons les Muzkaar penser qu’ils étaient épuiser.

Alors que le soleil se levait et que la chaude matinée se transformait en un après-midi torride, la Maison Muzkaar contre-attaqua, et même si elle fut bâclée et précipitée, Makedi était en très nette infériorité numérique. Elle ne pouvait pas gagner une guerre d’usure contre un tyran disposant d’une écurie de titans.

Malgré de lourdes pertes, la ligne des karax prétoriens tenait bon. Ils se tenaient épaule contre épaule, formant un mur d’acier et de bois, leurs boucliers absorbant les coups et leurs piques s’enfonçant sans cesse, faisant couler le sang des Muzkaar. Les karax étaient méthodiques, avançant à pas comptés, toujours poignardant.

Le code de l’hoksune enseignait que le combat le plus pur était individuel, guerrier contre guerrier. Elle comprenait pourquoi il était beaucoup plus difficile pour un membre des karax d’obtenir l’exaltation que pour un épéiste. Ce n’était pas le combat quelle connaissait, le calcul de l’attaque et de la défense, et l’éclair soudain d’une épée… C’était mécanique. C’était un peu comme regarder les castes inférieures récolter le grain dans les champs. Les karax poignardaient, bloquaient, poignardaient, bloquaient, et chaque fois que Barkal voyait une ouverture, il ordonnait une avancée à travers les plaines tachées de sang, puis comme un seul homme, ils recommençaient leur récolte. C’était hypnotique à regarder.

Zabalam l’attendait sur la crête surplombant leurs karax restants. Sa taberna de Prétorien épéiste d’élite était prête, accroupie dans les hautes herbes dorées, cachée comme elle l’avait ordonné, jusqu’à ce que le moment soit venu.

« Seconde Née Makeda ». Zabalam s’inclina.

« Un bel après-midi pour la guerre, Primus », le salua respectivement Makeda. Même si elle le surclassait en termes de naissance et de commandement, Zabalam avait été son principal instructeur dans l’art des deux épées. En vérité, il faisait honneur à leur maison. Elle remercia les ancêtre que son père avait jugé bon d’envoyer Zabalam avec sa cohorte. « Comment ça se passe ici ? »

« Les épéistes s’irritent de devoir se cacher dans l’herbe comme de simples Hestatiens ».

« Ce sont des guerriers d’élite. Fiers... » remarqua Makeda. « C’est compréhensible ».

« Ils feront ce qu’on leur dit… Je ne pense pas que votre frère nous relèvera à temps ».

« Akkad viendra ». Makeda avait des doutes, mais elles ne les exprimait pas à voix haute.

« Les karax ont combattu jusqu’à l’épuisement. Il tomberont bientôt, et quand ils le feront, nous seront débordé par misérables belek Muzkaar.

« Bien ». Un belek était un animal de troupeau au crâne épais, fort mais connu pour se précipiter dans les marais et s’y enliser. Makeda ne pensait pas que Zabalam se rendait compte de la justesse de cette insulte.

« Bien ? » Depuis que le visage Zabalam avait presque été coupé en deux par une épée, bien des années auparavant, seule la moitié de sa bouche bougeait lorsqu’il fronçait les sourcils. L’autre partie restait figée en permanence en ligne droite. « Je ne sais pas en quoi c’est une bonne chose ? »

« Nous ne pouvons pas survivre à une force de cette taille. Notre seul espoir de les vaincre est de tuer leur tyran. Sans Naram, Muzkaar tombera. Que sais-tu de Naram ? »

« Il est réputé pour son talent, mais votre grand-père l’a vaincu une fois et s’est emparé de nombreux esclaves dans l’une de ses villes ».

« Oui ? On dit qu’il voue une haine plutôt passionnée envers la Maison Balaash et qu’il restait un guerrier sans égal. Mon ancêtre lui a fait honte, alors il viendra se venger. Il sait que je suis là, alors Naram voudra en personne porter le coup fatal ».

« Ou peut-être qu’il vous capturera et vous livrera à ses Doloristes ».

Makeda haussa les épaules. « Quoi il en soit, Naram arrive, et quand il le fera, je le tuerai en premier ».

« Vous me rappelez parfois votre grand-père… Mais qu’en est-il des karax ? »

« Espérons que les renforts d’Akkad seront accompagnés d’un laudateur ». Seul un membre de la caste des laudateurs ou des gardiens ancestraux, beaucoup plus rares, pouvaient préserver l’essence spirituelle d’un guerrier au sein d’une pierre sacrée afin qu’il puisse continuer à vivre en tant que compagnon vénéré des laudateurs. « Regardez combien ils en ont massacré. Certains d’entre eux méritent sûrement la peine d’être sauvés ».

« Et si Akkad n’a aucun membre de sa caste parmi ses renforts ? »

Elle y réfléchit un moment. Même si aucun laudateur n’était arrivé, les guerriers en contrebas ne le savaient pas, alors elle fit signe à un messager. « Dit au Dakar Barkal que j’observe personnellement la bataille, à l’affût de tous ceux qui méritent d’être exaltés. Dit -lui de passer le mot à ses troupes ». Le messager ne semblait pas du tout dérangé par le fait qu’il devait transmettre quelque chose qui susciterait un impossible espoir. Il s’inclina simplement et descendit la colline en courant. Makeda se retourna vers Zabalam. « Ils se battront d’autant plus ».

La moitié du visage de Zabalam se tordit dans l’autre sens. « Vous me rappelez vraiment votre grand-père ».

* * *

La température continuait de grimper alors que le soleil frappait son armure. Des gouttelettes de sueur coulaient sous son casque et dans ses yeux. Makeda se réjouit de cette piqûre. Les cris des morts et des mourants l’entouraient. La cohorte de la Maison Muzkaar semblait être une créature sans fin s’étendant à travers les plaines. Elle passait le temps à diriger mentalement ses cyclopes vers les points les plus faibles des lignes Balaash. Elle se tenait là, sa bannière arrière fouettée par le vent. Makeda voulait que toute l’armée ennemie la voie, provocante. Qu’ils disent à leur tyran qu’un descendant de la Maison Balaash l’attendait.

Makeda ressentit le sentiment de perte lorsque le cyclope qui avait été blessé plus tôt fut traîné au sol et tué. Elle draina les dernières bribes de vitalité se trouvant dans les tissus du cyclope et rassembla cette force pour elle-même. Elle en aurait bientôt besoin.

La ligne des karax vacilla et se brisa et fut balayé par épées de la Maison Muzkaar. Leur centre était tombé.

Une trompette sonna, puis une autre. Une banderole noire fut hissée de l’autre côté de la route et agitée d’avant en arrière. L’ensemble de l’armée Muzkaar hésita, puis se sépara tandis qu’une petite escorte de guerriers et de bêtes avançait au milieu de l’armée.

« Cela fait beaucoup de titans... » murmura Zabalam.

Il n’y avait que deux des grandes bêtes grises derrière la bannière personnelle de Naram, mais néanmoins, même un seul titan représentait beaucoup de titans.

« À mon signal, rassemble tes hommes et chargez cette bannière. Tout ce qui compte, c’est que Naram meure. J’utiliserai mon pouvoir pour vous donner de la vitesse », ordonna Makeda. Zabalam transmit cet ordre à ses épéistes patientant à couvert. Elle rapprocha mentalement ses cyclopes restants. « Coureur ». Un autre messager apparut à ses côtés. « Dis à Urkesh que lorsque je dégainerai mes épées, ses Venators devront se dégager un chemin jusqu’à cette bannière.

Le groupe d’élite des Muzkaar s’était avancé vers le front de l’armée. Le skorne trapu et puissamment bâti en tête devait être Naram. Avec sa massue à pointes posées sur une épaule et son armure noire qui brillait au soleil, Naram semblait être un redoutable ennemi. Elle pouvait sentir sa mortitheurgie, agitée et affamée.

« Je me souviens de l’époque où tu m’enseignais la voie des deux épées, Primus », dit Makeda.

« Tu étais ma meilleure élève ».

« Je me souviens d’une leçon en particulier. Montre à ton épée, et lorsqu’il est concentré sur celle-ci, tue-le avec l’autre. Je suis la première épée… Attends mon signal ».

Makeda descendit la colline jusqu’à l’endroit où Naram et son armée attendait. Elle passa ses mains sur la cime des plantes herbacées. C’était assez tranchant pour faire couler du sang. La furie arrachée à ses bêtes brûlaient telle une boule d’énergie brûlante dans sa poitrine. Elle marcha dans les flaques de sang et sur les corps mutilés de ses guerriers.

Naram s’avança vers elle, un rampart de muscles de titan de chaque côté. « Makeda de la Maison Balaash ! » il la défia. Les deux bêtes étaient visiblement bien contrôlées, puisqu’elles firent quelques pas de plus pour protéger leur maître.

Naram s’arrêta juste à portée de voix. « Tyran Naram ». Elle plaça ses mains sur les pommeaux de ses épées rengainées. Ces épées contenaient une partie de son grand-père. Elle ne les laisserait jamais tomber entre les mains de quelqu’un d’indigne. « Jusqu’à présent, cette bataille a été belle. Êtes-vous venu vous rendre en personne ? »

Le tyran ennemi éclata d’un rire franc. « Je dois admettre que votre ténacité m’impressionne. Cela fait une génération que je n’ai pas vu quelqu’un en infériorité numérique si bien se défendre ». Il dut crier pour se faire entendre dans le vent chaud. « Ordonnez à vos guerriers restants de déposer les armes. Jurez-moi fidélité et vous pourrez conserver votre caste. Il y a de la place au sein de la Maison Muzkaar pour des personnes comme vous. Un mariage politique sera arrangé avec l’un de mes fils. Votre père devra se retirer de Kalos, mais se seras mieux pour nos deux maisons ». naram agita sa main libre d’un air dédaigneux. « Vous pouvez aussi vous battre et, une fois vaincue et couverte de honte, vous pourrez rejoindre vos hommes en tant qu’esclave de ma maison. Choisissez vite ».

Les paroles de Naram, bien que pleines de vérité, ne l’a convainquis pas. Il ne comprenait pas à quel point la mortitheurgie de Makeda était puissante… Peu de membres de leur peuple en étaient capables. Il fallait des décennies de dévotion  pour maîtriser leur magie noire, mais personne n’était plus dévoué qu’un enfant de la Maison Balaash. Makeda ferma les yeux et sentit le monde autour d’elle. Des tissus vivants et du sang circulant. Elle pouvait sentir Naram et son armée devant elle, et les quelques guerriers qui lui restaient derrière, chacun d’entre eux réduit à sa portion de muscle, d’os et de tendon, enveloppés dans une armure d’acier et d’armure lamellaire, alimentée par le sang et l’esprit, le tout. Là, attendant d’être manipulé par sa volonté supérieure. Rassemblant l’énergie glanée sur sa bête morte, elle réveilla le pouvoir des épéistes Prétoriens en attente de Zabalam. Dans son esprit, leur sang se transformait en feu en fusion et pulsant.

Elle ouvrit les yeux. Le porte-étendard de Zabalam se releva et agita le drapeau des épéistes prétoriens. Ceux-ci bondirent de leur cachette et se déplacèrent à une vitesse impossible. Makeda dégaina ses épées jumelles et chargea.

« Qu’il en soit ainsi », déclara Naram. Ses titans firent tous deux un grand pas en avant, le protégeant ainsi du regard.

Urkesh avait reçu son message ; ses Venators tirèrent. Makeda entendit le cri aigu avant de sentir le passage dans l’air autour d’elle, bourdonnant à travers la cime des plantes herbacées telle des abeilles en colère. Les aiguilles tranchantes explosèrent sur le titans, puis Makeda se retrouva sous une pluie de sang.

La patte du titan était aussi épaisse qu’un arbre, et la première épée de Balaash coupa de sa cuisse un morceau de viande suffisant pour un festin. Elle esquiva un énorme gantelet passant devant elle, puis se précipita derrière le premier titan. Makeda était plus rapide que n’importe quel mortel avait le droit de l’être. Le second l’étudia, sa tête géante penchée sur le côté en signe de confusion, les minuscules yeux noirs clignotant, avant que Naram ne la dirige vers elle telle une grande arme recouverte de chair.

Une main, dont la paume était aussi grande que le torse de Makeda s’approcha d’elle, mais elle décocha une lame, et le pouce du titan vola dans l’herbe. Makeda plongea et roula, son armure cliquetant. Elle arriva derrière le deuxième titan avant qu’il ne puisse commencer à pousser des mugissements de douleur.

Mais ensuite, ils furent entourés d’épéistes, et la plupart d’entre eux n’étaient pas les siens.

Le combat fut brutale. Ce fut une masse tourbillonnante de chaos alors que les épéistes s’affrontaient sous le fracas des pattes des titans. Elle décapita un épéiste Muzkaar ayant croisé son chemin. Naram écrasa le crâne d’un guerrier Balaash avec sa massue. Les deux dirigeants se rencontrèrent au milieu de la mêlée, et Makeda sut que c’était le parfait moment évoqué dans le code de l’hoksune.

Ses lames rencontrèrent la massue hérissée de pointes. Naram était incroyablement fort, sûrement guidé par sa propre magie. Elle dut croiser ses épées et utiliser les deux  pour bloquer en même temps. L’impact aurait brisé une lame normale, mais les Épées de Balaash étaient tout sauf normales. Naram la repoussa, et Makeda s’éloigna gracieusement, esquivant un violent coup d’un garde de Muzkaar. Elle lui rendit la pareille en lui arrachant le visage.

Alors que son essence s’enfuyait, Makeda se sentit devenir plus forte. Que cette danse se poursuive à jamais, car il s’agit bien là d’une exaltation.

Le titan le plus proche attrapa l’un de ses épéistes dans ses deux vastes mains et déchira en deux le guerrier hurlant. Un autre tir de barrage d’écorcheurs détruisirent les yeux du titan. Les cyclopes restants de Makeda frappèrent l’autre titan.

Le tyran se jeta sur elle, mais elle s’écarta. La mortitheurgie de Naram déferla dans une vague de force, renversant les épéistes vêtus de noir et de rouge. Makeda sentit l’énergie brûlante passer sur elle, mais elle y résista par la force de sa volonté, et replongea de nouveau dans la mêlée.

Naram baissa les yeux avec surprise alors que la pointe d’une épée jaillit de son abdomen. Il balança sa massue dans un puissant arc de cercle arrière, et l’épéiste Balaash ayant frappé le tyran par derrière disparut dans une gerbe de sang. Naram grimaça et appuya un gantelet sur son estomac. Le plus proche titan poussa un rugissement d’agonie tandis que Naram employait son pouvoir pour infliger la terrible blessure à la chair de la bête à sa place.

Déjà grièvement blessé, le titan s’effondra. Makeda recula alors que la bête effaçait le soleil. Elle réussit de justesse à l’éviter lorsque l’impact fit exploser les herbes hautes. Elle roula et bondit, essayant de reprendre le combat, mais il y eut un éclat noir et la massue de Naram emplit sa vision.

Elle tomba, tournant dans les airs. L’herbe dorée se précipita à sa rencontre.

Tout comme Naram l’avait fait l’instant d’avant, Makeda, recherchant sa connexion mentale avec sa warbeast restante. Elle put ressentir les dégâts, l’agonie et la noirceur du néant. Au lieu de l’accueillir, Makeda le transféra à son cyclope.

Le cyclope absorba tous les dégâts, soufflant sa vie telle une bougie, mais ce ne fut pas suffisant. L’impact laissa Makeda sonnée et en sang. Le corps du cyclope s’effondra dans les bras du titan Muzkaar, et sans même réaliser qu’il était mort, le titan attaqua le cadavre, le frappant de ses grands poings. Même désorientée, Makeda était trop bien entraînée pour laisser l’énergie vitale se perdre, et elle rassembla instinctivement la dernière rage du cyclope mourant pour alimenter sa magie.

Le monde tourna. Makeda se mit à quatre pattes. Autour d’elle, les épéistes Balaash tombaient. Les soldats Muzkaar déferlaient de toutes parts. Naram s’avança vers elle, sa massue à pointes dégoulinants de rouge.

Avant de mourir, l’Archdominar Vaactash avait enseigné à Makeda tout ce qu’il savait sur la ténue frontière entre la vie et la mort. Son peuple était têtu et robuste, et il n’abandonnait pas facilement ses carapaces mortelles. Les corps des membres morts ou mourants de la Maison Balaash l’entouraient, mais la Maison Balaash avait toujours besoin de leurs services. Makeda puisa dans le puit de pouvoir de son propre sang. C’était le plus grand exploit qu’elle ait jamais tenté, bien au-delà de ce qu’elle aurait dû être capable d’accomplir en tant que mortitheurge novice.

Makeda, descendante de la Maison Balaash, petite-fille du plus grand guerrier que le monde ait jamais connu et fille de l’Archdominar Telkesh, ne comprenait pas la défaite.

« Vous n’avez pas encore fini », s’écria-t-elle. « Levez-vous et battez-vous pour la Maison Balaash ».

Son pouvoir se déploya, soufflants les hautes herbes comme si un autre titan était tombé. Naram se figea en ressentant le changement sur le champ de bataille. Le vent tomba et l’air demeura immobile. « Qu’avez-vous fait ? » demanda le Tyran des Muzkaar.
C’est alors que les soldats de le Maison Balaash se relevèrent et revinrent au combat.

« Qu’avez-vous fait ? » Des lames transpercèrent l’armure de Naram. Le titan qui restait mugit et mourut, et il ne resta alors plus aucune bête vers laquelle transférer ses blessures. Les coeurs s’arrêtèrent, les yeux se voilèrent, les corps se brisèrent, mais les esprits des soldats de la Maison Balaash continuèrent à avancer. Une épée prit un morceau du bras de Naram, un autre lui transperça la jambe, et un troisième fit tomber son casque. « Qu’avez-vous fait ? » Il leur asséna des coups de massue, brisant des membres à droite et à gauche.

Makeda se releva, avançant à grands enjambées, les deux épées levées. Elle fit appel à toute la furie qu’elle avait en elle et l’utilisa pour renforcer ses bras. En sang, à peine debout, Naram se tourna vers elle.

Mais il était trop tard.

Ils étaient face à face. Le regard de Naram s’abaissa vers sa poitrine. Les deux Épées de Balaash avaient été proprement enfoncées à travers son armure et ses côtes. Deux distinctes tiges d’acier rouge dépassaient de son dos. La lourde massue tomba de ses doigts inertes.

L’armée de la Maison Muzkaar se figea, regardant leur tyran avec incrédulité. Ils baissèrent lentement leurs armes sur leurs flancs. Le silence s’installa sur le champ de bataille tandis que les épéistes de Balaash s’écroulaient au sol, leurs obligations accomplies. Seul une poignée d’épéistes de Zabalam avait survécu, et tous étaient peints en rouge, haletants et épuisés.

« Vous êtes victorieux ? » murmura Naram.

Makeda hocha la tête. « Oui ». Elle pouvait sentir la force quitter le corps de Naram. Il n’était debout que parce qu’il était appuyé contre elle. Makeda savait qu’à l’instant où elle retirait ses épées, Naram périrait. Elle le déposa lentement sur l’herbe.

« Hé… Aujourd’hui, c’était une une belle journée. La meilleure bataille… depuis longtemps... » Il s’interrompit et Makeda ne put plus entendre ses paroles. Ses yeux étaient écarquillés, mais pas de peur. Il pressa son oreille plus près. Makeda put sentir son dernier souffle sur sa peau.

« Le code me montre la voie de l’exaltation. Seul le combat permet de comprendre la voie ». Naram haleta. « La souffrance nettoie la faiblesse de mon être… Adhérez au code… et je deviendrai... »

« Digne », termina-t-elle.

Qu’est-ce que tu te murmures, mon enfant, quand la douleur devient trop forte ?

C’était un grand et digne chef skorne. Celui-ci ne méritait pas de se perdre dans le Néant. Makeda regarda le soldat Muzakaar le plus proche. « Avez-vous des laudateurs parmi vous ? » L’épéiste hocha rapidement la tête. « Convoque-en un. Maintenant ».

* * *

22
LES SAGAS DE WARLOCKS

INSTRUMENTS DE GUERRE

LARRY CORREIA

Je tiens à remercier Dan Wells, Howard Taylor et Alan Bahr de m’avoir fait découvrir Warmachine, de m’avoir appris à jouer, puis de m’avoir battu et de m’avoir pris l’argent de mon déjeuner. Merci à  l’équipe de Privateer Press de m’avoir laissé jouer dans leur monde.

PARTIE UNE
PARTIE DEUX
PARTIE TROIS
INDEX SKORNE

23
Bonne lecture  :)

Ce roman conclu les événements de Calbeck

24
À PROPOS DE L’AUTEUR

Douglas Seacat

Douglas Seacat est le Responsable de l’Écriture et de la Continuité chez Privateer Press, où il supervise la fiction narrative et la continuité pour les Royaumes d’Acier. Il a commencé à écrire en freelance pour Privateer Press en 2001 après une improbable série d’événements qu’il vaut mieux oublier dans les brumes du passé (et qui sont maintenant couvert par un accord de non-divulgation détaillé). Doug passe la plupart de son travail et de son temps libre à vivre par procuration dans les Royaumes d’Acier à travers la fiction et les jeux. Son temps libre est occupé par la lecture de science-fiction, de fantastique et de fiction historique, à jouer à des jeux informatiques de JDR sur table. De temps en temps, le Signal Seacat est allumé par les personnes discutant du contenu des Royaumes d’Acier et il est appelé à faire la lumière sur des sujets aussi variés que l’existence du rhum au sein des Royaumes d’Acier et si les gobbers et les trollkin sont des mammifères.

25
PARTIE ∞

Obscurité.

Quelque chose comme la conscience demeura. Pas la pensée, justement, mais la volonté et la conscience. Un sens proche de la vision revint, mais sans aucune autre sensation.
Sans effort, elle voletait au-dessus de son corps, capable de regarder sa forme de dessus tout en demeurant complètement détachée. Elle ne ressentait aucune émotion, mais uniquement la conscience de l’arrêt de la douleur, un soulagement aussi profond que le tintement d’une cloche sonnant une tonalité merveilleusement pur et interrompue.

Elle pouvait entendre et ressentit ce son, une résonance la traversant. C’était aussi de la lumière et de la chaleur. Elle ressentait ces choses, mais pas à travers les sens des mortels. Elle se sentait immergée dans un liquide, un baume apaisant se déplaçant, se précipitant, la traversant. Elle était à la fois le liquide et ce qui la contenait Son essence était fluide et intangible, amorphe. Cela répondait à sa volonté, et cela comprenait sa volonté. Le ton et la lumière s’intensifièrent, même si elle n’avait ni oreilles pour entendre ni yeux pour voir. Quelque chose ressemblant à la pensée lui demanda : Suis-je une âme ? Les paroles non exprimés se joignirent au ton chatoyant.

Une partie de sa conscience considéra son corps en dessous, et elle vit de mince fils de lumière s’écouler dans toutes les directions, se ramifiant à l’infini tel un arbre dont les feuilles forment une canopée et les racines un réseau enchevêtré, chacun d’entre eux étant d’une complexité infiniment croissante. Alors qu’elle considérait chaque éclat de lumière, une image lui venait à l’esprit, un souvenir ou une sensation du passé née de toutes ses décisions dans la vie. Les racines ramifiées s’étendaient dans le passé, depuis sa naissance jusqu’à la vie de ses parents, chacun d’eux étant le début d’un autre système ramifié à l’infini.

Sa conscience parcouraient ces racines à une vertigineuse vitesse, et elle cherchait à s’en éloigner, à prendre du recul. Un point lumineux attira son attention et elle s’élança vers lui. Elle se revit jeune fille, en colère contre le monde, remplie de feu et de défi, puisant dans l’énergie arcanique pour la première fois, laissant s’embraser la puissance brute.
Elle fut submergée par une multitude de fils de lumière colorés se croisant et s’entrecroisant, tourbillonnant avec plénitude. Puis elle plana à nouveau au-dessus de son corps, désorientée mais apaisée. Entre les lignes de lumière, elle vit des branche s’étendre et se diviser dans une même profusion. Ils les mirent mal à l’aise. En les regardant fixement, elle se sentit tomber dedans, tourbillonnant le long de ce qu’elle réalisé être des possibilités futures. Des aperçus d’un avenir déformé, d’époques qui n’existaient plus, passèrent devant elle. Ceux-ci se désintégrèrent et s’estompèrent alors même qu’elle observait, une réaction en chaîne la conduisant à la mort.

Un rayon de lumière sombre telle une ombre pulsante attira son regard et elle y chuta, ayant du mal à percevoir son environnement, le monde étant déformé. Sa vision se concentra sur elle-même, mais sur elle – sur quelque de plus âgé, dans une armure ressemblant à celle que Nemo avait fabriquée pour elle, mais différente à bien des égards. L’énergie brûlait dans les mains de cette étrange Haley qui ne serait jamais, tandis qu’elle combattait un ennemi obscur. La silhouette sembla la sentir, car elle s’arrêta et se retourna, remontant ses lunettes pour regarder, les yeux plissés, celle qui l’observait depuis le passé.

Surprise, elle se retira de cette image, et d’autres scènes ne s’étant jamais produites et certaines ne pouvant jamais se produire défilèrent. Sa mère souriante, mais manifestement plus âgée qu’elle ne l’avait jamais été, remettant un nouveau-né parfait et en pleurs à une Gloria épuisée, tandis qu’Haley essayait le front humide de sa sœur. Nemo, plus âgé et plus petit, marchant dans une rue ensoleillée vers elle aux côtés d’une femme d’âge moyen au regard sérieux dont les traits faisaient écho aux siens. Un cercueil sur lequel reposait deux Pistolets-Tempête. Son propre corps mécanique, debout devant un grand orbe de métal creux se déplaçait et tournait, serti de douzaines de cylindres remplis de lumière. Accablée et ne souhaitant pas en voir plus, elle s’enfuit vers son corps, qui était encore nimbé d’un feu bleu.

Quelque chose tirait sur l’ensemble liquide qu’était sa personne, doucement, comme un léger courant dans des eaux autrement calme. Il y avait une ouverture au-dessus d’elle qui la tirait, qui cherchait à la tirer vers le haut. Elle savait que l’attraction s’intensifierait et finirait par devenir indéniable et sentit une vaste bienveillance l’appelait, mais elle résista malgré tout. Elle était comme une bulle libérée au fond d’un bocal d’eau. Elle n’avait pas d’autre choix que de s’élever, ce qui provoqua un sentiment de panique soudaine. Elle ne voulait pas partir.

Stop ! C’était sa première véritable décision depuis qu’elle était entrée dans cet état : un refus, soutenu par une prodigieuse volonté. Le fluide de son essence bouillonna et se figea autour d’elle. Le temps cessa de s’écouler.

Au milieu des lignes lumineuses du passé, un nouveau phare brillait vers elle, la lumière la remplissant de nostalgie. Elle n’avait pas l’intention de s’y rendre, mais son esprit se tourna vers cette lumière, qui grandi et s’étendit pour révéler un moment de son passé, un moment représentant un tournant majeur. Les lignes de possibilités s’étendant jusqu’à ce moment pulsaient, denses et fortes. Pour l’atteindre, elle dépassa ses récents combats, la tentative d’assassinat à l’encontre Nemo et son duel avec Deneghra pour arriver à au moment juste avec ce brutale affrontement. Elle se vit telle qu’elle était lorsqu’elle était entière, avant qu’elle ne soit mutilée et que son pouvoir ne lui soit volé. Quand sa sœur était vivante, quoique corrompue. Sa nostalgie amena sa volonté à se rassembler tel un vivier, et avant qu’elle ne sache ce qui se passait, cette essence de pensée se déversa dans ce souvenir. Le moment devint plus vibrant que tout autre vision qu’elle avait vue jusqu’à présent. Sans une pensée consciente, tout son être se déversa dans cette image unificatrice, cet écho de son passé.

Le doux flux de son essence devint un rugissement, et elle se libéra de la marée. Elle tombait de plus en plus vite, voyant les fils du destins au-dessus, au-dessous et autour d’elle telle une toile scintillante et sans fin. Son corps défunt fut englouti par une flamme bleue vive et devint une colonne de cendre qui fut anéantie par une explosion d’énergie avant d’être remplacée par une vision de chair et de sang, la personne qu’elle avait été. Son âme prit place à l’intérieur, s’établissant au sein de ce vaisseau vivant avec une confortable familiarité.

Haley sursauta et prit une inspiration – sa première respiration – puis ouvrit grand les yeux sous le choc. Son coeur battait la chamade et son visage était rouge. Elle se retrouva presque douloureusement consciente des moindre aspects de son corps : l’herbe pliée sous elle, la fourmi rampant sur sa botte, le ciel gris acier, l’odeur du vent d’hiver. Les sensations l’envahissaient avec une telle intensité, bien qu’en l’espace d’une battement de son coeur, elle réalisa qu’elle ne souffrait pas. C’est à ce moment qu’elle baissa les yeux, serrant les mains, réalisant qu’elles étaient toutes deux vivantes. Son bras mékanique avait disparu.

Cela semblait irréel, onirique, même si elle se sentait réel. Elle s’attendait presque à ce que son bras droit se transforme en brume et s’estompe alors qu’elle serrait le poing et le regardait, mais ce ne fut pas le cas. Elle se pencha et ramassa une caillou, s’émerveillant de la sensation de sa surface froide et lisse contre sa peau.

Déjà, les pensées et les expériences de cet autre état s’estompaient dans un flou qu’elle n’arrivait pas à maîtriser. Elle se leva et regarda autour d’elle, incertaine, comme si elle doutait autant de la terre et du ciel que de sa propre chair et de son propre sang.

Déglutissant, elle ferma les yeux un instant et respira profondément. Puis elle se ressaisit, rassemblant son courage et attira à nouveau sa magie en elle, espérant que cette douloureuse mort dont elle se souvenait ne se reproduirait pas. Le pouvoir s’écoula en elle, répondant à sa volonté si rapidement et sans effort qu’elle rit de soulagement, les larmes coulant sur ses joues. Elle s’éleva de quelques centimètres dans les airs, poussant contre la terre, savourant le vent contre sa peau.

Elle était entière.

Le futur était restauré, avec toutes ses vertigineuses et terrifiantes possibilités. Alors qu’elle ouvrait les yeux, elle remarqua une image rémanente de fils brillants s’étendant devant elle, dorés et ramifiés tel la canopée d’un arbre s’étirant sans fin dans les cieux.

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