ÉPILOGUE
Deux Semaines Plus Tard
596 AR, Caspia
Dans le labyrinthe sillonnant les vénérables murs de la puissante Caspia, le jeune courtisant se déplaçait avec détermination. Sa tenue était simple, redingote bleue d’un secrétaire royal. Son visage était rasé de près et ses cheveux blonds étaient coupés court. Son pas régulier résonnait dans l’obscurité alors qu’il traversait le labyrinthe sans hésitation.
Il arriva enfin dans un couloir se terminant par une solide porte en fer. Au centre de la porte se trouvait un trou de serrure. Le jeune homme sortit d’une poche de son pantalon une petite clé émoussée de forme inhabituelle et l’introduisit dans le trou. Il la tourna d’un quart de tour vers la gauche, puis d’un tour complet vers la droite. Le mouvement de la clé fut accueilli par une série de déclic provenant du plus profond de l’épaisse porte renforcée. Alors que le clic final retentissait, le gémissement des lourds verrous en fer s’éloignant de leurs supports put être entendu. La porte s’ouvrit lentement, révélant une largeur d’un pied. La lumière de l’intérieur se répandit dans le vieux couloir, projetant des longs motifs vacillant sur le sol moisi.
L’employé entra vivement à l’intérieur et saisit la poignée pour refermer l’épaisse porte derrière lui d’un coup sec. Dans la pièce sans fenêtre, une immense carte de l’Immoren occidental était accrochée sur le grand mur en pierre en face de la porte. La lumière y était projetée par des lampes à gaz fixées dans des alcôves voûtées de chaque côté de la pièce. Un bureau en bois au centre de la pièce était jonché d’étui à cartes et de registre reliés en cuir.
Il faisait face au dos d’un homme vêtu de gris qui était occupé à ajuster des épingles sur une carte. Chacune des épingles avait été peinte de diverses couleurs, et certaines avaient été fixées avec une bande de papier, annotées de marques emblématiques. Alors que les épingles sillonnaient toute la carte, il y avait une notable concentration le long de la frontière entre le Cygnar et le Khador. À présent l’homme à la robe grise ajouta plusieurs épingles au sein de la petite nation mêle-tout de Llael. Il ne se retourna pas à l’arrivée du jeune employé qui attendait respectueusement. L’employé trouva cela étrange, étant donné qu’il était entré sans doute dans le sanctuaire le plus gardé de tout le Cygnar, dans le dos de son espion le plus gradé, le commandant en chef des éclaireurs Holden Rebald.
« Qu’y a-t-il, Baldasarre ? »
« Comment avez-vous… » lâche le jeune homme avec étonnement.
Ta jambe droite est probablement plus courte de cinq centimètres que la droite », répondit doucement Rebald, sans se retourner. « Tu as développé une démarche dans laquelle ton pied gauche subit un déplacement bref mais distinct pour compenser la différence ». Rebald acheva en enfonçant une épingle au centre de Merywyn, et croisa les bras dans un silence contemplatif. Avec une expiration audible, il fit signe au secrétaire de s’approcher.
Le secrétaire regarda ses pieds avec surprise alors qu’il contournait le bureau en chêne abîmé, s’approchant de Rebald, son regard suivit celui de Holden, vers la carte.
« Des coursiers viennent d’arriver d’arriver avec des nouvelles de Merywyn, monsieur ».
Le vieux commandant en chef des éclaireurs se retourna sans prononcer une parole en haussant un sourcil en direction du secrétaire.
« C’est une bonne nouvelle cette fois, monsieur. Le Capitaine… Je veux dire, le récit du Lieutenant Caine a conduit nos agents jusqu’à l’épave au fond du port. Nos agents ont pu extraire le cortex, intact. Ils ont rapporté qu’il ne restait rien d’autre qui puisse impliquer le Cygnar ».
« Rien ? »
« Ah, oui, la question de la mort de Rynnard. La version officielle de l’ambassadeur llaelais est celle d’une mort naturelle. Il semble qu’ils ignorent ou refusent d’accepter l’idée que leur roi ait pu être assassiné ».
« Ils sont en train de limiter les dégâts, apprenti. Ils savent. Ce qui est important, c’est qu’ils ne sachent pas qui », déclara Rebald, les bras toujours croisés. Son attention restait fixée sur l’épingle qu’il avait placée au centre de Merywyn.
« Et ensuite, monsieur ? »
« Nous attendons, Baldasarre, même si j’aimerais qu’il en soit autrement ».
« Comment Caine a-t-il accepté sa rétrogradation, si je peux me permettre ? »
Rebald sourit d’un air satisfait devant la persistante curiosité de son apprenti. « Il a pris la nouvelle avec une indifférence stoïque ». Le secrétaire hocha la tête à cette idée, mais fronça les sourcils en y réfléchissant.
« Au point, pensez-vous, que le geste aura l’effet escompté auprès des nobles ? »
« Pour les vertueux d’entre eux ? Je le crois. Les actions de Caine, selon le témoignage officiel, étaient inconvenantes. Elles ne peuvent pas être tolérées. Quant aux vrais mécontents, nous ne pourrons proposer aucun apaisement. Non, pour eux, d’autres gestes sont désormais posés. En fin de compte, ils reviendront tous ».
Baldasarre hocha sombrement la tête. « Pourtant, la portée du plan des nobles, maintenant dévoilées…c’est surprenant, n’est-ce pas monsieur ? »
« Oui, nous sommes passés à un cheveu, ne t’y trompe pas. Je n’aurais guère douté de la sécurité de notre roi dans ces murs avant d’avoir lu leurs communiqués ».
« Et l’implication du Roi Rynnard comme leur commanditaire ! » À ce moment-là, Rebald regarda une fois de plus l’épingle qu’il avait placée sur Merywyn. L’impassibilité caractéristique du chef des services secrets trahissait un soupçon d’anxiété, ne serait-ce que pour un bref instant. La seconde d’après, l’employé eut l’impression qu’il l’avait peut-être imaginé.
« Nous avons échangé leur sort contre un peu de temps pour faire le ménage. En fin de compte, c’est le gain net des actions de Caine ».
Baldasarre fronça les sourcils. Remarquant la confusion de son apprenti, Rebald pointa la carte du doigt.
« Le Khador, toujours ambitieux, verra maintenant une nation sans roi. Dans la tourmente. Ils en profiteront, si ce n’est pas tout de suite, bientôt ». Rebald soupira, levant les yeux vers la capitale du Khador. « Pourquoi ne le feraient-ils pas ? »
« Comme vous l’avez dit, ils nous ont donné du temps, monsieur. Cela n’en valait-il pas la peine ? »
« Les habitants de Llael sont tout comme les nôtres, fils. En tuant leur roi, quels que soient ses vices, nous pourrions bien les avoir tués aussi. J’en ressens le poids », déclara Rebald avec une sobre certitude.
Le secrétaire hocha la tête, se tournant vers le bureau en chêne et présenta un dossier, feuilletant rapidement pour trouver une page particulière.
« Et Caine, monsieur ? De son propre aveu, la mission fut maladroite dans son exécution, presque perdue à plusieurs reprises. Risquez-vous de le réactiver ? »
Rebald regarda sèchement son apprenti. « Je pense que tu n’as pas compris, Baldasarre. Ce que Caine a réalisé lors de sa première mission était… surprenant. Au final, il a réussi sur tous les points ».
L’apprenti parcourut à nouveau le dossier, passant un doigt dans la marge de la page. Il s’arrêta sur un paragraphe en bas de page. « Il a tué beaucoup d’hommes, monsieur. Nous ne pouvons confirmer que la mort de Rynnard. Croyez-vous vraiment à ce récit ? »
« Je n’ai aucune raison d’en douter. Malgré tous ses défauts, Caine n’est pas un fanfaron. À Fellig, il a prouvé qu’il était une force de la nature lorsqu’il est bien motivé. À Merywyn, il a fait preuve d’une certaine maîtrise, mais je pense que le meilleur reste à venir ».
Baldasarre referma le dossier et le reposa sur le bureau. « Assez impressionnante, je suppose ».
Rebald se tourna vers le jeune secrétaire, surpris.
« Je vais te révéler ceci, apprenti. Cet homme est né pour tuer, et je l’emploierai pour sauver ce royaume, quel que soit le prix à payer pour son âme… où la mienne ».