TOUS NE MEURENT PAS
Une Histoire d’Orsus Zoktavir, le Boucher de Khardov
de Douglas Seacat
Faubourgs de Fellig, à la fin siège.Avec un hurlement de rage débridée, Orsus Zoktavir porta un nouveau coup de hache circulaire, envoyant les gardes-tempête voler en arrière tandis que son son tranchant affamé tranchait armes et membres avec la même facilité. Avant même qu’il en dépasse ses limites, la bataille ressemblait à un rêve enfiévré, comme le paysage d’une peinture folle où les seules couleurs étaient les teintes vive de la chair déchiquetée et du sang. Sa fureur grandissante était un hymne joyeux au sein de son esprit repoussant toutes les autres pensées, les battements de son coeur servant de tambours maintenant un irrésistible rythme. Il savait que peu de batailles dans l’histoire pouvaient prétendre à une telle distinction, où si peu de gents avaient provoqué l’anéantissement d’un si grand nombre.
Il éprouvait une sinistre satisfaction de savoir que les défenseurs cygnaréens qui auraient survécu en se retranchant derrière les murailles de leur ville n’oublieraient jamais la douce odeur maladive de la peur et de la mort. Malgré le plaisir qu’il prenait à se battre, une partie de lui commençaient à réaliser que la victoire n’était plus possible, si tant qu’elle l’ait jamais été. Les avertissements de ses officiers avaient été justes, même si leurs paroles lui avaient paru lâches à l’époque ; il y avait tout simplement trop de soldats ennemis en garnison ici.
Pendant un temps, ses hommes s’étaient battus à ses côtés pour prouver leur détermination, qu’il s’agisse des Crocs d’Acier ou des vétérans de la Garde des Glaces. Un à un, ils étaient tombés ou avaient été abattus par les fusils des lâches ou par la foudre. Alors même que la bataille commençait à prendre de l’ampleur, il voyait des poches éparses de ses soldats, séparés et isolés au milieu du chaos. La vision du carnage laisse par chaque coup de hache et entassé autour de lui en sanglants tas les inspira et ils tentèrent de se rallier à lui, mais cela devint difficile lorsque la contre-attaque ennemie débuta pour de bon. Leur combat prit une intensité désespérée, faisant preuve d’une détermination que le Boucher n’aurait pas attendue de la part des chiens du sud.
Immédiatement après que ses warjacks eurent défoncé la porte et l’eurent démolie, il avait lâché ses vagabonds maudits pour qu’ils fassent régner leur propre folie en abattant les hommes avec leurs hurlantes lames orgoth terrifiaient l’opposition. Cela avait brièvement repoussé les envahisseurs. Les vagabonds maudits tombèrent bientôt eux aussi sous les balles, un par un. Orsus était vaguement conscient que des mercenaires avaient rejoint la bataille à la périphérie ouest de la ville, où une autre partie de ses forces divisées était coincée. Un rapport avait dû lui être remis à ce sujet, mais il ne se souvenait pas lequel des cadavres khadoréens gisant près de lui avait apporté cette nouvelle. Aucun allié vivant ne se tenait désormais près de lui, seulement des ennemis. Les vivants étaient plus nombreux que les morts, et dans l’état de folie du Boucher, il voyait les morts se battre comme des fantômes. Il lui devint difficile de séparer les vrais soldats des fantômes.
Jamais l’idée du Boucher n’avait été d’appeler à la retraite. Son attaque aurait un sens dans le mesure où elle drainerait horriblement l’ennemi. Les vies écourtés ici ne serait pas facilement remplacées. Les survivants de cette bataille ne se moqueraient pas de lui en signe de victoire, mais se contenteraient de pousser des cris d’orfraie, tenant leurs armes d’une main tremblante en se demandant comment ils avaient pu éviter d’être empilés parmi les morts. Il espérait qu’ils se réveilleraient terrorisés pendants des années par les cauchemars d’un géant porteur de l’Enclume de Khador.
Le merveilleux rêve de massacre du Boucher touchait à sa fin. Les défenseurs de Fellig continuaient d’affluer sans discontinuer, et même ses puissants bras commençaient à se fatiguer, seuls ses feux intérieurs de rage le soutenant. Il sourit sauvagement en appréciant le stupide courage des Gardes-Tempête et des Lames-Tempêtes se jetant sur lui à plusieurs reprises, pour ensuite être fauchés comme des blés par une faux. Les chevaliers de l’épée les rejoignirent, presque aussi enthousiastes à l’idée de rencontrer Lola. Chaque meurtre ne faisait qu’accroître son désir de tuer le suivant. Parfois il tuait avec son tromblon, parfois avec la magie, mais la plupart du temps, c’était Lola qui chantait. Il ne s’aperçut de ses propres blessures que lorsque le sang qui s’écoulait commença à ralentir ses bras et à rétrécir sa vision. Son dernier ‘jack était tombé il y a bien longtemps, déchiquetés par les tirs des canons venant des murailles. Plutôt Fenris avait chevauché à la poursuite de l’ennemi. Il était vraiment seul.
Le flux de la guerre l’éloignait de la brèche, tandis que des hommes de moindre importance et leurs piteuses armes l’entouraient. Dans l’ensemble, ils exerçaient une certaine pression, telle la marée. Son champ d’énergie émettait un constant gémissement tandis alors que ses énergies détournaient les balles et les lames. Il chancela suite à un violent impact qui avait pénétré son champ. L’odeur d’ozone le sortit de son état de transe et il aperçut le Lame-Tempête ayant porté le coup lever son glaive pour en porter un autre. Orsus poussa un nouveau cri de rage et s’élança sur le chevalier offensant avec une telle force que l’homme fut fendu en son centre. La brume rouge revint pour effacer ses pensées rationnelles.
Il perdit le fil des événements mais continua à se battre. Son instinct de combattant étant profondément ancré ; il n’avait pas besoin de surveiller son corps pour se rappeler comment tuer. Il reprit conscience alors qu’il s’enfonçait jusqu’aux genoux dans un ruisseau boueux, entouré d’arbres et de chevaliers casqués arborant le Cygnus jaune tant détestés. Ils faisaient les cent pas autour de lui, juste hors de sa portée. Le chevaliers brillaient dans leur acier argenté, sans visage derrière leurs visières, comme les émissaires d’une arrogante mais impuissante puissance supérieure. Il cligna des yeux et sentit sa respiration s’essouffler. Cette faiblesse était honteuse. Lola était lourde dans ses mains, et ses doigts étaient glacés et engourdis, glissants de sang. Réaliser qu’il était au bout de ses forces le rendait encore plus furieux, à la fois contre lui-même et contre ses ennemis.
LES SENS D’ORSUS ÉTAIENT TROP EMBROUILLÉS POUR ENTENDRE LES AUTRES ARRIVER, MAIS IL ÉTAIT CONSCIENT QU’ILS ALLAIENT TENTER LEUR CHANCE.
Un bref moment de voile noir revint et il secoua le tête pour découvrir qu’il était tombé à genoux dans l’eau. Dans le miroir de la surface, un visage plus décharné et plus pâle que dans ses souvenirs, souillé de sang et de boue, le fixait. Des rubans rouges s’enroulaient entre les rochers du ruisseau. Il ne goûtait que du cuivre et ne sentait que de la fumée. Il vit un mouvement se refléter sur l’eau et leva les yeux pour remarquer l’un des chevaliers de l’épée trouver le courage d’agir. L’adversaire leva sa grande épée caspienne.
Le chevalier espérait manifestement lui porter un coup de grâce, et cette pensée donna un surcroît de force à Orsus, qui beuglant comme un ours balaya le solide manche de Lola, donc le dos s’écrasa sur les genoux de l’homme. Le chevalier chuta avec des cliquetis métalliques sur les grosses pierres proche de la berge et gémit de douleur. Orsus sourit une fois de plus alors qu’il se relevait de toute sa hauteur et levait sa hache. Le chevalier se tourna pour lui faire face et leva son épée pour bloquer, mais Orsus frappa de toutes ses forces pour briser facilement l’épaisse lame et transpercer la cuirasse brillante de l’homme. Le corps s’effondra maladroitement, telle une marionnette dont les fils auraient été coupés. Le sang jaillit de l’ouverture en écume.
Les sens d’Orsus étaient trop embrouillés pour entendre les autres arriver, mais il était conscient qu’ils allaient tenter leur chance. Il se retourna pour remarquer les autres charger dans sa direction, leurs lames prêtes, essayant de le submerger par derrière. En les observant, Orsus se rendit compte que son champ d’énergie de warcaster avait disparu. Il n’avait plus de charbon. Pas étonnant que son armure soit si lourde.
Il saisit Lola à deux mains et hurla en portant un large et puissant coup. Des taches apparurent devant ses yeux et il ignora l’engourdissement de ses doigt. Sa vision se brouilla et il ne ressentit aucune résistance, mais il entendit le bruit éminemment satisfaisant du choc métallique et les bruits sourds des corps tombant dans le ruisseau en huit parties, là où se trouvaient quatre corps. La lame de Lola était détrempée de sang. Celui-ci s’était accumulé en couches. Clignant des yeux alors même qu’il chancelait sur ses pieds, n’était même plus capable de penser à ce qu’il faisait, Orsus arracha l’une des capes d’un des chevaliers morts pour l’essuyer, mais le travail fut mal exécuter.
En regardant autour de lui, les taches dans les yeux se multipliaient comme des mouches sur de la viande avariée. Il ne vit aucun autre signe de son ennemi ou de la ville elle-même. Seule la rage le faisait avancer. Il serra les dents et mit un pied devant l’autre, espérant faiblement se diriger vers la ville pour reprendre son combat. Il ne savait pas quelle direction il avait choisie, mais une fois lancé, il n’hésitât plus.
* * *La jeune fille avait pris l’habitude de s’échapper de la maison chaque fois qu’elle le pouvait, comme un petit acte de rébellion. Il lui était difficile de trouver le temps entre ses interminables corvées, mais elle parvenait parfois d’obtenir un court répit si elle se dépêchait d’accomplir ses autres tâches et si la maîtresse était distraite. Si elle partait trop longtemps, elle subirait une punition encore plus grave à son retour, mais après de nombreuses expéditions, elle savait combien de temps elle pouvait disparaître avant que cela se remarque. Elle aimait particulièrement s’éclipser dans les zones inemployées, au-delà des champs de la ferme principale, près de la grande forêt se profilant à l’horizon. Elle avait inventé d’innombrables contes dans son esprit sur les horreurs et les merveilles qui se cachaient dans ces inquiétants arbres.
Chaque fois qu’elle se déplaçait dans cette direction, qu’elle passait devant le précieux bétail du castelain parqué dans leurs enclos, au-delà de la lisière du champ, elle essayait de trouver le courage de se rapprocher de la forêt. C’était une batailles de pas et de verges, mais elle doutait qu’elle y parvienne un jour. Les autres membres de la maison insistaient sur le fait que quiconque pénétrait dans ces arbres ne revenait jamais, et ils décrivaient d’horribles histoires sur ce qui leur était arrivé. Elle écoutait ces histoires depuis les petits coins et les ombres avec un plaisir effrayé, même si elle savait que des chariots descendaient parfois sur l’ancienne route depuis la partie la plus proche de la forêt et qu’il y avait une grande ville juste au nord-est, de sorte que les histoires ne pouvaient pas toutes être vraies.
L’un de ses endroits préférés était un vieil arbre épais que sa mère lui avait indiqué la première fois et qu’elle utilisait toujours comme point de repère pour ses explorations. Alors qu’elle contournait le tronc, elle sursauta et s’arrêta net. Un homme gigantesque, bien plus grand que tous ceux qu’elle avait vus jusqu’alors, était allongé contre le massif tronc, immobile comme la mort. Même le cuisinier, maître et tyran de la cuisine, n’était pas si grand.
Par inadvertance, elle racla sa gorge, puis plaque une main sur sa bouche et recula, tremblante. Pourtant, l’énorme personnage ne bougea pas et ne fit aucun autre signe pour indiquer qu’il l’avait entendue. En fait, alors qu’elle le regardait avec appréhension, elle fut de plus en plus convaincue qu’il était belle et bien mort. Elle se demanda alors si le fait qu’il soit mort le rendait plus ou moins effrayant, alors qu’elle l’examinait de loin.
L’armure du géant était rouge sang, et elle était à peu près certaine qu’elle était également couverte de vrai sang, séchée et recouverte de boue par endroits. Il était affalé, le dos contre l’arbre, comme s’il faisait une sieste. Sur ses genoux reposait une énorme hache, dont la vue la fit frissonner et lui rappela de terribles histoires de bourreaux et de têtes coupées. Sa peur se mêla d’une intense curiosité. Il était très différent de tout ce qu’elle avait rencontré jusqu’à présent. Comment était-il arrivé là ? Qu’est-ce qui avait bien pu tuer un homme aussi effrayant ? Elle se retrouva à se rapprocher de lui avant même de s’en rendre compte.
C’est lorsque qu’elle fut à quelques verges qu’elle aperçut l’énorme déchirure sur le flanc de l’armure du géant. Les plaies de cette violente déchirure étaient noircies, comme brûlées. Cela semblait avoir été le coup fatal, car en dessous il y avait du sang qui semblait frais. Elle vit une seul goutte rouge s’accumuler et tomber sur l’herbe. Son armure ne ressemblait à rien de ce qu’elle avait jamais vu – non pas qu’elle ait été beaucoup exposée à des combattants autre que les hommes simplement vêtus de la garde du domaine du castelain. De curieux tuyaux de laiton étaient fixés à la partie inférieure des grandes plaque superposées recouvrant sa poitrine et son ventre, tandis que es énormes épaulettes étaient cerclées de pointes de méchantes pointes en fer. Un collier en acier brillant entourait son cou et cachait sa bouche à sa vue, et autour de ses épaules se trouvait un collier de fourrure qu’elle avait d’abord pris pour des cheveux. À cette distance, elle pouvait voir que son crâne était chauve et couvert de vilaines cicatrices. Des lanières pendaient au manche de sa hache, et quelque chose pendant de chacune d’elles. Son estomac se serra lorsqu’elle reconnut qu’il s’agissait de crânes ; leurs surfaces blanches comme l’os et leurs orbites vides la convainquirent plus que tout qu’il ne s’agissait pas d’un homme, mais d’un monstre.
Soudainement, le géant émit une respiration sifflante et toussa, ses main se crispant sur le manche de sa hache. Elle sursauta et tomba à la renverse, trébuchant sur ses propres pieds pour atterrir par terre. Frénétiquement, elle recula sur ses mains et ses pieds, se poussant derrière l’abri de l’arbre pour retenir son souffle.
Il ne s’était pas réellement réveillé. Elle le regarda longuement, se sentant quelque peu différente maintenant qu’elle savait qu’il était vivant. Elle pouvait maintenant voir plus clairement qu’il respirait en fait. Sa peau était très pâle et se respiration ne semblait pas tout à fait aisée.
Lentement - très lentement - elle s’approcha de lui. Elle se sentait terrifiée, et pourtant sa fascination n’avait fait qu’augmenter. Il souffrait de façon si évidente. Elle se souvenait de sa mère qui l’avait soignée la fois où elle était tombée dans le lac et avait failli se noyer. C’était l’un de ses souvenirs les plus chers. Comment il devait se sentir seul pour souffrir pareillement.
D’une main tremblante, elle posa un doigt hésitant sur le côté de sa main la plus proche, là où le gantelet armuré était tombé dans l’herbe. Elle se prépara à bondir, mais il ne bougea pas. Plus lentement et plus prudemment encore, elle toucha la peau de sa main et constata avec surprise qu’elle était extrêmement chaude, voire fiévreuse. Ses sourcils se froncèrent tandis qu’elle réfléchissait à ce qu’elle devait faire. Elle savait que son temps de liberté touchait à sa fin et qu’elle devait se dépêcher de rentrer avant que cela se remarque. Elle ne voulait pas se retrouver à nouveau sous le fouet. Malgré tout, elle hésitait à partir, mais elle finit par se retourner et le laissa là où il gisait.
* * *La jeune fille entra dans la maison et fut immédiatement accueillie par une badine sur ses mollets, car sa maîtresse, la grosse vieille bique en colère, lui lança un regard noir parce qu’elle était en retard. « L’école buissonnière n’est pas tolérée », hurla-t-elle de sa voix grinçante. « Peut-être qu’une nuit sans souper te rendra plus responsable ».
Elle ne put s’empêcher de penser au géant tout en poursuivant ses corvées, se demandant s’il mourrait avant qu’elle puisse revenir. Sa maîtresse semblait se réjouir des grognements répétés de son estomac pendant qu’elle travaillait, mais malgré son inconfort, elle-même ne pensait qu’à l’homme en rouge.
Elle ne comprenait pas vraiment pourquoi sa vue l’avait tant captivée. C’était presque comme si elle était tombée sur une histoire de malfée qui lui était propre, et elle éprouvait une joie particulière à avoir un secret pour les autres, avec leurs regards suffisants et leur cruauté condescendante. Elle était la plus petite et l’une des plus jeunes servantes de cuisine et se voyait donc souvent confier les pires taches. Tout au long de la soirée, elle ne cessa de penser que les autres n’était pas au courant de l’existence du géant blessé qui sommeillait au-delà du champ.
Alors que les activités ménagères se terminaient et qu’elle était censée dormir, elle se glissa comme une souris dans la cuisine. Elle n’avait jamais volé ses maîtres auparavant et savait bien trop bien que cela pourrait avoir des conséquences désastreuses, mais elle se sentait obligée de le faire. Elle prit le plus grand panier qu’elle put trouver et le remplit de tout ce qui lui passa par la tête : une lanterne, une grosse aiguille et du fil grossier, une cruche d’eau, une bouteille de vin de cuisine, une pile de serviettes en tissu récemment nettoyées et plusieurs gros morceaux de pain et de fromage restant du souper. Son estomac grogna à nouveau et elle sentit qu’elle avait l’eau à la bouche en rangeant ces choses, mais elle refusa d’en prendre ce serait-ce qu’une bouchée pour elle-même.
La jeune fille n’avait pas de plan particulièrement élaboré, mais elle ne pouvait pas laisser passer l’occasion. Auparavant, elle n’avait jamais eu le courage d’atteindre la forêt. Cette fois-ci, elle était déterminée à être courageuse. C’était une bravade qu’elle s’était lancé à elle-même, un défi.
Marcher jusqu’à l’arbre de nuit était encore plus effrayant que le jour, car l’air du soir était glacial et le sentier familier était plongé dans l’ombre. Une chouette hulula de façon menaçante et elle frissonna. Le marche semblait plus longue que dans son souvenir, mais soudain il fut là, une grande silhouette dans l’obscurité. Elle s’arrêta, s’efforçant d’entendre sa respiration laborieuse par-dessus la sienne. Il vivait encore. Les mains tremblantes, elle mit plus de temps que prévu à allumer la lanterne. Elle la garda à moitié close, l’orientant vers ses pieds, afin que sa lumière ne revienne pas vers la maison et ne la trahisse pas.
Elle se rapprocha, mais comme il semblait pas le remarquer, elle s’enhardit. Se mordant la lèvre, elle s’approcha de lui, mais il ne bougeait toujours pas. Finalement, elle décida qu’elle n’arriverait à rien si elle ne commençait pas à le considérer non pas comme un étranger, mais plutôt comme une bravade. Elle devait d’abord de la blessure qu’il avait au flanc. Cela s’avéra encore plus difficile qu’elle ne l’avait imaginé, et bientôt, de ses petites mains, elle tira sur l’armure en métal pour essayer de trouver un moyen d’y pénétrer. Il ressemblait à un de ces coquillages dont elle avait entendu dire qu’on les mangeait sur la côte ! Elle s’arracha douloureusement l’ongle de l’un de ses doigts en détachant l’une des lanières de cuir la plus proche de la sanglante déchirure de l’armure, mais elle finit par l’ouvrir suffisamment pour voir la blessure elle-même.
Il sentait mauvais et la blessure était horrible, mais elle déjà coupé la têt de poulets, vidés des poissons et coupé la graisse de la viande fraîche, elle avait donc vu pire. Elle essaya de garder cette pensée à l’esprit tandis qu’elle examinait l’entaille saignante et enfilait une aiguille au mieux qu’elle pouvait dans la faible lumière. En regardant au-delà de l’énorme torse jusqu’au visage du géant, elle se prépara au plus grand risque jamais vu. Il était caché dans l’obscurité. S’il devait se réveiller, il l’aurait déjà fait ? Ses doigts tremblaient et elle était si tendue qu’elle faillit sauter en arrière par pur réflexe après avoir donné le premier coup de couteau dans la peau. Elle se força à rester immobile, mais le géant ne broncha même pas. C’était comme si l’aiguille n’était rien pour lui, ou qu’il était allé trop loin pour la ressentir. Enhardie, elle se mit au travail, se concentrant plus sur la couture de sa chair qu’elle ne l’avait jamais fait avec ses tâches ménagères.
Lorsqu’elle eut fini de recoudre la plaie, elle avait complètement oublié qu’elle travaillait sur une personne. En fait, elle commençait à se souvenir de ce que c’était coudre quand elle était une jeune fille avec sa mère avant qu’elle ne meure d’une toux. Après avoir noué le dernier point, elle humidifia l’une des serviettes et fit ce qu’elle put pour essuyer la croûte de sang, puis elle en plaça plusieurs autres pour arrêter le sang qui s’écoulait de la plaie nouvellement recousue. Travailler avec des coupures ne lui était pas inconnu, car il s’agissait d’un risque habituel dans la cuisine. Plus tôt dans l’année, elle s’était ouvert une longue entaille à l’intérieur de la paume en épluchant des pommes de terre. Elle avait été brutalement fouettée et n’avait reçu que des restes de nourriture pendant plusieurs jours, car la blessure l’empêchait d’accomplir son travail. Cette leçon l’avait certainement rendue plus prudente depuis.
Soudainement, on lui toucha le visage et elle se figea. Elle leva des yeux écarquillés pour découvrir le regard du géant posé sur elle. La main qui avait effleuré son visage était étrangement douce. Elle émit un gargouillis et tomba à la renverse, trébuchant sur le panier alors qu’elle reculait à nouveau vers l’arbre. Elle faillit s’enfuir presque entièrement, mais s’arrêta au faible croassement de sa voix. Elle entendit la main et récupéra la lanterne, la pointant vers lui afin de voir s’il s’élançait vers elle. Son expression était étrange, presque souffrante. Il fit un geste vers sa gorge. Il ouvrit la bouche mais rien ne sortit. Elle écarquilla les yeux et se demanda s’il pouvait être muet, comme elle. Ce n’est que lorsqu’il toussa faiblement qu’elle reprit légèrement ses esprits. Elle réalisa, en sursautant, qu’il devait avoir très soif, bien sûr. Elle y avait pensé plus tôt, mais l’avait oublié. Ses yeux se tournèrent vers le panier, couché sur le côté, là où elle l’avait poussé lors de sa retraite.
Elle se précipita vers le panier et fut soulagée de constater que la cruche n’avait pas perdu son bouchon. Avec hésitation, elle l’avança, l’ouvrit et la leva vers le géant. Comme il semblait incapable de la saisir, elle dut s’approcher de son visage, toujours tremblante, et de lui verser le liquide dans la bouche. Il toussa et bafouilla et elle recula à nouveau, mais finalement, il se calma et elle réessaya. Cette fois, il avala plusieurs gorgées et sembla satisfait. Elle se pencha pour lui trouver du pain, mais lorsqu’elle releva la tête, il dormait. La jeune fille se rendit compte que son coeur battait frénétiquement dans sa poitrine et elle pensa qu’elle avait pris tout ce qu’elle pouvait cette nuit. Elle plaça le pain près de sa main, à côté de la bouteille de vin de cuisine, éteignit sa lanterne et s’enfuit vers la maison.
* * *Lors de sa prochaine visite, elle apporterait une lourde bâche qu’elle avait trouvée dans la grange après avoir réalisé qu’il avait probablement très froid après avoir dormi par terre sous l’arbre. Il lui était également venu à l’esprit qu’une telle couverture pourrait rendre plus difficile sa localisation. Les gardes du domaine du castelain étaient paresseux en matière de patrouilles, mais le risque qu’il soit découvert semblait particulièrement élevé, car la maison était en pleine effervescence en prévision d’un important rassemblement dans quelques jours. Des invités du castelain allaient arriver, et tout le monde avait été prévenue que les erreurs ne seraient pas tolérées. La maîtresse de cuisine et le cuisinier étaient devenus encore criard et agressif que d’habitude. Elle ne savait pas s’il s’agissait d’une fête générale, d’un mariage ou de quelque chose d’autre – personne ne lui donné ce genre de détails – mais il était clair qu’il se passait quelque chose d’important. En temps normal, cela aurait pu l’intéresser, mais elle se sentait maintenant entièrement absorbée par son projet secret.
En arrivant à l’arbre, elle eut la satisfaction de constater que le géant avait mangé presque toute la nourriture qu’elle avait apportée et que la bouteille de vin était vide. Elle pensa même que ses joues avaient repris un peu de couleur ; en tout cas, à la lumière de la lanterne, il n’avait plus l’air aussi pâle que la mort. Sa peau était encore chaude au toucher, et le linge humide qu’elle avait drapé sur son front bouillant était sec. Elle avait brièvement envisagé d’essayer de retirer davantage de son armure pour l’aider à se rafraîchir, mais la perspective semblait impossible sans l’aide de plusieurs hommes adultes, et peut-être d’un bœuf.
Alors qu’elle mouillait et replaçait le chiffon, un grognement soudain se fit entendre. Il lui fallut un long moment pour réaliser qu’il lui parlait, prouvant qu’il n’était pas muet. Elle recula, plus effrayée que paniquée cette fois. Il avait de nouveau les yeux ouverts, mais ils erraient et ne concentraient pas sur elle. Il parlait à voix basse dans une langue qu’elle ne pouvait pas comprendre. Ce n’était définitivement pas ordique, et d’après le peu qu’elle avait entendu, elle était raisonnablement sûre que ce n’était pas du cygnaréen non plus. Le grondement était étrangement hypnotique.
SOUDAINEMENT, ON LUI TOUCHA LE VISAGE ET ELLE SE FIGEA. ELLE LEVA DES YEUX ÉCARQUILLÉS POUR DÉCOUVRIR LE REGARD DU GÉANT POSÉ SUR ELLE.
Une pause pleine d’espoir provoqua une étincelle familière de honte désemparée jusqu’à ce quelle réalise qu’il n’attendait pas réponse. Il continua à parler, presque comme s’il avait entendu une réponse de quelqu’un n’étant pas présent. Le seule chose qu’elle comprenait des paroles khadoréennes était le nom « Lola », et elle se demandait de qui il s’agissait. À sa grande surprise, une larme coula sur la joue du géant. Son expression était si triste qu’elle en eut mal à la poitrine. Il prononça d’autres paroles, puis s’endormit, et l’ensemble de l’expérience la laissa étrangement calme et en paix. Il n’avait même pas bronché lorsque son aiguille avait transpercé sa chair, mais il était clair qu’une douleur intérieure le gênait. Elle ressentit un écho de sympathique à ce sentiment, une résonance avec une douleur qu’elle avait enfouie en elle depuis la mort de sa mère. Un monstre comme lui pouvait-il ressentir quelque chose de semblable ? Tout en changeant les serviettes imbibés de sang sur son flanc, elle essaya d’imaginer la personne avec qui il croyait avoir parlée. Lola était-elle aussi grande que lui ? Elle essaya d’imaginer sa maîtresse trois fois plus grande qu’elle et portant une armure rouge et frissonna à cette idée.
Au cours des deux nuits suivantes, elle revint avec plus de nourriture pour changer ses pansements et écouter ses incompréhensibles et enfiévrées divagations. D’ordinaire, elle se sentait mal à l’aise lorsque les gens s’adressaient à elle plus longuement qu’en aboyant des ordres. Très tôt, elle avait appris à ne essayer de s’exprimer, surtout après voir enduré les rires des autres enfants. C’était un soulagement d’écouter quelqu’un qu’elle ne comprenait pas et que ne demandait manifestement pas de réponse. Elle redoutait l’idée de retourner à la maison et le risque de se faire prendre, et elle se sentait plus en sécurité avec lui. Elle passa sous la bâche, se coucha à l’intérieur d’un de ses bras et s’y endormit, réconfortée par la chaleur qui irradiait de lui telle une fournaise. Elle parvint, avec difficulté, à se réveiller à temps pour se faufiler jusqu’à sa chambre avant le lever du jour.
Ce matin-là, elle entendit le cuisinier crier à la maîtresse de cuisine à propos des fournitures manquantes. Entendre son propre bourreau se faire punir lui procura un sentiment de malveillante satisfaction, et elle devint plus audacieuse dans ses vols. De toute façon, personne ne la soupçonnerait, elle était trop humble pour un tel complot. Malgré cela, le risque croissant de ce qu’elle faisait la distrayait alors qu’elle se précipitait vers le géant cet après-midi-là. Avec les événement de la maison, ses tâches accrues l’empêcheraient de lui rendre visite ce soir, et elle se sentit obligée d’y aller tôt.
Elle pensait à cela lorsqu’elle contourna le massif arbre et s’arrêta avec surprise en voyant qu’il était debout. Il n’avait pas particulièrement stable, appuyé d’une main contre le tronc d’arbre, mais il était debout. Sa taille et sa masse la terrifiaient à nouveau ; droit, il semblait la dominer comme une montagne. Cela changea tout et soudainement elle se sentit complètement perdue, sans aucune idée de la manière d’interagir avec lui.
Ses yeux semblaient différents alors qu’ils se fixaient sur elle, et son sang se glaça. C’était comme s’il la voyait clairement pour la première fois et ne la reconnaissait pas. Alors qu’ils se fixaient l’un l’autre, ses sourcils se froncèrent et il sembla qu’il y avait y avait peut-être une lueur de reconnaissance. Il désigna brusquement son bras et lui posa une question sur un ton qu’elle n’avait jamais entendu de sa part auparavant. Elle baissa ses yeux et n’y vit que des bleus, comme toujours. Ses yeux s’écarquillèrent et ses narines se dilatèrent tandis qu’il fixait les marques, et elle sentit son appréhension s’approfondir. Avait-elle fait quelque chose de mal ? Ses lèvres se retroussèrent en un grognement et il prononça quelque chose de tranchant et mordant qu’elle put reconnaître comme une malédiction sans même en connaître les paroles. Il serrait les poings et semblait s’énerver de plus en plus.
Son intensité la perturba complètement. Sans réfléchir, elle laissa tomber son panier de nourriture en poussant un cri étouffé et se tourna pour fuir. Elle l’entendit crier derrière elle, et elle entendit à nouveau le nom « Lola », mais elle ne ralentit pas.
* * *Elle reprit ses esprits après avoir couru la majeure partie du chemin jusqu’au domaine, et dans sa t^te elle se reprocha d’être une imbécile lâche. Elle ne croyait pas vraiment que sa colère était dirigée contre elle, alors pourquoi courait-elle comme un lapin vers son terrier ? Soudain, elle s’arrêta net en voyant la maîtresse de cuisine se dresser sur son chemin, la regardant droit dans les yeux, les mains posées sur ses larges hanches.
« Toi, ma fille ! » cria la femme d’une voix stridente en lui indiquant impérieusement de s’avancer. La vieille bique était myope – un fait que la jeune fille avait souvent utilisé à son avantage – mais pas assez aveugle pour être évitée maintenant. Son visage était d’un rouge de colère que la jeune fille ne l’avait jamais vu, et ses dents jaunes étaient serrées. Le jeune fille sentit son monde se désintégrer autour d’elle, mais elle n’avait d’autre choix que d’obéir. Dès qu’elle fut suffisamment proche, sa maîtresse lui saisit le bras comme un étau et la ramena brutalement vers la maison, en lui hurlant dessus tout le long du chemin.
Elle fut traînée dans la cuisine et jetée sur le sol, où elle glissa sur la pierre brute tout en s’effondrant. « Sale petite voleuse ! Misérable chienne ingrate ! » Tout ce qu’elle comprenait, c’est que son larcin avait été découvert. Les paroles exactes de sa maîtresse le submergèrent, mais la femme continua de crier. Cela attira l’attention du cuisinier, qui entra dans la pièce avec une expression alarmée. La jeune fille se leva pour le regarder, et quelque part au fond de son esprit, elle se demandait pourquoi il semblait plus inquiet que fâché. Puis le seigneur de la maison pénétra dans la pièce derrière lui. Tout le sang de la jeune fille fuit son visage. Elle ne connaissait que trop bien la réputation du maître et son manque de tolérance envers les serviteurs incompétents, sans parler de ceux qui volaient. L’année dernière, l’un des ouvriers agricoles avait été fouetté à mort pour vol. Ils connaissaient tous l’histoire.
Le castelain est un tordoréen mince et nerveux, avec des cheveux huilés d’un noir de jais et des vêtements bien plus raffinés que ceux qui l’entouraient. Sa barbe et sa moustache étaient parfaitement taillées et entretenues, et ses doigts étaient ornés de bagues. Il respirait l’autorité et la richesse. La jeune fille avait toujours été invisible pour lui, et lorsqu’il posa les yeux sur elle, elle fut clouée sur place. Il aboya à son cuisinier : « Qu’est-ce c’est ça, Tu ne peux pas contrôler tes gens, »
Jusqu’à ce qu’elle rencontre le géant, le cuisinier était l’homme le plus grand qu’elle ait jamais vu, mais il tremblait devant son maître en balbutiant : « M-m mon seigneur, laissez-moi gérer ça, ne vous inquiétez pas . . . » Il était très rare que le castelain entre dans la cuisine ; sa présence maintenant en ce moment ne visait probablement qu’à vérifier certains détails de l’imminent rassemblement. Malheureusement pour elle.
« Qu’a-t-elle fait ? » demanda le castelain, et le cuisinier jeta un regard à son tour à la maîtresse de la jeune fille, qui était encore trop en colère pour se montrer sage ou intimidée.
« C’est une voleuse. Elle a volé dans la cuisine ! La nourriture, le vin, les draps, qui sait quoi d’autres ? » Après s’être exprimé, elle sembla réaliser à qui elle s’adressait et son ton devint moins strident. « Ce n’est qu’une stupide muette, mon seigneur. Pourrie. Même un chien peut-être dressé. Je vais m’occuper d’elle ». Y avait-il un soupçon d’inquiétude à son égard dans la voix de sa maîtresse de cuisine ? Cette possibilité, plus que toute autre, effraya la jeune fille.
« Une voleuse ? » Les yeux du castelain devinrent froid. Il s’approcha de l’endroit où elle s’était recroquevillée, souhaitant pouvoir prononcer les mots pour plaider ou s’excuser. Il leva l’un de ses mains propres et manucurées, comme pour lui permettre de la voir clairement, puis ferma le poing et l’écrasa sur son visage, la faisant retomber sur le sol. Le douleur fut une explosion blanche dans sa tête, et elle était si abasourdie qu’elle ne put même pas réagir, sauf pour sentir les larmes lui monter aux yeux de manière involontaire. La voix calme du castelain contrastait avec la violence lorsqu’il déclara : « Il est préférable de s’occuper personnellement de ces questions ». Recroquevillée sur elle-même et berçant sa tête, elle ne vit pas le seigneur retrousser proprement ses manches. Il s’exprima à nouveau, cette fois au cuisinier. « Apportez-moi un fouet. Faisons en sorte que le reste du personnel en tienne compte ».
Haletante, la jeune fille cherchait instinctivement un moyen d’échapper à son sort, même sil elle savait qu’elle ne pourrait pas s’échapper. Lorsque ses yeux tombèrent sur la fenêtre la plus proche de la porte arrière, elle aperçut le géant se tenant là, scrutant l’intérieur. Son visage était plus en colère que jamais, et elle ne doutait pas qu’il l’avait vue se faire frapper. Ses yeux étaient fixés sur le castelain avec une effrayante intensité. Une vague d’effroi et d’excitation monta en elle, et elle se rendit compte qu’elle sanglotait.
Des cris retentirent à l’extérieur, mais le bourdonnement dans la tête de la jeune fille les étouffait de sorte qu’ils semblaient venir de lui. Un son métallique retentit, mais fut interrompu, suivit d’une bruit humide comme celui d’un seau d’ordures jeté contre le mur de la maison, puis d’un cri soudain de la maîtresse de cuisine.
Elle avait déjà commencé à se couvrir la tête lorsque la porte explosa en bois de chauffage sous le coup de pied de sa botte armurée. En regardant entre ses bras croisé, elle remarqua plusieurs gardes du domaine gisant, inertes et en sang, sur le chemin menant à la porte. Elle roula rapidement sous la table basse la plus proche et s’y blottit, observant la scène les yeux écarquillés. Ce n’était pas censé arriver.
Le géant se fraya un chemin à l’intérieur, sa masse arrachant des parties du cadre de la porte. Il dut se glisser manteau pour pénétrer dans la sombre cuisine, et lorsqu’il franchit la porte, il ressemblait à une ombre boire bloquant le soleil. Ses yeux étaient exorbités et ses dents étaient découvertes. Il se dirigea sans hésitation directement vers le castelain, la hache à la main.
Le tordoréen recula d’un pas, mais le regarda avec un petit air de défi, comme si son statut l’exemptait de toute violence. « Attendez ! C’est ma maison ! Qui es-tu ? Comme oses-tu- »
Le jeune fille détourna le regard juste à temps alors que la grande hache s’abattait. Cela ne l’empêcha pas d’entendre le bruit nauséabond ; ce fut comme celui d’un couperet faisait entamant la carcasse d’une vache. Elle entendit son seigneur gargouiller quelque chose, puis le bruit de son corps heurtant le sol. Malgré le traitement qu’elle recevait de la maison, elle ne pouvait penser qu’à l’horreur. Ce n’était pas ce qu’elle avait voulu, rien de tout cela. Le géant se tourna bientôt vers le cuisinier et même sa maîtresse, elle ne put que fermer les yeux, se plaquer les mains sur les oreilles et faire comme si de rien n’était. Cela devait être un cauchemar.
Après que le silence se soit installé dans la pièce, elle réalisa qu’elle sanglotait à nouveau et que ses joues étaient mouillées par ses larmes. Dehors, elle entendait des cris et des bruits de personnes s’approchant, mais à l’intérieur, il n’y avait que le silence. Elle ouvrit légèrement les yeux et fut surprise de voir le géant se pencher sur elle, regardant sous la table avec une expression étrangement innocente. Dans sa main gauche, sa hache dégoulinait de sang. Il fronça les sourcils et secoua la tête, puis essuya son autre main ensanglanté sur sa mâchoire. Elle glapit sans un mot alors qu’il tendait maladroitement la main pour la tirer vers l’avant. Elle ne lutta pas, engourdie par l’horreur tandis qu’il la faisait glisser à l’air libre. Elle se blottit sur le sol, ne bougeant que pour s’éloigner de la flaque de sang la plus proche se répandant vers elle.
Le géant se détourna un instant pour revenir à l’effroyable cadavre de ce qui avait été une personne : le castelan. Il tendis le bras et s’empara d’une pochette doublée de soie à la taille de l’homme. Elle tinta lorsqu’il la détacha.
Comme s’il prenait une décision, il la cueillit soudainement d’une main avec une étrange tendresse. Elle était si petite qu’elle se glissa facilement dans le creux de son bras, et il sortit de la cuisine. Il fit plusieurs grandes enjambées, puis se retourna vers la maison. La jeune fille put voir plusieurs personnes se précipiter, alarmées, bien que les gardes du domaine se soient arrêtés, incertains à la vue de l’énorme homme dans son armure rouge sang. Les lances dans leurs mains semblaient bien insignifiantes.
Le géant pointa sa hache vers le bâtiment en criant de sa voix grondante. La jeune fille sentit comme une vague de chaleur la traverser, puis, inexplicablement, le sol sous la grande maison se déforma et se souleva dans une explosion. Avec un boum étouffé, la coûteuse structure se plia vers l’intérieur et s’effondra dans un tourbillon de poussière et de fumée. Plusieurs incendies se déclarèrent au milieu des décombres. Elle enfouit sa tête sous son bras pour se cacher, tremblante ; c’était la seule maison qu’elle avait jamais connue. Les gardes du domaine lâchèrent leurs armes et s’enfuirent.
Le géant parut satisfait et marcha plusieurs minutes le long du chemin. Puis il s’arrêta et, après une longue pause, la pausa soigneusement sur ses propres pieds. Il prit la bourse qu’il avait prise au castelain et la poussa vers elle. Elle la saisit automatiquement des deux mains et la regarda sans comprendre. Elle semblait étonnamment lourde pour une si petite chose. Le géant resserra ses main autour de l’objet pour qu’elle ne la laisse pas tomber.
Elle ne put croiser son regard, bien qu’elle sentît le sien sur elle. Il tendit une main ensanglantée, comme pour tourner son visage vers elle, mais s’arrêta et laissa retomber son bras. Au bout d’un moment, il se retourna et, sans un mot de plus, marcha lourdement en direction de la forêt sombre.