Et voici la dernière partie ! Bonne lecture !
Quelques heures plus tard, le soleil s'élevait doucement vers son zénith, faisant chatoyer la surface cristalline du fleuve. Les rayons lumineux caressaient le visage usé du vieux mercenaire assis sur le garde-corps, à côté de l'ogrun qui s'était endormi a même le pont. Il entendit le grincement d'une chaine, puis le bruit de l'ancre plongeant dans l’eau.
Mordecai se releva, la main en visière pour masquer l'éclat du soleil qui l'aveuglait. Il aperçut alors les toits des chaumières qui bordaient le fleuve. Celles-ci étaient construites de manière anarchique le long des quais de bois. Plus loin en amont, au sommet d'une petite butte, trônait une demeure plus imposante, faite de briques. Depuis son promontoire, elle dominait le hameau; elle était entourée d'un mur de briques également, munit d'un portail de fer forgé. Un pont de pierre se dressait entre les deux rives qui se rapprochaient à cet endroit. Au loin, on apercevait une tour de garde, qui se dressait fasse à l'épaisse forêt qui encerclait le petit hameau, comme un étau verdoyant.
Les matelots établirent un pont improvisé entre le quai et le bateau et commencèrent à acheminer les blessés, sous la direction du capitaine Fargas. De l'autre côté du bateau, Bolden semblait dans une colère noire et se défoulait sur son garde du corps qui subissait calmement la pitoyable crise du marchand.
- Cosgrave est complètement incompétent ! Cet arriéré n'est pas capable de me mener à destination dans les délais prévu ! Combien de temps et d'argent vais-je perdre à cause de cet imbécile ? pestait-il en faisant les cent pas face à l'ogrun. Quand à vous, ajouta-t-il en pointant son doigt gras sur Borok, vous auriez dû mieux protéger cet équipage ! Je ne vous paye pas pour...
Le petit marchand replet s'interrompit en voyant Mordecai s'approcher d'eux.
- Alors vous ! commença-t-il en fixant le vieux mercenaire d'un œil mauvais. Vous ne valez pas la moitié de ce que je vous paye espèce de vieillard décharné et sénile ! Vous n'êtes même pas capable de vous protéger vous-même ! Votre débilité et votre incompétence atteignent des sommets que c'est à se demander qu'elle chienne a pu vous mettre au mon...
Le marchand n'eut pas le temps de finir sa phrase qu'un poing ganté percuta son nez et le renversa. Il se redressa comme il put, portant la main à son nez gonflé, d’où s’écoulait du sang. Bolden ouvrit la bouche pour proférer quelque insulte, mais Mordecai le saisit par le col et le ramena à sa hauteur, plongeant un regard furieux dans le celui du marchand.
- Tu parles beaucoup pour un petit goret, dit-il doucement sur un ton de mépris, ton être entier me dégoute, tu ne sais rien du combat et de la mort. Je te conseille donc de fermer le trou à merde qui te sert de bouche, de poser ton énorme postérieur et d'attendre que l'on puisse repartir. Ces hommes t'ont protégé, alors montre un peu de respect.
Sur ces mots, il relâcha son étreinte et le marchand s'effondra les yeux terrifié, puis il se mit à ramper dans un coin pour s'y réfugier, en couinant comme un porcelet.
Mordecai se tourna vers son ami qui le regardait avec effarement. Il savait que les ogruns avaient une vision très précise de la loyauté, ainsi que du respect qui était dû à un employeur. Il lui adressa un sourire que l'ogrun lui rendit, l'air amusé.
Alors que l'équipage avait fini de débarquer les blessés, un homme monta à bord, exposant sa silhouette gracile au soleil, qui illuminait son pourpoint blanc. Un long manteau bleu brodé de fils d'argent reposait sur ses minces épaules. Ses cheveux bruns étaient peignés en arrière et, sous son nez droit, il arborait une fine moustache.
- Je vous souhaite la bienvenue dans notre modeste village, s'exclama-t-il les bras grands ouverts, avant que Fargas ait pu prononcer le moindre mot. Je suis le Baron Heremon. J'ai mis une grange à la disposition de votre équipage.
- Je vous en remercie Baron, nous ne vous dérangerons pas longtemps, nous repartirons dès demain matin, les blessés devraient être en état de se déplacer. Je suis le capitaine Cosgrave, j'ai été engagé par cet homme, affirma-t-il en désignant Bolden, pour l'emmener lui et ses marchandises à Merywyn, dit-il amèrement, regrettant d'avoir accepté ce travail.
Le marchand, qui tremblait encore quelques minutes auparavant, s'était ressaisit, piqué par la curiosité et s’avançait vers le Baron, et tenait un mouchoir sous le nez.
- Puis-je vous inviter tous deux à séjourner dans ma demeure ? proposa Heremon affichant un sourire radieux.
- Sans vouloir vous offenser Baron, je préfère rester auprès de mes hommes, répondit Fargas. Heremon afficha une expression de déception, mais acquiesça.
- En ce qui me concerne, j'accepte volontiers cette aimable invitation Baron, affirma-t-il pressant toujours le mouchoir contre son nez.
Le visage de Heremon s'illumina et il l'invita à le suivre. Bolden foudroya l'ogrun le mercenaire du regard, tandis qu’ils s'éloignaient vers la demeure du Baron, tandis que le capitaine poussait un soupir, soulagé d'avoir échappé à leur compagnie.
Mordecai, Borok et Fargas rejoignirent les matelots dans la grange, à l'opposé de la demeure du Baron. Lorsqu'ils y pénétrèrent, ils furent accueillis par les râles des blessés allongés dans la paille. La grange était entièrement en bois avec un toit de chaume, de la paille était disséminée un peu partout au sol, ou en ballots empilés contre les murs. Dans un coin, on apercevait un abreuvoir vide, et de chaque côté de la porte était suspendus de nombreux outils agraires. Mordecai et Borok s'installèrent dans un coin pour y dormir, la nuit avait été longue.
La nuit était tombée depuis longtemps lorsque le vieux brisquard fut réveillé par le bruit sourd des tambours et les hurlements bestiaux qui s'élevaient de la forêt. Certains matelots gémirent de peur lorsqu'ils réalisèrent ce qui se préparait au-dehors. Mordecai et Borok se levèrent d'un bond, empoignèrent leurs armes, et sortirent de la grange. Dehors, la lune était masquée par d'épais nuages, plongeant le hameau dans l'obscurité. Mais, au loin, des lueurs émergeaient de la forêt, bientôt ce furent des dizaines de torches qui fusaient en direction de la tour de garde. Des cris de terreur s'en élevèrent presque aussitôt, accompagnés des hurlements sauvages des assaillants. La tour pris feu, devenant un fanal enflammé qui embrasait le ciel nocturne. Le village s'éveilla d'un seul coup, la lueur des lanternes apparaissant dans les rues, accompagnée des cris apeurés des villageois, tandis que Mordecai apercevait d'énormes créatures qui accouraient vers eux.
Le capitaine Fargas prévint ses hommes. Leurs armes étant restées à bord du bateau, certains prirent fourches, pelles et marteaux pour se défendre, tandis que d'autres aidaient les blessés à marcher. Lorsque tous furent prêts, les monstres de la forêt étaient déjà dans le village en contrebas. Ils dévalèrent la légère pente qui menait au village, d'où s’élevaient les cris de terreur mêlés aux cris de rage. Lorsque la petite troupe arriva dans les rues, elle fût immédiatement attaquée par un guerrier Tharn qui brandissait son immense hache, hurlant comme une bête, la gueule écumante de sang encore chaud. Une immense flèche d'acier le stoppa net dans sa charge et il s'effondra sur le sol. Ils continuèrent leur avancée et passèrent devant plusieurs chaumières en feu.
Soudain, surgissant des flammes, une énorme bête, semblable à un gigantesque singe écorché, se jeta au milieu du groupe. La gueule béante, elle planta ses crocs proéminents dans le crâne d'un matelot qui brandissait une fourche. L'os céda en un bruit mat, faisant jaillir une gerbe de sang. Puis, elle banda ses énormes muscles et se déchaina, abattant ses bras puissants comme des massues sur tout ce qui se trouvait autour d'elle. Sous ses assauts furieux, les matelots tombaient à terre les membres brisés, leurs crânes explosés par la force titanesque de l'ignoble créature qui poussait d'effroyables cris stridents.
Borok dégaina son épée et se jeta face à la bête, tandis que Mordecai ouvrait le feu, la balle de plomb se logeant dans son dos musculeux sans lui causer plus de dommage. L'ogrun esquivait les énormes poings de la bête avec une rapidité stupéfiante, il fit un bond de côté pour esquiver un coup, qui lui aurait enfoncé le crâne dans le torse jusqu'à l'aine. Il enchaina avec un coup de sa massive lame caspienne qui entailla durement la poitrine de la créature, lui arrachant un cri de rage. A peine eut-il dégagé sa lame qu'elle lui asséna un revers, qui balaya l'ogrun, le projetant au sol, l’œil droit gonflé.
Mordecai dégaina sa propre lame, se jeta sur le dos du monstre et lui enfonça sa lame jusqu'à la garde. La bête hurla de douleur et, d'un brusque mouvement d'épaule, se débarrassa du vieux mercenaire qui percuta un matelot. Borok profita de la diversion pour se relever et abattit de toutes ses forces le pommeau de son arme sur le crâne de la créature, l’enfonçant si brutalement, que ses yeux jaillirent de leurs orbitent. La bête s’effondra lourdement.
Ils continuèrent leur chemin vers le bateau. D’autres pillards Tharns surgirent des toits et des chaumières en flammes, brandissant leurs haches et hurlant leur soif de massacre. L’un d’eux fut sur Mordecai en un éclair. Il para le coup et se retrouva nez à nez avec l’ignoble guerrier écumant de rage qui lui soufflait son haleine chaude et nauséabonde sur le visage. A sa droite, un Tharn s’effondra, une flèche sombre plantée dans le crâne. Le vieux mercenaire percevait le fracas de l’affrontement qui se déroulait derrière lui.
Un Tharn surgit et repoussa brutalement le vieux Briscard, manquant de lui faire perdre l’équilibre. Puis, il se rua de nouveau sur Mordecai, qui esquiva le coup de taille qui l’aurait coupé en deux et porta une estocade qui blessa le sauvage. D’un violent coup de pied dans les côtes le Tharn le projeta de côté et dégagea la lame légèrement enfoncée dans sa poitrine. Mordecai se tint le flanc en suffoquant: la respiration coupée. De sa main il sentit qu’aucun os n’avait été brisé, sa légère cuirasse de cuir l’avait protégé. Le Tharn abattit sa hache sur la silhouette au sol. Désarmé, il esquiva en roulant sur le côté, et se releva d’un bond. Faisant face à son adversaire, il évita de nouveau une attaque, récupéra son arme et porta une botte qui transperça la gorge du Tharn qui tomba au sol et s’étouffa dans son sang.
Un second adversaire se rua sur Mordecai haletant, qui roula de côté pour esquiver un coup qui l’aurait décapité. Ils échangèrent quelques coups. La hache du Tharn lui entailla l’épaule, puis il riposta et entailla la cuisse nue de son adversaire, qui se mit à ruisseler d’écarlate. Alors qu’ils s’apprêtaient à s’affronter de nouveau, une large lame couverte de sang surgit de l’estomac du Tharn, lui arrachant un hurlement de douleur, et faisant jaillir le sang de sa gueule. Puis, le cadavre inerte fut balancé au sol, laissant apparaitre Borok, couvert de sueur, le visage ensanglanté par une profonde entaille au front.
Mordecai se retourna vers les matelots qui avaient subi de lourdes pertes. Les Tharns n’avaient fait aucun blessé, mais, tous ceux qui l’étaient déjà, étaient morts.
Ils se précipitèrent vers les quais. Alors qu’ils embarquaient, Mordecai aperçu une femme, un nourrisson dans les bras et un enfant à la main, qui accourait les yeux pleins de larmes. Derrière eux, un homme les suivait de près, armé d’une hache de bucheron. La femme manquait de trébucher à chaque pas, elle criait pour appeler à l’aide. Mordecai accouru rapidement, mais soudainement, un guerrier Tharn surgit d’une ruelle adjacente et décapita l’homme qui les suivait. Le mercenaire saisit son fusil, tandis que la femme courait plus vite encore, ses enfants poussant des gémissements stridents à la vue de l’horreur bestiale qui se ruait sur eux, une lueur sauvage brillant dans ses yeux jaunes.
Mordecai ouvrit le feu. La balle fit mouche et le Tharn, touché à l’épaule, trébucha. Mais, un second surgit des ténèbres embrasées du carnage et plaqua la femme au sol. La violence de l’impact projeta le nourrisson dans les eaux sombres du fleuve et disparut. Le second enfant se releva d’un bond pour s’enfuir, mais une large hache vint se planter dans son dos, le tuant sur le coup.
Ayant assisté impuissant à cette effroyable scène de carnage, Mordecai embarqua rapidement. Les marins appareillèrent sur ordre du capitaine Fargas. Le bateau s’éloigna doucement de la rive et s’avança sur les eaux rouges du sang des villageois.
Alors qu’ils passaient sous le pont qui franchissait le fleuve, une silhouette replète courait en agitant frénétiquement les bras. Mordecai et Borok entendirent la petite voix flûtée de leur employeur qui, paniqué, se ruait sur les quais. Mais lorsqu’il eut atteint le pont pour sauter à bord, une simiesque créature se saisit de lui et l’entraina vers la rue, où résonna un unique cri; ils ne seront finalement pas payés. Puis, une clameur bestiale s’éleva du petit village. Au loin, Mordecai aperçu la silhouette imposante d’un Tharn à la chevelure rousse, ornée de cornes, qui brandissait deux immenses haches. Cet impressionnant guerrier poussa un terrible cri qui résonna dans la nuit au-dessus de la clameur des autres pillards. Le Tharn à la crête flamboyante exultait à la vue du massacre.
Alors qu’il s’éloignait de plus en plus, le silence était retombé sur le hameau, dont les flammes continuaient de danser dans l’air nocturne, les volutes de fumée noires s’élevant toujours haut. Bientôt, ce spectacle flamboyant ne fut plus qu’une lueur sur l’horizon bleuté de la nuit.
Le soleil commençait doucement à pointer à l’est. Mordecai s’endormit contre la balustrade. D’après Fargas, ils arriveraient bientôt à Merywyn.