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Roman - La Voie de Caine

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elric:
Deux Ans Plutôt

594 AR, Fin du Printemps ; Le Praesidium, Brainmarché
« Prisonnier 31071 ! Tu as de la compagnie ».

Caine se retourna sur son lit de camp et découvrit un spectre l’observant. Il passa une main sur ses yeux pour bloquer l’éblouissement et plissa les yeux vers la silhouette d’un homme masqué de l’autre côté des barreaux. Ses yeux s’habituant, il aperçut que l’étranger était décharné, tant au niveau du visage que de l’ossature. Pendant un moment, l’homme se contenta de le fixer, le visage vide.

« J’ai entendu une historie, il y a deux saisons », débuta l’homme en gris, sa voix à peine plus forte qu’un murmure et dépourvue d’accent. « Il semble qu’il y ait eu un remarquable incident lors de l’inspection de l’Académie de Stratégie Militaire de Caspia ».

Caine ne répondit rien, mais se leva de son lit.

« Le Roi Vinter avait demandé à un cadet de tirer sur une cible à vingt pas, ce qu’il a fait. Par la suite, on entendit un conseiller du roi se montrer, dirons-nous, peu impressionné. Le cadet a effectué un tir à ricochet ayant touché deux murs et un lustre avant de faire voler la broche du conseiller de son épaule, laissant tomber sa cape à ses pieds.

Les pas des l’homme en gris s’arrêtèrent et il porta un long doigt à ses lèvres : « Le roi remarqua le glorieux avenir que ce cadet avait devant lui. C’est donc une d’une intéressante ironie qu’il disparaisse quelques mois plus tard, n’est-ce pas ? »

Caine lança un regard noir à l’homme en gris. Il se leva, puis vida sa vessie dans le seau près du lit.

« Pourquoi es-tu ici ? » Insista l’homme en gris, la voix toujours basse. « Nous savons tous les deux que tu peux partir à tout moment ».

« C’est ici que je dois être, n’est-ce pas ? En fin de compte, je suis rien de plus qu’un voyou. Un tueur ordinaire. N’est-ce pas ? » marmonna Caine en rattachant ses culottes.

« Un tueur exceptionnel, en fait. Une telle chose, je le crains, est une denrée précieuse par les temps qui courent. Au-delà de cette cellule et de ton apitoiement, notre nation est au bord du gouffre. Depuis que le Roi Leto s’est emparé du trône face à la corruption de son frère Vinter, nous sommes plus vulnérables en tant que nation que jamais ». Caine n’était toujours pas impressionné. L’homme en gris fit une pause. « J’ai décidé que Leto était le meilleur homme pour le Cygnar. Je veux le maintenir sur le trône, par tous les moyens disponibles. J’espère que t’engageras également pour cette cause ».

« C’est vrai ? » Se moqua Caine.

« Je sais que le patriotisme n’est pas une de tes vertus. Cependant, je crois savoir que tu as été fier de ta carrière.

« Oui, eh bien, tout cela est du passé, comme vous pouvez le constater. Ce n’est rien de plus que ce qu’on pouvait attendre de moi ».

L’homme en gris sortit une lettre des plis de son manteau.

« Il n’est pas nécessaire qu’il en soit ainsi. J’ai ici le moyen de faire table rase pour ainsi dire. Je t’ai obtenu une grâce. Tu pourrais affecter à la reprise de ton apprentissage de compagnon. Dès demain, si tu le souhaites. Je ferai ainsi appel à tes services chaque fois que je le jugerai opportun, sans exception.

« Vous avez perdu votre temps en venant ici ». Répondit Caine en s’appuyant contre le mur de sa cellule, les bras croisés.

« Je vois. Alors tu te contentes de te complaire dans ton échec ? L’homme en gris le regarda. « De connaître une fin plus ignoble et plus obscure encore que celle de ton imbécile de père ? »

Le visage de Caine trahit la surprise. L’homme en gris insista.

« Oui, c’est vrai. Il est mort la semaine dernière. On ne te l’a pas dit ? Non, je suppose que non. Qu’est-ce que cela peut te faire ? Qu’est-ce que ça peut faire ? »

La rage indignée s’empara de Caine. Il jeta un coup d’oeil à l’homme nerveux devant lui, envisageant de lui tordre son migre cou. L’homme observa sa colère froidement, haussant un sourcil.

« Oui. Supposons que tu veux me tuer ? Et alors ? »

Caine secoua la tête. Ses pensées étaient-elles si transparentes. Frustré, il se détourna.

« Mon offre expire avec moi, et tu finiras soit à la potence, soit pourchassé le restant de ta courte vie par ceux qui sont très certainement tes égaux ».

« Vous devriez y aller ».

« Peut-être que tu as raison ».

Caine ne répondit rien, mais agrippa les barreaux de sa fenêtre. Il entendit l’homme en gris se retourner pour partir. Des pas résonnèrent dans le couloir, de plus en plus lointain. Caine regarda depuis sa fenêtre en secouant la tête.

Non. Non ! Il ne se laisserait pas si facilement manipuler. Sauf…

Jetant un coup d’oeil vers la porte d’entrée dessous lui, il ferma les yeux et plia l’espace autour de lui. En un éclair, il se retrouva adossé au mur du donjon, les bras croisés. L’instant d’après, l’homme en gris franchissait la porte principale. Lorsqu’il aperçut Caine, il ne sembla pas du tout surpris. Au contraire, il sourit légèrement.

« C’est un plaisir de te rencontrer enfin Lieutenant Caine. Mon nom est Holden Rebald, Commandant en Chef des Éclaireurs du roi. Il tendit une main gantée, regardant Caine dans les yeux.

« Alors, nous avons un accord ? »

elric:
594 AR, Décembre ; Ceryl
C’était une matinée nuageuse alors que Caine se déplaçait le long de la digue, comme il l’avait fait presque tous les jours depuis son arrivée dans la cité côtière de Ceryl. Les vagues océaniques d’un hiver précoce se heurtaient aux brise-lames en pierre, blanche comme de l’écume et glaciales comme les os. Cette image avait fini par exercer une forte fascination sur lui lors de son affectation de compagnon, et il les fixait souvent depuis les fenêtres et les remparts du fort étant désormais son foyer. Que cela l’occupe ainsi n’était peut-être pas une surprise. Après tout, il n’avait jamais vu d’océan auparavant.

Il regarda le baleinier Chien Impudent sortir du port. Les hommes à bard chantaient bruyamment pendant leur travail, et même d’ici, il pouvait entendre les paroles de leur chanson alors qu’ils laissaient la civilisation derrière eux.

La garnison de la ville se dressait derrière lui, haute de huit étages, construite à côté du vieux phare. Prenant une profonde inspiration, il entama la longue montée des escaliers vers les remparts. Aussi encombrante que soit son armure, il s’y était habitué depuis longtemps et ne rechignait pas à emprunter la longue cage d’escalier. Trois saisons s’étaient écoulées depuis sa rencontre avec Rebald, et sous la direction de son mentor, le vénérable Seigneur Walder Brigham, l’armure avait été mise à rude épreuve. Caine comptait un moins une vingtaine d’escarmouches depuis son séjour avec le Seigneur Brigham, presque toutes contre des pillards des Îles Scharde orientale à l’ouest du port. À deux reprises, des poursuites eurent lieu avec des navires de reconnaissance khadoréens, persistant à tester la détermination de la vigilance côtière de Cygnar.

Ce qu’il n’avait pas eu, c’était des nouvelles du commandant en chef des éclaireurs. Depuis leur accord, on lui avait demandé de tenir un journal des navires au port, et rien de plus. Un coursier de Rebald venait le chercher chaque mois, mais il n’y avait rien de plus. Il commençait à penser que le marché avait été totalement oublié.

Caine porta ses mains à on souffle pour se réchauffer et regarda au-delà de l’horizon. Il se demanda où le Chien se dirigeait et, pour sa part, il se posait la même question.

Proche du sommet de la vieille cage d’escalier en pierre, il fut dépassé par des soldats de l’armée prenant leur service. Sur le rempart précédant le sommet du grand donjon, il entendit une voix familière et irascible s’élever.

« Allister ! Viens ici, gamin ! » Malgré lui, Caine sourit au vieil homme.

Au pied du mât du drapeau cygnaréen, haut de plus de quinze mètres, le seigneur Brigham prenait son thé du matin. Du gorgerin au soleret, son armure élaborée brillait, presque jusqu’à rendre fou, et sa longue cape doublé de fourrure noire battait au vent. Froissé comme du cuir, aux cheveux blancs, aussi vieux que son armure et tout aussi bien conservé. Héros à nombreuses reprises par le passé, maintenant sûrement sa dernière période de service. Un sourire toujours proche des lèvres, et en effet, il souriait largement alors que Caine passait la dernière marche.

« De quel navire s’agit-il ? » demanda le Seigneur Brigham en tirant sa barbe blanche soigneusement taillée et en observant la scène.

« Chien Impudent », monsieur.

« Ah oui. Il part à la chasse à la baleine au-delà des Scharde au cours des six prochains mois, je me risquerais à deviner… » L’attention du vieil homme se porta sur l’eau. Caine s’approcha du bord de la balustrade de pierre et observa les pêcheurs en contrebas tandis qu’ils vidaient leurs prises sur les quais.

« Allister, tu as été un bon élève ». Le vieil homme se mit à réfléchir, son attention revint brusquement. Caine leva les yeux des quais, surpris, et se tourna vers son mentor.

« Avant ton arrivée, on m’avait prévenu que tu serais difficile. Ton séjour ici ne s’est certainement pas déroulé sans incident, n’est-ce pas ? » demanda Brigham.

Caine hocha la tête, luttant contre l’envie de sourire, tandis que Brigham poursuivait. « Pourtant, pendant cette période, j’ai également été témoin de l’épanouissement de ton talent pour la guerre. Avec seulement une paire de pistolets, tu es devenu redoutable. Avec toi, j’ai peut-être enseigné à mon meilleur élève ».

L’aîné des warcasters porta son thé à ses lèvres, pensif.

« Mais il y a une autre partie à cela. Si je devais être franc, eh bien, il y a une part d’ombre qui te ronge. Je l’ai vu chez d’autres, des amis perdus au fil des ans. Crois-moi quand je te dis que tu feras la paix avec, sinon cela te consumera. Ce serait en effet une tragédie, car tu as bien plus à offrir, gamin, que ce que tu laisses percevoir au monde ».

Caine sentit inexplicablement ses joues rougir. Il détourna le regard, embarrassé. « Monsieur ? Pourquoi m’avouer de telles choses ? »

« Parce que je ne pourrai pas le faire demain ». Le vieil homme rit en sirotant son thé.

Les yeux de Caine s’écarquillèrent. « Est-ce que ça va, monsieur ? »

« Oui, Allister. Mais pas toi. En fait, tu nous quittes. J’ai déposé les papiers il y a une semaine, et ils sont revenus ce matin même ».

« De quoi parlez-vous ? »

« De ton apprentissage. Il est terminé. Tu vas être redéployé au sein de la première armée à Fellig la semaine prochaine ». Le vieil homme gloussa, en réponse à la surprise de Caine. Il avait l’air d’avoir oublié quelque chose.

« Je voulais t’offrir quelque chose », répondit le Seigneur Brigham en fouillant dans les plus de sa cape et sortir un petit artefact en laiton poli au bout d’une chaîne. Avec une gentille tape dans le dos, il le pressa dans la main de Caine.

« N’oublie jamais qu’il y a dignité dans cette vie, Allister. La moralité aussi, même si nous sommes souvent appelés à faire des choses terribles ».

Caine hocha la tête, voyant que le vieil retraçait son propre passé en parlant. « N’oublie jamais ça, si tu souhaites honorer ce pour quoi le Cygnar se bat ».

« Caine regarda l’artefact, curieux. En l’ouvrant, il vit une petite boussole, fabriquée avec une étonnante précision. Stupéfait, il ne put remercier son mentor qu’en murmurant. Le Seigneur Brigham acquiesça.

« Elle appartenait à mon père, Allister et je te l’offre maintenant. Il m’a dit quelque chose le jour où je me suis engagé, il y a si longtemps. Il m’a dit que suivre les ordres sans jamais se soucier de son coeur t’entraînera sûrement en enfer, peu importe ce qu’ils peuvent épingler sur ta poitrine. Je n’ai jamais oublié ces paroles, que Morrow ait son âme. Toi seul sauras à la fin de tes jours si ta vie a été digne, Allister. Puisse cette boussole te conduire à la même paix que celle que j’ai trouvée à la fin de la mienne ».

elric:
595 AR, Automne ; Frontière Khadoréenne près de Fellig
Caine courait. Vêtu d’une armure ajustée, fin et neuve sous un long manteau, ses jambes gonflées et ses poumons haletant.

Il était désormais un warcaster, du moins c’est ce que proclamaient les galons sur son épaulière. Lieutenant à part entière de l’armée du roi, il commandait désormais au peloton de soldats. Armé de la magie la plus puissante que l’académie puisse enseigner, il avait affiné sa visée stable jusqu’à obtenir une visée létale qu’il pouvait transmettre aux autres, si cela lui était utile. Il pouvait propulser ses balles vers l’avant pour toucher des cibles hors de sa portée ou même vers toute autre qu’il pouvait choisir. Comme Magnus, il avait appris à tordre les ombres autour de lui telle une cape pour empêcher les balles de le trouver. Mais surtout, la magie qu’il avait toujours connue était devenue plus puissante que jamais. Il pouvait lancer des éclairs plus loin et plus nombreux que jamais auparavant, et sa poussée de force s’était transformée en un dévastateur coup de tonnerre de puissance brute.

Cependant, le Lieutenant Allister Caine, le grand et puissant warcaster, courait pour sauver sa vie.

L’obus de bombarde frappa la terre humide à deux pas de Caine, projetant de la terre et le faisant voler avec une onde de choc de force. Il eut du mal à se relever, ses oreilles bourdonnaient. Abasourdi, il chancela et cracha de la terre. Alors que son audition revenait, il réalisa que l’impact n’avait été qu’un de correction. Le sifflement d’autre obus pleuvant au-dessus de lui le ramena à la raison tel des sels. D’un coup d’oeil, il repéra les tranchées du flanc gauche comme son meilleur choix d’abris. À l’intérieur, il put voir les pionniers du troisième peloton échanger des coups de feu à travers le no man’s land.

Ils étaient trop loin.

Cherchant désespérément un abri plus proche, il repéra un creux dans le sol. Il se concentra aussi fort que possible. Incertain de pouvoir s’enfuir à temps, il leva instinctivement un bras pour protéger son visage des obus approchants.

Le monde devint noir autour de lui. Il disparut.

À l’endroit où il s’était tapi une seconde auparavant, l’enfer se déchaîna. Les tirs de plus d’une douzaine de bombardes firent trembler la terre, et se propageant sur le flanc gauche. Les pionniers occupant la ligne hurlèrent bientôt dans le chaos des éclats d’obus et de la surpression.

De son abri, Caine se débarrassa de la terre le recouvrant et leva les yeux vers la crête. À mesure que la fumée se dissipait, elle révélait une vision surréaliste. Le blanc gauche avait dévasté, réduit à une terre labourée. Là où s’était niché un peloton complet, il n’y avait plus que des débris d’armure et les cris des mourants s’estompant. Il en eut le souffle coupé. Depuis son déploiement avec sa première armée, il avait connu son lot d’escarmouches avec les khadoréens. Jamais il ne les avait vus arriver avec telle puissance de feu.

Caine se releva et courut une fois de plus vers le flanc. Il sauta dans un cratère, cherchant à gauche et à droite le moindre signe de vie.

Il était seul.

Un sifflement retentit de l’autre côté du no man’s land. Trois longs coups. Il avait appris bien à les reconnaître. La Garde des Glaces chargeait après trois longs coups de sifflets. En jetant un coup d’oeil dans les fourrés du champ de bataille, il vit leurs ombres avancer. La force de la compagnie. Caine blanchit et regarda vers le centre de la ligne.

Là, les tirs groupés des Défenseurs cygnaréens de son côté se heurtaient aux volées sifflantes de mortiers des bombardes ennemies. Malgré tout cela, son camp semblait trop préoccupé pour s’occuper d’un flanc effondré. Il plissa les yeux face aux éclairs constants des pièces pyrotechniques et repéra ses propres warjacks.

Il avait reçu deux warjacks légers désignés sous le nom de Sentinelles, mais maintenant, alors qu’il en avait besoin, il s’aperçut qu’il les avait devancés pour renforcer le flanc. Ils oeuvraient sans lui, leurs massifs boucliers de fers étant régulièrement bombardés, mais donnant davantage en retour avec le claquement incessant de leurs mitrailleuses. Ils effectuaient des tirs de suppression tandis que les puissants Défenseurs derrière eux crachaient des salves successives ébranlant le sol. Caine regarda les Sentinelles, impuissant. Elles étaient trop loin pour être appelés et lui était trop loin pour se téléporter vers eux.

Allister Caine était seul.

La première vague d’assaut sur le flanc débuta. Les Gardes de Glaces sortirent en hurlant des fourrés, leurs silhouettes étant faciles à repérer grâce à leurs grands manteaux et à leurs chapkas en laine.

D’un étui en cuir ajusté, Caine dégaina deux pistolets brillants. Des Pistolets-Tempêtes. Deux exemplaires uniques, élaborés pour lui et lui seul, des revolvers à long canon, d’une facture exquise brillaient avec un complexe treillages de laiton et d’incrustations de runes amplificatrices de magie. Il les avait nommés Béatrice et Darlene, et les runes sur chacun brillaient à présent d’une lueur blanche à son contact, et il visa.

Le premier cracha, un chatoiement d’un halo de rune sur la bouche, et l’ennemi chargeant le plus proche tomba raide comme une planche ; l’icône de sa chapka transformée en trou fumant. L’autre rugit à son tour, avec une mesure égale de halo runique et de mort. Un autre khadoréen cria, s’agrippant la poitrine. La paire crachait en rapide succession, goûtant du sang à chaque fois, mais l’ennemi continuait à s’approcher.

Caine allait échouer.

C’était comme tirer sur un raz-de-marée. Il n’y avait rien à faire, il abattit trois autres khadoréens, six de plus surgirent par-dessus ceux qui étaient tombés. Une grêle de coup s’abattit sur Caine, et le champ d’énergie de son armure de warcaster s’affaiblit visiblement sous l’effet de la tension. Ils étaient trop proches, trop nombreux. Agenouillé, il cherchait de l’air. Le générateur arcanomékanique dans son dos crachait une fumée noire afin d’empêcher son champ d’énergie de s’effondrer. Béatrice était épuisée, Darlene aussi, quelques instants après. Il n’y avait nulle part où se replier. Un khadoréen hurlant n’était qu’à deux pas, le fer de sa hache dirigé vers le visage de Caine.

Caine ferma les yeux, résigné. D’une unique expiration, il laissa tout tomber. Peur. Colère. Regret. Une seconde devenue toute sa vie. Avec un dernier souffle, il attendit le contact de l’arme.

Elle ne vint pas.

Perplexe, il ouvrit les yeux. La hache était toujours là, peut-être un peu plus près. Mais elle restait là. Caine leva les yeux. La khadoréen hurlant s’était tu, mais son visage guerrier n’était pas moins féroce. Il était immobile comme une statue. Derrière lui, une trentaine de ses camarades étaient tout aussi immobiles.

Caine vit autour de lui un monde dépourvu de couleurs, seulement du gris délavé. Les bruits de la guerre, autrefois assourdissant, n’étaient plus qu’un sifflement sourd de bruit blanc. Un scintillement éthéré flottait langoureusement dans l’air, ses Pistolets-Tempêtes bourdonnaient faiblement. Puis il tilta.

Ce jour-là au stand.

Caine se souvint de ce moment. Sa magie, hier comme aujourd’hui, l’avait amené ici. Un espace entre les secondes, peut-être. Caine rit au spectacle, sa voix résonnant dans cet étrange paysage temporel. Il était incroyable de découvrir un tel pouvoir alors que tout espoir était perdu. Combien de temps avant qu’il ne reflue ? Il ne pouvait pas le prédire. Cela n’avait pas d’importance.

Il en profiterait au maximum.

Il cassa ses Pistolets-Tempêtes d’une pichenette, faisant tomber en cascade des cartouches usagées en laiton. En retombant sur terre, leur éclat s’estompa pour laisser place au gris omniprésent. D’un mouvement fluide, il tira des chargeurs rapides fixés à sa ceinture et les fit passer devant ses pistolets, puis les referma, chargé. L’espace se déforma autour de lui alors qu’il disparaissait, réapparaissant à une dizaine de mètres de la charge de la Garde des Glaces.

Caine ouvrit le feu.

Ses deux pistolets commencèrent à tricoter une mort radieuse de gauche à droite, un maelstrom de plomb. Chaque coup de feu jaillissant des bouches telle une explosion d’étoile, laissant derrière lui un sillage d’onde de choc concentriques. Les silhouettes étrangement immobiles devant lui répondirent avec leur sang. Lentement, il commença à se répandre dans l’air, formant des motifs abstrait.

Tant de sang…

* * *
Caine se réveilla en sursautant. Il se redressa et le regretta aussitôt. Il se recoucha avec une grimace, se tenant la tête et ferma les yeux. Avec une profonde inspiration, il les rouvrit et regarda autour de lui. Il se trouvait sur un lit de camp dans un hôpital de campagne. Une infirmière le surveillait et il lui sourit faiblement. Son sourire disparut l’instant d’après. À côté d’elle se tenait son commandant, le warcaster Major Horlis Abernathy, les bras croisés et l’ait plus sévère qu’à l’accoutumée dans son épaisse armure marquée par les combats.

Lorsque Caine croisa le regard de son commandant, l’homme à l’allure patricienne, d’une dizaine d’années son aîné, secoua la tête.

« Je ne le croirais pas si vous n’étiez pas juste devant moi. Il n’y a vraiment aucune égratignure sur vous ».

« Monsieur ? Le flanc, je ne l’ai pas… »

« Vous n’avez pas fait quoi ? Tuer toute la compagnie ? On peut difficilement vous blâmer. Ils ont fui après que vous avez abattu presque deux pelotons entiers ». Le Major Abernathy secoua la tête, incrédule. « Avec deux pistolets ».

Caine se frotta les tempes enflées. « Si vous le dites, monsieur. C’est flou pour moi ».

« Oui. Le flou, c’était vous. Vous avez arrêté l’avancée khadoréenne. Je n’ai jamais rien vu de pareil ».

Caine hocha la tête, son visage se transformant lentement en un sourire. Les yeux du major se plissèrent.

« Je serais négligent, en tant que commandant, si je ne trouvais pas à ride sur votre conduite. Si vous n’aviez pas abandonné vos warjacks en premier lieu, ils auraient pu également tenir le flanc sous votre contrôle. Bah. En fin de compte, je suppose que les résultats parlent d’eux-mêmes. Vous avez sauvé la situation, Capitaine Caine ».

Le major décroisa les bras et remit à Caine son nouveau grade. S’éloignant d’un pas, il salua. Caine se leva pour lui rendre le salut, bien qu’il grimaçât en se levant ».

« Infirmière, nettoyez-le et envoyez-le au mess des officiers. Je pense que nous avons mérité une célébration aujourd’hui ».

* * *
Des chopes s’entrechoquèrent de par et d’autre Caine alors qu’il avait son troisième whisky d’une traite. Mâchant son cigare à moitié consumé, il fit signe au barman de lui en envoyer un autre, tandis qu’un officier passant lui tapait le dos en guise de félicitation. Un piano jouait un refrain familier, « Le coeur de Cygnar », que les officiers autour de lui chantaient bruyamment. Les sourires l’accueillaient partout où il regardait, et il devait admettre que c’était étrangement attrayant. Jamais auparavant il n’avait obtenu une telle acceptation, ne s’était senti aussi bienvenu. Brandissant son cigare, il se tourna vers le capitaine à côté de lui, le verre levé. Peut-être qu’il pourrait s’y habituer. En faisant tinter son verre, il porta à son tour un toast. Une capitaine, effet, gloussa-t-il. Qui l’aurait cru, chez lui.

« Félicitations, capitaine », dit une voix par-dessus son épaule. « C’est un véritable exploit ce que vous avez réalisé aujourd’hui ». La voix était un murmure facilement reconnaissable. Caine se retourna. Le visage souriant de Holden Rebald l’attendait. « J’espère que vous n’avez pas oublié notre arrangement ? »

Caine secoua la tête, son sourire disparaissant rapidement de son visage. Il posa son whisky. Rebald, de son propre verre, but une gorgée et tendit son verre vers Caine.

« Profiter bien de la nuit, capitaine. Nous partons aux premières lueurs du jour ».

elric:
PARTIE DEUX

Quatre jours Plutôt
596 AR, Printemps ; Fort Nordgarde

« Alors, qu’est-ce que ce sera cette fois-ci ? » Caine souriait devant une assiette fumante de mouton et de pomme de terre. « Dois-je tenir un registre des trains ? Peut-être noter le temps qu’il fait ? »

De l’autre côté de la table du wagon-restaurant privé, Rebald ne s’amusait pas. Derrière les rideaux de velours tirés, le monde défilait dans un cliquetis.

« Je ne pense pas », répondit froidement le commandant en chef, tranchant son mouton avec une fourchette et un couteau. « Il y a un complot visant à renverser le Roi Leto, capitaine. Je m’attends à ce que vous y mettiez un terme ».

Caine toussa, son dîner s’était coincé dans sa gorge. Rebald embrocha un autre morceau de mouton et le porta délicatement à sa bouche, ses yeux brillants tandis qu’il regardait Caine reprendre son souffle. « Un changement est toujours une chose dangereuse. Pour certains, cela apporte la prospérité, pour d’autres, la ruine. Ceux qui ont bien réussi sous Vinter craignent désormais pour leur avenir sous Leto. Malheureusement, cela les a conduits à prendre des décisions, dirons-nous, insensées ». Rebald perça le mouton et commença à la découper avec force, tranchant une bande de graisse. « Ces décisions nous ont obligés à agir ».

« De qui parlons-nous exactement ? » demanda Caine en essuyant ses larmes.

« Les nobles, bien sûr », répondit Rebald en posant sa fourchette. Il désigna d’un geste la carte déployée entre eux. « Ils rassemblent des forces ici, ici et ici. En tout cas, c’est ce que nous savons ». Rebald se tamponna la bouche avec une serviette.

Prenant une gorgée de vin, le chef des services secrets observa Caine avec curiosité. « Nous ne savons pas ce qu’ils comptent faire de ces non-partisans, mais pour le moment, ils semblent se contenter de semer la peur. Vraisemblablement, cela leur permet d’obtenir le soutien des citoyens. La seule chose certaine, c’est qu’ils veulent se débarrasser de Leto ».

Caine haussa les épaules. « Je pense que je pourrais comprendre cela, les circonstances étant ce qu’elles sont. Il a abrogé des accords commerciaux de longue date, nommé de nouveaux délégués commerciaux. Il a renversé la hiérarchie ».

Rebald hocha la tête, faisant tournoyer le vin dans son verre. « Oui, ne serait-ce que pour éliminer les pommes pourries. Le problème ici n’est pas le mécontentement que son ascension a provoqué. Avec suffisamment de temps, Leto aurait peut-être commencé à gagner leur confiance, l’un après l’autre. Ainsi, il aurait réduit l’influence des dissidents restants. Le problème est qu’il n’aura pas ce temps. Les nobles ont réussi, d’une manière d’une autre, à générer un important capital pour son éviction. Trop, trop tôt. Comme vous le voyez sur la carte, ils en ont déjà assez pour créer une menace crédible pour la sécurité de Leto ». Rebald observa la réaction de Caine, sans sourciller.

« C’est vrai. Ils se font donc aider », marmonna Caine en se frottant le menton. « J’ai l’impression que c’est là que j’interviens dans votre grand plan ».

« En effet, capitaine ». Rebald parcourut la carte du regard, son doit se posant sur Merywyn, la capitale du Llael. « Nous avons un informateur. Kreel. Il a identifié le mystérieux bienfaiteur de notre noble. Un certain Thaddeus Montague, trésorier royal du Roi Rynnard de Llael. Vous remarquerez que le domaine du Baron Malsham se trouve juste au sud de la frontière de Llael, et de Merywyn elle-même. Cela impliquerait certainement le baron dans le complot, même s’il faut pour le moment sauver les apparences. Une fois que vous serez déployés sur son domaine, vous garderez un œil sur ses affaires sous couverte de protection. Pendant ce temps, je veux que vous infiltriez Merywyn et que vous rencontriez cet informateur ».

« Je ne comprends pas. Vous voulez que je garde un baron et que je sorte en douce ensuite pour discuter avec ce Kreel ? »

« Vous allez là-bas pour tuer, Caine », corrigea Rebald. « Pendant que votre détachement fera preuve de bonne foi envers nos nobles, vous infiltrerez Merywyn pour couper la tête du serpent. Par l’intermédiaire de Kreel, vous parviendrez à ce trésorier. Interrogez-le. Apprenez ses motivations si possible, mais tuez-le de toute façon ».

« Pourquoi moi, Rebald ? Vous n’avez pas suffisamment d’assassins à votre disposition pour de telles choses ? » Caine se gratta le menton, jetant un coup d’oeil distrait à la carte.

« D’après Kreel, Montague est bien gardé. Et pourtant, ce n’est que la moitié du problème ». Rebald sirota son vin. « Il y a… des complications que je pense que vous êtes bien placé pour gérer. Comprenez que nous vivons une période délicate entre notre nation et le Llael. Bien qu’ils soient toujours officiellement nos alliés, il n’y a qu’une seule chose que le Roi Rynnard craint plus que la racine de réglisse, et c’est le Roi Leto ».

« Je ne comprends pas », Caine secoua la tête. Reblad leva les yeux de sa carte, irrité.

« Le régime de la nation la plus puissante de l’Immoren occidental est renversé à sa porte, et vous ne voyez pas en que cela pourrait inquiéter Rynnard ? » demanda doucement Rebald, mais Caine secoua simplement la tête.

« Je comprends cette partie. Qu’est-ce que vous voulez dire à propos de cette foutue réglisse ? »

Rebald haussa les épaules. « Il est de notoriété publique que Rynnard tombe gravement malade à la moindre saveur ». Rebald tapota la carte pour se recentrer. « Maintenant, comme j’y arrivais, il est impératif que vous ne soyez pas arrêté ou identifié. Un agent cygnaréen découvert en train d’assassiner un courtisan royal ne serait rien de moins qu’un désastre. Sur ce point, je crois que j’ai le meilleur homme pour ce travail ». Rebald, toujours absorbé par la carte, traça une ligne à travers la frontière de Llael. « Vous voyez, alors que les relations diplomatiques semblent se poursuivre normalement, Rynnard n’a cessé d’augmenter les patrouilles frontalières. Il est même allé jusqu’à mobiliser des forces dans le sud ces derniers mois. Juste au nord de la frontière, il a fortifié sa demeure, la capitale de Merywyn. La ville était déjà suffisamment défendable auparavant, le Fleuve Noir servant de fossé à l’est et les murs de la ville créant un épais périmètre de tous les côtés. Récemment, il a doublé la garnison là-bas, et les portiers vérifient méthodiquement les papiers de tous ceux qui s’approchent.

Caine haussa les épaules, indifférent, « Je pourrais me débarrasser de mon armure et me faire passer pour un roturier assez facilement.

« Vous pourriez. Ce serait une affaire triviale de vous forger les papiers nécessaires. N’oubliez pas, cependant, que vous n’avez aucune idée de ce qui vous attend. Les renseignements indiquent que votre cible est bien protégée. Si Kreel a raison sur ce point, entrer sans armure ni armes vous priverait d’un considérable avantage tactique. Est-ce vraiment ce que vous voulez ? »

Caine fronça les sourcils. « Ech. Je suppose que non ».

« Ne pourriez-vous pas simplement vous infiltrer dans la ville depuis les murs extérieurs ? »

Caine secoua la tête. « Je ne maîtrise pas les déplacements vers des endroits que je ne peux pas voir. Je ne sais pas où je finirais si je tentais de telle cascade. Au milieu d’un mur, j’imagine ».

Rebald acquiesça, faisant tournoyer distraitement le vin dans son verre.

« Alors, quelle que soit la façon dont vous vous y prendrez, gagner la ville représentera un défi. Je vous laisse le soin d’élaborer votre propre stratégie, mais si vous souhaitez l’utiliser, j’ai réquisitionné un prototype de warjack qui pourrait s’avérer utile pour une telle occasion ».

Rebald leva son verre, finissant le reste de son vin. De l’autre côté de la table, il étudia Caine.

« Il y a une dernière chose à faire ». Inspirant probablement, il sortit un petit sac de feutre de sa poche. Il le tint un moment, puis le jeta par-dessus la table pour atterrir devant Caine.

« C’est quoi ? » Caine se rassit, regardant le sac comme si une souris les avait rejoints à table.

« Une intuition. Si l’histoire du trésorier ne colle pas, considérez-la comme votre prochaine mission. Sinon, rangez-le au fond de l’une de vos poches et oubliez-le ».

Sans un avertissement, ils purent percevoir le grincement de leur train. Le sifflet à vapeur retentit, annonçant une gare à venir. Hochant la tête, Rebald se leva. « Notre arrêt, capitaine ».

* * *
Trois jours plus tard, Caine s’ennuyait et s’agaçait à parts égales. Quittant sa chaise sur le pont supérieur du navire, il sortit. Alors que les berges du fleuve défilaient lentement, il fouilla dans les poches de son long manteau de cuir à la recherche cigarillo.

Le bateau à vapeur, Katie, avançait péniblement depuis des heures et ils n’étaient pas plus près de leur destination, pour autant qu’il puisse en juger. Ils étaient partis de Nordgarde en cette claire matinée de printemps mais plus ils parcouraient le Fleuve Anguille, plus la journée devenait morne. Le Fleuve Eel était un affluent sinueux du Lac d’Eaux-Aveugles, dans l’extrême nord du Cygnar, et s’enfonçait progressivement dans le bourbier de marécages et de bois couverts de mousse, mieux connu sous le nom de Marais Bloodsmeath. Ici et là, des quais et des débarcadères s’étendaient jusqu’à eux depuis le rivage, avec des maisons sur pilotis nichées juste au-delà de la lisière des arbres, mais plus ils avançaient, plus les colonies devenaient clairsemées. Caine gratta une allumette et tira une longue bouffée sur son cigarillo. Quel genre de personnes pouvait bien vivre dans un endroit I ? Il secoua la tête.

En fin d’après-midi, ils devraient atteindre la rive du lac, au Ponton de Perry. C’est là que son premier commandement débuterait pour de bon. Dans les ponts inférieurs, près de soixante combattants, des munitions, des warjacks et d’autres éléments logistiques avaient été chargés. C’était à lui de les commander et d’en assumer la responsabilité. Alors qu’il faisait rouler la riche fumée de feuille de Hooaga sur sa langue, il trouva l’idée ridicule. Depuis quand gagnait-il sa vie dans la rue ? Les années écoulées s’estompaient dans son esprit telle la fumée de son cigare lorsqu’il expirait, incorporelles et vagues.

« Ah, vous voila, monsieur ».

Une voix familière l’interrompit alors que la porte de la cabine s’ouvrait. Caine fit signe à son adjudant sans prendre la peine de se retourner. L’homme s’approcha en s’étirant et en baillant de fatigue. Tandis que les deux hommes regardaient la paresseuse Anguille, le lieutenant fusilier, un jeune homme au visage encore plus jeune, saisit la rambarde en fer, prenant une profonde inspiration.

« Par Morrow, ça pue ! » s’exclama-t-il.

« Essaye de grandir à côté d’une usine de papier, Gerdie », répondit Caine avec un sourire narquois. Le ponctuel compagnon de voyage de Caine grimaça à cette idée avant de reprendre la parole.

« Le capitaine dit que nous devrions arriver dans les prochaines heures. Tout est sous contrôle pour le moment, alors j’ai pensé que je pourrais vous dire un mot », poursuivit Gerdie.

Caine acquiesça et tira une nouvelle fois sur son cigarillo.

« Eh bien, monsieur, c’est juste que depuis vous avez débarqué à Nordgarde avec ce monsieur, disons, « anonyme » et que vous avez réquisitionné ce détachement ainsi que moi-même, eh bien, vous n’avez pas prononcé grand-chose d’autre que « patrouille frontalière ». Donc, si vous ne me trouvez pas insubordonné, monsieur… »

Caine roula des yeux à la formalité, mais Gerdie poursuivit. « Pourquoi diable nous emmenez-vous dans ce marais puant ».

Pourquoi en effet ? Caine sourit, mesurant sa réponse par rapport à la conversation qu’il avait eue avec le Général en Chef des Éclaireurs quelques jours auparavant.

« Des mercenaires, Gerdie. Ils campent près du Ponton de Perry. Ils sèment la panique dans la région ».

Gerdie arpenta le pont, un froncement de sourcils se dessinant sur son visage. « Pourquoi ? Qu’avons-nous à craindre d’eux, à moins qu’ils ne travaillent pour le Khador ? »

« Nous ne savons pas. Nous ne savons même pas où ils se trouvent. Le fait qu’ils soient là et qu’ils grandissent de jour en jour suffit à inquiéter les nobles. Ils ont mis Leto au défi d’agir. Alors nous voila ». Caine regarda son adjudant déconcerté plissé des yeux et s’appuya contre la rambarde. Son cigare réduit à l’état de mégot, il tira une dernière fois dessus avant de le jeter par-dessus bord.

Gerdie acquiesça. « D’accord. Nos ordres indiquent que nous devons loger chez le Barn Malsham, neveu du Duc de Nord-forêt. Quel est le plan ? Établir un périmètre de défense au domaine ? Patrouiller les hameaux voisins ? Envoyer nos éclaireurs en reconnaissance à longue distance pour voir s’ils peuvent trouver cette ‘menace » ? »

« Ech, c’est à peu près ça, Gerdie Si nous avons de la chance, nous pourrons peut-être aussi découvrir pour qui ils travaillent », répondit Caine en se penchant par-dessus la rambarde. Gerdie haussa un sourcil. « Avec respect, monsieur ? Il nous faudra peut-être un certain temps pour les trouver dans ce bazar ». Gerdie désigna le vaste marécage les entourant.

« C’est vrai. Mais j’ai entendu dire que le Sergent Reevan est un vrai vieux briscard. S’ils sont là, je suis sûr qu’il les trouvera ». Le duo longea la rambarde du bateau, s’approchant de la proue.

« Et le reste des hommes ? Vous attendez-vous vraiment à un combat ici ? » Gerdie regarda par-dessus la proue, l’inquiétude se lisant sur son visage. Devant lui, l’Anguille s’ouvrait enfin largement sur Eaux-Aveugles. Les nuages devant eux donnaient à l’eau libre un aspect gris et froid, et un vent soufflait sur le lac. Caine regarda devant lui et hocha la tête. « Je ne l’exclurais pas ».

Les deux hommes regardèrent le Ponton de Perry apparaître enfin à travers. Ce n’était qu’un petit groupe de bâtiments et de quais, vu de loin, mais il s’agrandissait de seconde en seconde. Même s’il essayait de le minimiser, les enjeux de ce premier commandement commençaient à lui peser. Gerdie le regardait, impassible.

* * *
Alors que les dernières troupes de Caine franchissaient la rampe d’embarquement, Katie siffla. Caine regarda les grandes cheminées du bateau à vapeur souffler avec impatience pendant que la roue de carrier du quai soulevait les caisses des ponts inférieurs. Des caisses en bois émergèrent les unes après les autres, posées délicatement sur le quai. Caine fut émerveillé lorsque la grue produisit trois monstruosités de fer depuis la cale de I. Les yeux de ses machines anthropomorphes étaient fermés, leurs foyers éteints. Des Chargeurs, légers et rapides, il en avait reçu deux, ainsi que le meurtrier au canon lourd, connu sous le nom de Défenseur. Chacun d’entre eux furent soigneusement placé sur de lourdes charrettes tirées par des chevaux de trait pour le voyage à venir. Presque après coup, une caisse singulière émergea au bout du crochet de la grue, remarquable par sa taille et son absence de pochoirs d’identification. Caine se souvint de la mention de Rebald concernant un prototype avec une curiosité croissante.

Gerdie s’occupait de mettre en formation le long des quais bondés, tandis que les ouvriers travaillaient autour d’eux. La voix juvénile de l’officier subalterne était parfaitement capable d’aboyer des ordres d’exercice malgré le vacarme et les hommes s’alignèrent par escouades. La roue de carrier s’éloigna enfin de Katie et sa roue à aube commença à brasser l’eau. Elle poussa un unique irritable sifflement en guise d’adieu. Alors que Caine s’approchait de Gerdie, le jeune adjudant se tourna et salua. Étouffant sa réticence à l’égard des formalités, Caine rendit le salut devant les hommes rassemblés.

« Tout l’équipement et le personnel sont présents et comptés, monsieur. Sur vos ordres, nous sommes prêts à partir ». Caine regarda longuement les rangs d’hommes au garde-à-vous devant lui et inspira profondément. Il vit les fusiliers avec leurs fusils de précisions à l’épaule, puis des pionniers emmitouflés dans de longs manteaux de cuir, et à côtés d’eux, un mélange d’éclaireurs à l’allure dépenaillée. Un habitant s’approcha d’eux, menant deux chevaux gris tachetés par les rênes. Caine prit la bride qui lui était offerte et se mit en selle.

« Allons-y, alors ».

* * *
La nuit tombait lorsque Caine et son cortège atteignirent les portes en fer noir du domaine familial Malsham. L’obscurité couvrait les cieux et une brume humide les avait accompagnés tout au long du chemin.

Le chemin les avait menés à travers une terre traîtresse. Aux abords du Ponton de Perry, la civilisation avait disparu dans un enchevêtrement de bois recouverts de mousse et de marais sans fin. Tout autour d’eux, le terrain était animé par des chants d’oiseaux inconnus et le coassement des grenouilles. Ils finirent par traverser les grandes tourbières de Cear Brynn. Ici, les accotements de l’étroite route étaient bordés de piles de tourbe, dont certaines étaient hautes comme deux hommes. Les tourbières elles-mêmes étaient vivantes, les ouvriers extrayaient la tourbe du sol humide avec une bêche et une pelle. Bizarrement, ils s’étaient arrêtés de travailler pour regarder la longue procession de Caine. Ils lui semblaient bien maussades, mais il ne pouvait guère les blâmer. L’humidité de cet endroit lui faisait dans le dos, et les portes s’ouvrant devant eux n’auraient pas être plus accueillantes. Éperonnant son cheval, il traversa au galop l’ancienne entrée en fer noir.

Le domaine était ancien et bâti sur le meilleur terrain qu’ils aient vu depuis des lieues. Finies les maisons longues en bois sur pilotis du Ponton de Perry, avait disparu au profit d’une construction traditionnelle en pierre et en mortier. Le manoir était élégant même, précédé d’une longue cour paysagée avec des allées en pierre concassées et des arbustes. De même, les quartiers des domestiques, les écuries et d’autres structures du domaine étaient opulents par rapport aux établissements antérieurs de la région. Gerdie poussa son cheval pour rattraper Caine, hochant la tête en direction du manoir. « Eh bien, c’est une belle maison, si les ouaouarons vous beuglent pour dormir la nuit ».

Caine sourit et hocha la tête. En regardant devant lui, il aperçut l’entrée principale du manoir, avec une file de serviteurs rassemblés pour les recevoir. « Installez les hommes pour la nuit. Je vais rencontrer notre hôte ».

Gerdie hocha la tête et emmena son cheval.

Caine se retourna pour voir les lentes charrettes avancer devant les soldats. Gerdie fut rapidement au milieu des choses, se coordonnant avec les serviteurs pour diriger les formations les unes après les autres vers leurs logements. Caine balança une jambe et descendit de cheval, un jeune serviteur en blanc s’avança pour prendre les rênes. Caine tapota le museau de sa jument avant de la laisser emmener.

« Monsieur ? »

Un murmure provint de derrière lui. Caine se retourna. Le Sergent Reevan, un ranger grisonnant et plutôt bâti, enveloppé dans une cape brune grise, le regardait avec circonspection, ressemblant à s’y méprendre à un animal en cage.

« Si cela vous dérange pas, capitaine, es gars et moi aimerions explorer le territoire plus tôt, si vous me suivez ».

« De retour au matin ? Renifla Caine.

« Très certainement. Nous vous ferons un bon rapport des choses, pour disons, un cercle de trois verges ? »

« J’aimerais avoir un œil sur la frontière. On dit que le Llael est verrouillé. Jetez y un coup d’oeil ».

« Très certainement, monsieur ».

À l’entrée du manoir, une dame s’avança, sa longue robe cramoisie arborant un motif floral brodé, encadré par un col et des poignets en reticella. Au sommet de sa tête, de longues tresses auburn étaient coiffées de rubans et son visage était poudré de blanc, comme c’était la mode parmi l’élite de Corvis dans le sud. Elle était une femme aussi belle que Caine pouvait l’imaginer. Alors qu’elle descendait les marches pour le saluer, Caine entendit le sergent rire à côté de lui.

« Même si cela peut vous contrarier, j’ai préparé mon premier rapport de reconnaissance, monsieur ». Celle-là est prise ».

Caine toussa, lançant un regard noir à l’homme. Le sergent recula avec un sourire ironique. Caine s’inclina à l’approche de la Baronne Sarah Fane Malsham, puis lui baisa la main qu’elle lui tendit.

« C’est un grand honneur pour moi de vous accueillir chez moi, Capitaine Caine. Je m’excuse que mon mari, le baron, soit indisposé pour le moment, mais nous serions très heureux si vous pouviez prendre votre repas avec nous ? »

* * *
Caine mangeait sa nourriture, essayant de lui donner un sens. C’était tiède, amer et… non identifiable. Qu’est-ce que c’était ? À l’autre bout de la table longue de six mètres de long, le Baron Ivor Malsham. Il était assis, flanqués de serviteurs, et observait la lutte de Caine avec un mépris à peine voilé. Au milieu de la table, à sa droite, la baronne l’encourageait à goûter le plat blanc et filandreux. Après quelques bouchées, il déglutit difficilement et tendit la main vers la corbeille de pain, dont il saisit plusieurs morceaux.

« Le ris de veau à la sauce à la cardamome et au vin est un mets délicat que peu de cuisiniers en dehors de Llael savent préparer correctement. Cela ne vous convient-il pas ? » renifla le baron en plissant les yeux. Caine regarda la table de long en large, mal à l’aise. Déjà qu’on lui avait demandé d’enlever son armure au profit d’une tenue de soirée. Pis encore, les serviteurs du baron avaient jugé bon de lui fournir des vêtements qui n’étaient pas à sa taille.

Il connaissait le regard qui lui était adressé depuis la table. Il l’avait enduré à plusieurs reprises auparavant, notamment de la part de son propre père. Il serra la mâchoire un instant, essayant de se calmer. La pensée d’un mouvement rapide, d’un pistolet dégainé et d’une balle dans le visage du baron apporta un peu de paix. En conséquence, il se trouva en mesure de produire un sourire sincère.

« Je suis sûr que c’est bon, baron », dit Caine en prenant du pain. Il en déchira un morceau pour le mâcher lentement. Le baron fronçait toujours les sourcils, les yeux rivés sur Caine.

« En vérité, j’ai moi-même trouvé cela désagréable au début », déclara la baronne avec un sourire chaleureux.

Le baron lui lança un regard noir avant de fixer son attention sur sa propre assiette. Caine remarqua que la moustache et la légère barbe de l’homme ne cadraient absolument pas avec son visage en forme de rongeur. Longues et torsadées par la cire, elles s’animaient au fur et à mesure qu’il mâchait. Elles se tortillaient comme si elles avaient l’intention d’échapper à son visage narquois.

Le regard de Caine se porta sur la baronne alors qu’il cherchait du pain. À sa grande surprise, il découvrit qu’elle le regardait déjà avec des yeux d’un vert liquide. Après que le moment se soit prolongé une seconde de trop, ils se retournèrent tous les deux vers leur nourriture avec embarras.

Le baron étudia son assiette comme s’il s’agissait d’un présage. Mâchant pensivement, il leva les yeux vers Caine et déglutit.

« Je suis curieux de savoir ce que vous faites ici capitaine. Votre arrivée ne va pas sans quelques désagréments pour nous ».

Caine but une gorgée de vin. « Je trouve cela étrange, baron. N’est-ce pas vous qui avez demandé au roi d’agir ? N’a-t-il pas répondu à vos demandes ? »

Le baron se moqua. « Demander la sécurité de ses frontières et de ses terres est une chose. Qu’une armée s’abatte sur sa maison en est une autre ».

« S’il te plaît, Yvor. Tu vas offenser notre invité »,intervint la baronne.

Tais-toi et laisse les hommes parler ! » siffla le baron. La baronne baissa les yeux sur son assiette et ne répondit pas.

« Soyez rassuré, baron. Le Roi Leto fait de votre sécurité une priorité. Si loin de la frontière, Nordgarde est à plus d’une journée de cheval. Nous ferions mieux de nous positionner ici, si nous voulons trouver ces maraudeurs dont vous parlez ».

« Suggérez-vous que mes affirmations sont mensongères ? »

Caine cligna des yeux. « Je n’ai rien dit de tel. Pourquoi le demandez-vous ? »

Le baron fronça les sourcils. Avec un sang-froid retrouvé, il s’éclaircit la gorge. « Nous vous accueillerons bien entendu jusqu’à la fin de vos travaux. Cependant, je suis plutôt enclin à ce que cela se fasse rapidement. Les apparences d’un noble sous occupation sont… des plus inconvenantes. Je ne m’attendais pas à ce qu’un roturier tel que vous me comprenne ».

La baronne blêmit, mais se retint de s’exprimer.

« Baron, aussi tentant que cela puisse paraître pour nous deux, je n’irai nulle par tant que le travail ne sera pas fini ».

* * *
Le lendemain, le détachement de Caine fut mis au travail. Les pionniers creusèrent et fortifièrent un périmètre autour du domaine, pis établir des points d’observation le long du nord et du sud de la piste de Serinye. Les rangers effectuèrent des reconnaissances avancées depuis le marais Orgoth jusqu’à Cear Brynn, et presque jusqu’au Ponton de Perry.

Caine mit au point d’honneur à ce que le baron soit accompagné dans ses allées et venues. Lors de deux excursions distinctes, le baron se rendit inutilement au Ponton de Perry. Ses affaires rapidement conclues les deux fois, Gerdie transmit à Caine que le noble semblait prêt à fuir l’escorte. Sur le domaine, le baron se tint à l’écart, évitant Caine et ses hommes autant que possible.

Caine rencontra Reevan après la première nuit, et confirma que le poste à la frontière septentrionale était bien surveillé, mais le ranger vétéran recommanda quelques points par lesquels ont pouvait se faufiler. À quelques reprises, Caine et la baronne se croisèrent alors qu’elle passait du temps du temps à visiter le domaine sur son cheval.

Malgré toute l’activité au sein du domaine, il n’y avait eu aucun signe de mercenaires à l’extérieur. Les soupçons de Gerdie se confirmaient.

La deuxième nuit, Caine prépara un cheval afin d’explorer en personne le chemin vers Merywyn. Au crépuscule, il emprunta la route Turpin vers le nord pendant une lieue. Alors qu’il arrivait en vue de la frontière, il s’écarta du sentier comme Reevan lui avait conseillé. Il trouva les conseils du sergent opportuns. S’arrêtant à l’ombre d’épaisses broussailles, il vit un contingent de soldats llaelais passer en trombe, et d’autres encore s’avancer sur la piste. Devant une telle résistance, il décida qu’il valait mieux de laisser son cheval en arrière et l’attacha dans une clairière isolée. Il traversa le bois pendant une demi-heure avant de rejoindre la route. D’après ses calculs, il avait parcouru une lieue en Llael. À l’approche de sa capitale, il se retrouva à deux reprises dans les broussailles, alors que d’autres soldats parcouraient la route. Caine ne put s’empêcher de penser que le Llael se préparait à quelque chose de grand et semblait effrayé, comme Rebald l’avait dit. Enfin, à portée de lunette de la capitale, il s’arrêta pour observer.

Merywyn projetait des lumières colorées dans le ciel nocturne et ses grands murs se dressaient fièrement au-dessus de la périphérie de forêts anciennes. Derrière la sécurité de ces hauts murs, il pouvait voir des dizaines de hautes flèches s’étirer dans les cieux nocturnes. Les flèches étaient emblématiques de la ville et impressionnantes par leur savoir-faire.

Malgré sa beauté, plus il en voyait, plus il fronçait les sourcils. La ville était inaccessible par l’est, bordée par le Fleuve Noir, et le côté ouest n’avait pas plus meilleure allure. La partie terrestre de la ville était entourée par une clairière d’au moins cent verges de large et, plus inquiétant encore, éclairée par des lampes à gaz. Il pouvait distinguer des patrouilles de gardes le long des remparts de la ville. Les portes de la ville étaient doublement épaisses, et bien qu’il y ait un peu de circulation, il était clair que les gardes surveillaient tous ceux qui entraient ou sortaient, vérifiaient les papiers et tenaient les registres.

« C’est sacrément étanche », cracha-t-il. Il fronça les sourcils, incapables de repérer un point d’approche qui ne soit pas visible par des gardes. Remettant sa lunette dans sa poche, il retourna à son cheval, repassant bientôt en Cygnar.

De retour au domaine, Caine attacha son cheval dans l’écure. Il se dirigea rapidement vers l’allée pour retrouver son chef mékano, Ewan. Le vieil homme était encore à l’oeuvre à une heure avancée de la nuit. Cette partie de l’écurie avait été transformée en atelier de mékanique, avec bancs d’outils et caisses de fournitures. Les trois warjacks de Caine se tenaient en ligne, des chaînes suspendues aux chevrons pour les maintenir en équilibre pendant que leurs fournaises étaient éteintes. De nombreux assistants gobbers bavards rampaient sur les redoutables machines de guerres, effectuant des ajustements avec un assortiment d’outils. Les créatures à la peau verte et à hauteur de taille s’arrêtèrent dans leur tâche et regardèrent Caine entrer.

« Tout vous satisfait, monsieur ? » Ewan fit un geste vers les warjacks. Les gobbers, tout aussi ahuris qu’Ewan, continuaient de fixer Caine. L’effet était paradoxalement comique et troublant à la fois.

« Oh, ne leur prêtez pas attention. Ils ont une courte capacité d’attention. N’est-ce pas, les garçons ? » Ewan gloussa lorsque les créatures répondirent dans un patois indigné avant de retourner à leur travail.

« Je pense qu’il est temps », dit Caine.

« Oh ? »

Caine pointa du doigt la caisse non marquée mise de côté avec le reste des fournitures, puis se tourna vers le mékanicien, les bras croisés.

« Construisez-le ».

Ewan hocha la tête impassiblement, s’essuyant les mains sur un chiffon. Les gobbers, eux, furent ravis. Leurs visages se fendirent d’un rictus et le ton de leur étrange langue monta jusqu’à devenir strident. Ils bondirent sur le sol de l’écurie et se ruèrent sur la caisse, brandissant des barres à mines dans leurs mains vertes et griffues.

Caine sortit, attrapant un cigarillo dans l’une des poches de son pardessus. Avec un soupir, il s’aperçut qu’il ne lui en restait plus que deux. Il en tira un, le passa lentement sous son nez. Il alluma une flamme sous un poteau de lanterne et aspira profondément. Il leva les yeux vers la lune, se détendant un instant dans l’air frais de la nuit.

« C’est un très beau cheval que je vous ai vu monter. Comment s’appelle-t-il ? » La voix de la femme sortit de l’ombre. Caine se retourna, surpris par la silhouette à la lisière des ombres.

« Ils… euh, s’appelle Nessa », répondit Caine en mâchonnant son cigare face à cette compagnie inattendue. Ses yeux s’écarquillèrent lorsque la baronne s’avança dans la lumière. Elle était une vision parfaite, délaissant sa robe de jour pour un simple corsage vert et une jupe blanche. Son maquillage poudré avait disparu, révélant une peau lisse. Ses cheveux auburn tombaient sur ses épaules. Il aperçut une large marque sous les cheveux et grimaça. Embarrassée par sa découverte, elle tressaillit et se détourna.

« On dit que si l’on se marie pour de l’argent, on en gagnera jusqu’au dernier cent », prononça-t-elle faiblement en regardant la lande. Avec une profonde inspiration, elle se retourna enfin. « Il n’y a pas de victime ici, capitaine. Je savais dans quoi je m’embarquais. Vous en avez un autre ? Demanda-t-elle en montrant le cigarillo.

Caine vit l’étendue de l’ecchymose, du cou à la clavicule. Son visage se durcit et il jeta son cigarillo par terre.

« Ce fils de pute… » cracha-t-il, ses pas le menant déjà vers le manoir. Il fit trois pas avant qu’elle ne s’agrippe à son bras.

« Non. Il ne faut pas ! S’il te plaît ! »

Il y avait de la terreur dans ses yeux. Il l’imagina ainsi devant le baron, et a rage s’empara de lui. Il libéra son bras. Elle trébucha contre lui et tomba à genoux.

« S’il te plaît ! » pleura-t-elle.

Caine s’arrêta et se retourna. Il la vit à terre et secoua la tête. S’approchant d’elle, il passa un bras autour d’elle et la soutint. Les larmes coulèrent sur ses joues et elle le regarda avec gratitude. En lui, son sang bouillait, mais remarquant ses lèvres si proches et ses beaux yeux se noyant dans les siens, il fut pris d’une autre impulsion. Il se pencha vers elle et l’embrassa fougueusement sur la bouche.

Elle ne résista pas.

* * *

elric:
Caine se réveilla seul dans sa chambre. On frappait avec insistance à la porte. La lumière du soleil du matin pénétrait par l’interstice de l’épaisse draperie de velours, le frappant dans les yeux alors qu’il remuait.

Gerdie, si c’est toi, il vaudrait mieux que ce soit pour une bonne raison », grommela-t-il.

« Je suis désolé de vous déranger, monsieur. Le baron insiste pour que vous soyez présent au petit déjeuner. Il insiste, monsieur ! » plaida un domestique anonyme de l’autre côté de la porte. Caine regarda d’un air penaud l’espace vide qui avait été laissé sur le matelas et enchevêtrement de draps à ses pieds. Il secoua la tête.

« Ech. Dites-lui que j’arrive », soupira Caine.

* * *
« Comment osez-vous, monsieur ! Comment osez-vous ! », s’écria le baron en frappant la table pour mieux insister. Sa moustache raide s’agitait sur son visage, son expression livide. Un serviteur à ses côtés se pencha pour verser du jus, mais le baron lui fit signe de s’éloigner.

« Je vous assure que ce n’était pas mon idée, baron », répondit Caine en prenant la tasse de café fumant qu’on lui tendait et en se frottant une tempe. Il n’était pas sûr de vouloir entendre la réponse. Il évitait de regarder la baronne, même si, de son côté, elle semblait se contenter de cueillir délicatement des fruits dans un bol de fruits devant elle. Elle était radieuse dans une robe de velours d’un vert profond.

« Vous voulez me faire croire que vous n’êtes pas responsable ici ?! »

Caine haussa un sourcil et observa son café.

« Je ne suis pas sûr de comprendre… »

« Ces incessantes escortes, monsieur ! Je ne suis pas prisonnier et mes actes ne sont pas suspects ! Vos hommes suivent chacun de mes pas au-delà des portes. Ils refusent de me laisser tranquille. Ils prétendent toujours agir sur vos ordres. Je vous le dis maintenant, monsieur, ça va s’arrêter ! »

Caine posa son café, sur le point de présenter sa défense lorsqu’il réalisa ce que le baron avait dit. De sa place à table, la baronne plaça une serviette sur ses genoux et lui sourit gentiment.

Prenant une inspiration il recommença. « Baron, nous sommes seulement là pour vous protéger. Jusqu’à ce que… »

Cela. Va. S’arrêter », répéta le baron.

« N’y a-t-il rien d’autre que je puisse offrir ici ? Demanda timidement la baronne, une fraise s’attardant sur sa lèvre pendant qu’elle parlait. Caine cligna des yeux puis jeta un coup d’oeil sur le regard noir de son mari. Il s’aperçut qu’il était sur le point de rire. Alarmé, il l’étouffa avec une quinte de toux improvisée.

« Je… kaff… je n’ai pas d’appétit pour le moment, madame. Peut-être… kaff… plus tard. Caine se frappa la poitrine, les yeux larmoyants.

« Notre cuisine vous est toujours ouverte, capitaine. S’il vous plaît, profitez-en comme vous le souhaitez. Elle sourit en avalant sa fraise.

Le baron fronça les sourcils, impatient. « Par pitié, Sarah ! C’est un adulte et il peut profiter de votre garde-manger quand il le souhaite ! Maintenant, capitaine. Votre parole. Je l’aurai ! »

« Concernant ? » gloussa Caine, essayant de se concentrer à nouveau.

« Les escortes, monsieur ! » grogna le baron.

« Je n’ai pas… oh… c’est vrai. Il n’y aura plus d’escortes. Vous avez ma parole ».

Le repas fut interrompu par l’irruption de Gerdie dans la salle à manger. Faisant un signe de tête au baron et à la baronne, l’adjudant de Caine arriva à bout de souffle à ses côtés.

« Monsieur, les rangers sont revenus d’une patrouille nocturne. Ils ont trouvé un camp de mercenaires ». murmura-t-il à l’oreille de Caine, observant le visage rougi du baron avec un sourire bienveillant. Caine acquiesça, jetant sa serviette sur son assiette.

« Je vais prendre congé maintenant, baron. Il semble que nous ayons un… développement ».

Il repoussa sa chaise et se leva. Alors que lui et son adjudant se dirigeait vers la porte, Gerdie jeta un coup d’oeil par-dessus son épaule en direction du noble en colère. « Monsieur, vous ai-je bien
entendu ? Nous devons mettre fin à la surveillance de Malsham ? »

Caine sourit cruellement en secouant la tête. « Non, mais nous manquerons pas de lui faire croier que nous l’avons fait ».

* * *
Sur le surdimensionné établi en bois de la remise, les sergents de Caine étaient rassemblés en demi-cercle, les bras croisés et le visage sévère. Le sergent Reevan, toujours en tenue de camouflage, s’approcha du banc, après quoi une grande carte fut déployée. Traînant un doigt du domaine du baron vers le marais de Brillig, il tapota une référence de grille.

« Les mercenaires sont là, monsieur. Ils sont enfouis aussi profondément qu’une tique, c’est certain. Nous sommes passés par là auparavant et nous avons manqué, c’est vrai. Ils se font aussi discrets qu’un groupe de cette taille puisse l’être.

« À quoi avons-nous affaire ? » Caine se grattait le menton et regardait la carte. Il vit que le camp n’était qu’à quelques heures de marche à l’est du domaine, au mieux, et assez proche du Fleuve Noir pour se redéployer rapidement s’ils le souhaitent.

« Je ne suis pas sûr de l’affiliation, mais il s’agit bien de mercenaire. Un bon nombre d’entre eux. Disons, une compagnie en sous-effectif. Je compte deux, peut-être Mules prêtes à partir, et quelques autres sur le banc. Fusiliers, piquiers, les suspects habituels, et bien approvisionnés, c’est certain. Je n’ai pas vu leur chef ». Un faible murmure parcouru parmi les sergents tandis qu’ils examinaient le rapport de Reevan. Aucun d’entre eux n’avait manqué de remarquer qu’ils étaient en infériorité numérique.

« Vos ordres, monsieur ? » demanda Gerdie en levant les yeux de la carte, l’expression sobre.

« Je pense que nous devrions leur rendre visite ce soir ».

Les officiers le fixaient depuis l’autre côté de la table.

« Répétez, monsieur ? » demanda Gerdie.

« Juste moi et les rangers. Le reste d’entre vous reste en retrait, pour l’instant. Je ne veux pas de combat. Je veux juste voir ce qu’ils pourraient donner en négociant ».

« N’est-ce pas risqué, monsieur ? »

Caine haussa les épaules. « Doucement, Gerdie. Tu vas découvrir que j’ai toujours un atout dans ma manche ».

* * *
Dans l’ombre de l’écurie, quelque chose bougea. Quelque chose d’énorme. Elle soufflait de la vapeur et chuchotait avec un grincement de fer. Caine vit les braises de ses yeux le fixer alors qu’il entrait et sourit. Le mékanicien le plus âgé, Ewan, s’agitait sur son banc, fatigué, mais travaillant avec acharnement sur le châssis d’un avant-bas métallique. Aidé par deux de ses gobbers, il mettait en place un collecteur sur le membre. Au bruit des pas de Caine, le mékanicien se retourna. Faisant glisser ses lunettes sur le sommet de son crâne chauve, il révéla de lourdes poches sous ses yeux.

« C’est prêt, Ewan ? » demanda Caine, un pouce en direction de la carcasse dans l’ombre.

Le mékanicien essuya la suie de sa joue et passa le bras à ses gobbers. Ceux-ci commencèrent à alimenter en munitions le canon monté sur la coque dans l’ombre. Ewan le regarda puis le retourna vers Caine avec un signe de tête.

« Oui, monsieur. C’est un objet rare, celui-là ».

Le mékanicien appela l’ombre aux yeux rouges, et elle répondit avec un sifflement de vapeur. Dans la lumière de la lampe baissée, il fit son premier pas. Puis un autre. La bosse dans son dos métallique grossissait la tête et les épaules par-dessus Caine, même si ses yeux rouges étaient à sa hauteur. Il siffla de la vapeur par ses évents et s’arrêta avec précaution. Il tenait une hache avec son bras nouvellement attaché, tandis que l’autre était un canon long d’un modèle que Caine n’avait jamais vu. La silhouette élancée de cette bête lui étaient d’ailleurs totalement inconnus. Conformément à la nature secrète de la mission de Caine, elle avait été peinte d’un noir terne et l’insigne traditionnel de Cygnar était absent de ses épaulettes. Le menton pointu de son visage donnait l’apparence d’un oiseau de proie, si seulement il avait été doté d’ailes métalliques assorties.

À la base de l’unique cheminée située à l’arrière, une sorte de dispositif arcanique avait été monté. En apparence, il était similaire aux arcs nodaux dont certains warjacks étaient équipés, ceux-ci étant des mékaniques dérivées pour augmenter la sorcellerie du warcaster qui le
contrôlait. Cet appareil n’était pas tout à fait le même. Caine le regarda perplexe.

« Ils l’appellent le parapluie », déclara Ewan.

Caine pencha la tête, jetant un coup d’oeil au mékano.

« Enclenchez-le, et vous verrez que cette imposante chose disparaîtra presque. Approchez-vous suffisamment, et le parapluie vous protégera également. C’est une protection pratique contre les regards indiscrets, c’et ce qu’on m’a dit. Ce sera le premier essai sur le terrain », gloussa le mékanicien, à la grande consternation de Caine. « Comme on vous l’a peut-être dit, cette arme s’appelle une Longue-arme. Il peut percer un trou dans une plaque de fer de dix centimètres d’épaisseur à une distance équivalent à celle de deux locomotives mises bout à bout ».
Caine siffla en signe d’appréciation.

Souriant, Exan jeta son chiffon. « J’ai pensé que vous aimeriez ça. Alors, vous êtes prêt ? »

Caine hocha la tête et inspira. L’empreinte d’un warjack permettait d’établir un lien mental entre le warcaster et la machine. C’était aussi une épreuve. Imprégner un ‘jack, c’était voir à travers ses yeux et ressentir ses pensées. Aussi simples que de telles pensées puissent être, étant donné qu’elles n’étaient qu’un fac-similé basique et ensorcelée d’une conscience, certains warjacks présentaient une personnalité plus forte que d’autres. Cela pouvait être accablant. Caine en était venu à voir cela comme monter un cheval inconnu ; on ne savait jamais à quoi s’attendre, et se faire repousser n’était exclu.

Ewan s’approcha de la bête métallique et la mit à genoux avec al poignée d’accès près de son cou. Les yeux brillants ne s’éloignèrent pas de Caine alors qu’Ewan tirait, mais la machine ne résista pas non plus. Alors qu’il ouvrait l’épaulière, le mékanicien passa la main pour déverrouiller un verrou intérieur. Dans de la chambre blindée qu’il avait ouverte, Caine s’aperçut un orbe d’acier trempé. Connu sous le nom de cortex, il s’agissait de l’esprit de la bête. À l’intérieur, il l’attendait. Caine tendit son esprit et posa la main…

Sombre. Froid. Néant. Caine se retrouva à flotter dans le vide. Il tourna sur lui-même par sa seule volonté, jetant des coups d’oeil d’un côté à l’autre.



Un point lumineux singulier. Il donna un coup de pied pour se stabiliser, s’efforçant de garder la lumière en vue. Lentement, il s’avança. Alors qu’il s’approchait de la lumière, il perçut les ténèbres se concentrer autour de lui. Une convergence de volonté pure dans le non-espace commença à se former, telle de la fumée, découpée par la croissante lumière devant lui. La forme commença à prendre l’aspect d’un homme. Il vit qu’elle allait jusqu’à imiter son vêtement, jusqu’à ce qu’elle devienne le miroir de sa propre ombre.

Il força l’ombre à lui céder la lumière. Elle ne le fit pas. Il sentit de la défiance, ou peut-être de la curiosité ? L’ombre le mettait-elle à l’épreuve ? L’ombre était si audacieuse, même qu’elle refusa. La forme éthérée de Caine s’enfonça et lutta pour avancer. Une fois de plus, l’ombre résista, le gardant à l’écart de la lumière. La volonté était son seul muscle ici, et avec tout ce qu’il avait, il s’élança. Il bondit en avant, se préparant à l’impact. Au lieu de cela, l’ombre disparut. Il s’écrasa contre la lumière, surpris.

La lumière était en fait une fenêtre flottant dans le néant de cet endroit. Il la contempla et vit Ewan. Là, debout devant la fenêtre sur un lit de paille, le vieil homme l’observait, les mains sur les hanches, alors que lui-même était hors de vue. L’homme lui paraissait étranger, une caricature étrange, de travers et déformée. Avec effort, il fit pivoter la vue de la fenêtre jusqu’à ce qu’il puisse voir son propre corps. Sous la fenêtre, son bras dépassait la ligne de mire. Il vit son propre visage déformé par l’effort. Il essaya de se concentrer dessus… jusqu’à ce que…

Caine cligna les yeux. Il regarda le mékano, les yeux écarquillés.

« Celui-ci est plein de malice », dit-il, essoufflé, et il retira sa main de la chambre du cortex. Fixant ses lunettes sur joues noires de suie, Ewan tapota la bête en métal et ferma la trappe.

« D’accord. Il a un nom, alors ? »

Caine acquiesça.

« Ace ».

* * *
Alors que le soleil parcourait un ciel sans nuage, une brise fraîche soufflait du lac. Caine laissa sa veste ouverte à la fraîcheur, tandis que la sueur ruisselait sur son front. Reevan et son équipe avançaient telles des ombres rapides comme le vent sur le terrain accidenté. Ace trottinait derrière lui d’une démarche proche de celle d’un primate, taillant parfois les broussailles avec sa large hache. La cheminée du warjack crachait de temps à autre une fumée noire et fuligineuse, seul signe que le bête s’efforçait de suivre le rythme. Caine s’émerveillait de voir quelque chose d’aussi grand se déplacer d’une manière si étrangement silencieuse.

Devant lui, d’un geste de la main Reevan fit signe de s’arrêter et se retourna pour observer la progression de Caine. Il l’avait fait à plusieurs reprises, et s’il ne s’était ni plaint ni réprimandé Caine, il avait à chaque fois accueilli Caine avec un sourire narquois qui en disait long. Il était temps d’équilibrer les choses. Exploitant son pouvoir inné, l’espace se plia autour de lui à mi-parcours, et il apparut cette fois devant le sergent qui l’attendait. Achevant sa foulée, il jeta un coup d’oeil à Reevan. Le sergent ranger, cependant, lui rendit son sourire narquois en fronçant les sourcils et lui fit signe de revenir.

« Nous sommes ici, monsieur », prononça Reevan à voix basse, tandis que Caine reculait. Il désigna une clairière dans les arbres à leur droite. Caine se tourna vers son nouveau warjack et lui ordonna de rester en retrait. Ace obéit, se faufilant dans un bosquet d’arbres. Une fois à l’intérieur, il disparut complètement.

« Vous et vos hommes, restez sur place. Je veux parler seul à leur chef. S’ils sont effrayés, je ne devrais pas avoir de difficulté à m’en sortir, mais n’hésitez pas à me couvrir. Cela vaut aussi pour toi, pensa-t-il à Ace. Le bête de métal acquiesça en chambrant silencieusement un projectile dans la culasse de Longue-arme.

Caine regarda par-dessus l’épaule de Reevan, voyant le camp de mercenaires pour la première fois. Les mercenaires étaient bien disciplinés et déterminés à rester cacher. L’absence de feux de camp et de bruyantes discussions entre les hommes, comme c’est le cas dans une armée bien campée. Ces hommes se déplaçaient en silence, munis de lanternes sourdes. La lumière était perçue qu’occasionnellement, lorsque les rabats des tentes s’ouvraient momentanément, au gré des allées et venues de leurs occupants.

Dans cette cachette, Caine s’avança, l’arme dans son étui. Avec une respiration, il s’arrêta et ferma les yeux. Il écouta. Il pouvait entendre les pas des soldats allant et venant ou qui parlaient dans leurs tentes. Ouvrant à nouveau les yeux, il regarda la lumière pâle de la lumière de la lune sur une rangée de tentes. Avançant prudemment afin d’éviter les brindilles, il suivit la rangée. Là, au bout de la rangée, une tente plus grande parmi les autres. Sûrement les quartiers du commandant.

En se rapprochant, il entendit une conversation animée à l’intérieur. Un homme et une femme se disputaient. Il fit une pause, écoutant.

« ...aujourd’hui encore, il ne vient pas. Nous devrions envisager... » Le voix de la femme semblait fatiguée.

« Quoi ? Vous voulez que nous partions, Lily ? » répondit l’homme, sa voix épaisse, avec un accent caspien.

« Cela fait maintenant une semaine que nous ne percevons plus de salaire, père. Les hommes sont de plus en plus agités d’heure en heure. S’il ne vient pas à nous, pourquoi ne pas aller à lui ? »

« Tu sais bien que cela va à l’encontre des termes du contrat… »

« Père », supplia la voix de la femme. C’est un contrat qu’il a déjà rompu. Laissez-le renégocier à… attendez… c’est… ? »

« Discutons-en plus tard. J’ai envoyé chercher Luthor. Il s’approche, c’est le plus plausible ».
Caine entendit des pas à proximité. Il remarqua des ombres se déplacer au clair de lune, une patrouille en approche. Tant pis pour ça, pensa-t-il. Il sortit de l’ombre en entendant le dernier des soldats passer.

« salut ! » cria-t-il

Les hommes se retournèrent, cherchant leurs fusils. Caine leur fit signe de s’arrêter.

« Doucement. Je veux juste parler au responsable ».

* * *
« Que voulez-vous exactement, capitaine ? » demanda le jeune commandant. Ils se trouvaient dans la clairière juste à l’extérieur de sa grande tente, ses grands rabats ayant été repliés pour projeter de longues ombres. Elle se tenait devant lui, vêtue d’une armure unique, et sirotait un café fumant dans une tasse en fer-blanc. Son armure était recouverte d’une vaste armature se terminant par d’étranges griffes aux pieds. À la façon dont elle était sortie de la tente, en boitant, Caine se demandait si les armatures ne servaient pas à compenser des membres manquants. Quoi qu’il en soit, il approuva ce qu’il voyait d’elle. De longs cheveux blonds, noués en tresses, et des yeux bleus perçants qui le regardaient tel un faucon. Même la cicatrice qui courait du menton au cuir chevelu avait un certain attrait. Il se demanda à quoi pouvait ressembler un sourire sur ce visage. Il n’y voyait qu’une exaspération lasse.

« Une chose simple, vraiment. Je veux que vous me disiez ce que vous faites ici, Commandant Von Baum, n’est-ce pas. », dit Caine d’un ton léger, un sourire ironique sur le visage.

La femme soupira. Un homme fatigué, mais formidable sortit de la tente, lui aussi un café à la main. Il était habillé de la même façon, bien que son armure ne soit pas aussi étrange. Il compensait cela par une énorme épée longue attachée à sa ceinture. Il caressait une moustache grise et touffue et plissa les yeux à la vue de Caine. La jeune femme le regarda en haussant les épaules.

« Tu as entendu, père ? » demanda-t-elle. L’homme grogna et regarda Caine.

« Je suis Hector », il tendit une main ferme que Caine serra aussitôt. « Nous sommes sous contrat, capitaine. Désolé de vous avoir fait perdre du temps, mais nous faisons rien d’illégal ici », dit le vieux soldat.

« Peut-être pas » répondit Caine. « Mais il est clair que vous faites tout ce qui est en votre pouvoir pour demeurer cachés. Je trouve cela un poil suspect ».

« La suspicion n’est pas illégale, monsieur. Notre client a stipulé la discrétion, rien de plus », protesta Lily. De derrière la tente, Caine perçut le bruit du métal grinçant et le souffle de la vapeur s’échappant.

« Je pourrais peut-être en parler à votre client, alors. Pourriez-vous m’indiquer le chemin ? » demanda Caine, toujours souriant. Lily roula des yeux mais son père ne fit que glousser, posant une main sur son épaule.

« Vous savez que nous n’avons pas besoin de vous le dire, mon gars ». dit-il en secouant la tête d’un air amusé. Caine étudia la peau usée du visage de l’homme. Ce couple n’allait rien lui donner, pensa-t-il en soupirant. Peut-être qu’un changement de tactique s’imposait.

« Comme vous voulez ».

Le cliquetis de membres lourds articulés se rapprochait. Caine remarqua deux paires d’yeux rougeoyants s’approcher de la lumière. Caine perçut Ace dans l’ombre. Le warjack était tendu et commençait à viser les machines s’avançant. Son empressement à ouvrir le feu marqua l’esprit de Caine, mais Caine résista à l’envie avec un Non catégorique.

« Mettons les choses au clair », grogna Caine. Finassez autant que vous le souhaitez, mais maintenant nous savons où vous êtes. Nous garderons un œil sur vous. Si vous sortez des clous, notre prochaine discussion sera moins… amicale ».

Alors que Caine terminait, les imposantes ombres de deux warjacks Mules pénétraient dans la lumière en boitant. Chacune brandissait une masse à pointe plus longue que la taille de Caine, tandis que leur autre bras était équipé de canon court. Ils flanquèrent leur jeune maîtresse et crachait de la vapeur tels des taureaux en colère. Il pouvait sentir qu’ils étaient impatients de charger. Cela avait dû être un grand effort pour elle de les tenir à distance.

« Argiv ! Hedo ! Du calme ! » dit-elle avec verve, son regard d’acier fixé  sur Caine. « Il n’est pas sage de me menacer, capitaine. Ils… sont… très protecteurs ». Le mercenaire aîné, Hector, toussa mais resta silencieux.

Caine sourit. Depuis le bosquet, il jeta scruta l’esprit d’Ace. Le warjack avait déjà aligné la tête du plus proche des deux mules.

Lily plissa les yeux, luttant toujours pour retenir ses warjacks quand Hector posa une main sur son épaule. « Il n’est pas seul, ma chérie », dit-il en plissant les yeux plissant des yeux en direction de l’obscurité ».

« Souvenez-vous ce que j’ai dit », dit Caine. D’un signe de la main, il lui tourna le dos et s’éloigna dans l’ombre.

* * *
« J’admire votre courage, monsieur, c’est certain. J’aurais aimé voir son visage lorsque vous lui avez tourné le dos, comme vous l’avez fait ». Reevan secoua la tête, un sourire ironique aux lèvres. Le sergent des rangers n’était plus qu’une ombre dans le clair de lune. Caine hocha la tête, un demi-sourire en réponse, et contraint Ace à ses côtés.

« C’est là que nos chemins se séparent, sergent ».

« Monsieur ? »

« Ramenez-vos hommes. J’ai une course à faire. Nous verrons ce que feront nos nouveaux amis demain ».

Reevan hocha la tête, serrant sa cape contre l’air frais de la nuit. « Bonne chasse, monsieur ».
Caine et Ace se mirent à courir.

À travers les champs de tourbières et le long de la route en direction du nord, ils approchèrent de la frontière. Comme la veille, Caine en savait assez pour contourner les portes de la frontière à travers les bois. Cette fois-ci, il n’évita qu’une seule patrouille. Il se demanda si Ace n’avait pas fait preuve de surcompensation. Enfin, il approcha de la même colline dominant Merywyn que la veille au soir. Ralentissant leur rythme, il reprit son souffle. En scrutant le couvert des broussailles, son visage devint sévère et vexé.

« Putain de merde ».

Il y en avait… des centaines. Il recula dans les broussailles. Ace le regarda avec la tête penchée, soupirant doucement de vapeur. Caine fit les cent pas, puis regarda la vaste clairière formant une ceinture autour de la moitié ouest de Merywyn. À la lumière des torches le corps du génie militaire de Llael oeuvrait à l’extrémité la plus proche de la ceinture, à seulement une douzaine de verges. Ils installaient des poteaux de clôture en bois et déroulaient des bobines de fil. Plus près des murs de la ville, ce qui ressemblait à deux compagnies de combat complètes composées de soldats réguliers de Llael, ainsi que de nombreux laborjacks lourds, transportaient du matériel. Au milieu des soldats, une série de grandes tentes brunes prenaient forme, des poteaux soulevant la lourde toile à l’intérieur.

« Ils installent un putain de camp de campagne ! Jura Caine. « Rebald avait raison ». Levant les yeux vers Ace, il considéra le parapluie sur son épaule avec un air renfrogné. « J’aurais mieux fait d’essayer hier soir. Maintenant, je suis censé faire confiance à cette chose contre eux ? » Le warjack leva sa large hache et repoussa les broussailles. Il pointa un endroit à quelques centaines de verges plus loin, proche des rives du Fleuve Noir. Le périmètre des ingénieurs ne s’étendait pas aussi loin, et la lumière des lampes à gaz était irrégulière. Caine hocha la tête face à se geste, grattant son menton. « Ech. Je pense que c’est le mieux que l’on puisse faire, hein ? »

Ace haussa les épaules. Caine regarda devant lui, vers la base des murs de la ville, où un tas de déchets provenant du camp de l’armée s’amoncelait. Des caisses vides, des barils et de grandes bâches avaient été rassemblés et abandonnés. À côté, un grand ponceau dépassait du mur, suffisamment grand pour abriter Ace. De temps en temps, un laborjack lourdement chargé boitait vers le tas depuis la zone de rassemblement principale et y ajoutait, mais il était autrement ignoré. Caine regarda son warjack avec scepticisme.

« Alors, on le fait ou pas ? »

Ace s’élança en avant sans hésitation, quittant le bord de leur couverture. Ce faisant, Caine regarda le parapluie commencer à se déplacer. Une série d’évent le long de la protection de l’appareil brillait d’un blanc froid, et une brume semblable à une distorsion thermique commença à se propager dans l’air autour du warjack. Peu à peu, Caine le regarda s’amplifier, jusqu’à ce qu’Ace ne soit plus qu’une étrange anomalie dans l’espace devant lui. Ni visible ni invisible, il était même inconfortable d’essayer le regarder. De l’intérieur de la bulle, il pouvait sentir on warjack le pousser à avancer, impatient. Avec un gémissement, il s’exécuta et pénétra dans la bulle chatoyante bulle de distorsion. Ce faisant, Caine vit le monde autour de lui prendre un étrange aspect. De ce côté du parapluie, le monde était devenu en quelque sorte assourdi et même un peu flou.

Lentement, en se déplaçant ensemble, ils commencèrent à s’avancer dans la clairière.

* * *
Caine aperçut le tas d’ordures devant lui, à une douzaine de verges seulement. Sa peau se mit à frissonner et il commença à haleter. Bien qu’ils aient réussi à se faufiler jusqu’ici, des dizaines d’hommes se déplaçaient autour de lui. Ils avaient tracé un chemin précaire à travers les trouées de lumière, s’arrêtant plusieurs fois lorsque des soldats passaient autour d’eux. Il grimaçait à chaque fois, mais le parapluie tenait. Encore quelques verges de gagnés.

Jusqu’à.

Un homme solitaire apparut, marchant derrière un ouvrier chargé d’ordures. Alors que la lourde bête de métal déchargeait ses déchets, Caine vit l’homme chercher quelque chose dans sa veste de service. Le laborjack se retourna avec une série de mouvements mécaniques, et fit un pas en arrière par où il était venu. L’aide-soignant ne le fit pas. Il sortit une flasque en argent et, d’un air penaud, l’homme prit une longue gorgée.

Caine attendit que l’aide-soignant parte, mais il ne le fit pas, son regard errant jusqu’à ce qu’il se fixe directement sur l’espace déformé par le parapluie d’Ace. En tutant une nouvelle fois sur sa flasque, son visage se transforma en un masque d’ahurissement.

Caine intériorisa un juron. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Tirer l’homme dans le parapluie et lui trancher la gorge ? Quel autre choix avait-il. Caine fit avancer Ace, prêt à frapper. De son côté, l’homme du corps fit un pas en avant, bouche bée. Caine sortit son couteau de service et se prépara.

L’homme regarda soudain avec horreur sa flasque et la jeta par terre. Il se retourna et courut vers son équipe en gémissant. Caine suivit Ace, passant devant la flasque se vidant lentement.
Enfin, le tas d’ordures leur appartenait. En regardant le ponceau, il fit entrer son warjack à l’intérieur. Ace repoussa facilement les barreaux rouillés et, en un instant, sa masse fut cachée à la vue de tous.

« Attends ici jusqu’à ce que je revienne. Cela ne devrait pas prendre longtemps ». Caine commença à grimper.

* * *
Caine se faufila du tuyau d’évacuation jusqu’à une pierre de taille et, de là s’étira pour attraper la fente d’une meurtrière. À l’abri de la lumière des torches en contrebas, il n’était cependant pas encore hors de danger. Un étage plus haut, des sentinelles patrouillaient le long des remparts. Il pouvait entendre leur bavardage et sentir la fumée de leurs pipes. Il se concentra, regardant vers la prochaine meurtrière. Elle était trop éloignée pour être atteinte, du moins en grimpant. Pliant l’espace autour de lui, il imagina ses mains s’y agrippant. L’instant d’après, c’était chose faite, et il s’arc-bouta dans nouvelle position et chercha la prochaine prise. Un trou adjacent était à portée de main et il se glissa lentement à travers, puis attrapa un autre tuyau d’évacuation. En s’élevant quelques pas plus haut, il aperçut le toit d’un parapet juste au-dessus des têtes des sentinelles. Des verges au-dessus, peut-être mais suffisamment près pour lui. Il reprit son souffle un instant et rassembla sa concentration avant de risquer un nouvel bond en avant.

Là.

En un instant, il se retrouva sur le rebord du parapet. Il s’arrêta pour reprendre son souffle, observant les sentinelles en contrebas telle une araignée sur sa toile. Sûr qu’ils ne l’avaient pas vu passer, il rampa jusqu’au sommet du parapet. La vue sur la ville depuis cette hauteur était spectaculaire. Il regarda par-dessus les toits en contrebas, se rappelant les instructions de Rebald. Il y avait un pub du côté du sud, non loin d’ici. Il repéra un chemin et commença à s’avancer en se faufilant.

« Tu vois ça ! » cria une sentinelle, quelque part en dessous de lui. Caine se retourna, s’agrippant à une girouette. Il regarda la sentinelle, s’attendant à ce que leurs regards se croisent. Au lieu de cela, c’est vers les bois, au sud, que l’homme pointait du doigt. D’autres sentinelles se rassemblèrent à son appel. Caine suivit leur regard dans l’obscurité des étendues sauvages. Il vit les collines, les forêts et même les marais de Cygnar au sud. Il ne remarqua cependant pas pourquoi il y avait tant d’agitation.

Il s’apprêtait à retourner vers la ville lorsqu’un éclair pyrotechnique illumina les cieux nocturnes dans le sud lointain. Puis un autre, et encore un autre. Même à cette distance, les coups de canon ne trompaient pas. C’était une bataille. En plissant les yeux pour voir d’où ils provenaient, un sentiment de malaise le frappa au creux de l’estomac.

« Conneries. Je dois y retourner », murmura-t-il.

Avec un gémissement, il lâcha la girouette et descendit en trombe. Les sentinelles n’entendirent qu’un léger souffle à son passage. Lorsqu’il apparut sur un tuyau d’évacuation au-dessus du tas d’ordures, il se laissa tomber, visant quelques emballages en toile jetés. Il grogna à l’impact et se releva en crachant. Ace sortit la tête de l’intérieur de la canalisation, curieux. Caine était déjà sur ses pieds et remuant se. Il pouvait sentir ses pensées sonder les siennes pendant qu’il courait.

Parapluie ? Demanda-t-il.

On n’a pas le temps ! Cours ! Pensa-t-il en retour, passant devant des hommes du corps de l’armée ahuris.

L’un deux cria : « Hé ! Vous ne pouvez pas… », cria l’un d’eux. L’instant d’après, l’homme fut presque piétiné alors qu’Ace passait devant lui, la terre tremblant sous ses pas lourds. Autour de lui, l’alarme avait été donnée. Les llaelais réguliers accoururent, les armes à la main. Trop tard. L’étrange couple formé par Caine et Ace s’était élancé, et téléporté au-delà de la ceinture avant qu’un coup de feu puisse être tiré ou que quiconque puisse comprendre ce qui s’était passé.

* * *
Caine sautait par-dessus les broussailles et les flaques d’eau, courant plus vite qu’il n’avait jamais été incité à l’académie. La sueur coulait sur son visage, et ici et là, il se téléportait là où le marais l’aurait coincé. Il disparaissait au milieu de sa course, apparaissant quelques mères plus loin sur un tronc d’arbres incliné. Il gravit la rampe ainsi créée, de plus en plus haut. À la fin, à six mètres de haut, il sauta au-dessus d’un large étang en contrebas. Il frappa le sol mou de ses pieds et continua à courir sans s’arrêter. Ace avait été créé pour ça. Il suivait facilement le rythme, à travers les flaques d’eau ou les broussailles

Ils y étaient presque.

Il pouvait entendre l’étrange tir de mortier de l’ennemi et les apercevoir juste au-dessus des arbres. Il devait continuer à avancer. Il était peut-être déjà trop tard, mais il devait essayer.

Lorsque Caine pénétra enfin dans la clairière, il trouva les visages impassibles d’une demi-douzaine de servants d’armes s’occupant de mortiers et de canons de campagne. Il venait de s’écraser sur l’arrière d’une ligne de mercenaires, et sa surprise se reflétait sur les visages des hommes endurcis devant lui. Durant un moment, ils restèrent sans voix, leurs yeux levés vers la silhouette sombre dans son sillage. Un par un, ils commencèrent à chercher leurs armes de poing, tout en criant.

Caine regarda Ace avec un sourire sauvage. Il s’élança en avant, ses Pistolets-Tempêtes dégainés et crachant du feu. Sur son passage, à gauche et à droite, des hommes tombèrent, leurs armes pas employées.

Ace avançait, tirant au fur et à mesure. La Longue-arme, amplifiée, pulvérisa un mercenaire tentant de s’abriter derrière son mortier. L’homme s’écroula sans un bruit, son sang s’écoulant sur le sol humide.

Un seul avait résisté à leur charge. Celui-ci visa et tira sur Caine, une seconde trop tard. Caine avait déjà disparu en fumée, pour réapparaître derrière l’homme abasourdi. Caine l’exécuta par-derrière d’un unique coup à la base du crâne.

« À ton avis, de quoi s’agit-il ? » Ace ne répondit rien, observant son maître en silence.

« Nous sommes deux, alors ». Caine secoua la tête et rechargea ses Pistolets-Tempêtes, tout en obligeant Ace à saborder les armes abandonnées. L’agile warjack obéit, de trois coups de hache fluides. Ce faisant, Caine vit la compagnie arriver.

Pourquoi avez-vous cessé de tirer ? Nous étons sur le point de prendre d’assaut leur position ! » Le hurlement de la femme résonna dans les bois. C’était sa voix. Des yeux rouges apparurent à la lisière des arbres et l’odeur de la fumée se répandit dans l’air. Les arbres craquaient et se brisaient, et Caine obligea Ace à se mettre à l’abri. Telle une ombre, son ‘jack disparut.

« Qu’avez-vous fait ? Qu’avez-vous fait ? S’écria une voix de femme de l’autre côté du fourré. Lily von Baum regardait le carnage avec stupeur, brandissant un lance-grenade à l’allure cruelle. Ses grands yeux se rétrécirent lorsqu’elle l’aperçut. Les griffes de son armure de plates s’abaissèrent, s’enfonçant dans la terre. Elle s’arc-bouta et pointa son lance-grenades dans sa direction. Caine gémit.

Boum boum boum !

Les obus sifflèrent dans le ciel et éclatèrent de façon spectaculaire au-dessus de sa tête. Par réflexe, Caine se téléporta, évitant de justesse le barrage. Ses griffes se repliant, elle se dirigea vers lui en boitant, baignée dans un halo de lumière. Son lanceur s’ouvrit et elle glissa d’autres obus, avant de refermer l’arme.

« Quel gaspillage de sang ! Nous étions venus parler au baron, et nous avons trouvé vos hommes en embuscade », cria-t-elle en scrutant les bois autour d’elle.

« Je n’ai aucune idée de ce dont vous parler ! » cria Caine depuis son couvert.

« Menteur ! »

Caine se précipita à travers le bosquet, d’un arbre à l’autre. Ce faisant, il aligna Lili avec ses deux Pistolets-Tempêtes et tira deux fois. Visée létale chacun Il concentra sa magie pour qu’ils comptent. L’éclair initial de ses Pistolets-Tempêtes brilla d’un halo runique, et leurs tirs crachèrent pour la frapper en plein visage.

Elle ne broncha pas.

La lumière la nimbant disparut, mais dévia les tirs. Ses yeux brillèrent comme s’ils avaient été chargés par l’attaque et elle fit un geste en direction de l’arbre de Caine avec son arme. Telle une locomotive, son imposant warjack Mule, Argiv, se mit à s’avancer à toute vitesse. Caine bondit de son arbre et courut tête baissée à sa rencontre. Les deux se précipitèrent l’un vers l’autre. À la dernière seconde, Caine bondit, employant la tête de la bête comme un tremplin. S’élançant dans les airs, il décrivit un large arc de cercle. Ses armes braquées, elles crachèrent une fois de plus sur lily.

Depuis les fourrés, Ace répondit à la charge manquée d’Argiv. Un unique tir de sa Longue-arme, et la tête de la puissante Mule et la coque derrière elle explosèrent en éclats de métal tranchants. La bête trébucha, mais ne tomba pas. De son côté, Lily réagit à la perte de son cortex de sa bête par un cri strident.

« Si vous êtes innocent, déposez vos armes ! Nous pouvons en finir maintenant ! » prononça Caine depuis le couvert d’un nouvel arbre.

Boum boum boum !

Les trois coups sifflèrent. Cette fois-ci, Caine fut en retard d’un battement de coeur. Les obus détonnèrent dans une explosion spectaculaire aérienne, et il chancela sous la force du choc et la surpression. Le champ d’énergie de son armure s’estompa et il recula en titubant, tirant à l’aveugle. Accroupi près d’une souche, il essaya de se débarrasser des feux d’artifice éclatant encore dans sous ses yeux. Elle remarqua son ouverture. Griffes rétractées, elle s’avança tout en rechargeant avec des gestes expérimentés. Elle se déplaçait vers lui, sans crainte. Elle ne fut bientôt qu’à quelques verges.

« Je pense que nous avons largement dépassé ce stade, capitaine ». Sa voix tremblait de rage. « Ma famille n’a jamais eu de raison de faire confiance à votre drapeau, et vous me l’avez rappelé aujourd’hui. Plus important encore, j’ai perdu des actifs et du temps ! Je ne pars pas tant ce que radin de baron ne nous aura pas payé ce qu’il doit, ajusté pour ce fiasco ! Êtes-vous satisfait de savoir qu’il est notre client ? À quel prix avez-vous votre réponse ? »

Argiv, sans tête, trébucha avant de s’enfoncer dans le marais. Sa boute à feu éteint, il ne remua plus. Hedo, cependant, était loin d’avoir fini. La deuxième Mule s’élança à la suite d’Ace solitaire. Ace tira à nouveau alors qu’Hedo approchait, réduisant la masse de la Mule en éclats une seconde avant qu’elle ne s’abatte sur sa tête. Pourtant, Hedo ne le laissa pas décourager. Il laissa tomber l’arme brisée et se jeta sur Ace dans une mêlée déséquilibrée. Avec mépris, Hedo tendit une grande poigne de fer et saisit Ace par sa Longue-arme. Ace frappa le plus gros warjack avec sa hache, mais Hedo ignora les coups et commença à tracter le plus léger hors des fourrés. La Longue-arme fut bientôt plié en deux dans la vaine lutte. D’un grand coup de reins, Hedo jeta petite machine dans la clairière. Ace atterrit mal, roulant éperdument. Le puissant Hedo suivait à grands pas après son ennemi tombé, son propre canon réduisant en miettes la Longue-arme. Il piétina Ace sans ralentir son rythme. L’attention de la Mule se tourna vers Caine.

Grimaçant devant la perte des munitions d’Ace, Caine se releva en titubant. Sa tête évacuant le tir de barrage de Lily, et elle fixait sa bête alors qu’elle venait de le flanquer. Elle se concentrait sur la Mule, pensa-t-il. S’éloignant de sa souche, il se dirigea vers du bois mort et pointa une série de tirs dans sa direction. Son bouclier sembla moins redoutable cette fois-ci et faibli sous l’attaque, mais ne flancha pas.

« Par Morrow, c’est une dure à cuire ! » grogna Caine, toujours en mouvement, et se dirigeant vers son prochain couvert. La Mule Hedo ne l’avait pas perdu.

Hedo se précipita vers lui et gagna rapidement du terrain. À la dernière seconde, Caine se retourna sur place, pour affronter la bête et rassembla tout sa concentration en une seule frappe. Un coup de tonnerre d’une force incandescente jaillit de lui et frappa la bête chargeant. Hedo fut repoussé directement, son élan complètement brisé. Renversé, Hedo glissa sur le sol, tandis qu’une brume bleue se dissipait de son armure.

Caine sut que l’attaque lui coûterait cher. Il l’avait quittée des yeux, l’espace d’un instant seulement, mais ce fut suffisant. Il savait qu’elle était encore proche. Il se retourna maladroitement pour lui faire face, levant un Pistolet-Tempête dans sa direction, mais il s’aperçut qu’elle s’était rapprochée à portée de main. Il ne vit même pas la crosse de l’arme de la jeune femme alors arrivait dans un large mouvement de balancier.

Elle toucha sa mâchoire, l’envoyant au sol tel un sac de briques.

Le monde de Caine devint flou alors que son champ d’énergie se délitait. Haletant, il leva les yeux vers une silhouette floue se découpant dans le clair de lune. De sa main libre, elle dégaina son pistolet et le pointa sur son visage.

Essuyant le sang coulant de sa lèvre, il leva les yeux, hébété, et parvint à esquisser un faible sourire. Ce faisant, il joignit Ace à travers la clairière. Pourrait-il l’atteindre à temps ? Bien que ses propres yeux lui fassent défaut, le monde demeurait clair pour Ace. Il observa Lily se tenant au-dessus de son corps. Son grand warjack se trouvait sur le chemin, en train de se relever. D’un coup de reins, Ace meurtri se releva et se mit en mouvement. Elle ne sembla remarquer qu’il avait fait deux pas vers elle, tant elle était concentrée sur lui.

« C’est de votre faute. Je veux que vous la sachiez », dit-elle, la respiration difficile.

« On ne peut pas gagner à tous les coups, chérie », répondit-il en toussant.

Pour Ace, il donna tout. Tout ce qui restait en lui alla dans la bête blessée, et il s’effondra dans la boue. Son warjack avait transformé sa foulée en course, et sa hache était maintenant redressée bien haut. Avec une étonnante grâce, le warjack léger bondit et passa par-dessus Hedo en train de se rétablir. Hedo le frappa, trop tard. Haut dans les airs, le warjack sauté et s’abattit sur Lily sa large hache décrivant un arc de cercle avec une force brutale. Avec un bruit sec, son champ d’énergie explosa et elle tomba en arrière en poussant un cri.

Accablé par l’effort, Caine perdit connaissance.

* * *
Un moment ou peut-être une heure s’écoula, Caine ne put le dire. Pourtant, des mains puissantes le relevaient, et il se dit que tout cela n’avait servi à rien. Il avait perdu, et les mercenaires allaient sûrement l’achever.

Un visage embrouillé se penchait vers lui et le gifla.

« Ça va, monsieur ? » Caine réalisé qu’il était entouré de Gerdie et d’un groupe de pionniers fatigués par la bataille.

« Avons-nous… gagné ? » toussa-t-il en se redressant.

Gerdie prit un air grave, mais hocha la tête. « Eh bien, ils ont été repoussés, monsieur. Je pensais que nous étions condamnés. Nous étions coincés par leur artillerie. Ils semblaient prêts à nous écraser, mais ensuite… les canons se sont tus. Ils ne pouvaient pas avancer sans eux. Je remarque que nous devons vous remercier pour cela ».

« Combien de morts, Gerdie ? »

« Nous avons pris notre part, monsieur », dit Gerdie en reprenant son souffle. « Le Sergent Holly passe d’escouade en escouade pour un décompte final ».
Caine se recoucha, avec un mal de ventre avec de si mauvaises nouvelles. Il renifla l’air. Il y avait énormément de fumée, et il se rendit compte qu’il y avait une lueur rougeâtre à travers les arbres.

« Quelque chose brûle ? » demanda-t-il d’une voix rauque en se frottant une tempe.

« C’est l’autre chose, monsieur ».

Caine se redressa immédiatement.À travers la ligne d’arbres de la clairière, un incendie faisait rage dans les cieux nocturnes. C’était le manoir des Malsham. Juste derrière les portes en fer, on pouvait voir une silhouette déambulant de manière erratique. Il criait à tous les personnes qui voulaient l’écouter. Sa silhouette devant les flammes était reconnaissable entre toutes. C’était le baron en personne, et même d’ici, on pouvait l’entendre.

« Où est-il ? » hurla-t-il. « Où est votre imbécile de capitaine ? »

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